Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous répondre sur quelques points.
Je crois que nous serons tous d’accord pour dire que notre rôle est d’éviter les défaillances d’entreprises, de protéger l’emploi et de permettre le plus possible la continuité de la vie économique, tout en protégeant les salariés. Nous pouvons nous rejoindre sur ces quatre objectifs. La question est celle du réglage des modalités pour permettre de les atteindre le plus possible.
Je voudrais rappeler que dimanche – cela paraît déjà loin – des secteurs ont été interdits – les bars, les restaurants, les discothèques, etc. –, parce que le degré de regroupement que leurs activités entraînent était trop propice à la propagation du coronavirus. Tous ces secteurs, qui emploient 2 millions de salariés, sont, de fait, depuis dimanche dernier, en chômage partiel.
Tous les autres secteurs sont autorisés, mais pas à n’importe quelle condition : ils doivent adapter l’organisation et les conditions de travail et permettre la protection des salariés au travers des cinq gestes barrière qui doivent pouvoir être pratiqués dans les entreprises. Il est plus dur de le faire dans certains secteurs et dans certaines entreprises, mais il n’y a pas d’interdiction a priori.
L’augmentation de l’indemnisation du chômage partiel, à hauteur de 84 % du salaire net et de 100 % du SMIC, et le remboursement des entreprises jusqu’à quatre fois et demie le SMIC ont eu un véritable effet de réassurance sur l’emploi. Je puis vous le dire avec une certaine fierté : nous n’avons pas de vague de licenciements collectifs depuis quinze jours, alors que nous pourrions déjà faire face à des vagues monstrueuses en la matière.
Ce soir, quelque 26 000 entreprises – des petites entreprises pour la plupart – avaient déjà demandé le bénéfice du chômage partiel. Cela représente quelque 560 000 salariés et 1, 7 milliard d’euros, et ces chiffres vont encore grimper. Nous faisons collectivement un effort énorme de solidarité pour sauver l’emploi et les entreprises, tout en évitant au maximum la propagation du virus.
Dans ce contexte, nous appelons chacun à faire des efforts. Tous ceux que je rencontre, qu’ils soient salariés ou dirigeants d’entreprise, le comprennent.
Je tiens à indiquer que nous discutons beaucoup de tout cela. J’ai tous les jours une réunion téléphonique avec les représentants du patronat et des syndicats, à laquelle participent toutes les organisations, mais nous travaillons aussi beaucoup, mes collègues du Gouvernement et moi-même, avec les fédérations professionnelles et leurs organisations syndicales.
Avec Bruno Le Maire, je mène un travail quotidien auprès des représentants de la grande distribution alimentaire. J’ai échangé tout à l’heure avec le ministère de l’agriculture. Je n’entre pas dans le détail, mais je veux vous dire que, au-delà des textes, nous travaillons aussi de façon opérationnelle.
J’en viens au sujet précis qui est en discussion : les congés payés. Il s’agit non pas de les supprimer, mais d’utiliser une disposition qui existe déjà dans le code du travail. L’employeur a déjà le droit de fixer la date des congés payés. Lorsqu’une entreprise ferme au mois d’août, c’est l’employeur qui décide de la date des congés d’été, et les salariés n’ont pas le choix.
Aujourd’hui, le code du travail prévoit quatre semaines de prévenance. Pour faire face à la situation d’urgence que nous traversons, nous souhaitons donc autoriser que, dans certains secteurs, les entreprises en difficulté – de toute façon, elles auront recours au chômage partiel dans un deuxième temps – puissent s’il le faut anticiper et prendre la décision rapidement d’imposer six jours ouvrés de congé payé.
Ce n’est que cela, si j’ose dire. Il n’est pas question de supprimer les congés payés de tous les Français, et je pense que cela fait partie des choses raisonnables à faire.
S’agissant de la durée du travail, comme je l’ai dit, je serais ravie si la plupart des entreprises avaient un problème en la matière. Mais c’est l’inverse qui se produit : elles ont un problème de capacités à œuvrer !
Quant aux quelques secteurs qui ont des besoins, il faut les aider. J’ai déjà évoqué le secteur alimentaire, notamment la grande distribution, ou la production de médicaments. Prenons l’exemple du maraîchage, dont on parle aujourd’hui, en particulier du ramassage des asperges et des fraises.
Les Français veulent des produits frais ; ils n’entendent pas manger seulement des pâtes, même s’ils en ont beaucoup stocké ! Mais, habituellement, ce travail de ramassage est effectué par des travailleurs détachés. Il nous faut trouver 200 000 personnes dans les semaines à venir, sans quoi nous perdons toute la production de printemps !
À cette fin, nous mettons en place des mesures exceptionnelles avec Pôle emploi, avec la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), et recherchons des solutions. Mais il faut aussi, évidemment avec un paiement des heures supplémentaires, que les personnes volontaires puissent travailler plus longtemps, que l’on puisse déroger durant quelques semaines aux règles en matière de durée du travail, dans le respect – c’est également évident – des directives européennes.
Voilà ce dont nous parlons : non d’une dérégulation de l’ensemble du code du travail, mais d’une dérogation provisoire, pendant quelques semaines ou quelques mois – personne ne connaît la durée de la crise –, dans les secteurs qui en ont besoin.
J’en viens au secteur du bâtiment et des travaux publics, pour lequel la situation n’est pas facile.
De nombreuses entreprises du bâtiment ont déjà pris des dispositions et réfléchi à la manière dont elles pouvaient organiser le travail, tout en préservant la sécurité des travailleurs.
Actuellement, il y a une petite agitation des médias pour savoir si l’ensemble du secteur devrait s’arrêter en France. De toute évidence, il ne sera pas possible, dans la situation que nous connaissons, de maintenir l’activité habituelle. Mais de là à dire que l’on ferme tous les chantiers en France, c’est autre chose !
C’est donc sur ce point précis que porte le débat. Il a progressé dans la journée. Ainsi, je peux vous indiquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous organisons, mes collègues du Gouvernement concernés et moi-même, une réunion téléphonique avec les trois fédérations du secteur du bâtiment demain matin, avec les organisations syndicales dans la journée. Nous trouverons des solutions.
Quelles peuvent-elles être ? Nous allons faire ce que nous avons fait, cette semaine, pour la grande distribution et le secteur alimentaire, à savoir définir des protocoles pour que les gestes barrières soient appliqués partout et la protection des salariés assurée.
C’est ce type de solutions que nous déployons dans la grande distribution, avec la mise en place de parois en plexiglas, afin que le caissier ne soit pas en contact direct avec le client, et avec la fourniture de gants et de gels hydroalcooliques.
On peut faire ! Dans le secteur du bâtiment, certaines choses ne seront peut-être pas possibles, mais d’autres le seront. Nous allons mener un travail conjoint, dans les heures à venir, pour élaborer un code de bonne conduite, en adaptant les pratiques et les règles habituelles de sécurité au contexte de l’épidémie de coronavirus.
Ce travail pragmatique, qui nous permettra d’avancer, répondra aussi à la question de la responsabilité de l’employeur.
Dans le code du travail, je le rappelle, l’employeur a une responsabilité de moyens. Si, aujourd’hui, une entreprise organise le travail de sorte que soient respectés les cinq gestes barrières, par exemple en dédoublant les équipes, en prévoyant des horaires décalés ou en travaillant différemment au niveau des transports – les solutions sont nombreuses –, elle a rempli ses obligations. Elle ne peut pas être tenue responsable du fait qu’un de ses salariés soit atteint par le coronavirus.
Sa responsabilité tient dans la mise en place des conditions assurant la protection de ses salariés, telles qu’elles sont définies par le ministère de la santé.
Certains d’entre vous craignent que les entreprises ne recourent massivement aux congés payés, plutôt que d’opter pour le chômage partiel. Ce dernier étant désormais entièrement remboursé aux entreprises, il me semble que le risque est plutôt inverse.
En outre, la période exige tout de même un peu de souplesse. Tout le monde est sur le pont : les entreprises comme les salariés.
Je confirme, à cet égard, ce qui a été dit concernant les « héros du quotidien » : les postiers, les caissières, les salariés du secteur de l’énergie, ceux qui travaillent à la collecte des déchets – il va bien falloir continuer à ramasser les poubelles dans notre pays ! Ces métiers sont très importants, car ils sont notre base arrière. Nous leur devons la solidarité.
Nous devons aussi prévoir les aménagements nécessaires pour préserver l’emploi et pour que l’activité continue, dans les meilleures conditions possible en fonction de l’évolution de l’épidémie. Ce n’est pas fini, mais nous allons évidemment nous adapter au fur et à mesure !