Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 avril 2020 à 14h30
Examen des travaux de la mission de contrôle et de suivi de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président :

Mes chers collègues, je vous remercie de votre disponibilité. Je me réjouis que vous soyez aussi nombreux malgré le caractère inédit de cette réunion organisée sous forme de visioconférence. J'espère que vous et vos proches êtes en bonne santé. J'ai une pensée particulière pour nos collègues des départements et régions les plus touchés par l'épidémie du Covid-19.

Après vous avoir rendu compte de la réunion de la mission de contrôle qui a été mise en place ce matin, je vous présenterai les principaux points du document d'analyse qu'elle a produit et qui vous a été adressé. Ce document examine les six décrets et seize ordonnances pris dans le cadre de la loi d'état d'urgence sanitaire et relevant du champ de compétences de la commission des lois.

Ce matin, les membres de la mission de suivi, qui ont été désignés par leurs groupes respectifs - MM. François-Noël Buffet, Pierre-Yves Collombat, Mmes Nathalie Delattre, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Alain Richard, Jean-Pierre Sueur et Dany Wattebled - se sont répartis la tâche.

Chacun assumera une partie du travail de suivi. Ainsi, MM. Buffet et Kanner travailleront sur les juridictions ; M. Buffet et Mme Delattre sur les prisons et les autres lieux privatifs de liberté ; Mme Eustache-Brinio et M. Sueur sur l'organisation des forces de sécurité ; MM. Hervé et Kanner sur les questions de sécurité civile ; MM. Hervé et Wattebled sur la protection des données personnelles dans l'utilisation des outils numériques de traçage ; Mme Françoise Gatel et M. Pierre-Yves Collombat sur les collectivités territoriales, l'administration déconcentrée de l'État et l'accès aux services publics au niveau local, et M. Richard et moi-même sur les questions électorales.

Je souhaite que la mission de contrôle soit parfaitement intégrée à la commission des lois et que tous les membres de celle-ci soient parties prenantes de ses travaux dans la mesure permise par les moyens techniques de réunion à distance. Ainsi, nous réunirons la commission soit pour délibérer de documents que nous souhaiterions rendre publics, à l'instar du document que je vais vous présenter aujourd'hui, soit pour procéder aux auditions importantes.

Une première audition est d'ores et déjà programmée pour le jeudi 9 avril à 16 heures : nous entendrons Mme Nicole Belloubet. Le jeudi 16 avril, à 16 heures, nous auditionnerons M. Christophe Castaner. Nous envisageons également d'auditionner M. Olivier Dussopt sur les questions du recrutement dans la fonction publique et de la mobilisation des fonctionnaires dans la crise, ainsi que Mme Jacqueline Gourault et M. Sébastien Lecornu sur toutes les questions relatives aux collectivités territoriales.

Le comité de suivi a vocation à se réunir pendant toute la durée des pouvoirs exceptionnels accordés au Gouvernement dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Il pourra - et devra sans doute - continuer à travailler après la fin de celui-ci pour tirer un certain nombre d'enseignements. Nous verrons combien de temps cette formation de travail devra être maintenue.

Les membres de la mission de suivi forment une équipe de rapporteurs qui viendront présenter leurs réflexions devant la commission des lois, mais, j'y insiste, à chaque étape importante de notre travail, les décisions devront être prises par la commission.

J'en viens maintenant à l'analyse, que je vous proposerai de rendre publique, des six décrets et des seize ordonnances relevant de la compétence de notre commission. Ils ont été pris par le Gouvernement en un temps record. Je suis d'ailleurs impressionné par cette mobilisation des pouvoirs publics. Grâce à la loi que nous avons adoptée, le Gouvernement a régularisé un certain nombre d'actes pris sur des bases juridiques que lui-même trouvait fragiles, même si la théorie des circonstances exceptionnelles garantissait leur légalité. Le Gouvernement prend également des dispositions nouvelles pour lutter contre la pandémie et assurer la continuité de services publics essentiels, comme celui de la justice.

Je souhaite insister, devant vous, sur plusieurs points du document qui a été approuvé par la mission de contrôle ce matin, en commençant par ceux qui concernent la justice.

En ce qui concerne la justice civile, j'attire l'attention sur la possibilité de remplacer des formations collégiales par un juge unique, de déroger au principe de publicité des audiences et d'organiser celles-ci par visioconférence, voire par téléphone. Des procédures pourront également se dérouler sans audience, sans que l'une des parties puisse s'y opposer pour les procédures urgentes, ce qui soulève un problème au regard de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Les contentieux familiaux forment le gros contingent des affaires civiles. Or, en matière familiale, l'oralité des contentieux, qui ont une faible dimension juridique et une grande dimension sociale, est essentielle. Par conséquent, on mesure ce que ces dispositions ont de dérogatoire et de préjudiciable au rendu d'une bonne justice. Cela dit, il faut bien évidemment faire la balance entre, d'une part, la nécessité de ne pas interrompre le cours de la justice et, de l'autre, celle de préserver autant que possible les garanties offertes au justiciable. Il me semble qu'il est dans la vocation de la commission des lois d'être particulièrement attentive à ces deux impératifs, et surtout au second.

S'agissant des tribunaux administratifs, les souplesses prévues sont encore plus grandes. De même qu'en matière judiciaire, je me demande si l'ordonnance ne va pas au-delà des termes de l'habilitation lorsqu'elle prévoit la possibilité de statuer sans audience. Les audiences sont très importantes, notamment en procédure de référé-liberté.

S'agissant du contentieux et du droit des étrangers, j'observe que le Gouvernement a fait le choix d'un régime dérogatoire au reste des adaptations ménagées dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : les délais de recours sont, en fonction des cas, soit prolongés moins longtemps que dans d'autres matières, soit même parfois intégralement maintenus, sans aucune adaptation. De même, certains délais de jugement, très brefs, ne sont pas modifiés. J'ai recueilli à ce sujet les observations d'associations qui s'en inquiètent.

En matière pénale, là aussi, les textes prévoient la possibilité d'audiences par visioconférence, voire par téléphone, sans accord des parties, sauf en matière criminelle. Dans certains cas, les gardes à vue pourront être prolongées de plein droit sans que l'avocat de la personne gardée à vue ou placée en retenue douanière soit entendu. Ces différents éléments me paraissent justifier que nous marquions notre préoccupation.

Bien évidemment, comme M. Alain Richard l'a observé ce matin avec pertinence au cours de la réunion de la mission de suivi, il ne faut pas porter atteinte au principe de continuité de la justice. Il nous faut donc trouver une voie médiane, d'une part, en alertant le Gouvernement sur la nécessité d'indiquer aux présidents de juridiction que les moyens qui leur sont accordés par l'ordonnance doivent être utilisés à défaut d'effectifs suffisants pour rendre la justice dans des conditions aussi proches que possible du droit commun et, d'autre part, en attirant l'attention sur la possibilité que certaines dispositions des ordonnances donnent lieu, devant le Conseil d'État ou la Cour européenne des droits de l'homme, à des contentieux qui pourraient bien être perdus par le Gouvernement. Il convient donc de faire preuve de beaucoup de circonspection dans leur application.

J'en viens aux dispositions relatives aux collectivités territoriales. Celles-ci ne manquent pas de surprendre. En effet, non seulement le dispositif que nous avons voté le 22 mars dernier pour faciliter le respect des règles de quorum et assouplir le régime des procurations, inspiré notamment par le souci de faciliter l'élection des maires et de leurs adjoints le jour où celle-ci pourrait se tenir, a été étendu aux commissions permanentes des départements et des régions, mais il a, de surcroît, été considérablement élargi, au point que la présence d'un neuvième des membres d'un conseil municipal pourrait suffire si le nombre de procurations permet de faire adopter une délibération. Ce n'est pas ce que nous avons voulu ! Il est quelque peu surprenant que le Gouvernement, agissant sur le fondement d'une habilitation législative, puisse ainsi modifier ce que le législateur a adopté quelques jours auparavant... Nous devons alerter le Gouvernement sur ce point particulier.

Par ailleurs, les ordonnances sont absolument muettes sur l'élection des maires et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été au complet dès le premier tour. Nous avons pourtant habilité le Gouvernement pour qu'il examine toutes les pistes envisageables, y compris le recours aux dispositifs de vote à distance. Cette élection doit se tenir le plus rapidement possible, même si l'état d'urgence sanitaire devait être prolongé dans tout ou partie du pays. La situation d'entre-deux dans laquelle nous nous trouvons, avec le maintien en fonction des élus « sortants », ne saurait durer indéfiniment. Or, pour en sortir, outre les dispositions raisonnables que nous avons votées sur le quorum et les procurations, il convient que les modalités du vote pour l'élection du maire et des adjoints permettent d'éviter de contrevenir trop fortement aux règles du confinement. Ce point mérite lui aussi considération.

S'agissant de la fonction publique, les dispositions prises en matière de concours restent à ce stade très générales et très imprécises. À défaut de pouvoir organiser des épreuves écrites, il est prévu que les épreuves de concours puissent être limitées à des épreuves orales, en visioconférence. Sans doute faudrait-il demander au Gouvernement de dévoiler davantage ses intentions pour s'assurer que le principe d'égal accès aux emplois publics sera bien respecté.

Nous pourrions également souligner la nécessité d'étendre aux fonctionnaires la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat, accordée aux salariés du secteur privé et exonérée d'impôt.

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