Intervention de Bruno Le Maire

Commission des affaires économiques — Réunion du 6 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances en téléconférence

Bruno Le Maire, ministre :

Pour répondre à M. Duplomb, on ne fait pas de relance économique par l'augmentation des impôts. On a pu le faire dans le passé, ce qui nous a conduits à une pression fiscale vertigineuse, insupportable pour les ménages comme pour les entreprises. La relance économique sera indispensable. Je vous confirme que la France devrait connaître, en 2020, sa plus forte récession depuis 1945 - je vous ai indiqué tout à l'heure le chiffre de -2,2 % du PIB pour 2009, mais il avait même été corrigé par l'Insee à -2,9 %. Nous serons très au-delà de ces chiffres, ce qui montre combien nos perspectives sont peu encourageantes pour 2020 et vont demander la mobilisation de tous nos efforts. Le plan de relance devra donc être à la hauteur des nécessités éprouvées par un certain nombre de secteurs économiques.

En revanche, changer de politique n'est pas forcément la bonne option. L'agence Standard & Poor's vient de confirmer la note AA de la France, en estimant que les réformes économiques, budgétaires et structurelles réalisées par ce gouvernement ont amélioré la capacité de l'économie à affronter le choc temporaire actuel. C'est donc le travail très important de transformation de l'économie effectué avant la crise qui explique que notre note ne soit pas dégradée. Au lendemain de la crise, il faudra certainement réinventer notre économie, sans pour autant adopter des orientations contradictoires avec tout ce que nous avons défendu jusque-là.

Quand je dis que l'État doit venir au secours de certaines entreprises, protéger des secteurs industriels, je ne le fais pas sortir du rôle que je lui ai toujours attribué de protection de notre économie et de défense de nos intérêts stratégiques ; cela ne signifie pas pour autant que l'État va gérer, demain, toutes les entreprises commerciales de France. Ce serait aberrant et totalement contre-productif.

Il faudra donc, au lendemain de la crise, mettre en place une relance la plus efficace possible, financée essentiellement par de la croissance, soutenue par la BCE, dont la politique monétaire nous garantira des taux d'intérêt faibles, et soutenue également par ce fonds d'investissement européen que j'appelle de mes voeux, comme Thierry Breton et d'autres commissaires européens.

J'en viens aux observations de Franck Montaugé : ne donnons pas l'impression que nous redécouvrons la roue ! La crise sanitaire a mis en évidence des difficultés, notamment sur l'hôpital public. Tout le monde en a pris conscience et le Président de la République a annoncé que nous y répondrions de manière très forte après la crise. Nous constatons d'ailleurs que le modèle français a du bon, notamment dans la protection sanitaire de nos concitoyens et dans sa capacité à traiter chacun sur un pied d'égalité.

Mais la crise va aussi accélérer un certain nombre de transformations dont nous avions perçu la nécessité avant son déclenchement. J'ai été pendant trois ans le fervent défenseur de l'agriculture française au nom du principe de souveraineté alimentaire - je lui ai même consacré un livre il y a dix ans. Je n'ai pas changé d'avis sur cette question : j'ai toujours considéré qu'il fallait payer pour que notre agriculture nous garantisse une sécurité d'approvisionnement, parce que rien ne serait plus dangereux que de dépendre de l'approvisionnement étranger. Nous y perdrions notre culture, notre âme et notre sécurité alimentaire. Certains veulent réduire le budget de la PAC, parce que l'on pourrait trouver moins cher ailleurs, mais je combats ces fausses bonnes idées pour préserver l'indépendance stratégique agricole française.

Quand nous nous sommes aperçu que notre industrie automobile, qui fait aussi partie de notre culture et de nos intérêts stratégiques les plus essentiels, va basculer vers l'électrique et que notre approvisionnement en batteries provient à 90 % de la Chine et de la Corée du Sud, j'ai mis en place, il y a deux ans, avec mon homologue allemand, une filière de batteries électriques européenne. Nous ne découvrons donc pas maintenant cette idée de souveraineté économique, mais il faut accélérer sa mise en oeuvre.

Enfin, j'ai déjà dit que le capitalisme était dans une impasse, parce qu'il créait trop d'inégalités. Au début de janvier 2020, j'ai dit qu'il était indispensable de traiter la question des petits salaires. En effet, depuis la crise de 2008, ceux qui avaient un bon niveau de qualification et de rémunération ont vu leur salaire augmenter de façon significative et les entreprises ont parfaitement joué le jeu. Mais quand on examine le cas de ceux qui ont un niveau de qualification plus faible, qui sont dans une situation plus précaire, on s'aperçoit que leurs salaires sont ceux qui ont le moins augmenté depuis dix ans. Aujourd'hui, nous constatons que ce sont précisément ces salariés qui sont les plus essentiels à la Nation. Cela mérite que l'on se demande comment mieux valoriser ces métiers. Une fois encore, je l'ai dit en janvier.

Cette crise sanitaire ne fait qu'accélérer la remise en question d'un certain nombre de points du modèle capitaliste et la nécessité de le transformer.

Une dernière réflexion sur le caractère durable de notre économie : démanteler les chaînes de production dans tous les sens, avec des coûts sanitaires et environnementaux excessifs n'a pas de sens. Il faut réduire ces externalités négatives, ce qui suppose de mettre en place, aux frontières de l'Union européenne, une barrière qui serait une taxe carbone, pour frapper les produits qui ne sont pas réalisés dans les mêmes conditions environnementales que celles que nous défendons sur le territoire français et européen.

Les questions posées par Franck Montaugé sont absolument stratégiques et j'y réfléchis tous les jours.

Premièrement : comment sauver notre économie ? Comment sauver ces PME-TPE, ces indépendants ? C'est la première préoccupation du Gouvernement : protéger nos entreprises face à un choc d'une violence qui ne trouve pas de comparaison depuis la crise de 1929.

Deuxièmement : comment relancer notre économie ? Je vous appelle tous à participer à cette réflexion. Je pense que le mot clé de la relance de notre économie nationale sera « investissement » : investissement dans les secteurs sinistrés, investissement dans les secteurs industriels fragilisés.

Troisièmement : comment réinventer notre économie pour qu'elle corresponde aux attentes des Français ? Nous pouvons réinventer notre économie autour d'éléments que le Président de la République avait déjà mis en avant depuis plusieurs mois, dans le cadre du pacte productif : comment garantir notre souveraineté, une production industrielle durable ? Comment rester à la pointe des technologies ? Tous les jours, depuis le début de cette crise, je me pose ces trois questions.

Ce long développement me permet de répondre à la question de M. Menonville : l'agroalimentaire est typiquement un secteur où il va falloir réinventer. Ce secteur doit retrouver des marges de manoeuvre ; il a été fragilisé, mais on s'aperçoit qu'il est crucial pour notre vie quotidienne. Aujourd'hui, il n'y a pas de pénuries, mais quelques secteurs, comme la boulangerie industrielle, connaissent de fortes tensions. En ce qui concerne les exonérations de charges, nous sommes prêts, secteur par secteur, à examiner dans quel cas les reports de charges pourront se transformer en annulations.

J'en viens à la dernière question sur la MAIF : je salue la décision qui a été prise. Nous continuons à travailler avec les assureurs pour envisager comment ils pourraient davantage prendre part à la lutte contre cette crise économique.

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