Intervention de Elisabeth Borne

Commission des affaires économiques — Réunion du 7 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme élisabeth Borne ministre de la transition écologique et solidaire en téléconférence

Elisabeth Borne, ministre :

Monsieur le Sénateur Daniel Laurent, les prévisions de travaux éligibles au FACÉ pour 2020 ont été définies à la fin de l'année 2019. La règle est la suivante : vous avez jusqu'au 31 décembre de l'année n pour prévoir les travaux de l'année n+1. Les collectivités territoriales ont donc pu faire part des chantiers qu'elles souhaitaient mener en 2020, et elles ont jusqu'à la fin de l'année pour prévoir les travaux de 2021. Il devrait être possible de respecter ces délais. S'agissant des formalités nécessaires au déclenchement des travaux, il n'y a pas de doute : nous ferons preuve de souplesse - c'est possible avec les textes en vigueur - pour accorder aux collectivités territoriales les délais dont elles auront besoin.

L'effondrement du prix du gaz et les difficultés d'accès à la ressource pénalisent les producteurs de chaleur renouvelable, mais les aides du fonds chaleur sont précisément calibrées pour tenir compte des différentiels de coûts entre la biomasse et les énergies fossiles : cela devra donc être pris en compte. Pour autant, j'entends les difficultés liées aux activités forestières. J'espère qu'à l'instar des travaux publics, elles pourront reprendre rapidement, pour garantir la disponibilité de la ressource. Nous allons y travailler avec mon collègue, le ministre de l'agriculture Didier Guillaume. Plus globalement, nous examinons les moyens de mieux mobiliser les ressources de la filière bois au profit de la chaleur renouvelable comme de la construction. La mission de la députée Anne-Laure Cattelot se poursuit sur ce point pour trouver les bons mécanismes.

S'agissant des boues des stations d'épuration, l'avis de l'Anses précise que, pour celles hygiénisées par compostage, chaulage ou séchage thermique, le risque de propagation du virus est négligeable. Cela représente 84 % des boues. En revanche, l'Anses a préconisé de ne pas épandre les boues non hygiénisées à partir de la date de départ de l'épidémie, précisée par département. Elles devront donc être stockées et réorientées vers les filières d'hygiénisation ou d'incinération. Les préfets accompagneront les petites collectivités qui en auraient besoin.

Madame la Sénatrice Denise Saint-Pé, certains fournisseurs d'électricité veulent maintenant rendre les volumes d'Arenh qu'ils ont réclamés et obtenus à la fin de l'année dernière. Un certain nombre d'entre eux entendent activer la « clause de force majeure ». Cela signifie qu'ils ont bénéficié de l'Arenh pour acheter de l'électricité à un tarif plus faible que celui du marché, sinon ils n'auraient pas eu recours à l'Arenh mais à des contrats à terme. Maintenant, ils souhaitent, tout compte fait, rendre cette électricité. Cela reviendrait finalement à faire peser sur EDF la totalité des risques. Il y a un problème de principe, la CRE l'a fait valoir dans sa délibération. Certains fournisseurs alternatifs ont introduit un recours contre cette délibération et je n'ai pas à commenter ce que sera la décision du Conseil d'État. Je relève simplement que cela pose un vrai problème de principe de recourir à l'Arenh pour acheter à un prix inférieur au marché puis de considérer que l'on est délié de ses engagements en cas de retournement du marché. Un tel dispositif ne peut pas fonctionner durablement. Il n'est pas possible qu'un fournisseur d'énergie soit l'assureur de tous les autres. C'est aussi le sens de nos réflexions sur la nouvelle régulation économique du nucléaire. On ne peut un jour vouloir bénéficier de prix inférieurs à ceux du marché et s'en délier quand le marché se retourne ! Nous aurons à intégrer dans nos réflexions les comportements que l'on peut observer ces temps-ci.

Monsieur le Sénateur Laurent Duplomb, sur les critiques liées à l'envoi de questionnaires à certaines entreprises, sachez que mes services sont particulièrement mobilisés face à la crise que nous connaissons. Ils consacrent l'essentiel de leur énergie à accompagner toutes les entreprises des secteurs de l'eau, des déchets, des transports, de la logistique et de l'énergie, afin qu'elles puissent continuer à fournir les services essentiels à la vie de notre pays. Gardons-nous des caricatures. Les services du ministère de la transition écologique et solidaire ne sont pas là pour embêter le monde mais sont mobilisés depuis trois semaines pour accompagner notre pays dans cette crise sans précédent ! Il faudra bel et bien prendre le temps de tirer les leçons de cette crise, mais, à ce stade, mes conclusions sont à l'opposé des vôtres : il nous faut des circuits courts, des chaînes logistiques plus simples, car on ne peut pas être dépendant des produits importés. Ce débat de l'après-crise devra être mené.

Dans la situation actuelle, les chaînes logistiques doivent se réorganiser en permanence, notamment dans l'industrie agroalimentaire, et elles sont moins bien optimisées que d'habitude. Mécaniquement, si les camions sont à moitié vides, le prix du transport est plus élevé. Nous devons examiner cette question en toute transparence et s'assurer que chacun prend sa part. Le secrétaire d'État aux transports Jean-Baptiste Djebbari participe aux réunions au cours desquelles MM. Le Maire et Guillaume examinent ces sujets avec les acteurs de l'agroalimentaire, des transports et de la logistique.

Les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont, elles aussi, frappées par la crise : la circulation des véhicules légers a baissé de 85 %, celle des poids lourds de 45 %. La gratuité des péages pour les transporteurs aggraverait encore leurs difficultés. De plus, juridiquement, on ne peut pas cibler les transporteurs approvisionnant nos seuls magasins et exclure les poids lourds en transit... Cela ne me semble donc pas très praticable. Pour autant, les sociétés concessionnaires d'autoroutes sont mobilisées dans l'accompagnement de la crise. À leur initiative elles sont en train d'instituer un dispositif permettant le remboursement des péages acquittés par le personnel soignant. La société ATMB a déjà mis en place ce remboursement. C'est une action de solidarité importante.

Monsieur le Sénateur Fabien Gay, nous sommes très attentifs à la situation des ménages précaires dans le contexte actuel de confinement. Nous faisons notamment en sorte que les chèques énergie arrivent au plus vite. Le confinement peut en effet poser des problèmes financiers aux familles dont les enfants bénéficient d'ordinaire de tarifs réduits dans les cantines. Nous allons travailler sur cette question avec le ministre des solidarités et de la santé Olivier Véran et sa secrétaire d'État Christelle Dubos.

Au sujet du projet « Hercule », je tiens à vous rassurer : comme l'a dit le Président de la République, l'ensemble des réformes sont suspendues jusqu'à nouvel ordre, le Gouvernement se consacrant à 100 % à la gestion de la crise. Nous aurons à revenir sur la réorganisation d'EDF - pour répondre à la transition énergétique ! - et la régulation du nucléaire historique - en préservant les intérêts des consommateurs mais aussi les investissements de l'entreprise - mais le sujet n'est pas d'actualité.

Monsieur le Sénateur Franck Menonville, nous sommes très attentifs à la situation des producteurs de bioéthanol. Je suis favorable à l'activation de la « clause de sauvegarde » pour limiter les importations en cas de difficultés ; il faudra notifier la demande d'activation de cette clause à la Commission européenne. Nous veillons à mettre en lien les différents acteurs de la production de gel hydroalcoolique.

Madame la Sénatrice Viviane Artigalas, le Gouvernement a annoncé une réflexion sur le déconfinement mais les Français doivent savoir qu'il ne faut pas relâcher l'effort de confinement, afin de contenir la diffusion de l'épidémie et la pression sur nos hôpitaux. Cette réflexion n'est pas terminée. Nous ne sommes pas en train de dire que les Français ne pourront partir en vacances cet été. Le point de vigilance que soulignait M. Djebbari est que ce n'était sans doute pas le moment d'acheter un billet pour partir à l'autre bout de la planète, avec toutes les incertitudes qui existent sur l'état de l'épidémie en France et dans le monde, alors que nous venons d'accompagner le rapatriement de 150 000 compatriotes. Nous avons tous en tête la situation du secteur touristique. Nous pouvons recommander aux Français de profiter de notre beau pays pour les prochaines vacances, et, ce faisant, de soutenir nos acteurs du tourisme.

MM. les Sénateurs Alain Duran et Joël Labbé ont évoqué la sortie de la crise. D'emblée il faut indiquer que le Gouvernement est d'abord concerné sur la gestion de la crise. De même que le confinement avait été anticipé avec les plans de continuité de l'activité, il faudra anticiper le déconfinement pour les opérateurs d'importance vitale. Il sera sans doute progressif. Cet important travail préparatoire sera piloté par M. Jean Castex, avec qui nous allons échanger étroitement, pour permettre à tous les secteurs relevant de mon champ de compétences de se préparer à cette perspective. Je pense qu'il serait prématuré de donner aujourd'hui des indications.

On ignore combien de temps va durer la crise et dans quel état elle laissera notre pays et l'Europe. Il faudra faire preuve d'humilité et prendre le temps d'établir le diagnostic. A titre personnel, je suis convaincue que cette pandémie et les atteintes aux écosystèmes ont bel et bien un fondement commun ; la déforestation favorise le passage d'agents pathogènes de la faune sauvage aux humains. Il faudra en tirer toutes les conséquences, à ce titre, mais aussi en termes de souveraineté et de résilience. Nous devons préparer une société plus résiliente, plus écologique et plus solidaire, car, effectivement, la crise sanitaire n'efface pas la crise écologique. C'est à cette tâche que nous nous attèlerons.

Madame la Sénatrice Anne-Catherine Loisier, il est bien prévu d'augmenter les obligations d'incorporation de biomasse pour être éligible aux avantages fiscaux ; il faudra être attentif à la mise en oeuvre de ces dispositions, étant donné les difficultés d'approvisionnement signalées par les acteurs du secteur.

Sur la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, j'entends les questions et ferai le point avec mes services. Nous prendrons le temps de mener les consultations nécessaires dans de bonnes conditions avec les nombreux acteurs concernés.

Madame la Sénatrice Patricia Schillinger, on peut saluer la très bonne préparation d'EDF, via son plan de continuité d'activité, tout comme des autres grands opérateurs du secteur, ce qui permet d'assurer la sécurité de notre approvisionnement. Pour ce qui concerne la centrale de Fessenheim, le Gouvernement n'envisage pas de revenir sur les dates fixées qui correspondent à des obligations réglementaires : on ne peut ainsi changer de pied sur les calendriers liés à des arrêts de réacteurs nucléaires.

Le traitement des masques et des gants est une question sensible pour les opérateurs qui les collectent. Il ne faut pas mettre ces déchets dans la poubelle jaune, mais les stocker 24 heures dans un sac séparé, fermé, avant de les jeter dans la poubelle grise. Nous avons communiqué avec la filière et allons continuer à le faire.

Monsieur le Sénateur Henri Cabanel, beaucoup de questions ayant été posées sur ce sujet, nous avons souhaité avoir l'avis du HCSP. Il estime que, dans les pays où la désinfection des rues a été pratiquée, elle n'a pas eu d'impact sur la propagation de l'épidémie. Par ailleurs, nous sommes attentifs aux produits pouvant être utilisés à cette fin. Nous avons prévu une saisine complémentaire de l'Anses pour clarifier la liste des produits susceptibles d'être utilisés pour des désinfections spécifiques, notamment du mobilier urbain ou des établissements recevant du public (ERP). Les informations sont prévues dans le cadre des autorisations de mise sur le marché mais il est utile que l'Anses les explicite, alors que beaucoup de collectivités se posent des questions. Il faut s'assurer que ces produits soient efficaces pour lutter contre le virus et n'aient pas d'impact négatif sur l'environnement, notamment du fait de rejets dans le réseau de collecte ou d'assainissement

Monsieur le Sénateur Jean-Pierre Moga, M. Djebbari et moi-même suivons en permanence la situation des aires de service et de repos à disposition des routiers. Aujourd'hui, 95 % des aires de repos du réseau routier national, concédé ou non, sont ouvertes. Nous avons créé un numéro vert et une boîte aux lettres électronique pour leur permettre de nous signaler les dysfonctionnements qu'ils constatent. Tout le monde est conscient du service tout à fait majeur que le transport routier rend au pays, et les routiers doivent avoir les meilleures conditions de travail.

La réduction du trafic des TER peut créer des difficultés pour certains, mais, sur ce réseau, la fréquentation constatée est entre 0 % et 5 % du niveau habituel. Si nécessaire, les autorités organisatrices de transport peuvent affréter des cars. Cependant, l'offre maintenue de TER est en moyenne de 15 %, soit un niveau bien supérieur à la fréquentation. Si des difficultés persistent, il faut apporter des solutions ponctuelles à certains habitants.

Il n'y a pas eu de décision gouvernementale imposant la fermeture des déchetteries. Toutefois, les collectivités territoriales, chargées de ces services, ont sans doute voulu protéger les personnels concernés et les réaffecter à des tâches prioritaires, telle que la collecte des déchets. Nous allons étudier avec les collectivités territoriales dans quelle mesure ces déchetteries peuvent être rouvertes. C'est un enjeu pour les professionnels du secteur. De surcroît, nous avons besoin de déchets verts pour la méthanisation et il faut prévenir d'éventuels dépôts sauvages. À cet égard, les collectivités territoriales conservent bien sûr tous leurs pouvoirs de police.

La crise actuelle permet de mieux analyser l'origine de la pollution de l'air. Le trafic routier est presque à l'arrêt, et les oxydes d'azote ont beaucoup baissé - preuve qu'ils sont bien émis en grande majorité par les véhicules à moteur. En revanche, pour ce qui est des particules, la part de l'automobile est minoritaire et celle des épandages agricoles est importante. Au-delà du risque général, il n'est pas établi que ces particules favorisent la propagation du virus. Sur ce sujet, il importe de limiter les sources évitables - brulage à l'air libre ou chauffage d'agrément au bois - et de veiller à la qualité des combustibles.

Monsieur le Sénateur Michel Raison, face à une telle crise où tout le monde est en difficulté, les uns tentent nécessairement de se défausser aux dépens des autres. Les voyagistes sont effectivement en grande difficulté, mais les compagnies aériennes le sont également. Chacun doit prendre sa part. Il faut trouver un dispositif en ce sens, par exemple un système de prêts garantis, pour surmonter les difficultés, considérables, de ces secteurs.

Je mesure l'enjeu de visibilité pour le secteur des transports scolaires. Tous les acteurs ont besoin d'anticiper le déconfinement ; c'est précisément pourquoi M. Castex a prévu des concertations avec les différents secteurs, pour que les opérateurs puissent se préparer à un déconfinement dont nous devons encore établir les scénarios.

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