Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, pour échanger autour de l'impact de la crise du coronavirus sur la politique de transition écologique, en général, et sur la politique énergétique, en particulier.
Le week-end dernier, la Convention citoyenne pour le climat devait se réunir pour la dernière fois. Ce rendez-vous avait pour vocation d'impulser le « tournant vert » du quinquennat. La gestion de l'épidémie est évidemment venue perturber ce processus.
La priorité est aujourd'hui d'assurer les services essentiels : l'énergie, l'eau, les déchets, les transports. Les soignants sont en première ligne, mais pour que les hôpitaux fonctionnent, ces services sont vitaux.
S'agissant de l'énergie, qui est au coeur des compétences de notre commission, les mesures de confinement ont un effet direct sur les acteurs de la filière : des grands énergéticiens aux petits détaillants. À terme, c'est notre capacité à atteindre les objectifs de la transition énergétique qui est en cause. L'enjeu de cette audition, c'est de connaître votre stratégie pour maintenir ce cap.
Je souhaiterais donc vous faire part de quatre interrogations.
Je voudrais commencer par évoquer nos énergéticiens, en général.
Nous le savons, cette crise les soumet à rude épreuve.
D'une part, ils doivent poursuivre leurs activités de production, de fourniture ou de transport d'énergie, indispensables à la vie de la nation, en recourant à leurs plans de continuité d'activité.
Quel est votre avis sur la mise en oeuvre de ces plans ? Nos énergéticiens disposent-ils des équipements de protection sanitaire en quantité suffisante pour leurs salariés ? Pouvez-vous nous rassurer sur la capacité à garantir la fourniture d'énergie ?
D'autre part, nos énergéticiens sont confrontés à une chute massive et globale du prix de l'énergie, pour partie imputable à la baisse de la demande nationale et mondiale. Ainsi, par rapport à l'an passé, le cours du pétrole est en baisse de 60 % et celui du gaz de 40 %.
Ces prix très faibles érodent la rentabilité et la profitabilité des énergéticiens, et donc à terme leur capacité d'investissement.
Dans ce contexte, les opérateurs réduisent leurs investissements : Total Direct Énergie a annoncé réduire ceux-ci de 3 milliards d'euros et un plan d'économies de 800 millions d'euros ; quant à EDF, le groupe juge nécessaire une remise à plat des opérations de maintenance des centrales nucléaires existantes.
Quel est votre avis sur cette succession d'annonces ? Pouvez-vous nous rassurer sur la santé financière de nos énergéticiens ? Anticipez-vous une réduction ou un retard de leurs programmes d'investissement ?
Enfin, nos énergéticiens sont également confrontés aux conséquences des ordonnances issues de la loi d'urgence sanitaire, qui prévoient un report des factures d'électricité ou de gaz ainsi qu'un allongement de la trêve hivernale, interdisant les coupures de ces énergies en cas d'impayés.
Quel est l'impact de ces mesures sur la trésorerie des fournisseurs d'énergie ?
La deuxième interrogation porte sur EDF, en particulier.
Avant la crise, nous avions devant nous : la finalisation du projet « Hercule » mi-2020, l'élaboration d'un programme de travail sur le renouvellement du parc nucléaire mi-2021, la fermeture des quatorze réacteurs nucléaires - dont ceux de Fessenheim de février à juin 2020 - pour réduire à 50 % la part de la production d'énergie nucléaire d'ici à 2035.
Ces échéances sont-elles maintenues ? Le contenu même de ces projets ou orientations va-t-il devoir évoluer, sous l'effet de la crise du coronavirus ?
Dans le même ordre d'idées, qu'en est-il de la réforme de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), pour lequel votre ministère a engagé une consultation au début de l'année ?
Certains fournisseurs alternatifs ont demandé l'activation de la « clause de force majeure », ce qui leur permettrait de cesser de s'approvisionner par ce mécanisme, au prix de 42 euros le mégawattheure (MWh), pour le faire directement sur le marché, au prix de 21 euros.
Dans sa délibération du 26 mars dernier, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a exclu une activation globale de cette clause, tout en envisageant son invocation à titre exceptionnel. Un recours a été introduit par les fournisseurs alternatifs à l'encontre de cette délibération.
Quel est votre avis sur les demandes des fournisseurs alternatifs ? Le projet de réforme l'Arenh va-t-il devoir être révisé, dans son contenu ou son calendrier, pour prendre en compte la crise du coronavirus ? Dans l'intervalle, doit-on s'attendre à une modification du plafonnement ou du prix de l'Arenh ?
Troisièmement, je voudrais connaître votre sentiment sur les conséquences de la crise sur la transition énergétique ?
Nous vous avions auditionnée, à la mi-février, sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) : où en est la publication de ces documents et vont-ils devoir être revus à l'aune de la crise du coronavirus ?
De son côté, la Convention citoyenne sur le climat a annoncé la suspension de ses travaux en présentiel, qui devaient se clore en juin prochain.
Quand pourront-ils aboutir ? Est-il encore matériellement possible que les conclusions de cette convention, notamment pour ce qui concerne la « fiscalité carbone », soient intégrées à la PPE ou à la prochaine loi de finances ? Quid du référendum à choix multiples évoqué par le Président de la République ?
En conclusion, j'aimerais connaître votre opinion sur le rôle que pourrait jouer la transition énergétique en tant que levier de sortie de crise.
Dans une tribune publiée le 14 mars dernier, le directeur général de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a appelé les gouvernements à « mettre l'énergie propre au coeur des plans de relance pour contrer le coronavirus ».
Comment comptez-vous utiliser la transition énergétique comme un levier pour sortir de la crise économique ?
Je ne résiste pas enfin à vous poser deux questions relatives aux transports, qui sont dans tous les esprits : qu'allez-vous faire pour Air France, qui assure vingt vols par jour contre deux mille habituellement ? Quel est l'impact de la crise sur la SNCF, qui fait circuler quarante TGV par jour contre sept cents habituellement ?
Je vous propose de répondre dès maintenant à ces questions, puis à celles que vous poseront les sénateurs « pilotes » sur l'énergie - MM. Daniel Gremillet, Roland Courteau et Daniel Dubois - et le logement - Mmes Dominique Estrosi Sassonne et Annie Guillemot - ainsi que les autres commissaires.