Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires économiques — Réunion du 6 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances en téléconférence

Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Cette audition est bienvenue : il me semble indispensable que, même en période de crise sanitaire et économique, la démocratie continue de fonctionner et le contrôle du Parlement puisse s'exercer.

Depuis le premier jour, je n'ai jamais caché que cette crise économique serait violente, globale et durable. Je l'ai comparée à la grande récession de 1929. Vous voyez tous dans vos territoires combien l'économie réelle est touchée. Des entrepreneurs, commerçants et professions libérales n'ont plus un euro de recettes. J'ai parlé de -1 % la semaine dernière en indiquant que ce chiffre serait révisé. Depuis 1945, la plus mauvaise année pour l'économie française a été 2009, après la grande crise de 2008 : -2,2 % de croissance. Nous serons très vraisemblablement au-delà. C'est dire l'ampleur du choc économique.

Nous avons réagi vite et fort. Dès le 6 mars, j'ai proposé au Président de la République un plan d'urgence économique pour apporter des réponses à tous ceux qui étaient touchés par la crise. Nous avons fait des choix stratégiques et économiques novateurs.

Le premier a été un dispositif de chômage partiel, le plus généreux en Europe, qui couvre tous les salariés jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Il concerne déjà 5 millions de salariés, pour 11 milliards d'euros. L'objectif stratégique, fidèle au modèle français, est de préserver les compétences et les formations, pour nous permettre de redémarrer le plus vite possible en évitant les licenciements de masse. Aux États-Unis, en dix jours, il y a eu 10 millions de chômeurs en plus.

Le deuxième choix a été de soutenir la trésorerie des entreprises. D'abord, toutes les charges sociales et fiscales sont reportées pour les entreprises qui le souhaitent ; le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, vient d'annoncer le report de l'échéance de début avril. Ensuite, un fonds de solidarité a été institué pour les petites entreprises de moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires et de moins de dix salariés ; la Direction générale des finances publiques (DGFiP) verse une aide de 1 500 euros à toutes les entreprises de ce champ fermées par arrêté ministériel ou ayant connu une baisse de chiffre d'affaires de 50 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce fonds recueille une adhésion massive : plus de 500 000 entreprises y ont déjà fait appel. L'engagement budgétaire est de 1,7 milliard d'euros par mois ; le dispositif sera reconduit au mois d'avril. Enfin, des prêts sont garantis par l'État jusqu'à 300 milliards d'euros ; 100 000 entreprises y ont déjà fait appel, pour un montant total de 20 milliards d'euros. Ces dispositifs ont le mérite de la puissance et de la simplicité.

Le troisième choix est de protéger nos entreprises stratégiques. Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens à notre disposition : montée au capital, recapitalisation, voire, en dernier recours, nationalisation. Il ne s'agit pas de revenir sur notre conception du rôle de l'État dans l'économie. S'il y a des nationalisations, elles devront être temporaires. L'État n'a pas vocation à administrer l'économie. Je crois à la cohérence de notre politique économique.

Le quatrième choix est celui de la réponse européenne. L'une de mes préoccupations concerne la capacité de l'Union européenne, notamment de la zone euro, à faire face à cette crise globale. Le grand risque est que les pays qui se portaient le mieux auparavant puissent mobiliser des sommes astronomiques pour protéger et relancer leur économie, redémarrant ainsi très rapidement en sortie de crise quand d'autres pays très endettés n'en auraient pas la capacité, avec à la clé un accroissement des divergences entre les États. Or une zone monétaire commune ne pourra pas supporter des écarts économiques croissants entre ses membres. Derrière l'enjeu immédiat, protéger et relancer notre économie, il y a donc un enjeu de moyen terme : consolider la zone euro, que de trop fortes divergences économiques feraient exploser. Nous travaillons sur un certain nombre de propositions.

Des décisions ont déjà été prises. Je salue le choix de la Banque centrale européenne (BCE) d'engager un programme de rachats d'actifs de 750 milliards d'euros. L'escape clause, c'est-à-dire la clause qui délivre de toutes les obligations du pacte de stabilité et de croissance, a été activée ; nous pouvons ainsi dépenser de l'argent public aujourd'hui sans être rattrapés par la patrouille demain. La suspension des règles en matière d'aides d'État, qui sont inopportunes en temps de crise, nous permettra d'aider des industries stratégiques.

D'autres mesures restant à prendre devraient être décidées très prochainement. D'abord, l'utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui dispose de 450 milliards d'euros, devrait permettre aux États de faire face à des dépenses immédiates. Ensuite, la Banque européenne d'investissement doit pouvoir faire des prêts aux entreprises. Enfin, la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d'un mécanisme d'assurance chômage, pour un montant de 100 milliards d'euros.

Au regard de l'ampleur de la crise, tout cela ne suffira pas ; Thierry Breton, Paolo Gentiloni et un certain nombre d'économistes le disent également. Il faut donc prévoir un fonds d'investissement ou de solidarité permettant de financer toutes les dépenses post-crise. Un tel fonds pourrait financer des services publics, en particulier l'hôpital, qui devra être reconstruit partout en Europe et faire l'objet d'investissements massifs. Nous aurons besoin d'investissements publics pour soutenir des filières dans un état catastrophique, comme l'industrie automobile, l'aéronautique, le transport aérien ou le tourisme. Il faut aussi continuer à investir dans les nouvelles technologies et la recherche. En temps de crise, ce sont les premières dépenses sacrifiées, ce qui fait prendre un retard considérable. Le développement de la fibre risque de ne pas être jugé prioritaire. Or, stratégiquement et économiquement, il l'est.

La Commission européenne ferait un emprunt de plusieurs centaines de milliards d'euros, à des taux d'intérêt évidemment plus bas que si chaque état négociait le sien. La durée serait limitée, de cinq à dix ans. Seules les dépenses d'investissement seraient financées. Ce n'est donc pas la reprise de l'idée des eurobonds, qui a déjà cinq ou dix ans. C'est l'idée nouvelle, forte et nécessaire d'un plan d'investissement massif post-crise sous forme d'un fonds de solidarité mutualisant les dépenses d'investissement. C'est le seul instrument à la hauteur de la crise actuelle. Je me battrai pour qu'il puisse être étudié dans les prochains jours.

Soyons aussi attentifs à la situation des pays en développement. Le coronavirus risque d'avoir des répercussions très fortes en Afrique. Il est donc impératif de soutenir ces pays, en particulier sur le continent africain.

Cette crise d'une gravité n'ayant de comparaison qu'avec la grande récession de 1929 appelle des réponses fortes, nouvelles, massives à l'échelon national ; nous l'avons fait, et nous continuerons. Elle appelle aussi une solidarité de la part de l'Union européenne, pour aujourd'hui comme pour demain ; nous nous battrons pour cela.

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