Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de cette invitation. Je pense qu'il est utile et important de répondre à vos interrogations et d'entendre vos retours du terrain, toujours très précieux.
Nous vivons une période totalement inédite ; à la crise sanitaire s'ajoute une crise économique sans précédent et sans perspective connue - à ce stade - de retour à la normale. Dans ce contexte, je voudrais rendre hommage aux salariés qui continuent à être sur le terrain tous les jours : si nous avons de l'eau, de l'électricité, du gaz, si les ordures ménagères sont collectées, si les supermarchés et hôpitaux sont approvisionnés, c'est parce que des gens sont au travail dans ces secteurs. Mon rôle, et celui de mes secrétaires d'État, est de veiller à la continuité de ces activités essentielles et de protéger cette « deuxième ligne ».
Maintenir la vie économique du pays, c'est en particulier veiller à l'interdépendance de nos activités, dont on ne s'aperçoit pas en temps normal. Par exemple, nous avons besoin de la collecte des déchets verts pour la méthanisation des boues dans les stations d'épuration ; nous avons besoin des cimenteries pour incinérer les farines animales issues des opérations d'équarrissage ; nous avons besoin des centres de tri pour que l'industrie agroalimentaire dispose d'emballages pour ses produits et que les chaînes d'approvisionnement ne soient pas rompues. Cette interdépendance concerne les donneurs d'ordres, comme les sous-traitants, dont la pleine coopération sera cruciale pour le redémarrage de l'économie.
Maintenir la vie économique du pays, c'est aussi préserver le dialogue avec les territoires. Depuis le début de la crise, j'ai pris soin d'associer à l'ensemble de nos réflexions les collectivités territoriales et leurs associations, tant leur rôle est central - vous le savez - dans la mobilité, la distribution d'énergie ou le service public de l'eau et des déchets.
Je souhaiterais vous présenter quelques éléments sur la situation des principaux secteurs dont j'ai la charge.
Nous avons volontairement réduit l'offre de transport de voyageurs longue distance. Le trafic de la SNCF est effectivement très bas : seuls 6 % des TGV circulent, 8 % des Intercités, 15 % des TER et 26 % des Transilien. Les offres de transport urbain ont aussi beaucoup baissé : la RATP fait rouler 30 % des bus, 40 % des tramways et 30 % des métros. En région, l'offre de transport varie de 10 % à 30 % en moyenne.
Le trafic aérien - la présidente l'a évoqué - a baissé de 95 % en France et on anticipe une baisse de 50 % sur l'année, ces chiffres devant être actualisés en fonction des conditions de sortie de crise. L'impact est très important sur les entreprises du secteur, y compris les plus grandes. Nous sommes très attentifs au soutien accordé à l'ensemble de ces entreprises, la situation d'Air France, dont l'État est actionnaire, nécessitant une vigilance particulière. Il est trop tôt pour préjuger des réponses qui pourront être apportées mais Air France bénéficie déjà des dispositions générales, qu'il s'agisse de l'activité partielle - à laquelle l'entreprise recourt largement - ou des garanties de prêt. Nous travaillons sur ces leviers avec le ministre de l'économie et des finances.
S'agissant de la SNCF, sa trajectoire économique avait déjà été très secouée par les grèves de fin 2019-début 2020. Compte tenu du niveau d'activité actuel du transport de voyageurs, il faudra redéfinir avec ses dirigeants une nouvelle trajectoire. Il est trop tôt pour redéfinir ces perspectives mais cela fait partie des travaux à mener en sortie de crise.
Le fret ferroviaire se maintient à un bon niveau, en comparaison avec d'autres secteurs, de l'ordre de 60 % de son activité habituelle. L'activité du transport routier de marchandise demeure très soutenue ; les entreprises de la logistique relèvent un impact modéré sur le transport intra-européen malgré des ralentissements à certains passages de frontières. Le secteur a dû réorganiser toutes les chaînes d'approvisionnement et il faut rendre hommage aux salariés.
On observe une baisse de la production des déchets non dangereux, toutes activités confondues. Le tonnage des déchets d'activité économique a baissé de 50 %, ce qui donne une indication de la situation économique du secteur industriel en particulier... Les collectes d'ordures ménagères se poursuivent sans difficulté majeure, même si le taux d'absentéisme a doublé. La majorité des déchetteries sont fermées, seules quelques collectivités territoriales les ayant maintenues ouvertes pour les artisans ou leurs services techniques, afin d'éviter les dépôts sauvages. En outre, 40 % des centres de tri d'emballages sont fermés, la situation s'améliorant dans certaines régions grâce à l'action des préfets.
Les opérateurs de l'eau et de l'assainissement fonctionnent normalement dans le cadre de leurs « plans de continuité d'activité ».
Pour ce qui concerne le secteur de l'énergie, qui intéresse tout particulièrement votre commission, j'échange en permanence avec tous les acteurs du secteur : le nucléaire, le gaz, les énergies renouvelables, la chaleur, les réseaux d'électricité et, prochainement, le secteur pétrolier.
Le premier constat est que l'approvisionnement et la distribution d'énergie se poursuivent sans difficulté majeure - je dirais même, de façon satisfaisante. Tous les opérateurs disposent de « plans de continuité d'activité » pour satisfaire les besoins indispensables. Ces plans ont été instantanément activés. Cela démontre le grand professionnalisme de tous nos opérateurs. Dans le secteur de l'énergie, comme dans les autres secteurs essentiels, ces plans, conçus au moment des épisodes de pandémie grippale, ont permis d'adapter les conditions de travail et d'assurer la continuité de l'activité.
La consommation globale d'électricité a diminué d'environ 15 %, avec des disparités selon les secteurs : - 25 % dans l'industrie, - 75 % dans le transport ferroviaire. On constate une légère hausse dans le résidentiel ; on peut en conclure que les dispositifs de chauffage fonctionnent même quand les gens ne sont pas chez eux...
Le secteur pétrolier s'adapte à la baisse significative de la demande de tous les produits, sauf le fioul domestique. La sécurité d'approvisionnement est bien garantie et les stocks sont à un haut niveau. La demande de carburants reste très faible et a diminué de près de 80 % sur certains produits. Compte tenu de la faible affluence dans les stations-service, certains opérateurs ont réduit les heures d'ouverture. Nous nous assurons en permanence qu'un nombre suffisant de stations sont ouvertes pour l'approvisionnement des transporteurs routiers.
Le secteur gazier fonctionne toujours bien et la continuité de l'activité, à court et moyen termes, est assurée. Les approvisionnements se poursuivent et le remplissage des stockages a commencé, ce qui permettra d'avoir une bonne disponibilité pour l'hiver prochain.
Une composante essentielle de la sécurité d'approvisionnement en électricité repose sur le bon fonctionnement du parc nucléaire. À court terme, EDF a pris les mesures nécessaires pour maintenir la capacité d'exploitation des centrales et le niveau de disponibilité de son parc est satisfaisant et sécurisé au regard de la demande. À moyen terme, l'enjeu important est de minimiser les perturbations sur le programme industriel des arrêts pour rechargement ou maintenance des centrales, afin d'assurer une bonne disponibilité, en particulier pour l'hiver prochain. Nous travaillons très étroitement avec EDF, en lien avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), aux adaptations qui peuvent être apportées au programme d'arrêt de tranches. Enfin, nous suivons avec beaucoup attention l'approvisionnement, l'évacuation ou l'entreposage des combustibles nucléaires, en lien étroit avec Orano et Framatome.
S'agissant des énergies renouvelables, la difficulté la plus immédiate est liée à l'arrêt des chantiers. C'est pourquoi nous avons pris des mesures pour que ces projets ne soient pas pénalisés, en accordant des délais supplémentaires par rapport à ce qui était prévu dans les contrats d'achat, sans pénalité de retard. Certains exploitants d'installations de biogaz rencontrent aussi des difficultés d'approvisionnement de leurs méthaniseurs : nous étudions avec eux la possibilité de suspendre temporairement les contrats d'achat pour ne pas les pénaliser.
L'approvisionnement en chaleur et en froid est assuré, aussi bien celui des établissements de santé, des établissements d'hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad) ou des chaufferies des réseaux de chaleur et des autres bâtiments. Les approvisionnements en combustible pour le chauffage collectif et individuel sont également garantis.
Au-delà de ces enjeux de court et de moyen termes, la crise provoque des perturbations majeures sur les marchés de l'énergie dont nous n'avons pas fini de mesurer les conséquences. Le prix du pétrole - la présidente l'a indiqué - a chuté depuis le début de l'année de plus de 75 %, le baril de pétrole étant passé sous la barre des 30 dollars le 16 mars et des 15 dollars les 31 mars et 1er avril. Les prix des carburants suivent cette évolution : entre la fin janvier et la fin mars, le prix moyen au litre de l'essence et du gazole a baissé de 20 centimes. Le prix du gaz naturel a baissé de 20 % sur les marchés spot et les marchés à terme pour les livraisons en 2020, les baisses étant comprises entre 5 % et 15 % pour les livraisons plus lointaines en 2021, 2022 et 2023.
Les prix sur les marchés spot de l'électricité se sont effondrés, à 20 euros le MWh contre 34 euros à la même période l'an dernier. Sur les marchés à terme, le prix est passé sous la barre des 30 euros, même s'il remonte.
Quelles sont les conséquences de tous ces bouleversements ? Il est encore trop tôt pour en tirer les conséquences et réfléchir à des mécanismes correctifs. On anticipe évidemment une baisse de revenus pour les fournisseurs d'énergie, qui aura sans doute un impact sur leurs investissements. Nous sommes également attentifs à la situation des opérateurs. C'est pourquoi une des ordonnances prévoit d'ouvrir le bénéfice de l'activité partielle aux agents sous le statut des industries électriques et gazières (IEG). Cela permettra à nos grandes entreprises, comme Engie ou EDF, de recourir à cette activité partielle, qui est importante pour éviter un impact trop fort sur leur situation économique.
Ces bouleversements ont également une incidence sur la compétitivité des projets d'énergie renouvelable (EnR), compte tenu de la baisse relative du prix des énergies fossiles. Ce contexte a forcément une répercussion sur les budgets publics, avec à la fois une baisse du produit des droits d'accise sur les produits énergétiques et un renchérissement des dépenses de soutien aux EnR.
Pour autant, nous maintenons le cap de notre PPE et de notre SNBC : la crise sanitaire n'efface pas la crise climatique et écologique. La poursuite de la décarbonation et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) est indispensable. Il faudra regarder, dans les prochains mois, comment réajuster les dispositifs, aux plans national et européen. Un conseil informel de l'énergie est prévu, courant avril ; avec l'ensemble des États membres, nous aurons l'occasion de partager les difficultés liées à cette très grande volatilité des prix de l'énergie et du carbone. Le prix du carbone est passé de 25 à 15 euros par tonne ces dernières semaines.
Je regrette que la baisse des prix de l'électricité ait conduit certains fournisseurs à vouloir remettre en cause les volumes d'Arenh qu'ils avaient achetés l'an passé. Ce sont les mêmes fournisseurs qui demandaient à l'époque une augmentation de 50 % de ceux-ci ! Dans le contexte de la crise, il est important de ne pas essayer de tirer profit de la situation en se dédouanant des engagements passés.
Le confinement a un effet important sur le secteur de la construction, dont l'activité a été réduite de 90 %, avec une forte répercussion sur la rénovation énergétique. C'est pourquoi nous avons adopté plusieurs mesures, telle que la prolongation jusqu'à la fin de l'année du dispositif « coup de pouce » pour les travaux d'isolation et de changement de chaudières, et créé un dispositif « coup de pouce » pour le changement de chaudières au fioul des copropriétés dans le cadre d'une rénovation performante. Plus généralement, nous veillons à ce que la filière BTP puisse poursuivre son activité tout en assurant la sécurité de ses salariés. Un guide a été élaboré à cette fin avec les fédérations pour pouvoir relancer en particulier les chantiers urgents ou prioritaires.
La loi d'urgence accorde une attention toute particulière aux ménages modestes et aux entreprises fragilisées par la crise sanitaire. La trêve hivernale a été prolongée de deux mois, et avec elle l'interdiction des coupures pour tous les consommateurs et des limitations de puissance pour les bénéficiaires du chèque énergie. Avec La Poste, nous avons maintenu la campagne de distribution du chèque énergie, qui a démarré la semaine dernière et se poursuivra jusqu'au mois de mai. Coupures et baisses de puissance sont également interdites pour les entreprises éligibles au fonds de solidarité ; le paiement de leurs factures peut être suspendu et étalé sur une période au-moins égale à six mois suivant la fin de l'état d'urgence.
Dans ce contexte, la CRE a instauré des mesures pour accompagner les fournisseurs d'énergie les plus vulnérables, en leur accordant des délais de paiement et des souplesses de trésorerie dans le paiement des tarifs d'utilisation des réseaux et de la fourniture d'électricité nucléaire auprès d'EDF.
Ces différentes mesures reflètent bien l'esprit de solidarité, d'entraide et de responsabilité qui, dans cette épreuve, anime mon ministère et l'ensemble des acteurs de la transition écologique et solidaire.