Ce n’est là que le début du film. La scène suivante se déroule dans un palais à Riyad. La Chine est à l’arrêt, le cours du pétrole vacille ; l’OPEP propose une réduction commune de la production à Poutine, qui refuse. Mohammed ben Salmane se venge en cassant les prix pour étouffer son concurrent : la guerre du pétrole entre l’Arabie saoudite et la Russie a commencé.
À l’ouverture des marchés, le lundi 9 mars, les cours du Brent s’effondrent. Wall Street s’affole. La décision de l’Italie de confiner sa population fait comprendre le choc de demande qui va survenir. La dégringolade de la bourse se transforme en panique : le Vix, l’indice de la peur, s’envole. Les coupe-circuits des trois grands indices américains s’activent automatiquement. Les marchés européens plongent.
Dernière séquence : une série de plans sur des dizaines d’écrans d’internautes. L’épidémie s’est transformée en « infodémie ». Les réseaux antisociaux affichent les chiffres les plus alarmistes, promeuvent les médecines farfelues, les bains d’eau chaude et les huiles essentielles. Les chaînes d’information, en concurrence effrénée, n’arrivent plus à trouver assez d’« experts ». À ceux de premier plan succèdent les deuxièmes et troisièmes couteaux, qui répètent en boucle ce qu’ils viennent de voir sur une chaîne concurrente ou disent n’importe quoi. Plus personne n’y comprend rien, la peur s’installe.
Ce film, que même Orson Welles n’aurait osé imaginer, c’est l’état du monde aujourd’hui. Personne n’en connaît le dénouement.
Face à cette crise mondiale, notre premier impératif est l’humilité.
Nous sommes réunis pour décider des mesures qui vont s’imposer à notre pays. Jusqu’à présent, à quelques outrances près, l’union sacrée a prévalu. Si cet hémicycle, ou celui de l’Assemblée nationale, devait se transformer en une tribune politicienne, les Français ne nous le pardonneraient pas. Ils attendent des actes, et non des roulements de mécaniques. La question n’est pas de s’écharper sur l’opportunité d’avoir maintenu le premier tour des élections municipales ou sur la date de réunion des conseils municipaux. Prenons garde à ne pas être déclarés hors sujet.
Il s’agit d’une crise sanitaire, gérée comme telle depuis le début. Lorsque l’on a la chance de posséder l’un des meilleurs systèmes de santé au monde et des professionnels dont je tiens à saluer ici la compétence, le courage et l’abnégation, il est essentiel de faire confiance aux autorités sanitaires et à leurs efforts quotidiens de transparence devant la marée des fake news, du complotisme et de la peur. Il peut leur arriver, il leur est déjà arrivé de ne pas avoir toutes les réponses face à un ennemi inédit ; je suis en tout cas certain que les réponses qu’ils ont sont plus pertinentes que celles de leurs contradicteurs.
Il s’agit également, bien sûr, d’une crise économique et sociale. Elle sera tout aussi grave et pose un dilemme effrayant : prendre des mesures de confinement trop drastiques, c’est tuer l’économie ; ne pas en prendre, c’est laisser mourir des Français. Quoi que l’on fasse, les critiques fuseront.
Le Président de la République est confronté à la plus grande crise de son mandat, à la suite de ses deux prédécesseurs : Nicolas Sarkozy avait dû faire face à la crise des subprimes, François Hollande aux carnages terroristes. Il va falloir à Emmanuel Macron beaucoup de doigté, beaucoup de sincérité, beaucoup de force de conviction.
Cette crise, en quelques jours, a changé les Français. Jusqu’à dimanche dernier, les journaux du monde entier s’étonnaient de ce peuple incurable, rebelle à toute discipline, se réunissant par milliers dans les parcs sous le soleil. Depuis lundi, c’est un spectacle saisissant : très majoritairement, les Français respectent les consignes et supportent les contraintes. Ils ont compris que de leur attitude dépendra non seulement leur santé, mais aussi celle de leurs compatriotes. Comme aux grands moments de leur histoire, ils se comportent en citoyens.
Je vais me risquer à un pronostic : je ne suis pas pessimiste. Les exemples de la Chine – une fois les mensonges terminés – et de la Corée du Sud démontrent qu’avec des mesures adaptées la victoire sur l’épidémie est une question de semaines, et non de mois. C’est la voie que nous sommes en train d’emprunter.
Quant à la crise économique, elle n’a rien à voir avec celle de 2008. Elle est beaucoup plus profonde, mais elle sera, je le crois, beaucoup plus courte.
Lorsque la pandémie cessera, le monde entier sera saisi d’une frénésie de consommer, de voyager, d’aimer, en un mot de vivre – espérons-le d’une manière plus respectueuse de notre planète qu’aujourd’hui.
Il n’y a rien qui s’oublie aussi vite que les guerres, les catastrophes ou les épidémies, une fois les beaux jours revenus. Je ne dis pas cela au hasard, mais pour l’avoir vécu, souvent, dans des pays bien plus vulnérables que le nôtre. C’est aussi ce que nous disent les livres d’histoire. Cette capacité d’oublier le malheur – peut-être faudrait-il dire « de le confiner » – explique sans doute en partie que l’humanité ait survécu à des époques infiniment plus rudes et à des crises infiniment plus graves que celles d’aujourd’hui. Cette crise, comme les précédentes, bien sûr, nous la surmonterons.