Intervention de Jean-Baptiste Lemoyne

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne secrétaire d'état auprès du ministre de l'europe et des affaires étrangères en téléconférence

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État :

Nous travaillons avec les grands fonds à la réorientation d'un certain nombre de crédits vers la lutte contre la pandémie.

Ainsi le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme s'est-il rapidement engagé dans la riposte à l'épidémie, tout en assurant la continuité de son action : ses bénéficiaires sont incités à réallouer jusqu'à 5 % de leurs subventions à la lutte contre le Covid-19, et un mécanisme ad hoc, doté de 500 millions de dollars supplémentaires, doit être approuvé par le conseil d'administration.

Deux autres fonds importants se mobilisent : l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) a décidé de permettre à ses pays bénéficiaires de réorienter jusqu'à 10 % de leurs fonds vers la lutte contre la pandémie, tandis qu'Unitaid affecte 30 millions de dollars à des projets liés au Covid-19, notamment en matière d'accès aux outils de dépistage.

S'agissant du programme 209, des redéploiements de crédits sont en cours au profit du centre de crise et de soutien, via le fonds d'urgence humanitaire, pour financer la mise en oeuvre par nos ONG partenaires de programmes à destination des populations vulnérables.

L'Agence française de développement a révisé son plan d'affaires pour lancer une initiative dotée de 150 millions d'euros en subventions et de 1 milliard d'euros en prêts, financés sur la mission Aide publique au développement ; dans ce cadre, 70 millions d'euros seront dépensés en dons-projets.

Quant à Expertise France, elle met en place une plateforme d'assistance technique sur le Covid-19 et conduira plusieurs projets à destination de l'Afrique subsaharienne.

Reste que les marges de redéploiement au sein du programme 209 sont limitées par de nombreux engagements juridiquement contraignants, à commencer par notre contribution au Fonds européen de développement.

Il est certain, madame Pérol-Dumont, que la mesure statistique est une dimension importante, notamment du point de vue de l'Agenda 2030, qui repose sur 232 indicateurs. Dès 2018, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement avait prévu que la France se dote d'un plan d'action en matière de coopération statistique : cet objectif est évidemment plus actuel que jamais. Nous soutenons l'Observatoire économique et statistique d'Afrique subsaharienne, ainsi que le déploiement d'expertises techniques de l'Insee et d'Expertise France auprès des instituts nationaux de statistiques des pays africains.

Les rumeurs et fake news imposent aux Européens de promouvoir un récit qui contrecarre biais et manipulations. En la matière, la France soutient un certain nombre d'actions de vérification des nouvelles en Afrique : par exemple, notre ambassade au Mali finance un groupe de blogueurs qui lutte contre les fake news. Canal France International (CFI) mène un travail remarquable en matière de formation des journalistes, et RFI déploie également certains programmes qui contribuent à cet indispensable travail de veille et de riposte.

Les rapporteurs m'ont interrogé aussi sur les dettes publiques des pays africains. La France souhaite une action forte en la matière, du côté de la Banque mondiale comme du Fonds monétaire international. Le Conseil de développement de ces deux institutions débattra de ces questions le 15 avril. La France appelle de ses voeux une initiative sur la dette des pays les plus fragiles, mais une action coordonnée au niveau international est indispensable. De fait, les créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris détiennent 37 % des dettes - la Chine, à elle seule, en détenant 11 %. Une action du Club de Paris serait donc incomplète si les autres créanciers ne s'y joignaient pas.

M. Grand et plusieurs autres orateurs ont soulevé la question d'une potentielle deuxième vague, du fait du retour des résidents et des jeunes du programme vacances-travail. Ces derniers sont environ 45 000, concentrés à 92 % dans trois pays : le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Certains ont retrouvé une activité, par exemple dans l'agriculture. Pour les autres, nous oeuvrons à faciliter leur retour.

S'agissant des Français résidant à l'étranger, nous leur recommandons de se protéger, notamment en évitant de se déplacer. Lorsqu'ils sont dans une situation de vulnérabilité particulière, notamment sur le plan sanitaire, nous leur demandons de se faire connaître de nos consulats et ambassade. Nous pourrions ainsi prendre, le moment venu, les mesures qui s'imposeraient.

Nous travaillons à l'instauration d'un dispositif de soutien sanitaire, à destination notamment de nos compatriotes les plus vulnérables ; il sera adapté aux besoins de chaque pays.

À la faveur de la boucle d'information qui réunit les parlementaires représentant les Français établis hors de France, les services du ministère et moi-même, il apparaît que l'accès aux médicaments commence à poser problème dans certains pays, comme l'Île Maurice et Madagascar. Nous serons aux côtés de nos compatriotes installés dans ces pays.

Monsieur Temal, les opérations de retour ont mis en lumière l'importance de notre réseau universel ; tout le monde en est plus que jamais conscient, alors que depuis plusieurs années le Quai d'Orsay paie largement son écot à la réduction de l'emploi public. Il est apparu aussi que le numérique fournit des outils de réponse particulièrement précieux, que nous devons continuer à perfectionner. Ainsi, le site « Conseils aux voyageurs », actualisé en temps réel, a battu des records de fréquentation, avec 7 millions de visites depuis le 1er janvier, contre 2,2 millions l'année dernière à la même période, non loin des 9,4 millions de visites enregistrées pour toute l'année 2019 ! Je pense aussi à la plateforme « SOSuntoit », mise en place en vingt-quatre heures, grâce au mécénat de compétences : dans le cadre de cette formule d'entraide, environ 7 000 places d'hébergement ont été proposées à des touristes français.

Nous avons institué une audioconférence hebdomadaire avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France, ainsi qu'avec le président de l'Assemblée des Français de l'étranger. Le travail conjoint mené dans ce cadre nous permet d'être très réactifs.

À l'intention de nos compatriotes résidant à l'étranger qui seraient amenés à rentrer en France, par exemple à la suite de la perte de leur emploi, le Gouvernement a prévu, dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, la fin du délai de carence de trois mois en matière de sécurité sociale. En cette période d'épidémie, il était important de prévenir toute rupture d'accès aux soins et aux remboursements.

Nous préparons activement la deuxième vague, au sein du ministère comme au niveau interministériel, en travaillant à une réponse sanitaire adaptée pays par pays, presque cas par cas.

S'agissant de la stratégie commune de l'Union européenne, au-delà de la réunion ministérielle qui s'est tenue hier, une coordination étroite est assurée par les directeurs généraux du développement des vingt-sept pays. Nous entretenons également de nombreux échanges bilatéraux pour coordonner nos réponses nationales. Les échanges devront également être nourris avec les pays africains, entre les délégations de l'Union européenne et les postes nationaux.

M. Temal m'a interrogé sur le secteur touristique. Le comité de filière tourisme se réunit chaque semaine pour identifier les besoins des professionnels et agir. Dans le cadre des ordonnances, un dispositif d'avoirs a été mis en place, permettant aux Français de reporter un voyage réservé ou d'obtenir un remboursement après dix-huit mois ; plus de 85 % des professionnels ont mis en place ce dispositif, et seulement 2 à 3 % des consommateurs se sont dits mécontents. Plus largement, les professionnels du tourisme se sont massivement emparés des outils d'accompagnement économique mis en place par le Gouvernement, comme l'activité partielle.

Les perspectives de redémarrage sont très difficiles à tracer, car elles dépendront de l'évolution de l'épidémie. Nous devons d'abord surmonter la crise sanitaire ; d'ici là, la prudence est de mise. Le comité de filière hebdomadaire permettra d'affiner notre action au fur et à mesure.

J'ai déjà abordé l'allègement des dettes publiques, évoqué notamment par MM. Cigolotti et Guérini. J'ajoute que les moratoires ne doivent pas empêcher la mise en place de nouvelles aides, nécessaires à la montée en puissance du dispositif sanitaire en Afrique. Plusieurs États se sont déjà emparés des plans d'urgence.

Monsieur Yung, notre effort additionnel de 1,26 milliard d'euros consiste en 1 milliard d'euros de prêts distribués par l'AFD, 150 millions d'euros de dons et un certain nombre d'autres actions - réorientation vers la santé de contrats de développement et de désendettement (C2D), projets de recherche financés par le ministère de la recherche -, sans oublier l'aide humanitaire d'urgence.

M. Laurent m'a interrogé sur les camping-caristes bloqués au Maroc. Entre 700 et 800 ont pu rentrer grâce à deux rotations maritimes entre Ceuta et Sète. Environ 1 500 se trouvent toujours dans la région d'Agadir. Une dizaine seulement se sont embarqués sur le dernier ferry Tanger-Med-Sète, la plupart préférant pour l'instant rester sur place. Au besoin, une nouvelle rotation pourra être mise en place, surtout si les demandes atteignent une masse critique.

S'agissant de la Nouvelle-Zélande, il est exact que des compagnies aériennes étrangères ont proposé des tarifs assez prohibitifs. Nous avons affrété des vols, dont plusieurs sont prévus dans les prochains jours : un vol décollera d'Auckland le 11 avril, un autre de Christchurch le 14. Ceux qui le souhaitent pourront ainsi revenir en France au prix le plus abordable possible.

Quant aux plus de 2 milliards d'euros alloués à la santé par l'Union européenne, ils bénéficieront à tous les acteurs mentionnés par M. Laurent : instituts de recherche français, européens et africains, ONG locales, acteurs de la société civile africaine.

En cas de deuxième vague de l'épidémie, monsieur Guerriau, nous déploierons divers dispositifs dans les aéroports, au départ comme à l'arrivée. En la matière, une grande coordination européenne et internationale sera nécessaire.

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