Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères en téléconférence

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Nous vivons un moment sans précédent, dans lequel se fait jour un besoin d'action rapide que nous nous employons à satisfaire, mais également la nécessité du maintien des mécanismes démocratiques. Je remercie votre commission de nous permettre de présenter notre action en ces temps houleux.

La réponse à cette crise inédite exige que nous actionnions simultanément tous les leviers de l'action publique, concernant la santé, la diplomatie, l'économie, le travail ou la sécurité, en plaçant la solidarité au coeur de notre action ; solidarité à l'égard de nos compatriotes qui se trouvent à l'étranger, de passage ou résidents, solidarité, également, aux niveaux national et européen pour soutenir l'Afrique. Nous abordons aujourd'hui deux sujets avec un message unique : il faut aider chacun pour tous nous protéger.

J'ai pris connaissance de la note de MM. Jean-Pierre Grand et Rachid Temal sur l'aide au retour de nos compatriotes bloqués hors de France et je salue ce travail. La fermeture des frontières a été brutale et s'est parfois faite sans préavis. Pour faire face au retour des frontières et au tarissement des lignes aériennes, l'appareil diplomatique a été sur le pont matin, midi et soir avec nos cabinets et le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay. Je rends hommage à nos agents pour ce travail et le président de la République est d'ailleurs venu vendredi dernier les saluer pour le tour de force qu'ils ont réalisé.

Cette opération était en effet sans précédent par son volume et son étendue : au comptage d'hier soir, ce sont 155 000 Français de passage à l'étranger qui étaient rentrés en France ; en outre, tous les continents ont été concernés au même moment.

Avec M. Jean-Yves Le Drian, nous avons mis en place un dispositif de coordination étroit avec le ministère des transports et avec Air France, que je remercie particulièrement. N'oublions pas que le processus a commencé par le Maroc et que sa filiale Transavia a alors organisé une véritable noria aérienne depuis Marrakech, Casablanca et Rabat, vers la France, avec plus de 140 vols additionnels, pour ramener les 20 000 Français qui se trouvaient en vacances dans le pays.

Ce dispositif exceptionnel de rapatriement a fonctionné de la manière suivante : tous les matins, à onze heures, nos postes nous remontaient les besoins recensés sur leurs territoires et nous dialoguions avec les compagnies pour établir des plans de vol selon trois types de configurations. Parfois, les vols réguliers étaient maintenus, d'autres fois il a fallu mettre en place des vols commerciaux spéciaux avec des prix modérés, dans la mesure du possible. Sur ce plan, Air France a joué le jeu, plus que d'autres compagnies européennes et internationales. Quand cela n'était pas possible, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères affrétait directement des vols. Ce fut le cas pour les Philippines ou l'Australie, par exemple, destinations lointaines où se trouvaient des Français disposant de faibles moyens, au profil de « routard » ou, pour l'Australie, des jeunes partis en programme vacances travail (PVT) qui, ayant perdu leur emploi, se trouvaient sans ressources. Les bénéficiaires de ces vols ont signé un engagement à rembourser l'État à des tarifs raisonnables : 300 euros pour les Philippines et 800 euros pour l'Australie. Trente-quatre vols sont entrés dans cette catégorie ; certains dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (MEPC), qui nous a conduit à embarquer également des ressortissants d'autres États membres. Des Français ont réciproquement pu profiter de vols allemands ou espagnols. Les Britanniques se sont également souvenus de l'utilité du MEPC.

Il reste aujourd'hui quelques milliers de Français bloqués, ou qui se « découvrent » bloqués et nous disent : « j'ai poursuivi mes vacances, mais désormais je veux rentrer ». Bien sûr, ce comportement interroge, mais nous sommes là pour faciliter leur retour. Des interventions politiques sont parfois nécessaires pour obtenir la réouverture de frontières ou l'autorisation d'atterrir sur des aéroports militaires quand les terminaux civils sont fermés. Ainsi, il y a quelques temps, le gouvernement de Nouvelle-Zélande ne souhaitait pas que les touristes étrangers soient rapatriés ; une intervention a donc été nécessaire pour régler cette difficulté.

Enfin, il reste des Français de passage bloqués, car ils ont été testés positifs au Covid-19, comme c'est le cas en Égypte ou au Cambodge. Nos compatriotes passent dans ces pays leur quatorzaine et reviendront à son terme sur le sol national.

Nous avons tiré des enseignements de cette expérience, laquelle a permis d'illustrer la valeur de notre réseau diplomatique universel. Nous devrons nous en souvenir à l'heure des choix. Les personnels des différents postes ont été de véritables héros du quotidien. Nous avons également établi une très bonne coordination interministérielle et mis en place des outils numériques nouveaux ou amélioré ceux qui existaient déjà. Ariane, par exemple, a vu ses inscriptions exploser, avec une augmentation de 25 %. Nous en avons fait la publicité pour que les touristes puissent recevoir les informations nécessaires et nous avons mis en place un site internet, SOSuntoit.fr, afin de faciliter l'hébergement des Français les plus démunis.

S'agissant de l'Afrique, cinquante-deux des cinquante-quatre pays du continent sont aujourd'hui touchés par l'épidémie, dont la dynamique est à l'heure actuelle moins forte qu'en Europe ou aux États-Unis, mais constitue un défi. Le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, M. Guterres, a d'ailleurs déclaré que la maladie reviendra du Sud vers le Nord. Il est donc dans notre intérêt d'investir massivement en Afrique : le Covid-19 est un problème mondial et les réponses nationales, européennes et globales doivent être cohérentes.

La réunion informelle des ministres du développement s'est tenue au lendemain de l'annonce par la présidente de la Commission européenne de la mobilisation de 15,6 milliards d'euros pour l'appui aux États tiers dans cette lutte, dont 502 millions consacrés aux réponses sanitaires et humanitaires à très court terme, 2,85 milliards dédiés au soutien et au renforcement des systèmes de santé et de recherche et 12 milliards pour l'accompagnement social et économique. En effet, le confinement va provoquer d'importantes difficultés quotidiennes dans des pays où, souvent, on gagne dans la journée de quoi se nourrir le soir. Ces sommes sont débloquées, en tenant compte du cadre financier pluriannuel, par redéploiement de fonds européens existants.

À cela s'ajoutent les actions des États membres. J'ai d'ailleurs invité la Commission à soumettre au Conseil un plan détaillé de son effort et j'ai annoncé la contribution de la France : 1,252 milliard d'euros, comprenant 1 milliard d'euros de prêts nouveaux et 150 millions d'euros de dons, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement (AFD), dans le cadre de l'initiative « Covid-19 - Santé en commun » destinée à l'Afrique. Nous veillons à ce que cette réponse soit coordonnée avec le paquet européen, au sujet duquel j'ai, en outre, insisté pour que l'on communique de manière adéquate, car certains bailleurs émergents n'hésitent pas à se présenter comme des sauveurs du continent alors que les Européens sont les contributeurs majeurs à l'aide multilatérale en matière de santé à travers les grands fonds verticaux. Nous aidons d'ailleurs ces derniers à redéployer leurs moyens, comme c'est le cas pour le Fonds mondial.

S'agissant de la dette, la France soutient la mise en place dans les mois à venir d'une initiative en faveur des pays les plus fragiles, dans le cadre d'une action internationale. Nous sommes secrétaire du club de Paris, mais nous devons embarquer les bailleurs qui n'en sont pas membres mais qui détiennent une part importante de la dette de l'Afrique.

Dès le 26 mars, lors de la réunion des dirigeants du G20, le Président de la République a appelé à une initiative africaine et nous avons martelé ce message, car certains de nos partenaires européens souhaitent plutôt mettre l'accent sur nos voisins, comme les pays des Balkans, qui ne doivent pas être négligés, mais dont les besoins sont sans commune mesure avec ceux de l'Afrique, au regard des vulnérabilités de ce continent et des implications sécuritaires ou politiques susceptibles de se faire jour.

Il est important que notre réponse soit coordonnée dans les enceintes internationales comme sur le terrain, avec les organisations non gouvernementales locales, afin de déboucher sur des actions concrètes et tangibles. Dès le 13 mars la France a ainsi octroyé 1,5 million d'euros à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour renforcer la surveillance épidémiologique dans les pays d'Afrique subsaharienne francophones.

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