Commission des affaires économiques

Réunion du 6 avril 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous nous réunissons aujourd'hui dans des conditions particulières. C'est la première fois que nous auditionnons un ministre en visioconférence.

La crise que nous traversons est d'abord une crise sanitaire. Nos pensées vont à nos compatriotes victimes du Covid-19 et aux personnels médicaux qui se battent au quotidien. C'est aussi une crise économique. Nous pressentons les effets qu'elle aura dans l'avenir. Vous l'avez d'ailleurs comparée à la crise de 1929, monsieur le ministre. On prévoit une diminution de l'activité autour de 50 % pour ce mois, et une récession majeure sur l'année : certains économistes tablent sur 3 % ; d'autres, plus pessimistes, sur 10 %.

Au-delà des chiffres, jamais depuis 1944 la politique économique n'a été confrontée à de telles incertitudes, qu'il s'agisse de la durée de crise, de sa résorption à l'échelon mondial, des effets économiques de long terme, de la reprise ou du déconfinement. Les chefs d'entreprise et les salariés attendent du Gouvernement une traduction concrète de la promesse présidentielle qu'« aucune entreprise ne sera livrée au risque de faillite ». L'exécutif, après l'habilitation du Parlement, a réagi et a mis en place de nombreuses mesures de soutien. À titre d'exemple, en huit jours, 20 milliards d'euros de prêts garantis par l'État ont été demandés par plus de 100 000 entreprises. C'est dire l'ampleur du besoin, donc de la crise.

Nous voulons assurer et renforcer l'efficacité des dispositifs de soutien. Cela implique la mobilisation de tous, à commencer par le Gouvernement et le Parlement. La commission des affaires économiques a mis en place un ensemble de cellules de veille et de suivi par secteur, afin d'effectuer un travail d'évaluation, de contrôle et d'anticipation. L'objectif est de pouvoir bénéficier de remontées directes du terrain et, le cas échéant, de vous proposer des solutions concrètes et applicables rapidement, au service de nos concitoyens.

Les mesures de soutien, par ailleurs bienvenues, sont parfois appliquées de façon hétérogène selon les territoires, voire se révèlent inadaptées à la diversité des situations de nos entreprises. Il y a un risque de « trous dans la raquette », c'est-à-dire d'oubli de situations particulières.

Par ailleurs, il nous faut anticiper la suite, c'est-à-dire, d'une part, la stratégie de sortie de crise et, d'autre part, la stratégie de long terme nécessaire pour tirer les leçons de cet épisode, notamment en termes de souveraineté industrielle et alimentaire. Vous connaissez l'intérêt de notre commission pour ces sujets. C'est dans cette logique partenariale et collaborative que nous souhaitons travailler, car nous partageons bien évidemment tous le même objectif : aider notre pays à traverser cette crise, puis à s'en relever.

Monsieur le ministre, je vous donne la parole, puis je laisserai nos collègues sénateurs chargés de piloter les différentes cellules sectorielles de suivi vous poser leurs questions. Tous les membres de la commission pourront ensuite vous interroger.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances

Cette audition est bienvenue : il me semble indispensable que, même en période de crise sanitaire et économique, la démocratie continue de fonctionner et le contrôle du Parlement puisse s'exercer.

Depuis le premier jour, je n'ai jamais caché que cette crise économique serait violente, globale et durable. Je l'ai comparée à la grande récession de 1929. Vous voyez tous dans vos territoires combien l'économie réelle est touchée. Des entrepreneurs, commerçants et professions libérales n'ont plus un euro de recettes. J'ai parlé de -1 % la semaine dernière en indiquant que ce chiffre serait révisé. Depuis 1945, la plus mauvaise année pour l'économie française a été 2009, après la grande crise de 2008 : -2,2 % de croissance. Nous serons très vraisemblablement au-delà. C'est dire l'ampleur du choc économique.

Nous avons réagi vite et fort. Dès le 6 mars, j'ai proposé au Président de la République un plan d'urgence économique pour apporter des réponses à tous ceux qui étaient touchés par la crise. Nous avons fait des choix stratégiques et économiques novateurs.

Le premier a été un dispositif de chômage partiel, le plus généreux en Europe, qui couvre tous les salariés jusqu'à 4,5 fois le SMIC. Il concerne déjà 5 millions de salariés, pour 11 milliards d'euros. L'objectif stratégique, fidèle au modèle français, est de préserver les compétences et les formations, pour nous permettre de redémarrer le plus vite possible en évitant les licenciements de masse. Aux États-Unis, en dix jours, il y a eu 10 millions de chômeurs en plus.

Le deuxième choix a été de soutenir la trésorerie des entreprises. D'abord, toutes les charges sociales et fiscales sont reportées pour les entreprises qui le souhaitent ; le ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, vient d'annoncer le report de l'échéance de début avril. Ensuite, un fonds de solidarité a été institué pour les petites entreprises de moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires et de moins de dix salariés ; la Direction générale des finances publiques (DGFiP) verse une aide de 1 500 euros à toutes les entreprises de ce champ fermées par arrêté ministériel ou ayant connu une baisse de chiffre d'affaires de 50 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce fonds recueille une adhésion massive : plus de 500 000 entreprises y ont déjà fait appel. L'engagement budgétaire est de 1,7 milliard d'euros par mois ; le dispositif sera reconduit au mois d'avril. Enfin, des prêts sont garantis par l'État jusqu'à 300 milliards d'euros ; 100 000 entreprises y ont déjà fait appel, pour un montant total de 20 milliards d'euros. Ces dispositifs ont le mérite de la puissance et de la simplicité.

Le troisième choix est de protéger nos entreprises stratégiques. Nous sommes prêts à utiliser tous les moyens à notre disposition : montée au capital, recapitalisation, voire, en dernier recours, nationalisation. Il ne s'agit pas de revenir sur notre conception du rôle de l'État dans l'économie. S'il y a des nationalisations, elles devront être temporaires. L'État n'a pas vocation à administrer l'économie. Je crois à la cohérence de notre politique économique.

Le quatrième choix est celui de la réponse européenne. L'une de mes préoccupations concerne la capacité de l'Union européenne, notamment de la zone euro, à faire face à cette crise globale. Le grand risque est que les pays qui se portaient le mieux auparavant puissent mobiliser des sommes astronomiques pour protéger et relancer leur économie, redémarrant ainsi très rapidement en sortie de crise quand d'autres pays très endettés n'en auraient pas la capacité, avec à la clé un accroissement des divergences entre les États. Or une zone monétaire commune ne pourra pas supporter des écarts économiques croissants entre ses membres. Derrière l'enjeu immédiat, protéger et relancer notre économie, il y a donc un enjeu de moyen terme : consolider la zone euro, que de trop fortes divergences économiques feraient exploser. Nous travaillons sur un certain nombre de propositions.

Des décisions ont déjà été prises. Je salue le choix de la Banque centrale européenne (BCE) d'engager un programme de rachats d'actifs de 750 milliards d'euros. L'escape clause, c'est-à-dire la clause qui délivre de toutes les obligations du pacte de stabilité et de croissance, a été activée ; nous pouvons ainsi dépenser de l'argent public aujourd'hui sans être rattrapés par la patrouille demain. La suspension des règles en matière d'aides d'État, qui sont inopportunes en temps de crise, nous permettra d'aider des industries stratégiques.

D'autres mesures restant à prendre devraient être décidées très prochainement. D'abord, l'utilisation du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui dispose de 450 milliards d'euros, devrait permettre aux États de faire face à des dépenses immédiates. Ensuite, la Banque européenne d'investissement doit pouvoir faire des prêts aux entreprises. Enfin, la présidente de la Commission européenne a annoncé la création d'un mécanisme d'assurance chômage, pour un montant de 100 milliards d'euros.

Au regard de l'ampleur de la crise, tout cela ne suffira pas ; Thierry Breton, Paolo Gentiloni et un certain nombre d'économistes le disent également. Il faut donc prévoir un fonds d'investissement ou de solidarité permettant de financer toutes les dépenses post-crise. Un tel fonds pourrait financer des services publics, en particulier l'hôpital, qui devra être reconstruit partout en Europe et faire l'objet d'investissements massifs. Nous aurons besoin d'investissements publics pour soutenir des filières dans un état catastrophique, comme l'industrie automobile, l'aéronautique, le transport aérien ou le tourisme. Il faut aussi continuer à investir dans les nouvelles technologies et la recherche. En temps de crise, ce sont les premières dépenses sacrifiées, ce qui fait prendre un retard considérable. Le développement de la fibre risque de ne pas être jugé prioritaire. Or, stratégiquement et économiquement, il l'est.

La Commission européenne ferait un emprunt de plusieurs centaines de milliards d'euros, à des taux d'intérêt évidemment plus bas que si chaque état négociait le sien. La durée serait limitée, de cinq à dix ans. Seules les dépenses d'investissement seraient financées. Ce n'est donc pas la reprise de l'idée des eurobonds, qui a déjà cinq ou dix ans. C'est l'idée nouvelle, forte et nécessaire d'un plan d'investissement massif post-crise sous forme d'un fonds de solidarité mutualisant les dépenses d'investissement. C'est le seul instrument à la hauteur de la crise actuelle. Je me battrai pour qu'il puisse être étudié dans les prochains jours.

Soyons aussi attentifs à la situation des pays en développement. Le coronavirus risque d'avoir des répercussions très fortes en Afrique. Il est donc impératif de soutenir ces pays, en particulier sur le continent africain.

Cette crise d'une gravité n'ayant de comparaison qu'avec la grande récession de 1929 appelle des réponses fortes, nouvelles, massives à l'échelon national ; nous l'avons fait, et nous continuerons. Elle appelle aussi une solidarité de la part de l'Union européenne, pour aujourd'hui comme pour demain ; nous nous battrons pour cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci de ces propos liminaires, monsieur le ministre. Nous entamons notre série de questions avec celles de nos collègues chargés de piloter la cellule sectorielle de suivi consacrée au commerce, aux PME et à l'artisanat.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Le fonds de solidarité est évidemment bienvenu, mais il faut l'affiner. Le mois de mars 2019, choisi comme période de référence, a été catastrophique pour le commerce, du fait des violences commises en marge du mouvement des « gilets jaunes ». Pourquoi ne pas se baser sur le chiffre d'affaires mensuel moyen au cours de l'année 2019 ? Pouvez-vous nous indiquer le délai moyen de traitement des demandes ? Comment un entrepreneur peut-il avoir la certitude que sa demande a bien été enregistrée ?

Les soldes doivent commencer le 24 juin. Il est absolument vital pour les commerçants de pouvoir reconstituer leur trésorerie. Or nous pouvons légitimement tabler sur un rebond de la consommation post-crise. Il serait donc intéressant de repousser la date des soldes à la fin du mois d'août.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne Chain-Larché

L'indemnisation du chômage partiel est fondée sur une durée hebdomadaire de travail de 35 heures. Mais la saisonnalité de certaines activités impose des dérogations. Je propose d'affiner le dispositif pour tenir compte de ces situations sectorielles en augmentant le plafond d'heures indemnisées ou en prenant en compte le salaire moyen annuel augmenté, le cas échéant, des indemnités de déplacement et de repas.

Les librairies, les jardineries qui ne vendent pas d'alimentation animale, les magasins de fleurs et les quincailleries sont obligés de fermer, car jugés non essentiels. Mais les grandes surfaces autorisées à ouvrir du fait de leur activité alimentaire continuent à vendre les mêmes produits. Il y a donc un vrai problème de concurrence. L'État pourrait-il faire réfléchir ces grandes enseignes pour contribuer à l'effort de solidarité nationale ?

Les entreprises de BTP sont aujourd'hui confrontées à l'arrêt de la commande publique : le report des élections municipales empêche les exécutifs locaux de lancer des appels d'offres. Tout un pan de l'économie est donc au point mort. Or ce secteur est constitué de nombreuses PME artisanales. Ce sont les premières à en souffrir. Qu'est-il prévu pour elles ?

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Les entreprises ont besoin d'une parole politique claire. Le report des charges concerne non pas les entreprises « qui le souhaitent », mais celles qui démontrent qu'elles sont en difficulté. Nos PME payent leurs charges et cotisations. Ce système va assécher leur trésorerie et les mettre en difficulté lorsque l'économie repartira. Pourquoi ne pas appliquer le report des charges et cotisations à toutes les entreprises ?

Les travailleurs indépendants et ceux des plateformes numériques n'entrent aujourd'hui dans aucun dispositif. Que faisons-nous pour que ces milliers de travailleurs, dont 8 000 VTC en Seine-Saint-Denis, puissent accéder à une protection sociale et à un revenu ?

Les activités économiques non essentielles à la sécurité et à la sûreté de notre pays doivent-elles continuer ? Est-il souhaitable que les salariés d'IKEA reprennent le travail le 18 avril alors que le Gouvernement a, à juste titre, décidé le confinement, qui sera d'ailleurs vraisemblablement prolongé ? Peut-on garantir à ces salariés qu'ils auront des masques dans les prochaines semaines, sachant que les personnels soignants sont prioritaires ? Quid de la responsabilité pénale des entrepreneurs qui vont reprendre leur activité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

La démarche que vous avez mise en place pour l'accès aux prêts bancaires semble aisée, sauf pour les entreprises qui avaient une trésorerie fragile avant la crise. On leur refuse les prêts, et elles risquent de disparaître. Pourquoi ne pas aider, là aussi, les plus fragiles ?

Votre plan de soutien présente quelques trous. Pensez-vous intégrer les commerçants, artisans et indépendants ayant choisi le statut juridique des sociétés par actions simplifiées (SAS) ou des sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU), qui en sont exclus ?

Qu'est-il prévu pour les nombreuses entreprises qui rencontrent des problèmes liés aux délais de paiement ? D'ailleurs, l'État respecte-t-il toujours ces délais ?

Comptez-vous solliciter les entreprises françaises du textile, de l'industrie pharmaceutique ou de la chimie, qui ont un grand savoir-faire, pour constituer le fameux stock stratégique sanitaire dont nous avons tant besoin aujourd'hui ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances

Le fonds de solidarité que nous avons mis en place voilà une quinzaine de jours fonctionne remarquablement bien. Nous sommes en train de faire remonter les critiques. Nous examinerons comment améliorer le dispositif pour en proposer une nouvelle version en fin de semaine. Je suis prêt à étendre la période de référence pour l'examen du chiffre d'affaires, afin que personne ne soit pénalisé et qu'un grand nombre d'entrepreneurs puisse être éligible. Le délai moyen de traitement est de trois jours entre la demande et le paiement ; difficile de faire plus rapide. Nous avons engagé la réflexion sur le maintien ou non de la date des soldes d'été. Il est trop tôt pour prendre une décision. Cela dépendra de la date de déconfinement, de ses modalités et des règles qui s'appliqueront aux clients. Je n'exclus pas le report de cette date.

Je transmettrai la question de Mme Chain-Larché sur l'augmentation du plafond du nombre d'heures indemnisées à Mme Pénicaud. La grande distribution a parfaitement joué le jeu en cette période de crise. Ses salariés ont été exemplaires. Sans eux, nous ne pourrions pas nous alimenter. J'ai pris la décision de laisser aux grandes surfaces la liberté de choisir les rayons restant ouverts ; du fait de la forte baisse du nombre de salariés présents, il s'agit principalement des rayons alimentaires. Les rayons jardinerie sont aussi ouverts, car on y trouve de la nourriture pour animaux. Contrairement à une idée reçue, les chiffres d'affaires sont aujourd'hui en forte baisse dans la grande distribution. Nous avons défini un guide de bonnes pratiques s'agissant du BTP ; quasiment tous les chantiers sont aujourd'hui à l'arrêt. Ce secteur fait partie de ceux qui seront prioritaires en sortie de crise.

Le report des charges fiscales et sociales est automatique pour les petites PME et les TPE ; toutes celles qui le souhaitent l'obtiennent automatiquement. En revanche, au-dessus de cinquante salariés, il faut un justificatif, et le report n'est pas automatique. Cela a permis d'éviter des comportements abusifs. Les annulations de charges fiscales et sociales sont une possibilité, beaucoup de petits entrepreneurs les réclament. Ce sera instruit au cas par cas. Nous y serons ouverts dans les secteurs les plus fortement touchés par la crise et pour lesquels le redémarrage sera long. Les plateformes numériques sont éligibles au fonds de solidarité. J'ai examiné de très près la question des activités économiques non essentielles. Nous avons fait le choix de garantir un service économique minimum dans toutes les activités qui ne sont pas obligées de fermer aujourd'hui. Il est difficile de définir ce qui est stratégique et ce qui ne l'est pas : des entreprises du plastique peuvent être stratégiques si elles produisent les opercules des briques de lait. La réalité est cruelle : l'industrie ne tourne qu'à 50 %. Certains secteurs industriels sont fermés à 80 % ou 90 %, et certaines activités de service à 100 %. IKEA fait partie du champ de l'arrêté du 15 mars, qui prévoit qu'un certain nombre d'activités commerciales sont fermées. L'arrêté sera reconduit, et il est probable que l'activité d'IKEA reste interdite jusqu'à la fin du confinement. La responsabilité des entrepreneurs est d'ouvrir un dialogue social, pour discuter avec les salariés des conditions de travail ; c'est une obligation de moyens, pas de résultat. Personne ne peut établir si un salarié atteint du coronavirus a été contaminé sur son lieu de travail ou ailleurs.

Les entreprises déjà fragiles avant la crise ont effectivement un problème pour accéder aux prêts bancaires. Faisons en sorte que l'argent public aille vers ceux qui en ont vraiment besoin et qu'il y ait le moins d'effets d'aubaine possible. Lorsque l'entreprise fait faillite, c'est une perte sèche pour l'État qui a garanti 70 %, 80 % ou 90 % des sommes prêtées. En intégrant dans le dispositif toutes les entreprises qui étaient en difficulté de trésorerie avant la crise sanitaire, nous nous retrouverions avec des milliards d'euros de dépenses publiques non justifiées. La situation des entreprises sera examinée et traitée, mais au cas par cas et sans automaticité. Les SAS sont éligibles au fonds de solidarité et aux prêts garantis par l'État. Devant la recrudescence des difficultés, j'ai mis en place une cellule pour veiller à ce que les délais de paiement soient respectés. Une grande entreprise qui ne les respecterait pas se verrait refuser la garantie de l'État pour un nouvel emprunt.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous passons maintenant aux questions relatives au secteur du tourisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Raison

Je souhaite tout d'abord obtenir une précision sur les prêts consentis au secteur hôtelier. Dans le cas d'une holding regroupant plusieurs hôtels, dont certains continuent à fonctionner, et d'autres non, Bpifrance ne pourrait-elle pas accorder le prêt à la structure globale, plutôt qu'à chaque société individuellement ?

Il semble par ailleurs que les banques facturent des frais un peu élevés sur les reports d'échéance.

Les acteurs non professionnels du tourisme, ou ceux qui exercent sous la forme d'une entreprise en nom propre, sont-ils concernés par les dispositions de l'ordonnance du 25 mars ? Ont-ils la possibilité de transformer en avoirs les sommes déjà versées pour la réservation de séjours ? Je précise que souvent, dans les communes touristiques, ces acteurs sont des petits commerçants qui complètent leurs revenus par des hébergements touristiques. En outre, ces acteurs ne savent souvent pas comment utiliser le fonds de solidarité.

Enfin, les gros offices de tourisme constitués sous forme d'EPIC sont apparemment traités différemment selon les régions au regard de l'acceptation du chômage partiel. Comment l'expliquez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Renaud-Garabedian

Depuis le début de l'épidémie, l'État a investi des milliards d'euros de fonds publics pour permettre aux entreprises de faire face aux conséquences économiques de cette crise sans précédent.

Il me semble important d'associer également les compagnies d'assurance à l'effort. Toutefois, dans la majorité des cas, en l'absence de dommages, les contrats ne couvrent pas les pertes d'exploitation. C'est une expérience que nous avons déjà vécue avec les mouvements sociaux des « gilets jaunes ».

Il existe dès lors deux possibilités pour les entreprises d'être indemnisées par leur assureur : obtenir l'extension de l'état de catastrophe naturelle aux catastrophes sanitaires ou avoir fait l'objet d'une fermeture administrative. C'est le cas actuellement des bars et des restaurants, mais pas des hôtels. Rien ne justifie une telle différence de traitement : ce sont tous des établissements accueillant du public, non indispensables à la continuité de la vie de la Nation, constituant des lieux de rassemblement clos favorisant la propagation du virus. Et l'hôtellerie subit une fermeture de fait, par manque de personnel et par manque de clientèle. Il faudrait donc étendre la fermeture administrative aux hôtels, la plupart ne pouvant plus fonctionner faute de personnel et de clients. Nos voisins espagnols ou grecs l'ont fait.

Une telle extension de la fermeture administrative vous semble-t-elle envisageable ? Plus largement, comment comptez-vous aider ce secteur ? Dans l'hôtellerie, un chiffre d'affaires perdu ne peut être récupéré.

Debut de section - PermalienPhoto de Viviane Artigalas

Le secteur du tourisme est dans une situation catastrophique. Jean-Baptiste Lemoyne évalue ses pertes à 40 milliards d'euros. En Occitanie, il représente 10,3 % du PIB régional et 100 000 emplois. Mon département des Hautes-Pyrénées est particulièrement impacté.

Vous avez confirmé que ce secteur aurait besoin d'un plan de soutien spécifique, monsieur le ministre. Ne pourrait-on pas d'ores et déjà mobiliser le fonds Tourisme Social Investissement de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) pour aider les entreprises du secteur à passer le cap ?

Seriez-vous également favorable à la mise en place de dispositifs spécifiques d'aide aux vacances pour les familles en difficulté ? Ce serait bénéfique après un long confinement et cela contribuerait à la relance du secteur.

Enfin, de nombreux acteurs du tourisme font état d'un décalage important de trésorerie entre le versement du chômage partiel à leurs salariés et leur remboursement par l'État. Il faudrait accélérer les délais de paiement et autoriser les demandes anticipées d'allocations par les employeurs.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Les groupes hôteliers rencontrant les problèmes évoqués par Michel Raison doivent contacter Bpifrance. En cas de problème, ils peuvent s'adresser au médiateur du crédit.

Je vous confirme que les banques n'appliquent pas de pénalités sur les reports d'échéances. En revanche, des intérêts, très faibles, continuent de courir, ce qui est légitime.

S'agissant du tourisme, la possibilité de rembourser les séjours sous forme de bons s'applique aux particuliers comme aux professionnels.

Madame Renaud-Garabedian, la compensation des pertes d'exploitation pour catastrophe sanitaire n'a jamais été prévue, en effet. Les assureurs savent que nous attendons d'eux une mobilisation encore plus forte. Le président d'Axa s'est montré ouvert à l'ouverture d'une réflexion en la matière. Je souhaite que l'on puisse rapidement définir un dispositif de catastrophe sanitaire qui pourrait être couvert par les assureurs, mais il ne vaudrait que pour l'avenir, bien évidemment.

Enfin, l'obligation de fermeture par arrêté ne change rien au régime assurantiel. En revanche, cette fermeture administrative rend les entreprises automatiquement éligibles au fonds de solidarité.

Madame Artigalas, l'utilisation du fonds Tourisme de la CDC est une très bonne idée et je vais la relayer auprès de son directeur général.

Enfin, s'agissant des délais de paiement du chômage partiel, nous essayons d'améliorer le dispositif en permanence. Nous visons un paiement sous dix jours, ce qui est déjà très rapide en raison du nombre de demandes et de la complexité du système.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous passons à présent à des questions sur l'industrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Chatillon

Les industriels commencent à préparer leurs usines à la reprise de la production. C'est le cas notamment des constructeurs automobiles et aéronautiques. En général, les salariés sont volontaires et l'approvisionnement présent, mais le manque d'informations sur les procédures sanitaires et les mesures de prévention à mettre en oeuvre constitue un obstacle, par exemple dans le secteur du bâtiment. Comment accompagnez-vous les entreprises en la matière ?

J'insiste sur l'impact très lourd de cette crise pour le secteur aéronautique français. À moyen terme, Airbus risque d'être confronté à des annulations de commandes. Préparez-vous des mesures de soutien à l'industrie aéronautique, y compris les sous-traitants, comme le font déjà les États-Unis ou la Chine ? Cette filière exceptionnelle génère plus de 200 000 emplois directs dans nos territoires. Comment pouvons-nous l'accompagner ?

L'idée d'un fonds de reconversion industrielle, évoquée par Thierry Breton, nous semble également très intéressante.

Enfin, dès que cette crise sera terminée, nous devrons mieux accompagner nos agriculteurs et transformateurs en appliquant strictement à tous les produits importés les normes françaises.

Debut de section - PermalienPhoto de Martial Bourquin

La pénurie de masques est d'une ampleur impressionnante, celle des médicaments et des tests également. Les stocks sont limités et la demande mondiale exponentielle. Plus de 80 % de nos médicaments sont fabriqués en Inde ou en Chine. Êtes-vous prêt à opérer les réquisitions nécessaires pour fabriquer de nouveau en France ces produits, ce que nous avions cessé de faire dans un accès de néolibéralisme aigu ? Je pense notamment à l'entreprise Luxfer, ou à Sanofi. Dans une économie de guerre, l'industrie doit s'adapter !

Les assurances doivent davantage participer à la gestion de la crise du Covid-19. Il faut déclarer un état de catastrophe sanitaire au regard des pertes de nos petites entreprises. Pour certaines d'entre elles, nous devons aborder la question des annulations de charges, au-delà du simple report.

J'ai lu votre position sur les dividendes avec intérêt, monsieur le ministre. Il serait scandaleux qu'ils soient versés. On ne peut pas à la fois distribuer des dividendes et solliciter des aides d'État.

Notre économie est actuellement en hibernation, mais aucune entreprise ne doit manquer à l'appel de la reprise. Il faudra pour cela respecter les délais de paiement, mais aussi prendre de grandes décisions. L'Allemagne va investir 750 milliards d'euros pour garder ses entreprises et ses services. Nous devons être à la hauteur de la situation.

Les chantiers doivent reprendre. Y aura-t-il des tests et des masques pour que les salariés soient en sécurité ? Tous les Français se posent ces questions. Si l'on ne réquisitionne pas chez nous, on risque d'avoir une nouvelle crise sanitaire !

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Létard

De très nombreuses entreprises ne peuvent plus produire faute d'accès à la matière première ou aux pièces détachées nécessaires. Nous partageons votre appel à relocaliser l'industrie en France et en Europe. Mais il faut réagir rapidement à ces ruptures dans les chaînes d'approvisionnement, sous peine de condamner nos entreprises. Que faites-vous pour lever ces obstacles ? Aidez-vous les entreprises à identifier des sources alternatives de matières premières ?

Certaines entreprises nous indiquent par ailleurs que l'indemnisation du chômage partiel leur est refusée, car elles ne sont pas contraintes administrativement de fermer. Ne pourrait-on pas prévoir plutôt un contrôle a posteriori ?

Enfin, comme Martial Bourquin, j'estime que les sommes considérables déboursées par l'État français pour préserver le tissu industriel national ne peuvent bénéficier aux actionnaires. Aucune des grandes entreprises qui fera appel à l'État pour sa trésorerie ne devra verser de dividendes en 2020, et vous avez demandé aux autres de réduire d'au moins un tiers leurs dividendes. Certaines ont déjà annoncé qu'elles suivraient vos recommandations, mais pour d'autres, une simple invitation ne suffira sans doute pas. Cette règle conditionnera-t-elle également l'indemnisation du chômage partiel, le report de charges ou la garantie bancaire ? L'an dernier, les entreprises françaises cotées en bourse ont versé près de 50 milliards d'euros de dividendes, une somme à mettre en regard du coût supporté par les finances publiques pour surmonter la crise.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

L'automobile et l'aéronautique sont deux grandes filières industrielles absolument vitales pour notre pays.

Les entreprises du secteur de l'automobile ont vu leur chiffre d'affaires baisser de plus de 85 %, et le redémarrage sera long. En Chine, il ne s'effectue pas encore sur les biens de consommation durables. Il faudra donc un plan de soutien spécifique.

Il en va de même pour l'industrie aéronautique. Il faudra d'abord soutenir les compagnies aériennes, dont le chiffre d'affaires est actuellement nul, puis permettre à Airbus de poursuivre une activité minimale. Le stockage d'avions neufs coûte en effet très cher. Nous savons que cette filière aura besoin de soutien, et nous nous y préparons.

Monsieur Bourquin, s'agissant des médicaments, des tests et des masques, je vous confirme que notre objectif est de retrouver notre indépendance. Faisons preuve d'humilité et tirons les leçons de nos erreurs collectives. Voilà peu, des institutions respectées et respectables estimaient encore que stocker des masques en France était une ineptie budgétaire.

L'usine Luxfer, qui fabriquait des bouteilles d'aluminium pour le transport d'oxygène, est fermée depuis juin 2019, et sa réouverture immédiate ne permettrait pas de fournir des bouteilles dans les prochaines semaines. En revanche, si nous jugeons que cette production est stratégique pour notre système de soin, réfléchissons aux différentes options, à commencer par celle d'une reprise par un entrepreneur privé.

Nous examinerons l'option d'une annulation de charges pour un certain nombre d'entreprises dans les secteurs les plus touchés par la crise quand nous sortirons du confinement.

Sur les dividendes, nous avons posé des conditions obligatoires et émis des recommandations. Toute grande entreprise qui bénéficie du soutien de l'État pour sa trésorerie ou qui sollicite un report de charges sociales ou fiscales sera obligée de renoncer à ses dividendes. Si elle en verse quand même, elle devra rembourser ledit report avec intérêts. De même, toute entreprise de plus de 5 000 salariés se verra refuser un prêt garanti par l'État si jamais elle a versé des dividendes.

Enfin, nous recommandons aux grandes entreprises françaises de ne pas verser au moins un tiers des dividendes prévus afin de pouvoir faire face aux difficultés majeures qui s'annoncent pour 2020. Nous ferons le bilan en fin d'année. Ma conviction est que nous dépasserons les 30 % de baisse par rapport à 2019, car la situation économique l'exigera.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous allons à présent vous interroger sur le secteur des télécommunications et du numérique, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Catherine Loisier

La situation que nous vivons aujourd'hui ravive malheureusement la fracture numérique. De très nombreux chantiers sont à l'arrêt. Alors même que la filière connait une explosion, nous risquons de prendre un retard important. Que répondez-vous aux entreprises qui souhaitent poursuivre les travaux dans des conditions sanitaires satisfaisantes ? Que dites-vous par ailleurs aux sous-traitants, qui connaissent des pertes importantes de chiffre d'affaires et qui risquent de ne pas obtenir de prêts ? Préconisez-vous un gel des contrats existants pendant la période de confinement pour les travaux qui ne peuvent se poursuivre ?

Pour les start-up, 80 millions d'euros ont été débloqués pour financer les ponts entre deux levées de fonds, mais certains acteurs préconisent une politique massive d'investissement en faveur de l'innovation par l'intermédiaire de Bpifrance, selon les recommandations du rapport Tibi. Qu'en pensez-vous ?

On constate aussi que certaines grandes entreprises, interprétant la notion de force majeure dans un sens favorable à leur trésorerie, ne paient plus leur licence aux éditeurs de logiciels. Comment comptez-vous répondre à ces abus ?

Enfin, il semblerait que le Gouvernement étudie une stratégie visant à utiliser les données numériques pour accompagner le déconfinement. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Daunis

J'appuie la demande de ma collègue concernant le plan d'aides aux start-up, qui intéresse notamment celles de Sophia Antipolis.

Ma première question porte sur La Poste, entreprise publique, chargée d'une mission d'intérêt général. Sur les territoires, les décisions prises par La Poste ont pu être ressenties comme unilatérales, en raison notamment de l'insuffisance patente de consultation des élus. Certes, les contraintes de La Poste, notamment la protection due aux salariés, doivent être prises en compte, mais les choses auraient pu être mieux anticipées : il a fallu une mobilisation importante en faveur de la distribution de la presse pour que La Poste évolue, et des améliorations ont été apportées grâce aux interventions de notre commission. Vous êtes-vous assuré que les zones les plus fragiles, rurales ou urbaines, sont toujours desservies ?

Ma deuxième question porte sur la solidarité nécessaire des géants du numérique : on constate qu'ils sont moins atteints que les petits commerces, qui sont frappés de plein fouet. Envisagez-vous de les faire participer à l'effort collectif en leur faisant abonder le fonds de solidarité ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Madame Loisier, en ce qui concerne les chantiers à l'arrêt, je confirme que leur reprise est possible dans le cadre du protocole de sécurité sanitaire des salariés mis en place pour le bâtiment, qui s'applique aussi aux chantiers liés à la fibre ; quoi qu'il en soit il n'y a pas d'interdiction de reprise. S'agissant des start-up, 4 milliards d'euros ont été débloqués pour les soutenir, ainsi que Cédric O l'a annoncé. S'agissant d'une politique d'investissements massifs par Bpifrance, ce pourrait être un élément du plan de relance auquel nous travaillons, mais il est encore trop tôt pour communiquer des informations à ce sujet. S'agissant de l'utilisation des données, le ministre de l'intérieur et la ministre de la défense sont responsables de ce domaine ; vous savez que nous travaillons à des projets reposant sur la base du volontariat, mais je n'en dirai pas davantage, ces questions ne relevant pas de mon domaine de compétence.

Monsieur Daunis, je crois que le président de La Poste a fait amende honorable : des moyens seront engagés, notamment pour desservir les territoires les plus reculés ; la distribution sera également garantie cinq jours sur sept ; dès aujourd'hui, les bureaux sont ouverts pour le versement des prestations sociales. Les critiques qui sont remontées très vite à la direction de La Poste ont été prises en compte ; son président a reconnu la nécessité d'améliorer le dispositif et il l'a fait. Le rôle d'alerte des parlementaires a joué pleinement.

En ce qui concerne la contribution des géants du numérique, nous sommes toujours en négociation sur la taxation digitale au niveau international, reste à savoir si nous pourrons respecter le calendrier : une réunion importante du steering group devait avoir lieu à Berlin en juillet, pour progresser avec l'OCDE et les États-Unis. Nous tenons une solution solide, mais il faut acter ces progrès. J'espère que cela pourra être fait d'ici à la fin de l'année.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Espérons que M. Trump ne change pas d'idée !

Nous abordons les questions sur le logement.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Estrosi Sassone

Toutes les opérations de promotion immobilière sont au point mort, y compris la construction de logements sociaux en maîtrise d'ouvrage directe par les bailleurs sociaux, et le guide de bonnes pratiques, qui a été heureusement approuvé et publié, ne permettra pas de résoudre tous les problèmes : la capacité de redémarrage à court terme est quasi nulle, et le secteur du BTP est l'un des plus difficiles à redémarrer dans le temps. J'insiste donc sur les conséquences à moyen et à long terme pour toute la chaîne du logement, qui risque d'être bloquée longtemps, avec des objectifs de production qui ne seront pas atteints, alors que notre pays manque cruellement de logements. Nos concitoyens les plus modestes pâtiront de cette situation, parce qu'ils n'arriveront pas à trouver un logement en adéquation avec leurs besoins et leurs revenus.

S'agissant de l'activité partielle, certains secteurs ne savent pas à quoi s'en tenir, notamment le secteur HLM, où certains établissements emploient à la fois des fonctionnaires et des personnels sous statut privé : les fonctionnaires peuvent-ils bénéficier de l'activité partielle, comme cela semble être le cas chez Orange, Engie ou EDF ? Concernant les personnels à statut privé, la part Unedic restera-t-elle à la charge des employeurs ?

Par ailleurs, ma collègue Annie Guillemot aurait souhaité vous poser deux questions.

Concernant l'accès aux prêts garantis par l'État, il semble que le secteur bancaire soit réticent à assurer la trésorerie des agents immobiliers à hauteur de 50 000 à 60 000 euros. Comment pensez-vous assurer la bonne application des mesures annoncées sur l'ensemble du territoire ?

Concernant la compensation des pertes de chiffre d'affaires, certaines professions au mode de rémunération particulier, comme celle d'architecte, voudraient que soit pris en compte un autre critère que le chiffre d'affaires mensuel. Des réflexions sont-elles en cours sur ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

S'agissant du BTP, nous avons fait le choix d'adopter un guide de bonnes pratiques sanitaires sur les chantiers. Il est très difficile de définir des règles communes, puisque les conditions sont très différentes d'un chantier à l'autre. Aujourd'hui, tout le secteur est à l'arrêt, il faut qu'il redémarre progressivement, dans des conditions de sécurité sanitaire maximale et nous nous y employons.

S'agissant de l'activité partielle dans le secteur HLM, je ne pense pas que les fonctionnaires soient éligibles à ce dispositif, mais je le vérifierai.

S'agissant des prêts garantis par l'État pour la trésorerie des agents immobiliers, nous allons saisir le médiateur du crédit pour voir si un dispositif spécifique doit être adopté. Je rappelle que les agents immobiliers, contrairement aux SCI, sont éligibles aux prêts garantis par l'État.

S'agissant des architectes, je suis là aussi ouvert à une éventuelle redéfinition de la période de référence. Cela répondra à la préoccupation de nombreuses autres professions.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous passons aux questions sur le secteur de l'énergie.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gremillet

Quel est votre point de vue, monsieur le ministre, sur la crise pétrolière que nous traversons ? Depuis le début des mesures de confinement, la consommation d'essence et de gazole est inférieure de respectivement 70 et 85 % à la normale en France. Le secteur pétrolier fera-t-il l'objet d'un soutien spécifique de la part de l'État, par exemple en élargissant les critères d'éligibilité au fonds de solidarité pour les petites et moyennes entreprises intervenant dans la livraison ou la distribution de carburants ? Je pense notamment aux 2 000 stations-service du réseau routier secondaire, qui ferment les unes après les autres.

À combien évaluez-vous le manque à gagner dû à la crise pour la fiscalité énergétique, en particulier pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dans la mesure où le produit de cette taxe est affecté - à hauteur de 6 milliards d'euros - au financement des énergies renouvelables, à travers le compte d'affectation spéciale Transition énergétique ? Ce financement ne sera-t-il pas fragilisé ? Comment atteindre, dans ce contexte, l'objectif d'au moins 33 % d'énergies renouvelables dans la consommation d'énergie d'ici à 2030 ?

Mon collègue Daniel Dubois voulait vous interroger sur le secteur de la rénovation énergétique, très affecté par la crise. Le Président du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) évalue à 90 % le nombre de chantiers à l'arrêt. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour soutenir les opérations de rénovation énergétique, seules à même de nous permettre de réduire de 50 % la consommation d'énergie d'ici à 2050 ?

Ces questions liées à l'énergie soulèvent un véritable enjeu en termes de reconquête de parts de marché pour l'industrie de notre pays : nous aurons besoin dans les prochaines années d'une énergie propre et abordable en France pour y produire davantage.

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

S'agissant de la crise pétrolière, le prix du baril s'est effondré : il est actuellement de 33 dollars mais il est descendu jusqu'à 20 dollars. Mon inquiétude porte moins sur l'avenir notre grande compagnie pétrolière nationale que sur l'impact de cette baisse sur de nombreuses entreprises aux États-Unis. Il nous faut être très attentifs à l'effet de la crise sanitaire sur l'économie américaine. Ce pays est la première puissance économique de la planète et l'un de nos partenaires commerciaux majeurs : si la crise sanitaire a un impact lourd sur l'économie et sur les banques américaines, cela aura aussi des conséquences pour la zone euro, et donc pour la France. Or de nombreux investisseurs américains ont investi dans le pétrole de schiste, dont la rentabilité n'est plus assurée quand le prix du baril de pétrole brut passe sous le seuil de 35 dollars. Si le prix du baril reste longtemps sous ce seuil, cela fragilise les sociétés d'exploitation et surtout le secteur bancaire ayant investi dans ces sociétés, avec un risque important d'effet systémique. Il faut veiller à éviter que la crise pétrolière ne se transforme en crise financière par l'intermédiaire de ces sociétés. Au-delà du choc immédiat sur l'économie réelle, j'ai toujours indiqué qu'il fallait faire très attention aux risques de réaction en chaîne, d'un secteur à un autre, d'une économie développée à une autre. Je suis très attentivement la situation américaine, parce que j'estime que le risque est réel pour les économies européennes et pour l'économie française en particulier.

S'agissant de la TICPE, les recettes destinées aux énergies renouvelables seront évidemment fragilisées. Il va de soi que le montant de ces recettes en 2020 ne sera pas équivalent à celui que nous avons connu ces dernières années. Nous devons réfléchir au dispositif à mettre en place au lendemain de la crise pour assurer le bon financement de la transition énergétique, à laquelle nous sommes profondément attachés, car celle-ci sera sans doute encore plus nécessaire qu'elle ne l'était auparavant.

Enfin, je plaide depuis des années pour la reconquête de parts de marché dans l'industrie. Cette crise ne va qu'accélérer la prise de conscience de la nécessité d'assurer notre indépendance en matière industrielle. Nous avions anticipé ce besoin, notamment dans le domaine des batteries électriques, en mettant en place, avec notre partenaire allemand, une filière de production européenne pour éviter de dépendre de la production chinoise ou sud-coréenne. Il faudra faire la même chose pour d'autres filières industrielles stratégiques. Cela prendra du temps et demandera des investissements mais cela me paraît tout à fait nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous terminons ce tour d'horizon sectoriel par l'agriculture.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Duplomb

Depuis deux ans, avec la crise des « gilets jaunes » et la crise du coronavirus, nous assistons à des événements sans précédent depuis des décennies. Nous devrions en tirer quelques enseignements.

Tout d'abord, la crise des « gilets jaunes » a montré que le niveau des prélèvements, sous quelque forme que ce soit - impôts, taxes, cotisations... - n'est plus tenable en France. Avec près de 45 % du PIB, nous avons plus qu'atteint la limite du supportable pour le contribuable.

La crise du coronavirus prouve que le fait d'avoir cherché, pendant des années, à externaliser sur d'autres continents la production de la plupart de nos biens de première nécessité par économie ou par manque de compétitivité nous rend très vulnérables, voire nous fait courir des risques insensés.

En résumé, à force de ne pas vouloir regarder les vrais problèmes de la France que sont les coûts beaucoup trop élevés de l'assistanat social et du train de vie de l'État, nous avons été amenés à rechercher des économies par millions d'euros sur l'hôpital, par exemple, ou à créer de nouvelles taxes, comme la taxe carbone, alors que les crises que ces recherches d'économies ont engendrées vont coûter des milliards d'euros.

Comment changer de politique, après cette crise, pour traiter les vrais problèmes de la France ? Les députés allemands viennent de voter un plan de relance de plus de 1 100 milliards d'euros, grâce à l'excédent budgétaire et à une dette publique deux fois moins importante que celle de la France. Comment allez-vous financer le plan de relance français ? Il y a pourtant un réel besoin dans de nombreuses filières agricoles, telles que l'horticulture, estimé entre 600 et 800 millions d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

La résilience de notre économie sera fonction des mesures de soutien que le Gouvernement a prises et de l'efficacité des plans de relance qui seront engagés. Dans la phase actuelle de la crise, les déficits se creusent et notre dette publique s'accumule. À plus long terme, le besoin d'argent sera considérable. Les experts nous disent même que la monétisation par le rachat des dettes publiques et privées limite l'inflation et que la question du remboursement de ces nouvelles dettes ne se pose pas vraiment, à court ni même à moyen terme. On a l'impression d'être entré dans une ère nouvelle, où ce qui n'était pas possible avant la pandémie est désormais le remède, sans effet négatif pour quiconque.

À défaut d'une Union européenne solidaire sur le Mécanisme européen de stabilité, la BCE a installé depuis quelques années une politique monétaire très accommodante de quantitative easing. Que pensez-vous de ce scénario financier où tout est permis parce que c'est nécessaire ? Est-il adapté à la situation actuelle ?

Pour la France, la pandémie a révélé deux grandes faiblesses économiques : une souveraineté nationale faible dans beaucoup de secteurs stratégiques et une décomposition extrême des chaînes de valeur, qui présente quelques avantages et beaucoup d'inconvénients. En quoi la pandémie du coronavirus va-t-elle infléchir votre politique économique et fiscale ? Envisagez-vous une réflexion sur la nature même de la croissance ? Sa dimension qualitative ne doit-elle pas être beaucoup mieux prise en compte ? Avec sa proposition de fonds européen de reconversion industrielle, Thierry Breton semble aller en ce sens.

Enfin, quelles conséquences durables anticipez-vous pour la France en matière de politique agricole et de politique agricole commune de l'Union européenne ?

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Nos entreprises agroalimentaires sont en ordre de bataille pour alimenter les Français, mais aussi pour valoriser les productions de nos agriculteurs, eux aussi fortement mobilisés. Vous avez annoncé la possibilité du versement d'une prime de 1 000 euros aux salariés, défiscalisée et exonérée de charges sociales. Dans l'agroalimentaire, 98 % des entreprises sont des TPE-PME. La conjoncture étant très variable selon les secteurs, un certain nombre d'entreprises ne sont pas en mesure de verser cette prime, tout en souhaitant valoriser l'action et l'engagement de leurs salariés. M. Darmanin avait annoncé la suspension du versement d'un certain nombre de charges sociales ; pourrait-on envisager, au-delà, une prise en charge de ces cotisations sociales par l'État, au mois d'avril et de mai, pour que les entreprises versent des salaires nets au niveau du salaire brut ?

Parmi les charges qui pèsent fortement sur les entreprises figure le surcoût actuel du transport et de la logistique - une augmentation de 30 %. Pour le transport des productions agricoles, pourrait-on envisager la gratuité des péages autoroutiers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Buis

Ma question porte sur la contribution des assurances à la crise sanitaire actuelle. Je suis assuré à la MAIF et j'ai reçu l'information que, compte tenu de la diminution du nombre d'accidents de la circulation, la MAIF allait reverser 100 millions d'euros à ses sociétaires. Ne pourrait-on pas envisager que cette somme soit employée différemment pour contribuer au redressement de la Nation ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Pour répondre à M. Duplomb, on ne fait pas de relance économique par l'augmentation des impôts. On a pu le faire dans le passé, ce qui nous a conduits à une pression fiscale vertigineuse, insupportable pour les ménages comme pour les entreprises. La relance économique sera indispensable. Je vous confirme que la France devrait connaître, en 2020, sa plus forte récession depuis 1945 - je vous ai indiqué tout à l'heure le chiffre de -2,2 % du PIB pour 2009, mais il avait même été corrigé par l'Insee à -2,9 %. Nous serons très au-delà de ces chiffres, ce qui montre combien nos perspectives sont peu encourageantes pour 2020 et vont demander la mobilisation de tous nos efforts. Le plan de relance devra donc être à la hauteur des nécessités éprouvées par un certain nombre de secteurs économiques.

En revanche, changer de politique n'est pas forcément la bonne option. L'agence Standard & Poor's vient de confirmer la note AA de la France, en estimant que les réformes économiques, budgétaires et structurelles réalisées par ce gouvernement ont amélioré la capacité de l'économie à affronter le choc temporaire actuel. C'est donc le travail très important de transformation de l'économie effectué avant la crise qui explique que notre note ne soit pas dégradée. Au lendemain de la crise, il faudra certainement réinventer notre économie, sans pour autant adopter des orientations contradictoires avec tout ce que nous avons défendu jusque-là.

Quand je dis que l'État doit venir au secours de certaines entreprises, protéger des secteurs industriels, je ne le fais pas sortir du rôle que je lui ai toujours attribué de protection de notre économie et de défense de nos intérêts stratégiques ; cela ne signifie pas pour autant que l'État va gérer, demain, toutes les entreprises commerciales de France. Ce serait aberrant et totalement contre-productif.

Il faudra donc, au lendemain de la crise, mettre en place une relance la plus efficace possible, financée essentiellement par de la croissance, soutenue par la BCE, dont la politique monétaire nous garantira des taux d'intérêt faibles, et soutenue également par ce fonds d'investissement européen que j'appelle de mes voeux, comme Thierry Breton et d'autres commissaires européens.

J'en viens aux observations de Franck Montaugé : ne donnons pas l'impression que nous redécouvrons la roue ! La crise sanitaire a mis en évidence des difficultés, notamment sur l'hôpital public. Tout le monde en a pris conscience et le Président de la République a annoncé que nous y répondrions de manière très forte après la crise. Nous constatons d'ailleurs que le modèle français a du bon, notamment dans la protection sanitaire de nos concitoyens et dans sa capacité à traiter chacun sur un pied d'égalité.

Mais la crise va aussi accélérer un certain nombre de transformations dont nous avions perçu la nécessité avant son déclenchement. J'ai été pendant trois ans le fervent défenseur de l'agriculture française au nom du principe de souveraineté alimentaire - je lui ai même consacré un livre il y a dix ans. Je n'ai pas changé d'avis sur cette question : j'ai toujours considéré qu'il fallait payer pour que notre agriculture nous garantisse une sécurité d'approvisionnement, parce que rien ne serait plus dangereux que de dépendre de l'approvisionnement étranger. Nous y perdrions notre culture, notre âme et notre sécurité alimentaire. Certains veulent réduire le budget de la PAC, parce que l'on pourrait trouver moins cher ailleurs, mais je combats ces fausses bonnes idées pour préserver l'indépendance stratégique agricole française.

Quand nous nous sommes aperçu que notre industrie automobile, qui fait aussi partie de notre culture et de nos intérêts stratégiques les plus essentiels, va basculer vers l'électrique et que notre approvisionnement en batteries provient à 90 % de la Chine et de la Corée du Sud, j'ai mis en place, il y a deux ans, avec mon homologue allemand, une filière de batteries électriques européenne. Nous ne découvrons donc pas maintenant cette idée de souveraineté économique, mais il faut accélérer sa mise en oeuvre.

Enfin, j'ai déjà dit que le capitalisme était dans une impasse, parce qu'il créait trop d'inégalités. Au début de janvier 2020, j'ai dit qu'il était indispensable de traiter la question des petits salaires. En effet, depuis la crise de 2008, ceux qui avaient un bon niveau de qualification et de rémunération ont vu leur salaire augmenter de façon significative et les entreprises ont parfaitement joué le jeu. Mais quand on examine le cas de ceux qui ont un niveau de qualification plus faible, qui sont dans une situation plus précaire, on s'aperçoit que leurs salaires sont ceux qui ont le moins augmenté depuis dix ans. Aujourd'hui, nous constatons que ce sont précisément ces salariés qui sont les plus essentiels à la Nation. Cela mérite que l'on se demande comment mieux valoriser ces métiers. Une fois encore, je l'ai dit en janvier.

Cette crise sanitaire ne fait qu'accélérer la remise en question d'un certain nombre de points du modèle capitaliste et la nécessité de le transformer.

Une dernière réflexion sur le caractère durable de notre économie : démanteler les chaînes de production dans tous les sens, avec des coûts sanitaires et environnementaux excessifs n'a pas de sens. Il faut réduire ces externalités négatives, ce qui suppose de mettre en place, aux frontières de l'Union européenne, une barrière qui serait une taxe carbone, pour frapper les produits qui ne sont pas réalisés dans les mêmes conditions environnementales que celles que nous défendons sur le territoire français et européen.

Les questions posées par Franck Montaugé sont absolument stratégiques et j'y réfléchis tous les jours.

Premièrement : comment sauver notre économie ? Comment sauver ces PME-TPE, ces indépendants ? C'est la première préoccupation du Gouvernement : protéger nos entreprises face à un choc d'une violence qui ne trouve pas de comparaison depuis la crise de 1929.

Deuxièmement : comment relancer notre économie ? Je vous appelle tous à participer à cette réflexion. Je pense que le mot clé de la relance de notre économie nationale sera « investissement » : investissement dans les secteurs sinistrés, investissement dans les secteurs industriels fragilisés.

Troisièmement : comment réinventer notre économie pour qu'elle corresponde aux attentes des Français ? Nous pouvons réinventer notre économie autour d'éléments que le Président de la République avait déjà mis en avant depuis plusieurs mois, dans le cadre du pacte productif : comment garantir notre souveraineté, une production industrielle durable ? Comment rester à la pointe des technologies ? Tous les jours, depuis le début de cette crise, je me pose ces trois questions.

Ce long développement me permet de répondre à la question de M. Menonville : l'agroalimentaire est typiquement un secteur où il va falloir réinventer. Ce secteur doit retrouver des marges de manoeuvre ; il a été fragilisé, mais on s'aperçoit qu'il est crucial pour notre vie quotidienne. Aujourd'hui, il n'y a pas de pénuries, mais quelques secteurs, comme la boulangerie industrielle, connaissent de fortes tensions. En ce qui concerne les exonérations de charges, nous sommes prêts, secteur par secteur, à examiner dans quel cas les reports de charges pourront se transformer en annulations.

J'en viens à la dernière question sur la MAIF : je salue la décision qui a été prise. Nous continuons à travailler avec les assureurs pour envisager comment ils pourraient davantage prendre part à la lutte contre cette crise économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Les questions posées par Franck Montaugé vont effectivement nous occuper pendant les mois qui viennent.

Nous passons à une dernière série de questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Laurent

Je préside le groupe d'études Vigne et vin. La filière viticole française, avant même la crise du Covid-19, était déjà touchée par la baisse de ses exportations, en particulier vers les États-Unis. Depuis le début de la crise, la commercialisation de la récolte de 2019 a brutalement chuté. Pour les vignerons, afin de préparer la prochaine récolte dans les meilleures conditions, il faut disposer de main-d'oeuvre et pouvoir la payer, alors même qu'ils n'ont plus de rentrées d'argent. Il n'est pas possible de mettre les salariés au chômage partiel en ce moment, vu le travail à accomplir.

Le report des cotisations sociales et les prêts garantis par l'État sont des mesures saluées, mais l'absence de chiffre d'affaires pour des entreprises déjà fragilisées doit conduire l'État à aller beaucoup plus loin. Cela sera-t-il le cas, et comment ?

La profession demande une prise en charge exceptionnelle des cotisations sociales pour les exploitants et les salariés des exploitations n'ayant plus de rentrées d'argent, le déplafonnement et la défiscalisation des heures supplémentaires pour faire face au manque de main-d'oeuvre, le report du versement de la contribution sociale généralisée et des droits d'accise - refusé au motif que les intéressés devraient se rapprocher de l'administration : il serait nécessaire qu'une mesure globale applicable collectivement soit mise en place.

Les reports de prélèvements et le recours aux prêts garantis par l'État ne suffiront pas. Les vignerons qui ont déjà largement eu recours à l'emprunt pour financer des investissements sont confrontés au paiement d'intérêts intercalaires en cas de demande de report d'échéance. L'État doit donc prendre des dispositions permettant aux banques de renoncer au recouvrement de ces intérêts intercalaires. S'agissant de l'accès des exploitations viticoles aux prêts de trésorerie, le dispositif de Bpifrance, avec les prêts Rebond et Atout, semble exclure les entreprises agricoles ayant un chiffre d'affaires inférieur à 750 000 euros. Les caves coopératives pourraient ne pas y être éligibles non plus.

Nous avons tous oeuvré pour protéger les agriculteurs en créant l'épargne de précaution, mise en place dans le cadre du budget de l'État. Il serait intelligent de réfléchir à défiscaliser la réintégration de cette épargne de précaution ponctuelle, qui pourrait aider les entreprises agricoles après cette crise.

Il y aussi une demande de maintien des couvertures de l'assurance crédit, qui est l'objet même de la garantie offerte par l'État, certains assureurs réduisant les encours garantis ou annulant certains contrats, contribuant ainsi au ralentissement de l'activité et à la déstabilisation des relations commerciales entre les entreprises du secteur viticole et leurs clients.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Labbé

Il faut sortir d'urgence de cette crise, mais il faut aussi anticiper le plan de relance en prenant en compte les autres urgences, en particulier climatique. Monsieur le ministre, envisagez-vous de faire du respect des engagements climatiques, une condition à l'octroi des aides publiques dans le plan de relance ?

Pour la souveraineté alimentaire, il faut parler des territoires, où nous avons besoin de politiques volontaristes.

Enfin, un cas particulier : dans les Côtes-d'Armor, l'usine de Plaintel fabriquait des masques depuis des décennies, 200 millions d'unités par an jusqu'en 2011, date de son rachat par Honeywell - lequel a amorcé la chute de l'usine historique, jusqu'à sa fermeture en 2018. La production ne s'est pas remise, en particulier, du fait que l'État a cessé de lui passer commande de quelque 80 millions de masques par an. Les acteurs de terrain posent aujourd'hui cette question : alors que nous manquons dramatiquement de masques de protection, ne serait-il pas possible de relancer une unité de production sur ce territoire, où les compétences sont encore présentes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Magras

Nous rencontrons à Saint-Barthélemy un problème très concret d'accès au fonds de solidarité, car la procédure oblige les entreprises à enregistrer leur demande d'aide sur le site impots.gouv.fr. Or, Saint-Barthélemy étant une collectivité à fiscalité propre, les entreprises, en particulier les TPE, n'ont pas d'espace personnel sur le site gouvernemental, ce qui les empêche d'accéder au fonds. À l'échelle de notre territoire, les conséquences sont très importantes, car ces petites entreprises comptent beaucoup dans l'économie de l'île. Monsieur le ministre, ce point de blocage vous est-il remonté ? Prévoyez-vous une procédure spécifique ? Ou bien ne pensez-vous pas que la collectivité de Saint-Barthélemy puisse instruire elle-même les demandes, soit directement soit via la chambre économique multi-professionnelle ? Les collectivités de Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna sont dans la même situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Des petites entreprises, des artisans, des commerçants nous disent que les assurances ne jouent pas le jeu, qu'elles trouvent moyen de limiter leur soutien : comment faire pour que les assureurs jouent pleinement leur rôle ? La question se pose d'autant plus que les compagnies d'assurance vont dépenser moins dans cette période, ayant moins de sinistres à couvrir, c'est ce que démontre l'initiative de la MAIF. Ensuite, je tiens à remercier vos services, monsieur le ministre, pour la rapidité avec laquelle ils apportent des réponses à nos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Vous nous dites, monsieur le ministre, que la grande distribution a joué le jeu ; certes, mais les prix augmentent, chacun le constate dans les grandes surfaces. Est-ce normal, surtout quand les Français vont devoir faire davantage d'efforts, dès lors que leurs revenus vont baisser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Férat

Le Gouvernement a annoncé une aide forfaitaire de 1 500 euros aux TPE, mais le décret ne mentionne pas ce chiffre explicitement. Ce montant n'est pas élevé, comparé à ce qui se passe en Belgique, avec 4 000 euros, ou en Allemagne, avec 9 000 euros, sans compter les dispositifs d'accompagnement qui s'y ajoutent. Nos TPE peuvent-elles au moins compter sur ce versement forfaitaire de 1 500 euros ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Monsieur le ministre, je suis heureuse de vous entendre remettre en cause le modèle capitaliste, cela nous promet de beaux débats. Vous optez pour une politique de l'offre, par l'investissement, mais bien des économistes soulignent le problème du pouvoir d'achat, en particulier pour les ménages modestes, donc l'utilité d'une politique de relance par la demande. Les pistes ne manquent pas, par exemple l'extension de la TVA à 0 % sur tous les produits de première nécessité, une conférence sociale avec les partenaires sociaux pour définir la répartition des moyens entre investissement et pouvoir d'achat, une politique forte d'incitation au made in France...

Nous connaissons les difficultés criantes de nos horticulteurs, mais cela n'empêche pas des enseignes comme Leader Price et Lidl de s'approvisionner massivement en fleurs aux Pays-Bas : envisagez-vous de leur faire signer une charte de bonne conduite ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Conconne

J'ai été agréablement surprise par la réactivité du Gouvernement dans cette crise - je le dis sans détour, vous savez que je ne partage pas la ligne politique du Gouvernement, mais j'essaie toujours d'être juste. Le fonds de solidarité, en particulier, est un signal utile, positif.

Chacun sait ici que nos collectivités territoriales vivent de recettes fiscales, souvent indexées sur la consommation. C'est le cas en particulier de l'octroi de mer, qui a un impact direct sur les entrées de marchandises, ou encore de la taxe sur les carburants - certaines collectivités tirent jusqu'à 60 % de leurs recettes de ces taxes directement liées à la consommation. Maintenant que la consommation stagne ou s'arrête, imaginez le séisme budgétaire pour ces collectivités, pour les territoires, si les pertes n'étaient pas compensées : il faut y veiller. Enfin, s'il est légitime de faire dépendre l'aide publique du non versement de dividendes, il faut apprécier les effets sur les politiques d'investissement dans certains territoires : qu'en est-il ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sylviane Noël

Vous avez souligné, monsieur le ministre, que les aides publiques ne devaient pas nourrir des effets d'aubaine, c'est bien légitime, mais ce que nous constatons, c'est que des TPE très en difficulté se voient refuser des prêts de trésorerie par leurs banques, alors qu'elles doivent avancer des salaires. Je déplore que des banques ne jouent pas davantage le jeu, alors que Bpifrance garantit leurs avances et qu'elles ne courent guère de risque à aider ces petites entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Denise Saint-Pé

Comme dans toute période de crise, nous constatons que des personnes contournent la loi et que des entreprises aussi, celles-ci en sollicitant des aides publiques pour du chômage partiel tout en faisant télétravailler leurs salariés. Quelles mesures de contrôle prenez-vous pour éviter ces exactions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

La loi dite d'urgence sanitaire prévoit deux mesures importantes pour aider les entreprises ou les ménages à faire face à leurs dépenses d'énergie : un étalement ou un report des factures d'électricité et de gaz pour les locaux professionnels des micro-entreprises ; la prolongation de deux mois de la trêve hivernale, interdisant sur cette période la coupure de la fourniture de ces énergies en cas d'impayés. Cependant, quel sera leur impact sur la trésorerie de nos énergéticiens, dont la situation financière est d'ores et déjà très éprouvée par la chute globale du prix de l'énergie ? Disposez-vous d'éléments chiffrés à nous communiquer ? Si nécessaire, les énergéticiens feront-ils l'objet d'un soutien de la part de l'État ? Les éventuels impayés seront-ils pris en charge par lui au titre de la solidarité nationale ?

Compte tenu des conséquences humaines, sociales et économiques de la crise, l'absence de distribution de dividendes aux actionnaires est une bonne chose. Les syndicats d'Engie ont demandé que l'entreprise, dont l'État est actionnaire, ne verse pas de dividendes pour 2019, et pas seulement pour 2020 ; ils nous disent vous avoir écrit dans ce sens, monsieur le ministre : quelle est votre réponse ?

La crise actuelle, enfin, n'est-elle pas propice à ce que l'on écarte des projets qui divisent, en particulier le plan de restructuration « Hercule » ? Quelle est votre intention sur ce sujet, monsieur le ministre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je vous transmets l'inquiétude de Mme Catherine Procaccia vis-à-vis des quelque mille ruptures de contrat sans mise au chômage par la société Disney : qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Debut de section - Permalien
Bruno Le Maire, ministre

Un rendez-vous téléphonique imminent avec l'un de mes homologues européens m'oblige à être très succinct.

Sur les prêts pour l'agriculture, nous regarderons les dossiers avec Didier Guillaume, très précisément et au cas par cas, en particulier pour le secteur viticole.

Nous avons entendu la demande exprimée par Joël Labbé pour son territoire ; cependant, dès lors qu'il n'y a plus de machine-outil sur le site, ni même sur le marché puisque les machines de ce type ne sont plus fabriquées, il aurait été très long d'en installer, bien plus long que de reconvertir des lignes de production qui tournent, comme nous l'avons fait avec des lignes de production de textile - je salue l'engagement des industriels à ce titre.

L'accès au site gouvernemental impots.gouv.fr pose effectivement un problème dans les territoires à fiscalité propre, nous allons trouver une solution avec Gérald Darmanin.

Je fais entièrement miens les appels à ce que les assureurs s'engagent davantage, nous y travaillons chaque jour - le président d'Axa, par exemple, est prêt à travailler sur un dispositif sanitaire spécifique : il faut saisir la balle au bond.

Je suis de très près, au quotidien, les prix dans la grande distribution : nous ne constatons pas de fortes augmentations des prix alimentaires ; celles que nous constatons jusqu'à aujourd'hui sont liées au prix du transport, qui se renchérit du fait que les charges ne sont pas toujours pleines ; et au fait que l'approvisionnement est plus souvent en produits français, de meilleure qualité. Si nous constations une augmentation indue des prix, nous réagirions immédiatement.

Le fonds de solidarité verse un forfait de 1 500 euros, mais à la condition que la perte atteigne effectivement ce seuil : si la perte est moindre, il est normal que le forfait s'aligne, ou bien l'argent public serait mal employé. L'aide est bien forfaitaire, elle vise les entreprises réalisant moins de 1 million d'euros de chiffre d'affaires et employant moins de 10 salariés, elle se monte à 1 500 euros, qui vous sont versés automatiquement et immédiatement dès lors que votre entreprise est fermée ou bien que vous avez perdu au moins la moitié de votre chiffre d'affaires, exception faite des cas où votre perte est en-deçà de ce forfait. La comparaison avec nos voisins doit être complète : nous disposons d'une aide supplémentaire de 2 000 euros, versée au cas par cas à l'échelon régional, nous sommes prêts à l'améliorer ; il faut compter également les reports de charges. Au total, puisque nous reconduisons ces aides un deuxième mois, nous ne sommes pas loin des 15 000 euros versés sur trois mois en Allemagne.

Sur le plan de la stratégie, je vous accorde que ma priorité va effectivement à l'investissement, ce qui ne nous empêchera pas d'examiner des mesures précises visant la demande. L'horticulture connaît une situation de crise grave, c'est ce qui a motivé l'ouverture à la vente dans les magasins qui ont aussi une animalerie.

Gérald Darmanin a annoncé la suspension de l'octroi de mer sur les matériels de santé, et nous devrons effectivement suivre de très près la situation spécifique outre-mer, où les territoires vont aussi souffrir du recul du tourisme. Je rappelle que nous surveillons déjà de très près l'évolution des prix agricoles.

Sur les prêts garantis par l'État, le médiateur du crédit est l'institution à saisir en cas de difficulté. Sur l'ensemble des aides publiques actuellement mobilisées, nous assurons et continuerons d'assurer un contrôle vigilant, en particulier après le versement.

Enfin, Engie a supprimé le versement de dividendes à ses actionnaires pour 2020, répondant ainsi à vos attentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci, monsieur le ministre, pour votre disponibilité. Nous avons devant nous de beaux débats politiques, sur le fond et dans le détail. Nous vous adresserons par écrit les questions auxquelles vous n'avez pas eu le temps de répondre complètement.