Intervention de Édouard Philippe

Réunion du 19 mars 2020 à 14h00
Mesures d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 — Discussion générale commune

Édouard Philippe :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la France fait face à sa plus grave épidémie depuis un siècle. Le virus, détecté fin décembre, est déjà, trois mois plus tard, répandu sur les cinq continents. La crise est mondiale, avec 8 700 morts, une propagation rapide de pays en pays, une mortalité qui touche sans choisir, mais d’abord les plus âgés et les plus vulnérables, des prévisions épidémiologiques alarmantes qui peuvent faire craindre, si la riposte était défaillante, des centaines de milliers de décès à travers le monde.

La France est frappée de plein fouet et fait face avec détermination depuis janvier. Elle a recensé plus de 9 000 malades et déplore 264 morts à ce jour, un chiffre élevé et qui va s’accroître. Ni le Sénat ni l’Assemblée nationale ne sont épargnés, et je voudrais, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, présenter mes vœux de très rapide et très complet rétablissement aux parlementaires, fonctionnaires et collaborateurs des assemblées malheureusement atteints.

Cette crise sanitaire a également des répercussions majeures sur tous les aspects de la vie de la Nation. En quelques jours, nos modes de vie, nos priorités, nos habitudes, nos plaisirs les plus simples, nos préoccupations ont basculé. La vie économique, sociale et culturelle quotidienne s’est comme figée.

Le Président de la République l’a dit, c’est une forme de guerre que nous menons. J’ai été personnellement frappé d’entendre la chancelière allemande, Mme Merkel, estimer hier qu’il s’agissait de la crise la plus grave que traversait l’Allemagne depuis 1945. Je m’inscris pleinement dans ces analyses : la période dans laquelle nous sommes entrés n’a rien de commun avec les crises économiques ou financières que nous avons connues depuis 1945. Elle aura des répercussions dans nos vies individuelles et dans la vie de notre Nation, dont nul ne peut aujourd’hui mesurer l’intensité, mais dont nous sentons tous qu’elles seront majeures.

Notre réaction, notre politique, notre stratégie peuvent être résumées par deux mots simples : faire face.

Dès janvier, nous organisions le rapatriement de nos compatriotes depuis la Chine et leur isolement rigoureux pendant quatorze jours. J’ai le souvenir de commentaires selon lesquels nous en faisions alors peut-être trop. Dès l’identification des premiers « clusters », dans les Alpes puis dans l’Oise, nous organisions leur confinement grâce à un travail méticuleux et assez remarquable d’identification des cas contacts réalisé par les équipes médicales du ministère de la santé et les responsables locaux.

Notre stratégie n’a pas varié : empêcher aussi longtemps que possible le virus de s’installer et en freiner au maximum la progression.

Les médecins nous disent que, pour 80 % des patients atteints par ce virus, les symptômes sont bénins ; pour 10 %, ils sont sérieux, et 5 % des malades présentent des formes sévères pouvant nécessiter un placement en réanimation. Les enfants semblent épargnés, mais la gravité augmente avec l’âge et les autres fragilités sanitaires, avec une mortalité importante pour nos anciens.

Si elle n’est pas freinée, l’épidémie se propage de façon exponentielle. Or aucun système hospitalier ne peut tenir si les 5 % de patients sévèrement atteints affluent au même moment. Notre objectif est donc d’abord de protéger les plus vulnérables et ensuite de ralentir la progression du virus, de façon à aplatir le pic épidémique. C’est ce qui nous permettra de diminuer considérablement le nombre d’urgences qui affluent chaque jour vers les hôpitaux. Nous limiterons ainsi le risque d’asphyxie de nos services de réanimation et nous leur donnerons le temps de s’organiser. Nous donnerons aussi le temps aux producteurs de masques, de solutions hydroalcooliques et de respirateurs de fournir les équipements dont nous avons besoin. En freinant la progression de la maladie dans la population, nous nous rapprochons également du moment où, nous l’espérons, nous disposerons de traitements, voire de vaccins.

Dans certaines régions, en particulier dans l’Est et en Île-de-France, les hôpitaux font face à un afflux massif de patients nécessitant des soins urgents. Malgré la très forte pression qui s’exerce sur lui, notre système de soins tient le choc, avec bien sûr des différences d’intensité entre les territoires et au prix d’efforts considérables.

Nous le devons à l’extraordinaire mobilisation, aux capacités d’anticipation et d’organisation des personnels soignants, que nous tenons tous à citer, car ils sont en première ligne dans cette bataille : les médecins, les internes, les infirmiers, les aides-soignants, les médecins retraités, les étudiants. Nous demandons l’impossible à des femmes et à des hommes qui, chaque jour, depuis plusieurs semaines, accomplissent des miracles. Je veux leur redire ici notre reconnaissance, celle de la République, la nôtre, celle de millions de Français qui l’expriment parfois avec des mots, des actes ou des gestes qui ont frappé l’imagination de nos concitoyens. Je veux les assurer de notre totale mobilisation pour qu’ils puissent disposer, dans les meilleures conditions, des moyens dont ils ont besoin.

Notre stratégie comporte aussi une dimension européenne et internationale. Dans le monde ouvert où nous vivons, rien ne peut être accompli sans coopération internationale, mais il est de fait que nous sommes confrontés à un défi inédit. Nous avons immédiatement saisi les institutions de l’Union européenne de la nécessité de coordonner nos réponses.

Ce n’est pas un secret : quand, à la demande pressante de la France, les ministres de l’intérieur, d’une part, et les ministres de la santé, d’autre part, se sont réunis en février, beaucoup estimaient qu’il n’y avait pas lieu de le faire. Rétrospectivement, on ne peut qu’être surpris de ce décalage entre l’appréciation formulée par un certain nombre d’homologues européens du ministre des solidarités et de la santé ou du ministre de l’intérieur et la réalité que nous connaissons aujourd’hui.

C’est en grande partie grâce à l’insistance du Président de la République et du Gouvernement que des mesures de coordination minimales ont pu être prises aux frontières comme en matière de politique sanitaire.

Il est clair que la responsabilité première incombe aux États, mais nous devons pouvoir compter sur les avis de l’OMS, partager nos réponses, mieux coordonner les efforts de recherche de traitements et de vaccins. C’était l’objet du sommet exceptionnel des 7 et 16 mars derniers.

C’est aussi par la solidarité européenne et internationale que nous pourrons aborder les dramatiques conséquences économiques de la crise. Je salue à cet égard les récentes décisions de la Banque centrale européenne.

La bataille sera longue, et nous savons que le bilan en sera lourd. Nous agissons terriblement contraints par le temps, par l’incertitude dans laquelle nous nous trouvons quant à de multiples aspects de ce virus encore inconnu voici trois mois, par l’absence de vaccin et, à ce stade, de traitement, même si – rayon d’espoir – des essais cliniques et des tests, autorisés d’ailleurs avec une célérité jamais vue dès le mois de février, laissent espérer des découvertes en la matière.

Nous agissons dans des délais très courts, selon quelques principes simples que je voudrais résumer.

L’humilité, d’abord : elle oblige à reconnaître que l’on ne sait pas tout, que l’on peut se tromper et que l’on doit, dans ce cas, corriger sans délai la trajectoire sans s’obstiner, que l’on doit s’inspirer aussi de ce que font les autres pays ayant le redoutable privilège de nous précéder parfois d’une semaine ou de quelques jours sur la courbe épidémique.

La confiance dans la science, ensuite : toutes nos décisions – je dis bien toutes – sont fondées sur ce que les meilleurs scientifiques de ce pays nous disent. Cela ne signifie pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous déléguions la décision aux scientifiques : il ne leur appartient pas de prendre les décisions. Nous les écoutons, nous leur posons des questions. Leurs avis sont souvent traversés d’opinions, d’analyses différentes, et le consensus scientifique n’est pas chose aisée. Mais nous essayons systématiquement de tenir compte de ce que nous disent les scientifiques que nous consultons. Toutes nos décisions politiques prennent appui sur ce que les scientifiques peuvent nous indiquer dans l’océan d’incertitudes dans lequel nous nous trouvons.

Dernier principe, la transparence à l’égard des Français. Nous disons ce que nous savons et ce que nous ne savons pas, parce que la confiance est nécessaire pour vaincre la peur et que la France est un grand pays qui saura surmonter cette épreuve à condition qu’on lui dise la vérité.

Il y a et il y aura, c’est bien légitime, des discussions, des contestations et des polémiques sur nos choix. Les discussions, les contestations, même rugueuses, sont bienvenues : elles nous font avancer, nous en avons besoin. Clemenceau, pendant la Grande Guerre, n’a jamais cessé de réunir le Parlement. Mais les polémiques, que je classe dans une autre catégorie, peuvent nous distraire, nous retarder. Mesdames, messieurs les sénateurs, mon objectif est de conserver toute mon énergie pour avancer. Ce dont je veux vous assurer, c’est que le Président de la République, le Gouvernement et moi-même sommes engagés sans réserve, avec l’humilité que commande le moment, mais avec une détermination absolue, et décidés à assumer les choix que dictent notre compréhension de la situation, nos forces, nos vulnérabilités, sur la base des recommandations du corps médical.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, les présidents de groupe parlementaire, les présidents de commission et l’ensemble des parlementaires, d’avoir adapté, dans des délais très resserrés et dans des conditions, y compris sanitaires, très difficiles, l’organisation de la démocratie parlementaire pour qu’elle puisse se mettre en ordre de bataille.

Je salue également l’esprit républicain dans lequel les formations politiques se sont inscrites. Devant le Sénat, je tiens à rendre hommage à tous les élus locaux, à tous les fonctionnaires nationaux, régionaux, départementaux, municipaux, qui donnent sans compter leur temps et leurs efforts.

L’évolution rapide de l’épidémie nous a conduits, en fin de semaine dernière, à donner, sur la recommandation des médecins, un nouveau coup de frein et à décider, lundi, le confinement des populations sur le territoire national. Ces mesures sont massives, draconiennes ; jamais notre pays n’avait connu des mesures de restriction aussi générales et rigoureuses sur l’ensemble de son territoire. J’ai parfaitement conscience de l’effort qu’elles représentent pour des millions de Français. Taraudés par des questions, des inquiétudes que l’on peut parfaitement entendre, ils doivent à la fois s’acquitter de leurs obligations professionnelles, fût-ce à distance, continuer à gérer les contraintes familiales, les engagements de toutes sortes qu’ils ont pu souscrire, faire face à la diminution dramatique de leur chiffre d’affaires et de leurs perspectives économiques, à une angoisse liée à la maladie ou au risque de la maladie.

Je saisis cette occasion pour redire aux Français – en vous demandant, mesdames, messieurs les sénateurs, de relayer ce message – que ces mesures sont indispensables, qu’elles sont les seules efficaces pour soulager nos soignants et protéger ceux que nous aimons, que la négligence, la légèreté, l’insouciance que l’on constate parfois encore dans nos rues sont – je pèse mes mots – irresponsables et doivent laisser place à une prise de conscience totale de la responsabilité de chacune et de chacun d’entre nous dans le combat que nous avons engagé.

L’épidémie et ces mesures de restriction ont, vous le savez, des répercussions d’une extrême gravité sur notre économie. Dans de nombreux secteurs – je pense au transport aérien, à l’hébergement, aux activités culturelles et sportives, à l’événementiel, à la restauration, au commerce de détail non alimentaire –, les chutes de chiffre d’affaires sont proches de 50 %, voire de 100 %.

Cette crise bouleverse aussi l’ensemble de nos relations économiques, juridiques, administratives, ainsi que le fonctionnement de nos institutions démocratiques, nationales et locales.

Lors de ses deux adresses aux Français, le Président de la République a annoncé des mesures massives pour contrer l’épidémie, pour soutenir financièrement les personnes les plus fragiles, les salariés, les indépendants, ainsi que les entreprises, grandes et petites. Ces mesures sont attendues, elles sont nécessaires, d’abord pour que les Français puissent se concentrer sur le seul objectif qui vaille : protéger leur santé, celle de leurs proches, celle de leurs concitoyens. Elles sont aussi nécessaires pour ne pas ajouter de l’angoisse sociale, économique, à l’angoisse que suscite déjà l’épidémie. Elles sont nécessaires pour que la vie économique et sociale de notre pays puisse reprendre le plus vite possible une fois la crise sanitaire derrière nous.

Tout l’enjeu consiste maintenant à traduire ces mesures dans notre législation pour qu’elles puissent produire leurs effets dans le délai le plus court possible. L’urgence commande, et le Parlement est appelé à les discuter et à les voter aussi vite que possible, mais l’urgence ne saurait aller sans respect de l’indispensable pouvoir de contrôle des deux assemblées. C’est cet équilibre entre la rapidité de la décision dans la bataille et l’impératif absolu du contrôle démocratique que nous nous sommes employés collectivement à respecter.

C’est ainsi que j’ai l’honneur de vous présenter les projets de loi adoptés hier en conseil des ministres : un projet de loi d’urgence, assorti d’un très court projet de loi organique, ainsi qu’un projet de loi de finances rectificative.

L’ensemble de leurs dispositions visent à atteindre quatre objectifs.

Le premier, c’est de protéger à tout prix, quoi qu’il en coûte, la population contre l’épidémie.

Le deuxième objectif consiste à prendre les mesures économiques et sociales exceptionnelles que la situation impose.

Le troisième objectif est d’adapter très temporairement nos règles de droit aux bouleversements que nous connaissons dans nos relations économiques ou administratives, que l’on soit une entreprise ou un particulier.

Ces dispositions visent enfin, quatrièmement, à tirer les conséquences de l’impossibilité que nous avons constatée d’organiser le second tour des élections municipales ce dimanche.

Le titre Ier du projet de loi d’urgence, dans la rédaction initiale présentée par le Gouvernement, porte ainsi sur le report du second tour des élections municipales. Ce report, nous l’avons décidé lundi après avoir consulté le conseil scientifique et les forces politiques, parce que l’accélération de la propagation du virus le rendait indispensable.

Je souhaite revenir sur cette question qui suscite, et c’est bien normal, discussions et interrogations.

Nous avons maintenu le premier tour de ces élections municipales après un débat et une réflexion approfondis. Les élections, c’est le temps fort de la démocratie, et, nous le savons, seules des circonstances absolument exceptionnelles peuvent permettre d’en modifier le calendrier, sur la base, dans toute la mesure du possible, du consensus des forces politiques.

Dès le mois de février, lorsque j’ai réuni à Matignon les partis et les groupes politiques pour les informer précisément de la situation sanitaire, la question du maintien du scrutin municipal a été abordée. À l’époque, sur l’avis unanime des autorités scientifiques, nous avons considéré que ce scrutin pouvait et devait être maintenu.

À partir de ce moment, nous avons systématiquement interrogé les spécialistes sur les conditions d’une organisation sûre de ce scrutin sur le plan sanitaire. Leur réponse a été de recommander la sensibilisation de nos concitoyens et de tous ceux qui allaient procéder ou faire procéder aux opérations électorales à ces consignes de sécurité et à ces gestes barrières grâce auxquels les contaminations pouvaient être évitées. Il n’y avait donc, à leurs yeux, pas de risque plus élevé à voter qu’à procéder à des actes courants de la vie quotidienne, comme faire les courses ou emprunter les transports en commun.

Jeudi dernier, avant le premier tour, alors que nous décidions des premières mesures lourdes de confinement, la question du report a de nouveau été examinée. Le Gouvernement a instruit cette question : pouvions-nous décider, jeudi, de reporter le premier tour des élections municipales ? Beaucoup de ceux qui ont été consultés, parfois informellement, c’est vrai, nous ont dit que, sur la base des informations dont ils disposaient, ils considéraient que les opérations électorales, pour autant qu’elles soient bien organisées, que les consignes de sécurité soient bien mises en œuvre et respectées, pouvaient se tenir, et le conseil scientifique a confirmé son analyse précédente.

Samedi, enfin, veille du vote, alors que nous resserrions encore les mesures de confinement, nous avons de nouveau consulté les experts, qui ont confirmé leurs recommandations.

Qu’aurait-on dit, mesdames, messieurs les sénateurs, si, par un décret pris nuitamment la veille d’une élection, nous avions annulé ou reporté le scrutin tandis que, le lendemain, les Français se promenaient dans les parcs et les jardins publics, sans avoir pleinement mesuré les contraintes nouvelles ? Certains auraient alors pu crier au coup de force. Souvenons-nous-en !

Le scrutin s’est, sur les plans technique et sanitaire, bien déroulé, et j’en remercie les responsables de son organisation. Mais la très forte abstention a montré que, dimanche, l’inquiétude avait saisi un grand nombre de Français. De surcroît, la propagation du virus s’est accélérée à ce moment précis. Lundi, nous avons donc décidé, après une nouvelle consultation des forces politiques, le report du second tour, que recommandaient les experts du conseil scientifique.

Il faut maintenant tirer les conséquences de cette situation sur notre vie municipale.

Les solutions que préconise le Gouvernement, qui trouvent leur traduction dans le projet de loi qui vous est présenté, reposent sur deux principes.

D’abord, dans toutes les communes où le premier tour n’a pas permis d’élire l’ensemble du conseil municipal, le texte fixe la tenue du second tour au mois de juin, sous réserve bien sûr que nous ayons alors contenu l’épidémie. Pour nous en assurer, et pour anticiper, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement au milieu du mois de mai 2020. Ce rapport se fondera sur les observations du conseil scientifique. Si nous devons en conclure que l’épidémie rend impossible la tenue du second tour de l’élection en juin, nous reviendrons alors devant vous pour décider des meilleures mesures à prendre.

Ensuite, ce rapport indiquera s’il est possible d’installer les conseils municipaux dans les communes où le premier tour a permis d’élire l’ensemble du conseil. Cette installation, si elle est possible, interviendrait alors dans des délais très brefs, par exemple dans la semaine qui suivra le 10 mai.

Cette solution que nous proposons se fonde, d’une part, sur l’avis du président du conseil scientifique, qui, consulté aujourd’hui, a indiqué que les conditions sanitaires pour l’installation des conseils municipaux, prévue par le code électoral entre demain matin et dimanche, n’étaient plus réunies, et, d’autre part – j’exprime ici ma reconnaissance au président du Sénat, à l’ensemble des présidents de groupe et au président de la commission des lois –, sur une analyse partagée des contraintes qui pèsent sur nous.

Cette analyse a permis de construire une solution qui m’apparaît à la fois simple, claire et raisonnable. Elle implique la prorogation des mandats des sortants, afin d’assurer la continuité de l’administration des affaires locales. Elle impose au Gouvernement d’expliquer ses choix au Parlement à une date fixée par le projet de loi au 10 mai.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit également des règles spécifiques pour clarifier un certain nombre de cas. Je pense à celui des communes de moins de 1 000 habitants, dans lesquelles il arrive que des candidats soient élus au premier tour sans que le conseil municipal soit au complet.

Le projet de loi prévoit aussi des règles relatives au bon fonctionnement des établissements publics de coopération intercommunale.

Sur tous ces points, nous sommes évidemment ouverts à des améliorations, avec toujours pour objectif de recueillir le consensus le plus large possible.

Le titre II prévoit l’instauration de l’état d’urgence sanitaire et sociale. Comme vous le savez, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique autorise le ministre de la santé à prendre, « en cas de menace d’épidémie », toute mesure pour protéger la santé de la population. C’est sur ce fondement légal que nous avons pris les mesures que la propagation de l’épidémie imposait.

Cependant, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne sommes plus face à une menace : nous affrontons une pandémie installée, plus forte que personne n’aurait pu l’imaginer. Il nous a semblé que les mesures que nous prenons, qui immobilisent l’ensemble du pays, méritaient un cadre plus respectueux de notre vie démocratique qu’un simple arrêté ministériel. Il s’agit non pas de choisir entre protection de la santé publique et démocratie, mais de protéger la santé de nos concitoyens, face à l’urgence, tout en respectant pleinement le rôle du Parlement et les garanties fondamentales.

C’est la raison pour laquelle le projet de loi vise à créer un cadre juridique clair, solide pour le déclenchement de l’état d’urgence sanitaire et sociale, permettant au Parlement d’exercer son contrôle. Ce cadre est inspiré, avec des adaptations, par la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence. Il prévoit une déclaration par la voie d’un décret en conseil des ministres, dont la prorogation au-delà d’un mois devra être autorisée par la loi. Dans une démocratie, on ne peut pas gérer l’exception sans le Parlement ; on ne peut pas déroger aux libertés essentielles sans en appeler à son contrôle. Le cadre que nous proposons est objectivement plus satisfaisant et plus respectueux du Parlement que celui qui prévaut à ce jour.

La comparaison entre les deux régimes d’état d’urgence s’arrête là. Il s’agit évidemment non pas d’autoriser des perquisitions, des assignations à résidence, mais de prendre des mesures générales de protection de la population.

Pour bien en marquer la nature sanitaire, nous avons décidé de faire figurer ce dispositif dans le code de la santé publique. Les mesures envisagées auront donc toujours un objectif sanitaire et leur proportionnalité sera évidemment contrôlée. En revanche, ne me demandez pas d’en dresser à l’avance la liste : l’expérience des dernières semaines nous appelle à l’humilité en la matière. Veillons aussi, ensemble, à ce que la loi nous permette de nous adapter si l’épidémie devait sévir par pics successifs ou selon des formes variées sur les territoires.

Je l’ai dit, la situation actuelle est sans précédent ; jamais la vie ne s’était arrêtée à ce point dans notre pays. À bien des égards, nous évoluons dans une forme d’inconnu. Nous avons pu anticiper un certain nombre de conséquences de cette vie en quelque sorte soudainement mise sous cloche. Dans d’autres domaines, nous ne connaissons pas avec certitude la nature, la durée et l’étendue des mesures que nous aurons à prendre pour nous adapter. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement demande au Parlement, au travers du titre III du projet de loi d’urgence, de l’habiliter à prendre de nombreuses mesures par ordonnances.

Ces mesures visent d’abord à mettre en œuvre les décisions que le Président de la République a prises pour protéger les Français. Je pense par exemple aux mesures économiques de soutien à la trésorerie des entreprises, aux aides directes, à l’assouplissement des règles commerciales et de procédure civile ou aux délais que nous voulons accorder aux très petites entreprises pour payer leurs factures d’eau ou d’électricité. Bien souvent, ce sont des mesures de survie pour nos restaurateurs, nos artisans, nos commerçants.

Ces mesures sont aussi destinées à assouplir l’organisation du travail, à faciliter, le cas échéant, le recours aux congés payés, à la formation, et à indemniser, à des niveaux bien plus élevés qu’aujourd’hui, le chômage partiel, de manière à éviter des licenciements massifs, qui seraient catastrophiques sur les plans social et économique.

Ces mesures vont également permettre à des millions de foyers de ne pas souffrir de pertes brutales de revenus, comme cela pourrait être le cas dans d’autres pays.

Ces mesures d’exception visent en outre à faciliter la garde des enfants, alors que nous avons décidé de fermer, toujours pour freiner l’épidémie et la circulation du virus, les structures d’accueil de jeunes enfants.

Ces mesures, enfin, ont vocation à protéger les plus fragiles. Nous mettons ainsi en œuvre les engagements du Président de la République en suspendant les expulsions locatives ou en prenant des dispositions exceptionnelles en faveur des personnes qui souffrent d’un handicap. Nous leur devons évidemment notre protection. Par ailleurs, nous avons maintenu ouvertes toutes les places d’hébergement d’urgence et mis en place des dispositifs d’accueil des personnes à la rue.

À côté de ces mesures de soutien, le projet de loi vise à autoriser le Gouvernement à prendre des dispositions de bon sens. Je pense à celles qui simplifient la tenue des assemblées générales de toute nature, y compris celles de copropriété, pour éviter aux personnes concernées de devoir se réunir. Le recours à la visioconférence rend désormais techniquement possibles ces simplifications.

Ces mesures de bon sens visent également à adapter les délais légaux et les procédures dans les juridictions civiles, pénales ou commerciales, afin de garantir les droits des citoyens. En d’autres termes, pas un Français ne doit perdre un droit ou prendre un risque inutile pour sa santé à cause de règles de droit qui se justifient parfaitement dans des conditions normales, mais qui se révéleraient hors de propos dans un pays confiné.

Toutes les dispositions que nous suspendons s’appliqueront de nouveau à la fin de la période d’épidémie, mais ces mesures d’assouplissement, de soutien ou de suspension doivent nous aider à passer le gros de la tempête, avant que la situation ne redevienne à peu près normale.

Cette crise sanitaire grave, terrible même, nous la surmonterons. Ensuite, la vie économique, sociale, politique reprendra, le plus vite possible. La crise, on le sait, aura des conséquences graves sur l’activité économique dans notre pays. Tout l’enjeu est d’aider nos entreprises et leurs salariés à franchir ce cap.

Dans cette perspective, le Président de la République a fixé un objectif clair : nous devons soutenir nos entreprises et nos emplois quoi qu’il en coûte. C’est l’objet des mesures de soutien que je viens d’évoquer, ainsi que du projet de loi de finances rectificative, qui organise la mobilisation financière de la Nation et que vous examinerez demain, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous l’avons annoncé cette semaine, ce projet de loi de finances rectificative prévoit un soutien budgétaire de l’ordre de 45 milliards d’euros, dont plus de 32 milliards d’euros de reports de charges et 8, 5 milliards d’euros destinés à améliorer massivement le financement de l’activité partielle. Nous consacrerons également, avec les régions, dont je tiens à saluer ici l’engagement, près de 1 milliard d’euros au fonds d’indemnisation dont bénéficieront les indépendants. Nous avons en outre prévu une provision de 2 milliards d’euros pour soutenir l’hôpital et faire face aux dépenses d’indemnités journalières.

Le projet de loi de finances rectificative met par ailleurs en place un dispositif exceptionnel de garantie publique des crédits bancaires aux entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros, soit un montant comparable à ceux que les Allemands ou les Britanniques sont en train de mobiliser.

Concrètement, il s’agit de faire en sorte que les banques continuent de prêter aux entreprises et de soutenir leur trésorerie. Les entreprises s’adresseront directement à leur banque et bénéficieront automatiquement d’un différé d’un an avant de rembourser leur prêt, qui pourra représenter jusqu’à 25 % du chiffre d’affaires constaté en 2019.

Un tel dispositif est massif et inédit. Il est, je le crois, à la mesure de la crise que nous connaissons, des risques que cette crise sanitaire fait courir à l’ensemble de notre économie.

Comme vous le savez, le temps presse. Chaque jour, chaque semaine qui passe, ce sont des milliers d’entreprises qui se fragilisent, c’est la précarité qui menace. C’est la raison pour laquelle nous n’avons eu d’autre choix que de proposer au Parlement un examen de ces projets de loi dans des délais très contraints. Je remercie une nouvelle fois ses membres et les groupes des deux assemblées de leur volonté de s’accorder très vite sur les termes de ces textes et de faire prévaloir l’union.

C’est dans le même esprit, selon la même volonté d’union nationale, que le Président de la République a demandé au Gouvernement de suspendre l’examen et la mise en œuvre du système universel de retraite et l’application de certaines dispositions de la réforme de l’assurance chômage.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons tous que l’heure est particulièrement grave. La France affronte une grande épreuve ; elle combat un ennemi silencieux, invisible, aveugle. Dans le passé, nombreux ont été les scientifiques, les responsables politiques à redouter la survenue d’une crise sanitaire de cette ampleur. La vie a décidé qu’il reviendrait à ce gouvernement, à ce Parlement, de l’affronter, aux côtés de nos 65 millions de compatriotes de métropole, d’outre-mer et de l’étranger. Nous devons le faire dans l’unité, le calme, la discipline, le sang-froid, avec l’esprit de responsabilité et de fermeté qui a animé nos prédécesseurs dans des circonstances exceptionnelles.

Cette bataille aura, je le sais bien, et on le voit déjà, sa part d’ombre avec ces vols, ces trafics, ces accapareurs et ces profiteurs, ces violences, cette légèreté, ces basses polémiques, parfois, qui ne sont que le triste reflet de ce que l’homme peut faire lorsqu’il est angoissé, lorsqu’il a peur ou lorsqu’il oublie qu’il fait partie d’une grande Nation.

Mais elle connaîtra ses héros. Je les ai salués déjà, et je n’ai aucun doute que, dans la durée, d’autres se révéleront. Elle connaîtra ses victimes, aussi, et nous devons en limiter le nombre. Elle connaîtra ses soldats du quotidien, toutes celles et tous ceux qui s’appliqueront avec discipline, avec acharnement, avec inventivité, avec fraternité à respecter les règles tout en maintenant l’espoir, le sourire et la vie.

Nous sommes, mesdames, messieurs les sénateurs, une grande Nation, et si les facilités des temps tranquilles nous le font oublier parfois, il y a, au cœur de l’âme française, cette force, cette cohésion, cette grandeur qui me donnent une absolue confiance dans l’issue.

Nous vaincrons ce virus avec nos forces politiques, économiques, scientifiques, culturelles, spirituelles aussi, avec tous les pays, toutes les communautés qui se liguent contre lui, et nous devrons être prêts, ensuite, à repartir d’un pied nouveau, mieux armés pour nous affirmer dans ce XXIe siècle dont les défis et les promesses font notre destin.

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