Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 mars 2020 à 11h15
Projet de loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 — Projet de loi organique d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 - désignation d'un rapporteur et examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président, rapporteur :

La gestion de la crise que nous traversons ne relève pas du seul Gouvernement : le Parlement, qui assure la représentation nationale, a aussi un rôle à jouer. Conformément aux dispositions de notre Constitution, le Gouvernement a donc déposé sur le bureau des assemblées plusieurs projets de texte destinés à donner une base légale aux décisions nécessaires qui sont prises durant cette période.

Nous examinons, ce matin, deux textes. Le projet de loi organique est secondaire par rapport à nos préoccupations : il est relatif aux délais de transmission des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) par le Conseil d'État et la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, ainsi qu'au délai dans lequel le Conseil constitutionnel statue sur une QPC transmise. En effet, si le délai d'examen d'une QPC par une juridiction est dépassé, celle-ci est automatiquement transmise, sans filtre, au Conseil constitutionnel, qui craint d'être rapidement encombré.

Le projet de loi ordinaire que nous examinons ce matin est un texte volumineux, qui comporte de nombreuses mesures de toute nature, y compris économique, sociale et financière, qui ne relèvent pas toutes de notre commission des lois. En d'autres circonstances, son examen par notre assemblée aurait probablement justifié la constitution d'une commission spéciale. Dans sa sagesse, le Président du Sénat a choisi un dispositif plus simple et plus rapide : l'examen au fond par une commission - la commission des lois - et la saisine pour avis des autres commissions intéressées, la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques. Sur les sujets relevant de leur compétence, je vous proposerai de suivre l'avis des commissions saisies pour avis, même si formellement elles n'ont pas reçu de délégation pour un examen au fond de tel ou tel article.

En ce qui concerne la commission des lois, nous devons examiner deux types de dispositions : celles relatives à l'urgence sanitaire et celles liées au report du second tour des élections municipales et à l'organisation de la vie de nos collectivités territoriales d'ici là.

Vous comprendrez aisément que je donnerai une priorité absolue à toutes les préoccupations de sécurité sanitaire. Cela ne signifie pas que nous devions tout autoriser, mais nous ne devons pas perdre de vue que nous vivons des circonstances de crise exceptionnelles, avec des questions de vie et de mort qui se posent quotidiennement aux pouvoirs publics. Nous ne serions pas à la hauteur des enjeux si nous ne donnions pas l'entière primauté à la gestion de la crise sanitaire et à la maîtrise de l'épidémie. Nous devons confier aux autorités administratives des moyens d'action exceptionnels pour faire face à la crise, prévenir les contaminations et assurer dans les meilleures conditions possibles la prise en charge des malades.

J'ai veillé à ce que ces moyens soient proportionnés aux objectifs de sécurité sanitaire poursuivis par les pouvoirs publics. Les restrictions à l'exercice des libertés ne doivent être édictées que si elles sont strictement indispensables, pour une durée limitée et avec un contrôle renforcé du Parlement. Pour des raisons juridiques que je comprends parfaitement, le Conseil d'État n'a pas souhaité maintenir le contrôle du Parlement pourtant prévu dans le texte initial du Gouvernement ; je vous proposerai néanmoins de le réaffirmer.

S'agissant de l'état d'urgence sanitaire, le Gouvernement nous propose de dupliquer, en l'adaptant aux crises sanitaires, le dispositif issu de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, que nous connaissons bien pour l'avoir modifié à plusieurs reprises dans le cadre du renforcement de la lutte contre le terrorisme. Mais les décisions à prendre aujourd'hui ne sont pas de même nature que celles prises en matière de terrorisme - assignations à résidence, périmètres de sécurité, perquisitions administratives, fermetures de lieux de culte. Notre commission devra donc définir précisément les catégories de décisions qui pourront être prises en période d'état d'urgence sanitaire. Le texte initial du Gouvernement visait toute mesure proportionnée aux objectifs poursuivis, ce qui est beaucoup trop large et soulève un problème de respect des principes constitutionnels. Le Conseil d'État l'a d'ailleurs relevé et est allé dans notre sens : le texte issu du conseil des ministres est de meilleure facture, mais nous pouvons encore l'améliorer, afin de le rendre plus conforme à nos principes fondamentaux, sans pour autant altérer les moyens d'action nécessaires.

Alors que le Gouvernement nous propose d'inscrire définitivement dans la loi un nouveau régime exorbitant du droit commun - qui ne pourrait être prolongé au-delà d'un certain nombre de jours qu'avec l'accord du Parlement -, je propose un régime limité à la seule gestion du Covid-19. Le Gouvernement doit avoir les moyens de gérer cette crise sanitaire, y compris si elle devait rebondir quelques mois après une éventuelle accalmie, en novembre ou janvier prochains le cas échéant. Je propose donc un dispositif temporaire qui couvre toute la crise du Covid-19, mais qui, à l'issue de cette crise - dans neuf mois, un an, un an et demi - n'existera plus. Si toutefois nous estimions, à froid et non plus à chaud comme aujourd'hui, qu'un arsenal juridique devait être prêt pour d'autres éventualités et tirant les leçons de notre expérience de la gestion du Covid-19, nous serions ouverts à la discussion avec le Gouvernement. C'est le sens du compromis que j'ai proposé au Gouvernement et que je vous propose d'adopter aujourd'hui.

La non-tenue du second tour des élections municipales et communautaires de dimanche prochain, le 22 mars 2020, pose des problèmes multiples. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains d'avoir tout envisagé, et c'est pourquoi le Gouvernement nous demande l'autorisation de prendre par ordonnances un certain nombre de mesures qui se révèleraient utiles. Je n'y suis pas hostile, mais je préfère que nous inscrivions directement dans la loi tout ce qu'il est d'ores et déjà possible d'y prévoir. Les ordonnances devront se limiter à n'être que la « voiture-balai » de la loi, pour opérer des ajustements strictement nécessaires et dans une période aussi brève que possible.

La première question qui se pose à nous est celle de l'élection du maire et des adjoints dans les conseils municipaux complets à l'issue du premier tour des élections municipales. Cela concerne plus de 30 000 conseils municipaux et 44 % des conseils communautaires.

Plusieurs paramètres doivent être pris en considération. Tout d'abord, il est indispensable que les communes, qui sont un échelon essentiel de la gestion de crise, soient dotées d'un maire et d'une municipalité, car leur concours va être nécessaire. L'hygiène publique est au coeur de la responsabilité du maire. Rappelez-vous que, à la fin du XIXe siècle, l'un des premiers pouvoirs de police administrative conférés aux maires par la loi, c'est l'hygiène publique. Nous devons assurer, autant que faire se peut, la continuité de la vie de nos communes.

C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité maintenir l'élection du maire et des adjoints. Je ne m'y oppose pas et ne vous proposerai donc pas de report. Mais je sens bien que l'inquiétude au sujet de cette élection ne fait que monter et nous n'accepterons son maintien qu'à condition que des précautions supplémentaires soient prises pour protéger les élus et les agents territoriaux. Les ministères concernés ont déjà diffusé des circulaires aux maires et aux préfets afin de rappeler les précautions à prendre et de prévoir des souplesses d'organisation - par exemple, la possibilité de se réunir sur le territoire d'une autre commune afin de disposer d'une salle suffisamment grande. Ces souplesses devront être consolidées et étendues.

Par amendements, je vous proposerai également de modifier, pour la durée de la crise sanitaire, les règles de quorum - le tiers des présents et non plus la moitié - et de procuration - deux procurations au lieu d'une - au sein du conseil municipal. Par ailleurs, l'élection du maire et des adjoints pourra être réputée valide même avec un simple vote à l'urne et le vote électronique pourra être mis en place.

Le ministre de l'intérieur m'a assuré que, dans les communes où les conseillers refuseraient de procéder à l'élection du maire et de ses adjoints, cette élection serait simplement repoussée à une date ultérieure.

Beaucoup de nos concitoyens ne croient toujours pas ce que nous disent les experts sur les modes de contamination. Cette inquiétude doit être prise au sérieux : nous ne pouvons pas être porteurs d'un message trop abrupt à l'encontre de ceux qui s'inquiètent. C'est pourquoi les mesures de souplesse proposées par le ministre de l'intérieur me semblent de bon aloi.

Grâce à ces mesures, nous devrions réussir à assurer la continuité de la vie démocratique de notre pays dans les conditions les moins mauvaises possible. De concert avec le Gouvernement, je vous propose donc de lâcher du lest, mais de continuer à avancer.

Le deuxième problème qui se pose en matière électorale est le suivant : comment organiser la vie des collectivités territoriales jusqu'au second tour de scrutin ? Même au complet, certains conseils municipaux ne souhaiteront peut-être pas se réunir pour adopter un budget ou toute autre délibération. Par mes amendements, je vous propose donc de permettre aux conseils de nos collectivités de ne pas se réunir s'ils ne le souhaitent pas, tout en garantissant la continuité du service public jusqu'à la fin de la période de confinement. À l'inverse, pour toutes les collectivités dont les conseils souhaiteraient se réunir - par exemple, une communauté de communes qui voudrait s'associer au soutien économique organisé par la région - je proposerai, là aussi, d'assouplir les règles de quorum et de faciliter les procurations.

Deux questions sensibles devront également être traitées : comment faire vivre une commune de 500 habitants si le conseil municipal n'a pas été élu au complet dès le premier tour de scrutin ? Comment faire fonctionner un conseil communautaire « hybride », dont seulement une partie a été élue au premier tour ?

Je propose une solution différente de celle qui a été envisagée initialement par le Gouvernement. J'ai obtenu l'accord de la présidente et de la rapporteure de la commission des lois de l'Assemblée nationale, ainsi que celui du ministre de l'intérieur sur ma proposition relative aux conseils communautaires : plutôt que l'élection d'un président intérimaire, que proposait le Gouvernement, je propose le maintien en fonctions du président sortant, s'il est encore délégué communautaire ; à défaut, la présidence reviendrait au premier vice-président ; à défaut, au deuxième vice-président. Certes, cela n'ira pas sans poser des problèmes politiques. Cette solution n'est pas idéale, mais elle me semble bien meilleure que celle consistant à élire une équipe intérimaire. En outre, ma solution permet de ne pas rendre obligatoire la réunion du conseil communautaire pendant la période de confinement.

Pour les petites communes, le Gouvernement proposait que, si huit des quinze conseillers municipaux étaient élus, un maire temporaire puisse être élu. Ce dernier pourrait ainsi être élu avec seulement quatre voix ! Et cela aurait eu pour effet d'avantager ensuite ses autres colistiers dans l'attente du second tour. Je ne vois pas de raison de distinguer deux régimes selon que plus ou moins de la moitié des conseillers municipaux ont été élus dès le premier tour. Ma proposition est donc similaire à celle que j'ai faite pour les conseils communautaires : je propose le maintien de la municipalité sortante à titre temporaire et jusqu'à la tenue du second tour.

S'agissant enfin de la date de dépôt des listes de candidats pour le second tour, le droit est clair : celles-ci doivent être déposées au plus tard deux jours après le premier tour. Malheureusement, certains candidats se sont permis de violer la législation en ne déposant pas leur liste - peut-être incités par le ministre de l'intérieur, qui a annoncé que la loi ne serait pas appliquée... Il faut tenir compte de cet état de fait, mais ce n'est pas une raison suffisante pour différer davantage le dépôt des listes par rapport au droit commun. Je ne méconnais pas les raisons politiques qui pourraient justifier de se conformer au droit commun ou de s'en écarter. Sans esprit partisan, je considère qu'un report trop lointain de cette date de dépôt conduirait à des tractations entre candidats qui ne pourront que polluer le climat d'unité nationale dont nous avons besoin. C'est pourquoi je vous propose de fixer cette date à mardi prochain, le 24 mars 2020.

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