Il sera temps, plus tard, quand nous aurons vaincu ce virus, de mettre chacun face à ses responsabilités, car cette situation est totalement scandaleuse. L'opinion publique ne peut évidemment pas comprendre pourquoi on refuse de tester des soignants qui présentent des symptômes, alors que des parlementaires ou des ministres, eux, sont testés ?
S'agissant du présent projet de loi, nous l'abordons avec la volonté de n'adopter aucune mesure qui entraverait l'action du Gouvernement. En revanche, je souscris à ce qu'a dit Alain Milon : nous souhaitons que l'application de l'arsenal législatif ainsi créé soit limitée dans le temps à la durée cette épidémie. Nous ne ferons bien la loi, en la matière, qu'en nous donnant du temps, celui de la réflexion ; or, ce temps, nous ne l'avons pas. Il faut donc adopter des mesures temporaires. Plus tard, nous pourrons adopter un dispositif mieux réfléchi, plus mûri, plus respectueux des principes fondamentaux de notre démocratie.
Notre commission est concernée par le titre II et par l'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance en matière de droit du travail, de garde d'enfants, et sur les dispositions relatives au secteur médico-social.
Le Gouvernement a pris le pari de créer un régime d'exception à visée sanitaire ; il aurait pu choisir d'autres solutions, comme l'adaptation de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui vise des événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. De surcroît, les dispositions juridiques nécessaires pour prendre les mesures qui s'imposent existent déjà et ont été actionnées, quoiqu'elles ne soient pas regroupées dans un dispositif unique. Pourquoi, alors, créer un régime spécifique ?
Le titre II vise à créer un état d'urgence sanitaire calqué, dans sa forme, sur l'état d'urgence, pour donner des pouvoirs étendus à l'exécutif et aux représentants territoriaux de l'État. Au vu de sa portée en matière de restriction des droits et libertés constitutionnellement garantis, ce dispositif apparaît juridiquement trop léger. Par exemple, il ne comporte aucune définition claire de la notion de « catastrophe sanitaire » mentionnée à l'article 5. On ne saurait se contenter de la mention : « notamment d'épidémie mettant en péril par sa nature et sa gravité la santé de la population. » Tel est le cas chaque année, en effet, de l'épidémie de grippe : environ 10 000 morts en France, et 60 000 en Europe.
Le code de la santé publique ne connaît pas la notion de catastrophe sanitaire, mais seulement celle de « menace sanitaire grave », définie à l'article L. 3131-1, sur le fondement duquel, d'ailleurs, toutes les mesures actuellement en cours ont été prises. Il connaît également les « situations de catastrophe, d'urgence ou de menace sanitaires graves », à l'article L. 3132-1 par exemple, qui instaure la réserve sanitaire.
Dans le cas de l'état d'urgence, le contrôle de son application est exercé par le juge. Qu'en est-il pour l'état d'urgence sanitaire ? À ce stade, aucune instance ni modalité de contrôle ne sont prévues. Quid du contrôle démocratique des contre-pouvoirs ? Il n'est fait mention, dans le projet de loi, que de l'information du procureur de la République par le préfet sur les mesures d'application que ce dernier est habilité à prendre, y compris des mesures individuelles. Il serait pertinent d'informer, par exemple, les maires des communes intéressées. Quant au Parlement, seule son information est mentionnée, sans aucune obligation de réponse de la part du Gouvernement.
Il est donc nécessaire d'encadrer plus strictement la notion de catastrophe sanitaire et d'introduire, a minima, une obligation de réponse du Gouvernement au Parlement. Afin d'instituer un véritable contrôle parlementaire, il serait préférable d'y adjoindre la règle exigeante figurant à l'article 4-1 de la loi du 3 avril 1955, imposant aux autorités administratives l'obligation de transmettre à l'Assemblée nationale et au Sénat, sans délai, copie de tous les actes qu'elles prennent en application de ladite loi.
Les mesures générales limitant la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre, la liberté de réunion, et permettant de procéder aux réquisitions de tous biens et services nécessaires afin de lutter contre la catastrophe sanitaire ne concernent d'ailleurs pas que le ministre de la santé. Elles intéressent plusieurs champs ministériels : l'intérieur, la justice, la défense, l'économie, le travail. Il serait donc cohérent d'adjoindre à la mention du ministre de la santé celle de la garde des sceaux et des ministres de l'intérieur, de la défense, de l'économie et du travail.
La proportionnalité des mesures doit être plus strictement encadrée, et les risques encourus doivent être rappelés : la rédaction proposée n'est pas assez précise. Il convient d'adapter les mesures aux impératifs de la vie privée, professionnelle et familiale. Le dernier alinéa du nouvel article L. 3131-24 du code de la santé publique est d'ailleurs très problématique : « Il est mis fin sans délai aux mesures visées au présent article dès lors qu'elles ne sont plus nécessaires. » Qui détermine, et comment, que les mesures de restriction des libertés ne sont plus nécessaires ?
Concernant l'application territoriale des mesures d'urgence sanitaire par le représentant de l'État territorialement compétent, quelles sont les « mesures individuelles » qui nécessitent l'information du procureur ? Les préfets font l'objet d'une disposition spécifique : ils peuvent être habilités, dans leur département, à décider eux-mêmes des mesures d'application après avis du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) ; est ainsi créée une double habilitation consistant à déléguer les pleins pouvoirs au préfet après avis du directeur général de l'ARS - il n'est pas précisé s'il s'agit d'un avis simple ou conforme.
Un comité de scientifiques est instauré ; par qui est-il réuni ? Quelle est sa composition ? Comment ses membres sont-ils nommés ? Ne serait-il pas opportun de prévoir qu'y soient présents des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin de renforcer le contrôle parlementaire à ce stade ? Il faut mieux définir ses missions et préciser la périodicité de la publication de ses avis.
La disposition de l'article 14 semble redondante : l'état d'urgence sanitaire, comme son nom l'indique, s'applique en cas d'urgence. Au risque d'entretenir une confusion, pourquoi créer un deuxième niveau de « super-urgence » donnant tout pouvoir au préfet, alors que l'article 12 permet déjà au Gouvernement d'habiliter le préfet à prendre les mesures nécessaires dans son département ?
De nombreuses questions sont donc posées. Nous souhaitons qu'il y soit répondu, mais sans gêner le Gouvernement dans sa réponse à cette épidémie.