Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les travaux de la commission mixte paritaire, qui se sont engagés ce matin et se sont prolongés jusqu’à quatorze heures trente, ont été particulièrement riches et intenses. Chacun des membres de la commission mixte paritaire était pleinement imprégné de la responsabilité qui nous incombe collectivement : parvenir à un accord, sans compromettre les convictions que nous avons à défendre, mais avec l’idée que l’intérêt général commande de manifester l’union de la représentation nationale aux côtés du Gouvernement.
Naturellement, il ne s’agit pas d’hypothéquer l’impérieuse exigence du contrôle parlementaire, qui est, pour nous, une mission constitutionnelle ; mais, avant tout, il faut assumer pleinement la nécessité de donner au Gouvernement les moyens d’action dont il a besoin pour combattre le fléau qui accable notre pays, comme beaucoup d’autres, depuis plusieurs semaines.
Nous avons particulièrement réfléchi à toutes les dispositions permettant de déployer tous les effets de l’état d’urgence sanitaire, afin d’être efficaces dans ce combat. Nous voulions également éviter de prendre des mesures dérogatoires au droit commun dépassant les exigences du combat contre le Covid-19. C’est la raison pour laquelle nous avons voulu travailler le plus finement possible les dispositions qui allaient être arrêtées.
Nous, Sénat, avons à cet égard un motif principal de satisfaction : à l’issue de cette commission mixte paritaire, nous n’avons pas à inscrire dans notre droit un régime dérogatoire permanent, dont il pourrait être fait usage à tout moment pendant les décennies à venir. Nous nous sommes concentrés sur la lutte contre le Covid-19, et nous n’avons pas voulu préjuger des moyens qui seraient nécessaires si d’autres fléaux sanitaires accablaient notre pays dans plusieurs années.
Le régime de l’état d’urgence sanitaire est donc temporaire. Au-delà d’un an, il faudra de nouveau que le Parlement se prononce.
Mes chers collègues, nous avons un second sujet de satisfaction : conformément à notre volonté, les pouvoirs donnés au Gouvernement sont importants, mais ce ne sont pas les pleins pouvoirs.
Les pouvoirs donnés au Gouvernement sont importants, parce qu’il faut pouvoir limiter la liberté d’aller et venir. Il faut pouvoir limiter la liberté de réunion. Il faut pouvoir aussi limiter la liberté d’entreprendre.
Mais – vous vous en souvenez, puisque l’état d’urgence est dans tous les esprits, pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme –, la loi de 1955, qui permet, pour des motifs de sécurité, de déclarer l’état d’urgence, énumère les catégories de mesures susceptibles d’être prises : périmètre de sécurité, perquisitions administratives, assignation à résidence, fermeture de lieux de culte salafiste, etc. Toutes ces possibilités sont prévues par la loi. Dès lors, le Gouvernement, comme les préfets, peut prendre des mesures qu’il ne pourrait pas prendre en temps normal. Eh bien, nous voulions que les diverses mesures susceptibles d’être prises par le Gouvernement en état d’urgence sanitaire soient également détaillées dans une liste, même si elles lui laissent toutes les marges de manœuvre nécessaires à l’efficacité de l’action publique.
Le débat a eu lieu dans cet hémicycle et à l’Assemblée nationale. Les positions que nous avons défendues n’ont pas été pleinement approuvées par nos collègues députés. Ce matin, il a donc fallu que nous trouvions un compromis en ce sens : faire en sorte que le Gouvernement dispose de pouvoirs importants, mais éviter qu’il ne porte trop fortement atteinte à nos libertés.
J’y insiste : des atteintes aux libertés sont nécessaires, mais elles doivent être strictement limitées. Nous avons donc exclu que le Gouvernement puisse prendre des mesures d’ordre général en dehors de la liste que nous avons fixée, quand elles portent atteinte à la liberté d’aller et venir et à la liberté de réunion. En revanche, nous avons accepté qu’il puisse prendre des mesures, dont nous n’avons pas défini exactement les contours, qui seraient susceptibles de porter atteinte à la liberté d’entreprendre.
Ces mesures, on peut les imaginer en prenant comme référence l’organisation de la Nation en temps de guerre, même s’il faut se garder des assimilations. En temps de guerre, la Nation doit produire des armes, des munitions. On ne s’arrête pas à la libre concurrence et aux règles des marchés publics : l’industrie française doit pouvoir travailler au maximum de ses capacités de production.
Pour lutter contre le Covid-19, il en va de même. Il faut que le Gouvernement puisse produire des masques, il faut qu’il puisse produire des respirateurs artificiels, il faut qu’il puisse produire les équipements, les matériels, les médicaments et, éventuellement, les vaccins qui seront nécessaires à l’efficacité de la lutte contre cette épidémie. C’est la raison pour laquelle nous avons accepté de lui laisser la prérogative de prendre ces mesures. Toutefois, il ne pourra le faire que par décret du Premier ministre, et non par simple arrêté du ministre de la santé, et ce décret pourra être déféré au Conseil d’État, lequel devra se prononcer en urgence, selon la voie du référé.
Il nous a semblé que ce compromis était acceptable. Nous l’avons donc accepté.
En dehors de l’urgence sanitaire, nous avons eu à traiter des questions nées du report du second tour de l’élection municipale dans plus de 5 000 communes de France. Nous ne pouvions pas ne pas les traiter. Ce n’est pas nous qui les avons inscrites à l’ordre du jour : c’est la situation née du report du second tour des élections municipales qui nous imposait d’en parler. Nous l’avons donc fait, en assumant aussi cette responsabilité.
Les initiatives des maires pour contribuer à contenir la pandémie se multiplient jour après jour. On le voit d’une manière expérimentale, pratique : les communes de France, les maires de France sont aux premières loges quand il s’agit de défendre la sécurité des populations. En conséquence, nous devons faire en sorte – c’est d’ailleurs rassurant pour nous tous – que les maires de France sachent comment s’y prendre, n’aient pas de doute quant au fait qu’ils ont la pleine responsabilité de leur commune pour mener à bien leur mission de maire.
Ce n’est pas facile de concevoir ce qui n’a jamais été fait, en l’occurrence comment organiser le travail des communes quand, dans celles-ci, le second tour n’a pas eu lieu. Nous avons prévu des règles simples : quand le second tour n’a pas eu lieu, les anciens maires et les anciennes équipes continuent à agir. La règle est claire. Tous les Français doivent la connaître. Ces élus vont continuer à agir jusqu’à ce que nous puissions mettre en place les nouvelles équipes.
Comme, par ailleurs, nous n’avons pas réussi à élire les maires, ce dimanche, hier et avant-hier, il fallait prendre des dispositions pour permettre la continuité de la vie communale. Ce matin, au cours de nos travaux en commission mixte paritaire, nous y sommes également parvenus. Nous sommes même allés au-delà : nous avons voulu inscrire dans le marbre de cette loi ce qui allait se passer d’ici au mois de juin prochain, y compris dans l’hypothèse où le second tour devait être repoussé après le mois de juin.
Les choses sont simples : dans un peu plus de 30 000 communes de France, l’élection est définitive, elle ne pourra jamais être remise en cause. C’est écrit dans ce texte. Les équipes n’ont pas pu se mettre en place ce week-end, mais c’est seulement leur entrée en fonctions qui est différée. Elles seront installées dès que la réunion des conseils municipaux sera permise ; dans l’hypothèse où elle ne le serait pas – en cas de maintien du confinement –, nous demandons au Gouvernement de prendre, par voie d’ordonnance, des mesures permettant d’élire les maires, parce que c’est très important pour la République, en recourant au vote par correspondance, au vote à l’urne, voire au vote électronique.
Comme nous ne pouvons pas improviser les modalités d’organisation de ces formes d’expression du vote, nous demandons au Gouvernement de prendre ces mesures dans les semaines qui viennent. Je le répète, même si le confinement continue, on pourra élire les maires. Nous, Sénat, y accordons une grande importance ; nos collègues députés nous ont suivis bien volontiers.
Maintenant, que va-t-il se passer pour l’organisation du second tour ? Nous avons voulu que le décret de convocation des électeurs soit pris le plus tard possible, afin de pouvoir tenir compte de l’évolution de la situation sanitaire. Nous avons donc décidé qu’un rapport du comité scientifique sera publié à la fin du mois de mai prochain – au plus tard le 23 mai. Le conseil des ministres se prononcera le mercredi suivant, à savoir le 27 mai. Dans les cinq jours qui suivront, les candidatures devront être déposées en préfecture ; quand elles le seront, la campagne électorale pourra commencer, en vue du second tour, prévu le 21 juin.
Si le second tour ne se tient pas, si le décret de convocation des électeurs ne peut pas être pris en raison de la situation sanitaire, on ne pourra plus geler le premier tour : on ne saurait préjuger que les électeurs du premier tour du mois de mars n’ont pas changé d’avis six mois plus tard ! Ce serait restreindre leur liberté de vote ; ce serait contraindre le suffrage universel.
Nous écrivons noir sur blanc que, si le second tour des élections municipales n’a pas lieu avant le 30 juin, il faudra, dans les communes concernées, « rejouer toute la partie », le Parlement étant de nouveau appelé à proroger pour un temps suffisamment long les mandats avant une nouvelle convocation des électeurs pour deux tours de scrutin.
Ainsi, chacun saura à quoi s’en tenir, et le cours des choses ne repose sur aucune spéculation : il est écrit. De toute façon, le Parlement aura de nouveau à se prononcer ultérieurement, au moment de l’évaluation des politiques de lutte contre le Covid-19. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là, mais nous exigeons que la mise en œuvre de la loi que nous nous apprêtons à voter fasse l’objet d’un contrôle plein et entier, comme ce fut le cas des dispositions adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.