Nous recevons aujourd'hui Mme Isabelle Ullern, doyenne de la Faculté libre d'études politiques (FLEPES), responsable du dispositif expérimental « Formations hybrides avec les acteurs religieux » (FHAR), qui est accompagnée de Mme Ambre Perrot, chargée de mission de la FLEPES pour le déploiement de la FHAR. Ce programme est commun avec la Faculté publique de théologie protestante de Strasbourg, dont nous avions convoqué le doyen, M. Rémi Gounelle. Mais ce dernier, étant souffrant, n'a pu répondre à notre convocation.
Madame la doyenne, peut-être pouvez-vous commencer par nous présenter la Faculté à laquelle vous appartenez, le partenariat avec la faculté de théologie protestante et ce programme de formation que vous portez. Nous nous intéressons aussi aux revendications islamistes dans l'enseignement supérieur ; peut-être pourrez-vous nous en dire un mot.
Avant de vous passer la parole, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Isabelle Ullern et Ambre Perrot prêtent serment.
Je vous remercie de votre invitation.
Notre institution est une faculté libre, déclarée au rectorat de l'académie de Versailles et administrée par l'association Initiatives. Celle-ci compte deux services : un établissement médico-social et une activité de formation professionnelle, active depuis les années 1980 et dont l'activité s'est développée au fil des ans. Nos formations sont sanctionnées par des diplômes d'État, c'est pourquoi elles font régulièrement l'objet d'audits de la part de nos tutelles ministérielles ou régionales.
Nos formations de niveau licence font également l'objet d'accréditations obligatoires, au travers de conventions avec les universités. Nous sommes ainsi soumis au code de l'éducation, et cela nous permet de bénéficier d'une réelle qualité de travail, qui profite aussi à nos partenaires de la faculté de Strasbourg. Nous rendons donc également des comptes au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ; notre convention d'accréditation en Île-de-France a été signée avec Paris-V, et nous sommes en train d'étudier une accréditation dans le cadre de notre partenariat avec l'université de Strasbourg.
J'en viens au coeur de notre sujet.
M. Rémi Gounelle et moi-même étions confrontés, dans notre travail, à des problématiques en lien avec votre enquête. Dans les années 2005 à 2010, nous nous sommes heurtés à des problèmes de référence à la religion, qui étaient impensés pour les travailleurs sociaux. C'est pourquoi nous nous sommes tournés vers la faculté de théologie, afin de concevoir ensemble un travail d'innovation pédagogique et d'ingénierie de formation. Les facultés de théologie ont en effet une bonne connaissance des environnements religieux et une vision de l'intérieur de ces problèmes. Nous leur avons donc demandé de participer à des formations avec nous.
Cela a d'abord pris la forme d'un diplôme universitaire (DU) en médiation socio-religieuse, sur le fondement de la médiation juridique, pour régler des situations de conflit. Progressivement, à partir de 2015, nous avons été sollicités par des préfectures pour déployer la FHAR, qui mêle des professionnels de l'action territoriale - pas seulement des travailleurs sociaux - et certains élus locaux, dans le cadre d'une formation diplômante. Dans le cadre de cette formation hybride, chacun reste à sa place.
Je ne développerai pas ce que j'ai déjà indiqué dans le document détaillé que je vous ai transmis ; je me contenterai de présenter, au nom du doyen Rémi Gounelle et de moi-même, un dispositif qui fonctionne.
Nous avons tâché, depuis cette année, de dupliquer en Île-de-France une méthode modélisée à Strasbourg : une formation hybride avec des acteurs religieux. Je précise qu'il s'agit de traiter non pas des activités des ministres du culte, mais de la vie associative, sur un plan séculier.
La ville de Strasbourg, le département et la préfecture du Bas-Rhin, ainsi que l'Eurométropole nous ont beaucoup soutenus ; toutes les instances politiques du territoire sont mobilisées, et cela n'est pas lié à la spécificité de l'Alsace par rapport à la loi de 1905.
En Île-de-France, nous nous sommes heurtés à un problème, celui de l'extension à l'infini du dispositif, dont l'échelle est considérable. Peu à peu, à mesure de nos rencontres avec la région et l'association des maires d'Île-de-France (AMIF), nous avons fait l'expérience de la difficulté de travailler face à une gouvernance diluée ; c'est ainsi que nous est venue l'idée de solliciter une audition auprès d'une commission politique.
En effet, notre travail est hybride, certes, mais nous pensons qu'il est politique, et non social, et qu'il permettra d'agir sur l'objet qui vous intéresse. Nous ne sommes pas des experts en islamologie : notre champ d'expertise est l'ingénierie de formation, et nous avons besoin d'un interlocuteur politique pour conduire autrement, sur une plus grande échelle, cette expérience dans les territoires. Des expérimentations sont déjà menées, mais les actions de formation doivent être modélisées, conduites et orchestrées à l'échelon politique.
Je souhaite maintenant exposer quatre cas de figure qui se sont présentés à nous, pour vous montrer comment nous travaillons dans les territoires.
Le premier exemple est celui d'une ville de 30 000 habitants, qui avait réalisé un magnifique travail de rénovation urbaine et dont la mairie était très présente auprès des associations cultuelles.
Nous y sommes entrés par le biais du réseau des associations musulmanes et nous avons pénétré cette citadelle intérieure - celle des mentalités, car il n'y avait pas de ghetto. Le climat n'était pas nécessairement hostile, mais nous ne sommes pas naïfs : nous savons bien que cet univers est travaillé par un ensemble de références qui sont non pas d'ici, mais d'ailleurs.
Nous avons rencontré deux jeunes imams, qui tenaient un restaurant attenant à une mosquée ; ils étaient très intéressés par notre formation, susceptible de les aider pour la suite de leur carrière professionnelle, mais la personne qui décide, en la matière, c'est le président de la mosquée, et celui-ci n'a jamais donné son autorisation. En revanche, ces deux jeunes, natifs de cette ville, se rendent régulièrement en formation en Arabie Saoudite. Il y a là une rupture de la chaîne de droit commun : la décision ne relève pas de la bonne personne.
Mon deuxième exemple portera sur une autre ville d'Île-de-France, comptant 27 000 habitants et 70 % d'habitat social, avec beaucoup d'immigration datant des années 1950. Tous les cultes y sont représentés : on trouve une paroisse catholique dynamique, deux synagogues, plusieurs salles de prière, un temple bouddhiste, quelques associations musulmanes, une mosquée existante et une mosquée en construction.
Nous avons échangé avec le chargé de mission du conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et nous nous sommes rendu compte que, dans les tentatives de construction de lien avec la société civile, les instances associatives religieuses n'apparaissaient jamais. Il y avait donc là un angle complètement aveugle du travail de maillage territorial. Or, là où c'est fait, il en ressort des choses intéressantes, des leviers d'interaction permettant de rétablir le droit commun et la République.
Cet aspect n'est pas travaillé, car les acteurs locaux ne disposent pas de l'outillage pour le faire. Nous pouvons former localement les gens, mais il faut qu'un organe politique nous demande de le faire et dise aux personnes qu'elles peuvent suivre notre formation. Sans cela, des pans entiers de la population ne sont pas en lien avec les services de la ville, sauf au sein des maisons de quartiers, qui sont les premières visées lors des émeutes. Par conséquent, comment mailler à l'intérieur de la société civile ?
Mon troisième exemple est celui d'un club de prévention d'une ville d'Île-de-France. Ce club a constaté de nombreux départs vers la Syrie parmi les jeunes, y compris au sein de l'équipe éducative. La mairie a alors demandé à la mosquée historique, située en centre-ville et s'intégrant dans le paysage urbain, d'entrer en relation avec ces jeunes, mais cette mosquée ne voulait pas s'occuper des habitants de la périphérie, qui étaient d'une classe sociale différente de celle de ses usagers.
Le directeur du club a alors souhaité explorer cet angle aveugle, dans un contexte de laïcité. Il a interviewé les jeunes, de 14 à 25 ans mais surtout de 14 à 16 ans, qui étaient sous le choc des départs vers la Syrie et des remous liés à la tragédie de Charlie Hebdo. À la question « Pour toi, la religion est-elle importante ? », la réponse était massivement « Ah oui, c'est très important ! » Si c'est important à ce point, comment interagir ? Il faut créer une formation, même s'il ne faut pas faire que cela, et celle-ci doit bénéficier d'une conduite politique.
Dernier exemple : en travaillant depuis 2015 avec des acteurs religieux associatifs musulmans en Alsace, nous avons mesuré à quel point la gouvernance territoriale leur est incompréhensible. Compte tenu de l'hostilité récurrente qui dresse déjà l'islam contre l'Occident, ignorer les dispositifs de gouvernance territoriale qu'une association est censée connaître a un impact fort, comme vous pouvez l'imaginer.
Une mairie que nous avions contactée souhaitait nous envoyer des stagiaires, mais elle n'arrivait pas à mobiliser des gens et s'est donc tournée vers le consulat du Maroc, c'est-à-dire vers une autorité étrangère. Quel est cet univers dans lequel une mairie en désarroi appelle un consulat étranger à l'aide ? Et l'on voit cela partout.
Par conséquent, les acteurs, dont les autorités sont ailleurs, ne viennent pas à nos formations ; ils n'ont pas conscience de leurs compétences et ne s'en servent pas dans le cadre de leur activité. Or, quand on représente une association auprès d'une autorité locale, être ou non qualifié fait une grande différence. J'ai aussi tenu ces propos avec des rabbins ou des pasteurs, car nous échangeons aussi avec instances catholiques, juives et protestantes, sans nous leurrer pour autant sur le fond conflictuel qui existe ; en effet, nous avons invité le consistoire israélite à intervenir dans une formation, et les échanges ont été violents - nous constatons un véritable état de guerre mentale.
Nous bénéficions d'un financement du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) qui court jusqu'en juillet ; nous en sommes heureux, car cela nous donne un moyen d'agir. Néanmoins, si nous avions une requête à soumettre à votre oreille et à votre expertise, ce serait que, à côté de ce financement, une commission expérimentale nous demande, au travers d'une action politique, de mener des expérimentations sur des territoires volontaires qui pourraient être comparés pendant trois ans.
Nous étudierions ainsi comment former les acteurs associatifs, pour la partie séculière de leur activité, tout en étant en lien avec une institution politique. Nous pourrions en sortir une modélisation de la formation d'acteurs associatifs religieux, dans le cadre tant de la loi de 1901 que de celle de 1905, afin de former aux dispositifs réglementaires compliqués. Cela permettrait de qualifier l'action associative des associations cultuelles, même si c'est utilisé dans le cadre de la bataille de prévention primaire des conduites ayant à voir avec le risque de radicalisation, d'attentat terroriste, d'auto-cooptation ou d'islamisme.
Il s'agit, au travers de vos formations, de former des travailleurs sociaux, des travailleurs associatifs ?
Nous formons également des entrepreneurs.
Pourriez-vous nous expliquer le type de formation que vous proposez ?
Par ailleurs, vous indiquez qu'il existe un problème de gouvernance, selon le statut des personnes que vous touchez. Vous évoquiez le cas d'un jeune imam ayant un restaurant. Était-il salarié ou autoentrepreneur ? Selon le statut, la formation n'est pas prise en charge de la même manière. Que demandez-vous, à cet égard ? Que le dispositif soit unifié et confié, par exemple, à la région ou à Pôle emploi ?
Concrètement, nous formons autour de champs de compétences : management, montage de projet, inscription de la vie des cultes dans le champ légal, travail sur la culture et les mentalités. Avoir des théologiens nous permet de savoir, de l'intérieur, comment vit une religion. Nous organisons des ateliers d'application et nous avons beaucoup de travail sur site, avec une expertise. Nos stagiaires sont accompagnés dans l'expertise territoriale, dans leur écosystème. En outre, il existe un suivi par la formation à distance.
Il existe également un champ de compétences relevant de l'économie sociale et solidaire, avec des questions financières ou fiscales. Pour ce qui concerne les mentalités - cela relève plus des sciences humaines et sociales -, nous travaillons sur l'articulation des normes. Nous avons ainsi organisé des ateliers de partage de pratiques réunissant travailleurs sociaux, enseignants, imams et experts de justice autour des violences au sein de la famille. En effet, un imam accompagne les gens avec son propre champ normatif et juridique. Le monde catholique aussi a des normes de fonctionnement, mais sa relation aux personnes s'inscrit dans le droit commun. Dans l'univers musulman, les normes sont en conflit, car elles font référence à des organisations juridico-politiques étrangères.
Nos formations s'inscrivent dans le cadre de diplômes enregistrés. Parfois, les stagiaires suivent un seul module et obtiennent une attestation de validation ou de présence, en cas d'échec, pour ce module. Étant enregistrées, ces formations peuvent être prises en charge dans le cadre du droit à la formation. Notre demande n'est donc pas de cet ordre, elle est autre : il s'agit de toucher le vrai décideur d'une formation, pour que celui-ci puisse être interpellé ou qu'il n'intervienne pas là où il ne doit pas le faire.
À Strasbourg, nous avons conclu des conventions avec la préfecture ou avec la ville. Ce n'est pas le cas en Île-de-France ; ce n'est pas dans nos mentalités de former des acteurs religieux. Ainsi, pour la formation d'acteurs associatifs religieux, il faut déterminer qui finance et comment on mobilise les ressources de la formation professionnelle. Voilà notre demande, car cet aspect nous dépasse.
Combien de personnes formez-vous chaque année et quelle est la proportion de femmes ? Où en êtes-vous à Paris ?
Nous vous avons donné tous les chiffres. Une promotion comptait environ quinze personnes chaque année au cours de la période 2013-2018, y compris les aumôniers protestants et catholiques et les éducateurs musulmans. Il y avait de la mixité.
Une difficulté est venue, à Strasbourg, d'un groupe d'une vingtaine de personnes - douze à plus de vingt selon les séances -, qui comptait une seule femme pendant trois ans. Nous avons fait venir des enseignantes, et un nouveau groupe s'est constitué en 2018-2019, qui comprend une plus forte proportion de femmes musulmanes et jeunes. Le maillage étant réalisé, on peut aller de l'avant. Tous les courants théologico-politiques de l'islam sont venus à nos formations, et des chrétiens et des juifs sont intervenus.
En Île-de-France, nous avons constitué une promotion de huit personnes, dont les scouts musulmans de France, très sollicités dans certaines villes. C'est tout petit pour nous. Nous avons cherché à expliquer cette situation, et nous avons compris que nous étions notre propre relais de communication ; or on ne fait pas la même plaquette pour une instance politique et pour des acteurs musulmans, donc notre message se brouille. En outre, nous n'avons pas de lettre de mission permanente. La lutte contre la radicalisation est profondément politique, et il nous manque un interlocuteur politique constitué.
Je suis élue d'Île-de-France depuis 35 ans. S'il y a des blocages en Île-de-France, c'est aussi parce que beaucoup de choses existent déjà ; il y a beaucoup d'argent, sans d'ailleurs que les résultats soient forcément là. La politique de la ville, la région et les départements ont apporté beaucoup de moyens. Nous posons non plus la question de la formation, mais celle des résultats.
Je vous ai très peu entendue parler des valeurs de la République et de la laïcité. Cela m'interpelle. C'est très bien de former au management, mais je ne vois pas le rapport avec notre commission, qui vise la lutte contre l'islam radical, l'islam politique.
Vous avez parlé de deux jeunes ayant un restaurant attenant à une mosquée. Vous vouliez leur proposer une formation, mais de quoi ? Quel type de formation proposez-vous à ces imams commerçants ? Est-ce vous qui les avez sollicités ?
Vous parlez également de maillage territorial. Je ne comprends pas bien de quoi il s'agit, mais si c'est un maillage religieux, cela me semble aller à l'encontre de la laïcité. On est d'abord citoyen avant d'être religieux.
Vous avez parlé d'un club de prévention qui n'était pas très au courant des départs pour la Syrie, mais ce n'est pas leur rôle ! Les éducateurs ont un rôle d'insertion, et je ne vois pas comment leur mission peut s'inscrire dans un maillage politico-religieux, quel qu'il soit.
Vous parlez également de personnes ne connaissant pas les dispositifs, mais ce sont toujours les mêmes qui s'en disent éloignées quand cela les arrange. Et elles ne sont pas éloignées de tout : tout le monde connaît la CAF, mais moins la République.
Si ce maillage territorial ne se fait pas au nom de la République et de rien d'autre, on n'y arrivera pas. On a donné beaucoup d'argent depuis des années, et cela ne fonctionne pas. Par conséquent, quels effets attendez-vous de ces formations sur ces personnes qui sont, avant tout, des citoyens de la République ?
Par ailleurs, votre faculté libre est-elle confessionnelle ?
La faculté n'est pas confessionnelle ; l'association Initiatives connaît des personnes de confession chrétienne, mais la faculté est un établissement d'enseignement supérieur privé aconfessionnel.
En 2015, nous avons été contactés par des éducateurs du club de prévention du Mans en grande détresse, puisque Dar a-Islam avait appelé à tuer tous les agents de l'État. Les éducateurs faisaient état de difficultés dans leur relation éducative quotidienne avec les jeunes, car ces derniers n'évoquent les questions morales et existentielles qu'au travers du prisme religieux, et ils demandent aux éducateurs pourquoi ils ne croient à rien et ne parlent pas de religion ; les éducateurs ne peuvent pas répondre.
Cela conduit à la rupture de la relation éducative, car les jeunes posent des questions sur la masturbation ou la vie sexuelle, mais ils sont d'un milieu où la norme morale, familiale, n'est pas sécularisée et ne promeut pas l'émancipation ; la seule voie est l'excellence dans la voie de l'islam. Les imams ne répondent pas non plus aux questions. Les éducateurs ne savent pas comment articuler cette double norme ; les jeunes relèvent d'une double obédience.
Les éducateurs ont ce problème éducatif et ils restent à leur place. Il faut donc créer un espace intermédiaire, à l'instar des aumôneries dans les lycées, qui soit placé sous la loi de la République et où ces questions morales sont travaillées.
Mais est-ce le rôle de la société ? Le problème de la sexualité est un sujet majeur pour certains jeunes musulmans, mais n'est-ce pas aux parents et aux autorités musulmanes de les sortir de leurs frustrations ? Est-ce à la société ou à l'éducateur de rue de répondre à cela ? Selon moi, c'est à l'islam de France et aux imams de se former à la sexualité pour y répondre. Ces sujets doivent-ils être portés par la société, par la République laïque ? C'est un vrai sujet.
On parle toujours des mêmes questions, mais on n'a pas de solution. On se trouve confronté à une réalité, mais le principal acteur n'est pas là : l'islam. Que vaut la parole d'un éducateur face à celle d'un imam ? Elle n'existe pas. Quand un éducateur explique à un jeune que l'on ne peut pas dire « les homosexuels, c'est insupportable », il répond « je vais voir mon imam. » Faut-il former les gens à cela ?
C'est là que l'hypothèse hybride fonctionne. Notre assise est la prévention primaire, au sens de l'OMS : on travaille sur les incidences d'un péril, jusque dans les conduites individuelles.
Les éducateurs n'ont pas vocation à faire de l'enseignement ou de la formation dans le champ religieux. Notre plus grand péril réside dans la fracture abyssale entre le développement moral et l'éducation. Juste après les attentats de Strasbourg, un lycée s'est enflammé, avec des violences internes graves. Notre projet n'est pas de faire de l'instruction civique, c'est déjà fait et c'est très bien fait. Nous proposons une formation appliquée à la laïcité : la loi ne se discute pas, elle s'applique ; c'est intransigeant, mais le jeune se tourne ensuite vers l'imam ou sa famille...
Un projet est donc de regrouper les personnes ès qualités - imam, éducateur spécialisé, enseignant -, pour faire des activités avec les jeunes, chacun selon sa place. Par exemple, ils visitent un jardin interreligieux dans un lieu catholique, avec un professeur d'histoire et un imam.
Telle est la formation hybride : on réunit des personnes qu'un enfant pourrait dresser les unes contre les autres. Le parent et l'éducation nationale restent chacun dans son rôle. C'est une démarche pragmatique. Nous étions dans une telle situation d'effroi en 2012 que nous avons voulu créer des passerelles. Cet espace est dédié à cela ; il ne sort pas les gens de leur rôle, mais il les met ensemble et les fait discuter en faisant des choses avec les jeunes.
Depuis longtemps, le Sénat travaille sur cette question. En 2015, après les attentats contre Charlie, nous avons visité des établissements scolaires difficiles à Strasbourg ; on nous avait dit que l'enseignement religieux avait apaisé les choses et que la minute de silence s'était bien passée. Vous dites qu'il y a eu des violences à la suite de l'attentat de Strasbourg ; la situation semble donc s'être dégradée...
J'ai une question sur le montant de la subvention qui vous est versée par le CIPDR. Le travail ne me semble pas à la hauteur des enjeux, loin de là. Je suis atterrée par ce que vous dites sur l'absence de lien avec la puissance publique. Cela fait des années que l'on y travaille, et de façon approfondie. Combien avez-vous touché du CIPDR pour une formation civique d'une quinzaine de personnes, et quel retour avez-vous obtenu ?
Si le CIPDR considère que vous avez créé un bon outil, il doit vous aider à le dupliquer. Il y a le centre d'action et de prévention contre la radicalisation des individus (Capri), qui fait merveille à Bordeaux. Le manque de lien avec la puissance publique que vous décrivez m'atterre : vous me rappelez Louis de Funès dans Rabbi Jacob - vous semblez vous débattre dans le chewing-gum !
Pourquoi, à votre avis, n'y a-t-il pas plus de réponses du CIPDR, qui a même fusionné depuis lors avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? Vous vous donnez beaucoup de mal... Comment se fait-il que vous considériez que la puissance publique vous a laissé en roue libre et ne prend pas en considération votre travail ? C'est la goutte d'eau par rapport aux enjeux. J'espère que cette commission d'enquête pourra exiger une évaluation du CIPDR.
Nous avons bénéficié d'un financement d'abord par le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), puis via une convention nationale avec le CIPDR, qui audite toutes nos dépenses. Nous pouvons vous communiquer le montant de cette convention - mais nous ne les avons pas dépensés, et nous ne les dépenserons pas, car nous ne parvenons pas à mettre en place les actions. Nous recevions beaucoup moins du FIPD, le portage financier étant fait par le service de formation continue de l'université de Strasbourg.
Le CIPDR nous a dit : vous dupliquez en Île-de-France. Mais nous nous heurtons à l'impossibilité de le faire.
Vous évoquez Louis de Funès ; je me vois plutôt comme Buster Keaton ! Pour autant, ni notre formation ni nos interlocuteurs ne sont de cet ordre. En tant qu'association, nous sommes effectivement une goutte d'eau dans beaucoup de dispositifs. Mais ce qui n'est pas une goutte d'eau, c'est le dispositif de formation que le doyen Gounelle et moi-même vous présentons. Nous voudrions le voir testé à grande échelle, et ce n'est pas le cas.
Avez-vous demandé à étendre votre activité, ou est-on venu vous chercher ?
Ce sont les évaluations qui ont conduit le CIPDR à nous le proposer.
Nous proposons par ailleurs beaucoup de formations : conventionnements avec la formation continue, interventions en licence en sciences de l'éducation, formations au travail social... Nous attendons la fin des élections municipales pour mettre en place des modules sur site. Les circonstances, entre les grèves et les élections municipales, font que nous avons du mal à progresser. Mais nous demandons une interlocution politique, pour que notre dispositif de formation soit évalué.
La personne qui veut contacter un ministre du culte pour le faire intervenir avec des services municipaux se tourne vers le consulat. Au regard de la loi de 1905, la police des cultes se fait au niveau local. Comment demander à une pluralité d'autorités étrangères de parler une langue culturelle et morale qu'elles ne connaissent pas ? Notre proposition, c'est le dispositif de formation, qui doit être déployé par des acteurs associatifs locaux.
Nous ne voulons pas faire des formations continues au coup par coup, en déroulant ici ou là des formations sur la laïcité ou des formations civiques, en disant ce qu'est une radicalisation... Nous voulons former les acteurs de la gouvernance territoriale à la vie publique des cultes.
Je ne voulais pas du tout dénigrer votre travail. C'est le contexte qui me semble incohérent face à la masse des besoins. Des structures comme la vôtre, il doit y en avoir beaucoup...
Il y en a beaucoup.
Vous pourriez donc devenir les sous-traitants des acteurs implantés localement.
Nous sommes d'accord. Notre désarroi vient des habitus mentaux liés à l'histoire de la République, qui a l'habitude de traiter avec des religions organisées. Il faut donc trouver comment faire lorsque ce n'est pas encore le cas. Notre association est adossée à une accréditation universitaire. L'appareillage qui fonctionne dans les formations en soins infirmiers ou au travail social pourrait être utilisé pour former des gens qui organisent la vie publique des cultes, telle qu'elle est déterminée par la loi de 1905. Formons-nous ensemble à la vie publique des cultes !
Nous recevons maintenant M. Makhlouf Mamèche, président de la Fédération nationale de l'enseignement privé musulman.
Notre commission d'enquête se penche sur ce que le président de la République a appelé le « séparatisme » religieux. Nous avons entendu les recteurs de la région Île-de-France, qui ont notamment pointé ce qu'ils considèrent être une dissimulation par certains établissements du contenu réel de leurs enseignements, et nous sommes donc particulièrement intéressés par votre approche de cette question.
Avant de vous passer la parole, je dois cependant rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Makhlouf Mamèche prête serment.
Merci de votre invitation. C'est la deuxième fois que je suis invité à ce genre d'auditions. La première fois, c'était sur l'initiative de Mme Nathalie Goulet, le 17 mars 2016.
À la rentrée 2019-2020, le réseau compte 101 établissements du premier et du second degré, dont six en association avec l'État : quatre ont un contrat d'association, la Medersa de la Réunion, le lycée Averroès à Lille, le groupe scolaire Al-Kindi de Lyon, le collège Ibn-Khaldoun à Marseille et deux sont sous contrat partiel, l'école Éva de Vitray à Mantes-la-Jolie et le collège Samarcande à Montigny-le-Bretonneux.
Il y a 95 établissements hors contrat. L'enseignement privé musulman représente 0,4 % de l'enseignement privé en France et le hors contrat musulman 8 % du hors contrat total. Le nombre d'élèves est de 10 450, dont 1 315 sous contrat et 9 135 hors contrat. Les établissements sont pour 58 % des écoles, pour 31 % des collèges et pour 11 % des lycées. Ils sont répartis très inégalement sur le territoire, 49 % d'entre eux étant en Île-de-France et 13 % en Auvergne-Rhône-Alpes, mais il y en a dans 18 académies.
L'établissement le plus ancien est la Medersa, créée en 1948 à la Réunion et passée sous contrat en 1968. Le plus récent, ouvert à la rentrée de 2019, est le collège Al-Bader à Nantes, qui compte une vingtaine d'élèves répartis sur la sixième et la cinquième.
En France métropolitaine, le premier établissement a été créé en 2002 : l'école maternelle et élémentaire L'Olivier. Le premier établissement sous contrat est le lycée d'enseignement général et technique Averroès à Lille, créé en 2008 ; c'est aujourd'hui l'établissement le plus important en France, avec un peu plus de 800 élèves au collège et au lycée. Seul le lycée est sous contrat, pour l'instant. L'effectif minimal est d'une dizaine d'élèves, comme dans l'école Nouvelle graine Montessori dans l'académie de Nice ou le lycée d'enseignement général Al-Ghazali à Creil.
Comment prenons-nous en compte les enjeux de prévention de la radicalisation et mettons-nous en oeuvre des mesures particulières ? En tant qu'institution d'éducation, nous considérons que le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation est de dispenser un meilleur enseignement, d'aider à la réussite scolaire et de lutter contre le décrochage scolaire. Ce sont les élèves qui souffrent de ce décrochage qui ont le plus de chances d'être également victimes de la radicalisation. Donnons de l'espoir à ces jeunes et agissons sur les vraies causes de la radicalisation. Surtout, ne pas humilier. Comme le disait le président Sarkozy, « une communauté humiliée est une communauté radicalisée. »
En plus des programmes de l'Éducation nationale, qui a des messages à transmettre à nos élèves à travers les cours d'histoire, de musique, de sport et d'enseignement moral et civique (EMC), nous avons développé des activités supplémentaires, telles que des sorties au musée, des interventions des associations comme Coexister, compétentes en matière de lutte contre la radicalisation et les discriminations, en insistant sur le respect de l'autre, le vivre ensemble, l'égalité hommes-femmes ou le respect des lois de la République.
Nos établissements font des signalements aux autorités académiques s'ils détectent des élèves qui présentent des signes de radicalisation. Mais pour nos établissements qui ont pour caractère propre le respect des préceptes de l'Islam, la prière n'en fait pas partie, non plus que le voile, le fait de se laisser pousser la barbe, le jeûne du ramadan et les prières nocturnes pendant cette période. Les chefs d'établissement sont très vigilants sur cette question avec les élèves, mais aussi avec le personnel. Chaque établissement a pris les mesures appropriées selon l'âge des élèves, l'approche étant différente entre le premier et le second degré.
Les parents sont demandeurs, car ils connaissent les défis auxquels doit faire face notre société. Beaucoup d'entre eux nous disent : heureusement que vous êtes là ! Certains parents n'ont pas les moyens de préserver leurs enfants contre ces fléaux.
Je ne nie pas que certains veuillent imposer leur vision radicale de la religion aux chefs d'établissement. Je dis toujours de ne pas céder, car il faut mettre l'élève au centre de nos préoccupations. Les parents doivent respecter le règlement intérieur et ne pas s'immiscer dans les aspects pédagogiques.
L'enseignement des établissements privés musulmans ne peut qu'être un rempart contre la radicalisation, grâce aux cours d'éthique musulmane.
Quelles relations entretenons-nous avec les autorités publiques ? Ces relations ont commencé avec le ministère de l'Éducation nationale dès 2014 : Najat Vallaud-Belkacem nous a intégrés dans le paysage de l'enseignement privé au même titre que les autres fédérations.
Notre objectif principal est d'organiser l'enseignement musulman, de l'accompagner et de nouer un vrai dialogue avec les pouvoirs publics.
Depuis cette date, nous avons été invités à prendre part aux débats : nous avons apporté notre contribution à toutes les problématiques et avons remonté les difficultés que nous rencontrions. Nous avons ainsi été associés au travail de réflexion sur le vademecum des inspections dans les établissements privés hors contrats, ce qui constitue une excellente initiative. Nous n'avons réussi à mettre sous contrat que très peu d'établissements.
À partir de 2017, les choses ont changé. Nous avons très peu de contacts, surtout avec la direction des affaires financières (DAF). Je n'ai rencontré le ministre qu'une seule fois en 2017, lors d'une réunion plénière sur la réforme du lycée. Plus aucun établissement privé musulman n'est passé sous contrat. C'est le vrai problème : l'école Éva de Vitray, par exemple, est passée sous contrat en 2017 pour une seule classe, mais, depuis trois ans, il n'y a pas de changement, pas de montée pédagogique. Les élèves sont sous contrat en sixième, mais ils ne le sont plus lorsqu'ils passent en cinquième. L'école-collège Éducation et savoir de Vitry-sur-Seine a perdu son contrat et se retrouve dans une situation difficile.
Il n'y a pas d'école musulmane sous contrat dérivant vers le séparatisme communautaire. Les inspecteurs et l'État sont là pour vérifier. Pour les établissements hors contrat, je n'en ai pas connaissance. Le terme de séparatisme me semble très fort. Y a-t-il des écoles qui ont une vision de la religion plus orthodoxe que d'autres ? Oui. Mais des écoles qui affichent leur séparatisme, non. Si cela se produit, nous le saurons à travers les inspections et les rapports des recteurs, car la partie du code de l'éducation relative à la procédure d'ouverture rend obligatoire une inspection par an.
Je donne mon avis si je suis sollicité : j'ai ainsi rencontré certains recteurs. Dans cette perspective, j'ai sollicité des rendez-vous avec les recteurs qui comptent des établissements privés musulmans dans leur académie, mais peu m'ont répondu. Je continue à leur écrire. Je pense qu'il est dans l'intérêt de tous de renouer le dialogue.
Nous avons mis en place une charte, selon laquelle « les établissements d'enseignement privé musulman, attachés au principe de liberté de l'enseignement, coopèrent avec les pouvoirs publics et toutes les instances éducatives dans un dialogue fondé sur la compréhension et le respect mutuels. »
L'ensemble de nos écoles respecte notre charte, qui fait référence aux valeurs de la République : « Les établissements d'enseignement privé musulmans dispensent un enseignement conforme aux exigences du code de l'éducation et aux programmes officiels du ministère de l'Éducation nationale en conciliant les valeurs de la république et les valeurs de l'Islam ». « Les établissements d'enseignement privé musulmans respectent la liberté de conscience et de culte ». « Chaque établissement d'enseignement privé musulman ouvre son projet éducatif aux valeurs de démocratie, de pluralisme et d'humanisme, à travers les valeurs que sont la justice, la liberté, la fraternité, l'égalité, la solidarité et le respect d'autrui ».
Si la fédération constate un manquement à la charte, elle est en mesure de mettre fin à la participation de l'établissement - jusqu'à présent, nous n'avons pas eu à le faire.
Notre fédération est très jeune. Née en 2014, elle est la plus jeune fédération d'enseignement privé en France et fait face à plusieurs défis : le défi de la formation des maîtres et des personnels administratifs - nous n'avons pas de centre de formation comme les autres fédérations ; le défi financier, car nous n'avons que peu d'établissements sous contrat, malgré les demandes. Les musulmans sont en demande. C'est le seul moyen pour assurer le contrôle de ces établissements.
Pour l'instant, notre fédération se contente d'organiser des séminaires de formation pédagogique, juridique et administrative et des journées d'étude dans chaque établissement ou groupe d'établissements.
Je suis surpris par votre dernière question : nous enseignons bien évidemment toutes les matières sans exception, y compris la musique, les arts plastiques et le sport.
Les cours d'éthique musulmane ou les séances d'éveil à la spiritualité représentent un vrai défi. L'équipe des professeurs chargés des cours de religion a produit un projet qui n'est pas encore terminé. Nous sommes partenaires avec le centre européen de la recherche sur l'islam et ses interactions de Paris, qui a publié deux manuels « Islam : fondements valeurs et pratiques », un pour le professeur et l'autre pour l'élève. Notre objectif est d'éditer des manuels pour tous les niveaux des deux degrés, afin de ne pas laisser s'installer un vide pédagogique. Nous voulons mettre à disposition de nos établissements un vrai programme, qui prenne en considération l'authenticité des textes et le contexte dans lequel vivent les musulmans de France. Pas question, en effet, d'importer un programme d'un pays étranger. Le programme d'éducation religieuse prend en considération les valeurs de la République, telles que le vivre ensemble et la diversité.
Quelles sont nos directives pour la musique, les arts plastiques, le sport ? Nous pensons qu'elles apportent beaucoup sur le plan de l'épanouissement de l'élève. Il faut donc les dispenser, que ce soit sous contrat ou hors contrat.
La relation entre éducation islamique et éducation civique est une relation de complémentarité : l'une ne va pas sans l'autre. Les programmes d'éducation religieuse concernent la spiritualité, le dogme et les pratiques religieuses : les cinq piliers, les fondements de la foi, la vie du prophète de l'islam, la vie des autres prophètes... Le volume horaire est d'une heure et demie en moyenne par semaine. Je le dis souvent : un bon musulman ne peut être qu'un bon citoyen. Je cite ainsi, concernant la fraternité : « Les croyants sont frères », ou la liberté : « Nulle contrainte en matière de religion ! »
Je voulais vous faire part d'un point important relatif à l'enseignement du fait religieux dans les manuels scolaires. Dans le manuel Nathan d'histoire, géographie et EMC, on lit cette définition du mot djihad : « Effort permanent que doit faire tout musulman afin de se purifier, mais également droit de combattre l'occupant ». Dans un autre, c'est « Effort pour renforcer et répandre la foi musulmane ; désigne à la fois l'effort intérieur spirituel de chaque musulman et effort extérieur pour répandre l'islam par les conquêtes ». Dans un troisième, publié chez Hachette, c'est « Combat pour défendre et renforcer l'islam. »
Pour illustrer ce qu'est le djihad, ce manuel sous la direction de Vincent Adoumié cite ce verset : « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu. » On n'enseigne pas cela dans nos cours de religion, mais dans les manuels utilisés par l'Éducation nationale ! « Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu. Ceux de la religion du livre, combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient l'impôt en signe de leur soumission. Dieu a accordé un rang plus élevé à ceux qui combattent pour Dieu qu'à ceux qui restent dans leur foyer ».
Ce manuel pose une question aux élèves : « Contre qui les musulmans doivent-ils combattre ? » Les élèves doivent répondre : « Les musulmans doivent combattre contre les Juifs et les chrétiens. » Deuxième question : « Que doivent faire les Juifs et les chrétiens vaincus ? »... Tout cela alimente la radicalisation.
Ces versets coraniques sont ancrés dans une histoire particulière, et les principes, dans ce qu'ils ont d'éternel et d'universel, ne peuvent être appréhendés que lorsqu'ils sont mis en relation avec le contexte historique où ils furent révélés. C'est à l'intelligence humaine d'établir le sens des textes à la lumière d'un contexte et d'en extraire la norme, son sens et son orientation.
Merci beaucoup pour vos réponses. Vous avez parlé de difficultés pour vos établissements à passer sous contrat. Pourquoi, d'après vous ? Que vous oppose l'État ? Vous avez cité le lycée Averroès ; nous avons tous lu la tribune de Soufiane Zitouni, qui parle de son expérience et signale des gens très proches de l'UOIF. Y a-t-il des Frères musulmans dans l'équipe éducative ?
Les établissements ont signé la charte de l'enseignement privé musulman. Celle que nous avons reçue date de 2014 - j'imagine que vous devez la mettre à jour régulièrement. Vous parlez d'un « projet éducatif propre qui répond au Coran et à la Sunna ». Enseignez-vous la théorie de l'évolution de Darwin et y a-t-il des cours sur les questions de sexualité ? Les filles sont-elles voilées ? Les classes sont-elles mixtes ?
Vous n'avez pas connaissance, dites-vous, d'école musulmane dérivante. Nous avons eu à connaître deux cas : à Aulnay-sous-Bois, la préfecture a signalé une petite fille voilée dans une école ; l'école Al-Badr à Toulouse a été fermée par décision de justice.
Pourquoi rencontrons-nous des difficultés à passer sous contrat ? C'est une question à poser au ministre. De 2008 à 2017, nous avons réussi à passer 5 établissements sous contrat. Depuis, le ministère nous répond chaque fois qu'il n'en a pas les moyens. Pourtant, chaque année, une dizaine d'écoles sollicite les préfets.
C'est ce qu'il dit. S'il y a d'autres raisons, je les ignore. Je ne suis pas président du lycée Averroès, mais j'y exerce depuis longtemps. Que voulez-vous dire par « Frères musulmans » ? Des membres de l'UOIF ?
Pas explicitement. Quant à dire si des personnes véhiculent des idées proches des Frères musulmans, je ne peux pas vous répondre : il y a une centaine d'enseignants, des hommes et des femmes, des musulmans et des non-musulmans. Je ne connais pas les convictions de tous !
Je peux vous dire malgré tout que M. Amar Lasfar, président de l'association Musulmans de France, est aussi président de l'association Averroès.
Les filles portent-elles toutes le voile ? Non ; le voile n'est ni obligatoire, ni interdit. Mais ces établissements restent des établissements musulmans. Je connais certains chefs d'établissement qui ont interdit le port du voile à l'école ou au collège. D'autres le tolèrent. Chaque établissement fait ce qu'il veut. Beaucoup d'élèves ne le portent pas, au collège ou au lycée. À l'école primaire, c'est rare, et je ne le conseille pas.
Y a-t-il des cours sur la sexualité ? Oui. Des cours qui apportent des réponses aux élèves du primaire et du collège. Certains chefs d'établissement ont mis en place des ateliers avec leur équipe médicale.
Je n'ai pas connaissance d'une école dérivante à Aulnay-sous-Bois. Le Président de la République, dans son discours sur l'organisation de l'islam de France, parle de la fermeture de quatre établissements privés - il n'a pas dit qu'il s'agissait d'établissements musulmans. Je n'en ai pas connaissance. Attention, il ne faut pas confondre les vrais établissements déclarés au ministère de l'Éducation nationale, qui portent un numéro, avec des associations qui proposent des cours de soutien scolaire. Il est ainsi arrivé au ministère de l'Éducation nationale d'annoncer la fermeture d'une école à Marseille, alors qu'il s'agissait d'une telle association.
À Aulnay-sous-Bois, il s'agissait de l'école El-Amel. Et la théorie de l'évolution ?
Je ne connais pas cette école. Nous enseignons tout ce qui est dans le programme de l'éducation nationale. Les inspections obligatoires une fois par an l'attestent.
Le Conseil régional des Hauts de France a suspendu ses subventions au lycée Averroès. Pourquoi ?
Un journaliste a avancé que le lycée Averroès avait reçu 3 millions d'euros de Qatar Charity. En réalité, il a reçu 1 million d'euros en 2014. En 2011, il avait acheté un nouveau local, l'ancien bâtiment de la Chambre de commerce. Je me souviens que la décision a été prise dans le bureau du premier adjoint au maire de Lille. Nous nous étions tournés vers les banques pour emprunter, mais aucune n'avait accepté. Qatar Charity nous a fait un don en 2014, uniquement pour rembourser les associations qui nous avaient prêté de l'argent.
M. Malbrunot a sorti un livre en 2019. Quand Xavier Bertrand l'a lu, il a cessé les subventions d'investissement, en nous l'annonçant par courrier. Nous l'avons contacté pour en discuter. Puis, il a suspendu le forfait d'externat, alors que c'est une obligation pour les lycées sous contrat. Aujourd'hui, le lycée se trouve en position difficile. Une commission d'audit qui travaille sur ses finances et sur la pédagogie rendra son rapport dans les jours prochains. Le président de la région a dit qu'il rétablirait la subvention si le rapport donne satisfaction.
Aucune loi ne l'interdit. Nous avons un commissaire aux comptes qui certifie nos comptes chaque année, et pour demander les subventions, nous envoyons le bilan à la région, et ce depuis 2008.
Ce don figurait au bilan. En 2015, nous avons aussi eu un problème avec un professeur de philosophie. Mais enfin, ce don, nous ne l'avons pas reçu dans des valises !
Vous avez parlé de 101 établissements, dont 95 hors contrat et 6 sous contrat ; vous avez dit que la moitié des établissements étaient en Île-de-France. Peut-être est-il difficile de passer des contrats, car cette région compte déjà beaucoup d'écoles. Lorsqu'un élève veut s'inscrire dans un établissement, doit-il obligatoirement être musulman ?
Il est interdit aux établissements sous contrat de refuser un élève en fonction de sa religion. C'est la loi. Je connais des élèves qui ne sont pas musulmans, comme il y a des musulmans dans les établissements catholiques.
Je ne connais pas un établissement hors contrat qui ait inscrit dans son règlement intérieur le refus des non-musulmans. Je suis contre cette idée : ce serait contradictoire avec les valeurs d'ouverture que nous enseignons.
Avez-vous une idée du nombre d'élèves non musulmans dans les 6 établissements sous contrats ?
Je ne maîtrise pas ces chiffres - pas même au sein de mon établissement.
Oui, dans certains établissements hors contrat ; mais dans la plupart, il ne l'est pas. Dans les établissements sous contrat, les parents doivent cocher une case ou non lors de l'inscription.
On vous a demandé comment vous luttiez contre la radicalisation islamique, et vous nous répondez : en favorisant la socialisation et en luttant contre le décrochage scolaire. Je ne suis pas sûre que cela suffise. Pouvez-vous donner des éléments concrets ? Vous n'avez pas non plus concrètement répondu sur la manière dont vous travaillez sur l'égalité homme femme. Les écoles sous contrat sont-elles toutes mixtes ?
J'ai répondu aux questions que vous aviez posées. La radicalisation n'est pas islamique. Elle puise certes ses sources dans la religion, mais il ne faut pas islamiser la radicalisation. Beaucoup de personnes, si on leur garantit une bonne formation, si on leur donne l'espoir d'un diplôme et d'un travail, si on leur donne espoir dans l'avenir, ne tombent pas dans la radicalisation. Beaucoup de ceux qui y tombent souffrent du décrochage scolaire.
L'islam n'est pas à l'origine de la radicalisation. Les idées des radicaux trouvent un terreau fertile chez les jeunes décrocheurs, qui ne sont pas assez formés intellectuellement et qui sont dépourvus d'esprit critique. On a humilié ces jeunes, qui n'ont plus d'espoir.
L'État doit consacrer plus de moyens humains et matériels pour leur assurer un avenir professionnel. Seule l'éducation peut nous préserver de ces dérives.
Les six établissements dont nous parlons sont totalement mixtes, les garçons et les filles se trouvant côte à côte sur les mêmes pupitres. La question ne se pose plus comme avant, et les responsables d'établissement ont beaucoup évolué.
Ce qui nous pose problème, ce sont les 95 établissements hors contrat, dans lesquels je suis assez dubitative quant à la transmission des valeurs républicaines. Je ne suis pas certaine que l'on y enseigne comment devenir des citoyens, ni que la loi passe avant la foi. Personne ne contrôlant ces établissements, comment pouvons-nous garantir que ces enfants soient élevés dans le pacte républicain ? N'oublions pas que nous sommes d'abord des enfants de la République.
Vous évoquez le décrochage scolaire comme facteur d'explication, mais, heureusement, tous les décrocheurs ne se radicalisent pas, quelle que soit la religion en cause. Par ailleurs, en examinant le profil des radicalisés, on constate que certains d'entre eux étaient formés, au moins jusqu'au bac, voire plus. Vos solutions ne suffisent pas : la lutte contre la radicalisation ne se réduit pas à la lutte contre le décrochage scolaire.
Effectivement, la radicalisation est multidimensionnelle. Il y a, certes, la religion, mais il y a aussi des facteurs économiques, sociaux et culturels.
La loi passe avant la foi, je suis d'accord avec vous. Nous sommes d'abord citoyens, ensuite musulmans. Nous ne réclamons pas plus de droits que les autres, mais nous n'en méritons pas moins.
Madame la rapporteure, permettez-moi de vous dire que vous véhiculez des clichés. Pour ma part, je me réfère à la loi française et je suis fier de cette appartenance. Je ne tiens pas de double discours.
Comment expliquez-vous les revendications de plus en plus importantes de parents d'enfants musulmans auprès de l'école publique ?
Lesquelles ?
Cantines, sorties scolaires, expositions interdites, pratiques sportives...
Je ne les nie pas, mais on parle toujours des trains qui arrivent en retard. Il s'agit là d'une minorité. Dans leur grande majorité, les musulmans français s'insèrent parfaitement dans le cadre de l'école républicaine.
Vous ne semblez pas bien connaître le monde de l'enseignement privé musulman. Les établissements sont ouverts aux inspecteurs. Tout ce que je défends, c'est un partenariat avec l'État pour un meilleur contrôle. Il faut accompagner ces établissements. Madame la rapporteure, je ne défends pas l'indéfendable.
Tout d'abord, je voudrais savoir si M. Soussan, qui avait été référent au moment de l'ouverture du lycée Averroès, y travaille toujours.
S'agissant du financement, nous savons depuis le début que le Qatar a financé le lycée Averroès. Vous comprenez bien que le climat global n'est pas favorable à l'enseignement privé musulman.
Est-ce que le délai de 5 ans pour être sous contrat est, selon vous, trop long ?
Faites-vous valider tous vos supports éducatifs, et si oui, par qui ?
Est-ce que vous accepteriez que les financements étrangers apparaissent dans les permis de construire des établissements que vous envisagez de construire, pour plus de transparence ? Il me semble que cela pourrait éviter la suspicion.
Effectivement, le climat actuel ne nous est pas favorable. Plus largement, c'est le traitement de l'islam de France qui me pose problème.
Je vous ai alertés tout à l'heure sur la question des manuels scolaires.
Pour nous, le délai de 5 ans est raisonnable. Je ne demande pas qu'il soit raccourci, mais il faut une volonté politique forte pour nous accompagner dans cette voie, afin de rattraper notre retard. En d'autres termes, nous demandons à être traités comme les autres religions.
La construction des écoles coûte très cher. Après les mosquées, c'est un défi à relever. On demande aux banques, on recourt aux collectes, aux galas, mais il arrive aussi que l'on se tourne vers l'étranger en dernière intention. Je vous rappelle que la Sorbonne a reçu en 2016 quelque 1,8 million d'euros du Qatar, et personne ne s'en est ému. En revanche, quand il s'agit du lycée Averroès... De toute façon, il est très difficile aujourd'hui d'obtenir des financements de l'étranger. Il faut que l'État réfléchisse avec nous à ce problème du financement.
Quant à la solution que vous préconisez, madame Goulet, il faut savoir que le permis de construire est parfois accordé avant que le financement ne soit bouclé.
Vous avez dit qu'après les mosquées, il vous fallait construire des écoles. Cela montre qu'il y a un projet de l'islam dans ce pays. Quelle est la prochaine étape ?
En quoi est-ce interdit ? Vous semez le doute et la suspicion, madame la rapporteure.
Les musulmans n'avaient pas de lieux de culte en France. Aujourd'hui, après bien des efforts, il y a de belles mosquées sur notre territoire. C'est une chance pour le pays, dès lors que nous respectons le cadre laïc de la République.
Où est le problème avec les écoles ? C'est l'évolution naturelle de l'islam en France. Nous ne sommes pas les premiers, mais nous sommes toujours suspects.
Rassurez-vous, madame la rapporteure, il n'y a pas de plan caché. Sachez que le lycée Averroès est classé premier dans la région des Hauts-de-France.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes fatigués de devoir toujours nous justifier. Ce n'est pas de ma faute s'il y a des attentats, ici ou ailleurs.
Vous ne pouvez pas nier qu'il y a des problèmes. Nous devons essayer de trouver des solutions ensemble.
Comprenez que nous sommes inquiets quand vous nous dites que vous ne pouvez pas tout contrôler et que 95 % des établissements sont hors contrat. J'imagine que vous ne verriez pas d'inconvénient à nous accueillir au lycée Averroès.
Vous êtes les bienvenus.
Je suggère que nous entendions M. Michel Soussan dans le cadre de nos travaux. Il connaît très bien le sujet.
Il est toujours notre conseiller et il vous transmet ses salutations.
Mes chers collègues, nous concluons nos auditions de ce jour par celle de M. Gilles Roussel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), accompagné de MM. Jean-François Balaudé, président du Campus Condorcet, ancien président de l'université Paris-Nanterre, président de la commission des moyens et personnels de la CPU et vice-président du Comité scientifique de prévention de la radicalisation (Cosprad), et Guillaume Bordry, délégué général de la CPU.
Monsieur le président, d'emblée, dans les travaux de notre commission d'enquête la question des revendications islamistes dans les universités nous a été signalée comme centrale. La liberté qui caractérise l'enseignement supérieur, pour les enseignements comme pour les étudiants, en fait un contexte particulier et sensible sur ce sujet. Nous souhaitions donc connaître votre analyse de ce phénomène, ainsi que les moyens donc vous disposez pour lutter contre les demandes communautaristes.
Avant de vous passer la parole, je dois cependant rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête MM. Gilles Roussel, Jean-François Balaudé et Guillaume Bordry prêtent serment.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous vous remercions de votre invitation à nous exprimer devant vous.
Le phénomène de la radicalisation est complexe. Il touche toute la société. Nous y sommes sensibilisés, mais, contrairement à ce que vous venez de dire, il ne nous semble pas qu'il y ait de particularité des universités à cet égard. Certes, il n'y a pas de raisons pour que celles-ci soient épargnées, mais, de notre point de vue, elles ne sont pas des lieux spécifiques de radicalisation et de séparatisme communautaire. Je pense que nos collègues des grandes écoles pourraient tenir le même discours. Nous sommes dans la société, donc nous sommes touchés, mais, je le répète, sans spécificité.
Chacun peut constater des formes de radicalisation à l'université, qu'elles soient politiques ou religieuses. Jean-François Balaudé en parlera certainement. Il nous faut étudier ces phénomènes, pour disposer d'un discours scientifique construit sur ces questions.
Les universités sont par nature des lieux ouverts, où la liberté d'expression est très importante. Nous sommes en revanche attentifs à ce qu'elle ne dépasse pas les cadres dans lesquels elle doit s'exercer.
On peut constater des éléments non pas de radicalisation, mais de prosélytisme dans nos établissements. C'est toutefois assez sporadique. Les règlements intérieurs nous permettent d'y faire face. Ils rappellent les étudiants et les enseignants à leurs obligations concernant la laïcité. Le cas typique, c'est la tentative de développer des lieux de prière voilà quelques années. Chaque fois, le problème s'est réglé assez rapidement. L'idée qu'il pourrait y avoir des pratiques pérennes et récurrentes est, à mon sens, fausse. Nous n'excluons personne au titre de la religion, mais nous prenons bien garde à ce qu'aucun prosélytisme ne s'installe.
Je voudrais également souligner qu'un certain nombre d'universités participent à la formation des imams. C'est le cas à Nancy, Strasbourg, Rennes et Toulon. Les conseils de la formation sont vigilants quant aux contenus délivrés.
La CPU s'est bien sûr saisie de ce sujet, surtout depuis 2015. Nous sommes un vecteur de formation, d'information et de construction de positions communes. Nous avons organisé plusieurs colloques sur le sujet, souvent en lien avec notre ministère, l'Observatoire de la laïcité ou le Camp des Milles. Un colloque spécifique autour de la prévention des risques en lien avec le terrorisme a même eu lieu à l'École militaire, à Paris.
Par ailleurs, nous avons mis en place des plans de continuité d'activité en cas de risques spécifiques liés aux attentats.
Sur les questions de sécurité, nous avons installé des groupes de travail avec l'inspection générale, les différentes directions générales de l'enseignement supérieur et le Centre national des oeuvres scolaires et universités (Cnous). Ils reposent notamment sur plusieurs items : mise en place de référents radicalisation, encouragement de la vigilance citoyenne collective en matière de sécurité défense, attention particulière aux laboratoires qui stockeraient des substances dangereuses.
Nous travaillons également avec le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Nous relayons auprès de la communauté universitaire l'ensemble des formations mises en place dans ce cadre. Des documents issus du ministère ont été diffusés récemment. La presse s'en est fait l'écho. Nous travaillons avec les présidents d'université pour que ces informations n'aient pas d'effet contreproductif, comme cela a pu être le cas à Cergy-Pontoise.
Vous le voyez, les universités sont vigilantes. Les universitaires n'ont aucune complaisance particulière à cet égard. Souvent, nous nous appuyons sur les étudiants eux-mêmes, qui nous alertent en cas de problème.
Entre les universités et les organismes de recherche, il y a actuellement une cinquantaine de référents radicalisation. Quand il n'y a pas de référent, ce sont les fonctionnaires sécurité défense (FSD) qui jouent ce rôle. Ils sont systématiquement alertés en cas de repérage de signes distinctifs de radicalisation (changements soudains de comportement, isolement, rejet de la mixité). Nous sommes en contact avec différentes cellules du ministère de l'intérieur, car ce sont des choses assez difficiles à mesurer.
En 2019, nous avons aussi proposé des formations sur la gestion de crise.
Je reviens sur la question des salles de prière. Il y a eu des cas dans plusieurs universités, mais elles ont été traitées assez rapidement grâce à l'application des règlements intérieurs, qui sont clairs sur le sujet de la laïcité. Les universités n'ont pas le droit de fournir des locaux pour des raisons religieuses. Les associations représentatives ont droit à des locaux, mais, à ma connaissance, il n'y a jamais eu de listes étudiantes constituées sur une base religieuse. Nous sommes très vigilants sur les locations et les prêts de locaux.
Enfin, il faut bien avoir en tête que la réglementation est différente de celle qui prévaut dans les lycées, puisqu'il n'y a pas d'interdiction du port du voile ni de tout autre signe religieux ostentatoire.
Nous sommes autant, sinon plus, confrontés à des phénomènes de radicalisation politique qu'à des phénomènes de radicalisation religieuse, même si l'on pourrait disserter longtemps pour savoir s'ils sont de même nature.
Le Cosprad tend à s'intéresser à tous les phénomènes de radicalité d'un point de vue scientifique. Il est probable que les mécanismes soient comparables, et certaines radicalisations peuvent se croiser, mais, dernièrement, c'est plutôt la radicalisation politique qui nous a vraiment ébranlés.
Je ne cherche pas à minimiser la radicalisation religieuse. Mais, très honnêtement, comme l'a dit Gilles Roussel, nous n'avons pas de problème particulier de ce point de vue. Il est certain que nous concentrons beaucoup de jeunes gens, ce qui fait des universités des foyers peut-être intéressants pour certaines personnes qui cherchent à faire du prosélytisme ou à recruter. C'est possible, mais c'est sans doute moins prégnant que dans les associations sportives.
Notre avantage, c'est que nous avons un réseau dense d'enseignants et de personnels administratifs, avec toute une structure hiérarchique qui nous permet d'être bien informés sur les discriminations et les violences. Les dérives et les comportements radicalisés n'ont guère de chances de nous échapper. Voilà quelques années, on a vu se développer la pratique des appels à la prière via les téléphones portables. Cela a été très vite repéré, et on y a mis le holà. Dès que l'on a connaissance de quelque chose qui pose problème, on réagit très vite, par conviction et par devoir.
Autre exemple : à Nanterre, voilà deux ou trois ans, il y a eu des tentatives de formation éphémère de lieux de prière dans des couloirs et endroits isolés. Nous avons agi en douceur, mais avec fermeté, pour éviter que cette situation ne prospère. Nous avons choisi d'être respectueux pour éviter d'embraser l'université et de « victimiser » les responsables de telles dérives, mais il nous a fallu être cohérents en agissant de même pour toutes les religions. C'est ce que nous avons fait avec une aumônerie catholique, en refusant son installation sur le campus.
Depuis ces épisodes, nous n'avons plus eu de problèmes de ce genre.
Je confirme que nous n'avons plus rencontré de problèmes avec les prières depuis trois ou quatre ans.
Je vous remercie de vos témoignages.
Pour rebondir sur vos propos, je dirai que la radicalisation religieuse peut être un projet politique.
Nous avons reçu des professeurs, des universitaires, qui, de façon très directe, nous ont dit qu'ils constataient une forme de déni tant chez les politiques - Le Point a mis récemment en lumière des pratiques condamnables -, que dans la communauté universitaire. Ils ont mis en lumière le manque de travaux de recherche sur cette émergence de la radicalisation et cette tentative de prise de pouvoir par certains groupes ; ceux-ci sont peu nombreux, certes, mais, parfois, il ne faut pas être nombreux pour déstabiliser une société. Certains nous ont même invités à venir voir ce qui pouvait se passer, notamment à Paris-XIII, où l'essor du port de voile semble problématique, même si, je le répète, il n'est pas interdit à l'université.
Qu'avez-vous à répondre sur ce point ? Avez-vous constaté la même augmentation, ou au contraire une diminution ? Cela pose-t-il un problème, même si vous avez l'air de penser que non ?
L'université reste tout de même un milieu assez fermé. Nous avons un peu de mal à savoir ce qui s'y déroule. Quand nous avons posé la question au préfet de police, il nous a répondu que, ses services n'étant jamais appelés dans les universités, il ne savait rien de ce qui s'y passait. Convenez que cela peut susciter des fantasmes !
C'est vrai, il semblerait que l'on entende moins parler de lieux de prière. En revanche, on nous a parlé d'une recrudescence de l'activité de recrutement des Frères musulmans, qui cherchent à attirer des élites intellectuelles. Êtes-vous en mesure d'assurer une veille sur ce phénomène ?
La question du port du voile est distincte de celle de la radicalisation. Par ailleurs, j'aurai du mal à répondre pour l'ensemble des universités, car je ne connais vraiment bien que la mienne.
L'université que je préside se trouve à Marne-la-Vallée ; elle n'est pas située dans une zone où la population musulmane est importante. Le nombre des jeunes femmes voilées ne diminue ni n'augmente, et en tout cas il reste faible. Il me semble d'ailleurs que les étudiants de l'université ne sont que le reflet de la société qui les entoure ; la plupart d'entre eux viennent des territoires situés à proximité. S'il y a plus d'étudiantes voilées à Paris-XIII qu'à Marne-la-Vallée, par exemple, c'est parce que la population environnante est différente.
S'agissant du recrutement, il est probable que certains groupes radicalisés souhaitent enrôler des personnes de haut niveau. Malheureusement, le niveau de formation des personnes radicalisées est de plus en plus élevé ; on le voit bien dans les prisons, où de nombreux jeunes incarcérés pour des faits de radicalisation sont diplômés. Pour autant, ce n'est pas parce qu'ils sont passés par l'université qu'ils y ont été recrutés ; ils peuvent l'avoir été ailleurs ou avant, notamment dans le cadre de pratiques sportives. C'est du moins ce qui s'est passé pour les cas dont j'ai eu connaissance.
Je suis d'accord avec mon collègue : le voile est non pas un signe de radicalisation, mais un indice, parmi d'autres, d'une adhésion ostensible à une pratique religieuse. Très sincèrement, même si nous ne faisons pas de statistiques, j'ai le sentiment que l'on voit aujourd'hui sur le campus de Nanterre un peu moins de voiles qu'il y a quelques années.
Il est vrai que l'université que je préside est un peu particulière. Son bassin de recrutement couvre certes Nanterre et les communes des Hauts-de-Seine adjacentes, mais aussi l'Ouest parisien en général. La population des étudiants est donc composite, et cela depuis l'origine. Néanmoins, on voyait il y a quelques années un nombre important d'étudiantes voilées ; il y en a sensiblement moins à présent. Il faudrait mesurer ce qu'il en est à Paris-VIII - je m'y rends parfois, car nous sommes liés par la communauté d'universités -, où j'ai l'impression qu'il y a davantage d'étudiantes voilées, même si je serais incapable de donner une tendance.
Même si je sais que ce n'est pas le coeur de votre sujet, je rebondis sur vos propos évoquant les témoignages des universitaires sur la faiblesse de la recherche en la matière, En réalité, il y a un certain nombre de recherches qui sont menées sur la radicalisation, dans plusieurs secteurs disciplinaires.
Le Conseil scientifique sur les processus de radicalisation (Cosprad), qui a été installé une première fois en 2016, puis une nouvelle fois en 2018, vise à réunir des chercheurs, jeunes ou confirmés, ainsi que des représentants des ministères et des institutions, pour leur permettre de travailler ensemble, de s'enrichir mutuellement et d'élaborer des réponses. Y siègent un député et un sénateur...
Cette instance est importante. Elle a vocation à favoriser les interactions entre les politiques, les institutions et les chercheurs. De surcroît, elle peut enrichir le tissu scientifique : ainsi, nous avons pu obtenir dans ce cadre le financement de contrats doctoraux, et nous échangeons en ce moment avec le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (Mesri), pour mettre en place un nouvel ensemble de contrats. Nous sommes donc en train d'inséminer, pour créer un tissu dense de recherches sur la radicalisation.
Vous avez évoqué la problématique de la radicalité en général. Or on voit tout de même émerger dans les universités un phénomène d'« islamo-gauchisme », qui contraint la liberté d'expression, y compris dans le domaine de la laïcité. Les prises de parole de certaines personnalités, qui contribuent pourtant à enrichir le débat national, sont parfois empêchées, non par les autorités universitaires, mais à cause de la pression exercée par des étudiants et peut-être même parfois par des enseignants. Même si c'est un sujet distinct, il me semble que cela fait partie du problème.
Comme vous l'avez souligné, c'est un phénomène qui touche toutes les formes de radicalités. Certaines minorités veulent aujourd'hui empêcher les débats. Néanmoins, à ma connaissance, toutes les interventions qui ont été annulées l'ont été non pas à cause des personnalités invitées, mais pour des questions liées à la sécurité dans les établissements. En outre, tous les événements prévus ont été reprogrammés ou le seront bientôt, dans des conditions qui permettront d'assurer la sécurité et, parfois, avec le renfort des forces de l'ordre.
Dans les universités, nous n'étions pas habitués à ces événements, qui nous ont parfois un peu pris de court. Pour autant, les conférences en question seront reprogrammées ; j'en discutais récemment avec le président de l'université de Lille, qui m'a dit qu'il allait organiser de nouveau un débat avec François Hollande, en le sécurisant.
Il me semble que votre sujet principal porte sur l'université comme lieu de dérives individuelles et de recrutements. Or ce dont nous parlons à présent, qui n'est pas moins intéressant et qui nous occupe d'ailleurs davantage nous-mêmes au quotidien, c'est de l'université comme lieu de déstabilisation et d'affirmation politique. Ce phénomène prend des formes qui ne sont pas respectueuses. Il ne passe pas par les voies de la représentation ; il vise à empêcher le fonctionnement de l'université et à paralyser certaines de ses activités. Il peut venir de l'extrême gauche et, c'est vrai, se marier avec des considérations proches de la religion, même si elles ne s'avouent pas comme telles : la racisation, l'oppression de certaines minorités...
Un poison s'est instillé, dont il est difficile de se débarrasser, parce que les groupes en question invoquent la liberté d'expression pour leurs propos tout en la refusant pour les autres, au motif qu'elle serait attentatoire aux minorités qu'ils représentent. Nous sommes fragiles, car si nous voulons coûte que coûte que se tiennent des réunions contestées par ces minorités, il faut faire appel aux forces de l'ordre ; et si celles-ci interviennent sur le campus, dans l'hypothèse où elles accepteraient de se déplacer pour protéger un tel événement, tout le monde crie au scandale !
C'est un exemple, parmi d'autres, des fragilités profondes de l'université, qui est très attachée à ses valeurs - liberté académique, liberté d'expression, etc. -, mais qui n'a pas les moyens de les garantir face aux groupes qui la prennent pour cible et qui tentent de l'empêcher de fonctionner. Ces phénomènes font l'objet d'une médiatisation extraordinaire : empêcher François Hollande de tenir une conférence permet à ces groupes de faire la une des journaux à peu de frais. C'est pour nous un sujet de réflexion, mais il s'agit ici d'une démarche non pas de recrutement, mais d'empêchement.
En effet ! Et ce n'est pas une règle législative qui résoudra le problème.
Pour illustrer le propos que je tenais tout à l'heure sur la recherche, je veux évoquer un projet que le Cosprad se propose de mener à bien cette année. Il s'agit de créer un groupe de travail sur les chartes publiques et privées à propos de la détection de la radicalisation, en partant de ce qui s'est passé à Cergy-Pontoise, qui est un cas intéressant - en l'occurrence, on ne peut pas contester que l'intention ait été louable, mais des maladresses ont été commises, qui tiennent notamment au questionnaire, ce qui a produit une levée de boucliers.
Néanmoins, même si la forme était maladroite, il existe un vrai besoin de détection et de repérage. Au sein du Cosprad, nous proposons donc de lancer un travail sur ce sujet, pour voir comment nous pourrions, en quelque sorte, surmonter le dilemme entre la sécurité et le respect des libertés publiques.
Lors de nos auditions, nous entendons souvent dire que l'université n'est plus un lieu de liberté comme elle l'était auparavant. Nous trouvons cela très triste, parce que l'université constitue pour nous le symbole même de la liberté d'expression, peut-être parfois excessive, mais nécessaire.
Il existe une forme de censure, qui est imposée par certaines minorités et qui pose problème à la majorité. Ainsi, M. Mohamed Sifaoui n'a pas pu donner sa formation à la Sorbonne, alors que le programme avait été imprimé et que tout était lancé, ce qui nous a beaucoup interpellés. À Bordeaux, Mme Sylviane Agacinski a n'a pas pu dire ce qu'elle pensait de la PMA. Certes, cela ne concerne pas la radicalisation islamique, mais il y a un vrai problème aujourd'hui dans l'université, où l'on ne peut plus parler de tout. Vous dites que certains débats ont été annulés pour des raisons de sécurité ; je le comprends, mais, dans ce cas, on autorise la censure.
Nous avons aussi beaucoup entendu dire - tant mieux si vous nous rassurez - que dans les universités, certes pas partout de la même manière, des groupes islamiques faisaient de l'entrisme. On nous a dit qu'il existait des lieux ou des temps de prière à Bobigny, à Lille, à Lyon, et que cela se savait, mais que cela ne suscitait guère de réaction. On nous a même dit - j'ignore si c'est vrai - que, à Lille, des locaux du Crous avaient été occupés et transformés en lieu de prière.
Quand on se rend en Seine-Saint-Denis, un département que je connais un peu, on se dit qu'il n'est pas possible qu'il n'y ait pas de revendications religieuses dans certaines universités, compte tenu de leur public. Comment résistez-vous à cela ? Les revendications religieuses existent dans le primaire et dans le secondaire, où elles sont relayées par les parents ; à l'université, ce sont les étudiants eux-mêmes qui les expriment. Il existe un problème dans toute la société - le Président de la République l'a dit -, et les universités ne sont pas à l'abri.
Vous avez raison, l'université n'est pas à l'abri. De même, l'empêchement d'un certain nombre de conférences nous préoccupe. Pour autant, vous pourriez citer quasiment tous les débats qui ont été annulés, alors que, dans nos universités, des milliers d'événements sont organisés chaque jour et ne posent aucun problème.
L'objectif principal de ces groupes, c'est la publicité ; c'est pourquoi ils visent des personnalités médiatiques, au-delà des propos qu'elles tiennent.
Les thématiques abordées sont une chose. Mais certaines personnes sont interdites d'expression non pas pour ce qu'elles disent, mais pour ce qu'elles sont, ce qui pose un vrai problème.
Nous sommes totalement d'accord. Pour autant, je le répète, tous les présidents d'université - j'en ai discuté aussi avec le président de l'université de Bordeaux - prévoient à chaque fois de reprogrammer l'événement, avec la même personne, mais dans des conditions qui le rendent possible.
Cette question nous préoccupe, et nous en discutons au sein de la CPU. L'appel aux forces de l'ordre est lui aussi un problème. Parfois, on demande de l'aide au préfet, mais celui-ci considère que la sécurisation d'un événement à l'université n'est pas sa priorité ; de son point de vue, il y a des choses plus importantes à faire que de veiller au respect de la liberté d'expression...
La question de la coordination entre les universités et les forces de l'ordre se pose donc. Par ailleurs, il nous faut parfois engager des vigiles extérieurs, ce qui a un coût pour nos établissements, alors que notre mission première n'est pas forcément de sécuriser des événements.
Pour répondre à votre seconde question, je ne sais pas ce qui se passe à Bobigny, Lyon ou Lille. Vous avez évoqué le Crous de Lille. Or les Crous ne relèvent pas de notre responsabilité, pas plus que les centres hospitaliers universitaires (CHU). En fait, les universités sont des lieux où interviennent des acteurs multiples - Crous, CNRS... - et où les responsabilités s'enchevêtrent. Aucun signalement particulier ne m'a été adressé à propos des Crous. En tout cas, chaque fois qu'un phénomène de ce genre a surgi dans mon établissement, j'ai été alerté par les enseignants et les personnels, qui sont très vigilants, et j'y ai mis fin.
Je suis surpris d'entendre que les préfets disent ne pas savoir ce qui se passe dans les universités. À Nanterre, nous avons toujours eu de bonnes relations avec les préfets des Hauts-de-Seine successifs. Les renseignements territoriaux sont présents, et nous les informons autant qu'ils nous informent. Nous sommes également en contact régulier avec le cabinet du préfet. Mais peut-être est-ce lié à la situation spécifique et à l'histoire de l'université de Nanterre, qui a traversé une grave crise en 2018, avec notamment l'intervention des CRS.
Pour ma part, je n'ai aucune relation directe avec le préfet et son cabinet. En revanche, j'ai des contacts réguliers avec les commissariats des alentours et avec les renseignements territoriaux.
S'agissant de l'islamisme, nous n'avons jamais essayé de mesurer le phénomène à l'échelle nationale ; nous ne pouvons que nous fonder sur notre ressenti. Toutefois, très sincèrement, à Nanterre, il n'y a plus de prières sauvages, et je vois moins de voiles sur le campus. Je ne dis pas qu'un prosélytisme très discret n'existe pas, mais aucun cas de recrutement ne m'a été remonté. La situation des universités est donc contrastée.
En ce qui concerne la fragilité de l'université, je la ressens vivement depuis 2018, année où nous avons vécu l'enfer à Nanterre. L'appel aux forces de l'ordre a été vécu comme la transgression d'un tabou. Mais nous avons tenu bon et rétabli progressivement l'équilibre, grâce à un mélange de discours ferme et de continuité de vue, qui a rendu du crédit à nos propos.
Depuis quelques années, nous sommes confrontés à des groupes organisés qui ont compris que l'université était fragile, qu'elle était facile à déstabiliser et qu'elle constituait un symbole intéressant. Sans polémiquer, je note tout de même que certains représentants de partis politiques sont venus sur les campus, écharpe tricolore en bandoulière, pour haranguer la foule !
J'ai été inflexible sur un point : dans certaines universités, se tiennent des réunions non mixtes. Pour ma part, je les interdis dès que j'ai un doute. En effet, certains intitulés font de la non-mixité un principe : « Hommes blancs, passez votre chemin, vous saliriez la réunion si vous y participiez et veniez échanger avec nous sur le statut des personnes d'origine africaine dans la France d'aujourd'hui ! » Il est vrai que ce discours peut se mâtiner de considérations religieuses.
Je crois que certaines réunions non mixtes se tiennent ici ou là, à l'insu des autorités ou avec leur consentement du bout des lèvres. Je crois qu'il faut être très ferme, car si l'on commence à accepter des réunions non mixtes, nous tolérons des discriminations à l'envers ; et cela va de pair avec la contestation des discours universalistes par ces mêmes groupes, dont certains ne tolèrent pas, par exemple, qu'un scientifique de peau blanche vienne parler de la décolonisation. Il faut travailler dans la dentelle, pour défendre le principe de la liberté d'expression.
Les discours de l'islam radical et ceux des indigénistes ou des « décoloniaux » se mélangent à l'université, ce qui n'est pas très sain, car cela produit des interdits et des censures. Ces phénomènes sont minoritaires, mais ils sont inquiétants.
Vous nous disiez que, à votre connaissance, il n'y avait pas d'entrisme islamiste à l'université. Mais ne pensez-vous pas que ce phénomène se produit par d'autres biais, en particulier via l'infiltration des syndicats étudiants, qui ont un rôle dans l'université ? Je pense notamment à l'UNEF, qui subit l'entrisme de militants de tous bords, y compris islamistes. Même si ces syndicats ne dépendent pas de vous, ressentez-vous ce problème ?
L'UNEF est souvent incontournable. Elle a pris un tournant par rapport à sa position laïque traditionnelle, ce qui l'a conduit à l'éclatement.
L'UNEF est tout de même en perte de vitesse, à cause de certaines de ses prises de position et de la scission qu'elle a subie. Les dernières élections ne lui ont pas été très favorables.
En effet, nous avons peu de prises sur les syndicats, même si, aujourd'hui, il n'existe pas vraiment de liste étudiante qui se réclame explicitement du communautarisme.
Je crains que l'infiltration ne se fasse avec le temps. C'est ce que nous vivons aujourd'hui aux élections municipales : les listes communautaires ont infiltré les listes classiques...
En ce qui concerne l'UNEF, le positionnement national du syndicat est une chose, la situation sur le terrain en est une autre. À Nanterre, la section locale ne tient guère compte des consignes nationales, même si celles-ci sont peut-être écoutées ailleurs. L'UNEF reste donc un rempart contre certaines dérives.
À Nanterre, nous avons élaboré une charte du savoir-vivre ensemble qui, en une page et demie, reprend toutes les valeurs de l'université, y compris la laïcité, l'interdiction du prosélytisme et la lutte contre toutes les discriminations. Je ne pensais pas que ce document nous servirait autant : nous l'opposons dès qu'il y a des dérives ; c'est une pierre de touche, très simple, qui n'est contestée par personne.
Cette charte est-elle signée par les étudiants quand ils entrent à l'université ?
Elle a été adoptée par les conseils à une très large majorité, sinon à l'unanimité, et elle est communiquée aux étudiants lorsqu'ils arrivent à l'université.
Elle leur est donc opposable. Vous serait-il possible de nous transmettre cette charte, qui pourrait inspirer certaines de nos préconisations ?
Non, mais les règlements intérieurs comprennent des éléments qui en sont proches. Quand des prières sauvages sont apparues, nous avons ajouté des dispositions très explicites pour les interdire. Ainsi, les personnels et les étudiants peuvent s'y référer pour combattre ce genre de phénomènes.
Nous vous saurions gré de collecter ce type d'information dans l'ensemble des universités, pour que nous ayons un aperçu de ces règlements intérieurs ou de ces chartes. Ce type de pratique nous intéresse au plus haut point.
Est-ce que la période des fêtes religieuses, notamment le ramadan, est un sujet à l'université ? Sentez-vous une tension particulière, ou davantage de prosélytisme, durant cette période ? Les règlements intérieurs ont-ils permis de désamorcer les problèmes ? Quelle est la situation dans les restaurants universitaires ?
Dans les universités proprement dites, ce phénomène ne pose pas de difficulté particulière. Je n'ai pas de visibilité sur les restaurants universitaires, mais, à ma connaissance, ce n'est pas un sujet pour eux.
Au cours de mes années de présidence de l'université de Nanterre, j'ai connu un sujet récurrent : des sollicitations pour reprogrammer des examens qui se tenaient le samedi. Le grand rabbin de France nous saisissait régulièrement sur ce point. Nous avons toujours refusé, même si ces sollicitations sont très argumentées et très déférentes. Elles passent souvent par le cabinet du ministre ou par le recteur de l'académie ; ceux-ci nous disent qu'ils doivent répercuter ces demandes, mais qu'ils comprendront si nous n'y donnons pas suite...
Récemment, un représentant du personnel nous a interrogés sur les fêtes musulmanes. J'ai découvert qu'il y avait un droit en la matière et que nous allions être obligés de nous adapter.
J'ai été confronté aux mêmes questionnements lors d'une réunion de mon comité technique : une circulaire donne aux établissements la possibilité de prendre en compte des fêtes religieuses qui ne figureraient pas dans le calendrier.
Cela peut devenir un argument politique de discrimination. En effet, faut-il prendre en compte toutes les religions ? Et comment vérifier l'authenticité des demandes ?
Cette circulaire est récente - je crois qu'elle date de 2019 -, et il me semble qu'elle s'applique dans l'ensemble de la fonction publique. Il ne s'agit que d'une possibilité donnée aux universités, mais la boîte de Pandore est ouverte.
En effet, une fois qu'une faculté est offerte, il faut expliquer ce qui fonde le refus.
Ce texte peut se retourner contre nous : on peut nous demander pourquoi nous favorisons les fêtes catholiques plutôt que les autres. Or, en réalité, nous retenons ces fêtes non pas parce qu'elles sont catholiques, mais parce qu'elles figurent au calendrier national.
Merci beaucoup pour ces échanges, qui ont battu en brèche certaines idées reçues. Vous nous avez éclairés sur certains points et ouvert des perspectives intéressantes.
La réunion est close à 17 heures.