Intervention de Makhlouf Mamèche

Commission d'enquête Combattre la radicalisation islamiste — Réunion du 11 mars 2020 à 13h05
Audition de M. Makhlouf Mamèche président de la fédération nationale de l'enseignement privé musulman

Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman :

Merci de votre invitation. C'est la deuxième fois que je suis invité à ce genre d'auditions. La première fois, c'était sur l'initiative de Mme Nathalie Goulet, le 17 mars 2016.

À la rentrée 2019-2020, le réseau compte 101 établissements du premier et du second degré, dont six en association avec l'État : quatre ont un contrat d'association, la Medersa de la Réunion, le lycée Averroès à Lille, le groupe scolaire Al-Kindi de Lyon, le collège Ibn-Khaldoun à Marseille et deux sont sous contrat partiel, l'école Éva de Vitray à Mantes-la-Jolie et le collège Samarcande à Montigny-le-Bretonneux.

Il y a 95 établissements hors contrat. L'enseignement privé musulman représente 0,4 % de l'enseignement privé en France et le hors contrat musulman 8 % du hors contrat total. Le nombre d'élèves est de 10 450, dont 1 315 sous contrat et 9 135 hors contrat. Les établissements sont pour 58 % des écoles, pour 31 % des collèges et pour 11 % des lycées. Ils sont répartis très inégalement sur le territoire, 49 % d'entre eux étant en Île-de-France et 13 % en Auvergne-Rhône-Alpes, mais il y en a dans 18 académies.

L'établissement le plus ancien est la Medersa, créée en 1948 à la Réunion et passée sous contrat en 1968. Le plus récent, ouvert à la rentrée de 2019, est le collège Al-Bader à Nantes, qui compte une vingtaine d'élèves répartis sur la sixième et la cinquième.

En France métropolitaine, le premier établissement a été créé en 2002 : l'école maternelle et élémentaire L'Olivier. Le premier établissement sous contrat est le lycée d'enseignement général et technique Averroès à Lille, créé en 2008 ; c'est aujourd'hui l'établissement le plus important en France, avec un peu plus de 800 élèves au collège et au lycée. Seul le lycée est sous contrat, pour l'instant. L'effectif minimal est d'une dizaine d'élèves, comme dans l'école Nouvelle graine Montessori dans l'académie de Nice ou le lycée d'enseignement général Al-Ghazali à Creil.

Comment prenons-nous en compte les enjeux de prévention de la radicalisation et mettons-nous en oeuvre des mesures particulières ? En tant qu'institution d'éducation, nous considérons que le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation est de dispenser un meilleur enseignement, d'aider à la réussite scolaire et de lutter contre le décrochage scolaire. Ce sont les élèves qui souffrent de ce décrochage qui ont le plus de chances d'être également victimes de la radicalisation. Donnons de l'espoir à ces jeunes et agissons sur les vraies causes de la radicalisation. Surtout, ne pas humilier. Comme le disait le président Sarkozy, « une communauté humiliée est une communauté radicalisée. »

En plus des programmes de l'Éducation nationale, qui a des messages à transmettre à nos élèves à travers les cours d'histoire, de musique, de sport et d'enseignement moral et civique (EMC), nous avons développé des activités supplémentaires, telles que des sorties au musée, des interventions des associations comme Coexister, compétentes en matière de lutte contre la radicalisation et les discriminations, en insistant sur le respect de l'autre, le vivre ensemble, l'égalité hommes-femmes ou le respect des lois de la République.

Nos établissements font des signalements aux autorités académiques s'ils détectent des élèves qui présentent des signes de radicalisation. Mais pour nos établissements qui ont pour caractère propre le respect des préceptes de l'Islam, la prière n'en fait pas partie, non plus que le voile, le fait de se laisser pousser la barbe, le jeûne du ramadan et les prières nocturnes pendant cette période. Les chefs d'établissement sont très vigilants sur cette question avec les élèves, mais aussi avec le personnel. Chaque établissement a pris les mesures appropriées selon l'âge des élèves, l'approche étant différente entre le premier et le second degré.

Les parents sont demandeurs, car ils connaissent les défis auxquels doit faire face notre société. Beaucoup d'entre eux nous disent : heureusement que vous êtes là ! Certains parents n'ont pas les moyens de préserver leurs enfants contre ces fléaux.

Je ne nie pas que certains veuillent imposer leur vision radicale de la religion aux chefs d'établissement. Je dis toujours de ne pas céder, car il faut mettre l'élève au centre de nos préoccupations. Les parents doivent respecter le règlement intérieur et ne pas s'immiscer dans les aspects pédagogiques.

L'enseignement des établissements privés musulmans ne peut qu'être un rempart contre la radicalisation, grâce aux cours d'éthique musulmane.

Quelles relations entretenons-nous avec les autorités publiques ? Ces relations ont commencé avec le ministère de l'Éducation nationale dès 2014 : Najat Vallaud-Belkacem nous a intégrés dans le paysage de l'enseignement privé au même titre que les autres fédérations.

Notre objectif principal est d'organiser l'enseignement musulman, de l'accompagner et de nouer un vrai dialogue avec les pouvoirs publics.

Depuis cette date, nous avons été invités à prendre part aux débats : nous avons apporté notre contribution à toutes les problématiques et avons remonté les difficultés que nous rencontrions. Nous avons ainsi été associés au travail de réflexion sur le vademecum des inspections dans les établissements privés hors contrats, ce qui constitue une excellente initiative. Nous n'avons réussi à mettre sous contrat que très peu d'établissements.

À partir de 2017, les choses ont changé. Nous avons très peu de contacts, surtout avec la direction des affaires financières (DAF). Je n'ai rencontré le ministre qu'une seule fois en 2017, lors d'une réunion plénière sur la réforme du lycée. Plus aucun établissement privé musulman n'est passé sous contrat. C'est le vrai problème : l'école Éva de Vitray, par exemple, est passée sous contrat en 2017 pour une seule classe, mais, depuis trois ans, il n'y a pas de changement, pas de montée pédagogique. Les élèves sont sous contrat en sixième, mais ils ne le sont plus lorsqu'ils passent en cinquième. L'école-collège Éducation et savoir de Vitry-sur-Seine a perdu son contrat et se retrouve dans une situation difficile.

Il n'y a pas d'école musulmane sous contrat dérivant vers le séparatisme communautaire. Les inspecteurs et l'État sont là pour vérifier. Pour les établissements hors contrat, je n'en ai pas connaissance. Le terme de séparatisme me semble très fort. Y a-t-il des écoles qui ont une vision de la religion plus orthodoxe que d'autres ? Oui. Mais des écoles qui affichent leur séparatisme, non. Si cela se produit, nous le saurons à travers les inspections et les rapports des recteurs, car la partie du code de l'éducation relative à la procédure d'ouverture rend obligatoire une inspection par an.

Je donne mon avis si je suis sollicité : j'ai ainsi rencontré certains recteurs. Dans cette perspective, j'ai sollicité des rendez-vous avec les recteurs qui comptent des établissements privés musulmans dans leur académie, mais peu m'ont répondu. Je continue à leur écrire. Je pense qu'il est dans l'intérêt de tous de renouer le dialogue.

Nous avons mis en place une charte, selon laquelle « les établissements d'enseignement privé musulman, attachés au principe de liberté de l'enseignement, coopèrent avec les pouvoirs publics et toutes les instances éducatives dans un dialogue fondé sur la compréhension et le respect mutuels. »

L'ensemble de nos écoles respecte notre charte, qui fait référence aux valeurs de la République : « Les établissements d'enseignement privé musulmans dispensent un enseignement conforme aux exigences du code de l'éducation et aux programmes officiels du ministère de l'Éducation nationale en conciliant les valeurs de la république et les valeurs de l'Islam ». « Les établissements d'enseignement privé musulmans respectent la liberté de conscience et de culte ». « Chaque établissement d'enseignement privé musulman ouvre son projet éducatif aux valeurs de démocratie, de pluralisme et d'humanisme, à travers les valeurs que sont la justice, la liberté, la fraternité, l'égalité, la solidarité et le respect d'autrui ».

Si la fédération constate un manquement à la charte, elle est en mesure de mettre fin à la participation de l'établissement - jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à le faire.

Notre fédération est très jeune. Née en 2014, elle est la plus jeune fédération d'enseignement privé en France et fait face à plusieurs défis : le défi de la formation des maîtres et des personnels administratifs - nous n'avons pas de centre de formation comme les autres fédérations ; le défi financier, car nous n'avons que peu d'établissements sous contrat, malgré les demandes. Les musulmans sont en demande. C'est le seul moyen pour assurer le contrôle de ces établissements.

Pour l'instant, notre fédération se contente d'organiser des séminaires de formation pédagogique, juridique et administrative et des journées d'étude dans chaque établissement ou groupe d'établissements.

Je suis surpris par votre dernière question : nous enseignons bien évidemment toutes les matières sans exception, y compris la musique, les arts plastiques et le sport.

Les cours d'éthique musulmane ou les séances d'éveil à la spiritualité représentent un vrai défi. L'équipe des professeurs chargés des cours de religion a produit un projet qui n'est pas encore terminé. Nous sommes partenaires avec le centre européen de la recherche sur l'islam et ses interactions de Paris, qui a publié deux manuels « Islam : fondements valeurs et pratiques », un pour le professeur et l'autre pour l'élève. Notre objectif est d'éditer des manuels pour tous les niveaux des deux degrés, afin de ne pas laisser s'installer un vide pédagogique. Nous voulons mettre à disposition de nos établissements un vrai programme, qui prenne en considération l'authenticité des textes et le contexte dans lequel vivent les musulmans de France. Pas question, en effet, d'importer un programme d'un pays étranger. Le programme d'éducation religieuse prend en considération les valeurs de la République, telles que le vivre ensemble et la diversité.

Quelles sont nos directives pour la musique, les arts plastiques, le sport ? Nous pensons qu'elles apportent beaucoup sur le plan de l'épanouissement de l'élève. Il faut donc les dispenser, que ce soit sous contrat ou hors contrat.

La relation entre éducation islamique et éducation civique est une relation de complémentarité : l'une ne va pas sans l'autre. Les programmes d'éducation religieuse concernent la spiritualité, le dogme et les pratiques religieuses : les cinq piliers, les fondements de la foi, la vie du prophète de l'islam, la vie des autres prophètes... Le volume horaire est d'une heure et demie en moyenne par semaine. Je le dis souvent : un bon musulman ne peut être qu'un bon citoyen. Je cite ainsi, concernant la fraternité : « Les croyants sont frères », ou la liberté : « Nulle contrainte en matière de religion ! »

Je voulais vous faire part d'un point important relatif à l'enseignement du fait religieux dans les manuels scolaires. Dans le manuel Nathan d'histoire, géographie et EMC, on lit cette définition du mot djihad : « Effort permanent que doit faire tout musulman afin de se purifier, mais également droit de combattre l'occupant ». Dans un autre, c'est « Effort pour renforcer et répandre la foi musulmane ; désigne à la fois l'effort intérieur spirituel de chaque musulman et effort extérieur pour répandre l'islam par les conquêtes ». Dans un troisième, publié chez Hachette, c'est « Combat pour défendre et renforcer l'islam. »

Pour illustrer ce qu'est le djihad, ce manuel sous la direction de Vincent Adoumié cite ce verset : « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu. » On n'enseigne pas cela dans nos cours de religion, mais dans les manuels utilisés par l'Éducation nationale ! « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu. Ceux de la religion du livre, combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient l'impôt en signe de leur soumission. Dieu a accordé un rang plus élevé à ceux qui combattent pour Dieu qu'à ceux qui restent dans leur foyer ».

Ce manuel pose une question aux élèves : « Contre qui les musulmans doivent-ils combattre ? » Les élèves doivent répondre : « Les musulmans doivent combattre contre les Juifs et les chrétiens. » Deuxième question : « Que doivent faire les Juifs et les chrétiens vaincus ? »... Tout cela alimente la radicalisation.

Ces versets coraniques sont ancrés dans une histoire particulière, et les principes, dans ce qu'ils ont d'éternel et d'universel, ne peuvent être appréhendés que lorsqu'ils sont mis en relation avec le contexte historique où ils furent révélés. C'est à l'intelligence humaine d'établir le sens des textes à la lumière d'un contexte et d'en extraire la norme, son sens et son orientation.

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