Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mm. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france et frédéric visnovsky secrétaire général adjoint de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution acpr et médiateur national du crédit en téléconférence

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Frédéric Visnovsky et moi-même vous remercions d'avoir organisé cette audition.

Nous voulons vous faire part de notre diagnostic économique. Cette bataille sanitaire est évidemment prioritaire et implique qu'une bataille économique soit menée pour faire face à ses conséquences.

La Banque de France a publié la semaine dernière une enquête, après avoir interrogé, dans toutes les régions, des milliers d'entreprises de toute taille, de tout secteur. Nous estimons que, au cours d'une quinzaine type de confinement, l'activité a baissé de 32 % dans l'ensemble de l'économie, avec des différences selon les secteurs sur lesquelles nous reviendrons. Le Grand Est et la Corse sont davantage touchés, si l'on s'attache à l'ampleur des fermetures, mais, globalement, les différences régionales sont beaucoup moins sensibles que les différences sectorielles.

Notre dernière enquête sur le commerce de détail, publiée ce matin, fait état d'une chute de 24 % des ventes dans le commerce de biens sur l'ensemble du mois de mars par rapport au mois de février, de 43 % pour les produits industriels et de seulement 0,9 % pour les produits alimentaires. Cela montre l'importance de rouvrir les commerces non alimentaires dès que possible.

L'économie française tourne depuis le 17 mars aux deux tiers de son rythme normal. Chaque quinzaine de confinement nous coûte 1,5 % de PIB annuel et presque autant en déficit public supplémentaire.

Le Fonds monétaire international (FMI) a publié hier, en cohérence avec les nôtres, ses prévisions à l'échelle mondiale. Même s'il faut les prendre avec prudence, j'en tire deux enseignements : premièrement, un tel choc n'a jamais été enregistré dans le passé - par rapport à ce qui était prévu en janvier dernier, le PIB mondial baisserait de 6 %, et même de 8 % dans les économies avancées -, les pays les moins touchés relativement par cette pandémie - Japon Canada, Allemagne - payant eux aussi un lourd tribut économique ; deuxièmement, le rebond significatif attendu pour 2021 - 4,7 % pour la zone euro et 4,5 % pour la France - n'effacerait pas les pertes de cette année.

Si nous gérons bien la sortie de crise, ce choc serait donc très sévère, mais temporaire. Cette sortie se joue en trois actes : l'acte 1, c'est cette phase actuelle de confinement général et ce bouclier de trésorerie mis en place au profit des entreprises ; l'acte 2, c'est la sortie progressive du confinement dès le 11 mai a priori ; l'acte 3, c'est l'après-crise - quelles réponses économiques apporter ?

Face à cette crise inédite, des réponses rapides, fortes et convergentes ont été apportées en quinze jours. Les leçons de la crise de 2008 ont été tirées et rarement le consensus a été aussi fort - y compris parmi les économistes ! - sur la nature et l'ampleur des mesures à prendre : un bouclier de trésorerie pour le maximum d'entreprises, un mélange de mesures monétaires et budgétaires sans précédent, volet budgétaire qu'il est prévu de renforcer à travers le prochain projet de loi de finances rectificative.

Ainsi, les mesures de chômage partiel sont les plus généreuses d'Europe, alors que les États-Unis ont enregistré 17 millions de chômeurs supplémentaires en quelques jours. Il est permis de demander le report les échéances fiscales et sociales. Un fonds de solidarité a été créé pour les très petites entreprises. Enfin, l'État garantit les prêts à hauteur de 300 milliards d'euros.

S'agissant de ce dernier volet, il nous semble que les banques se sont bien mobilisées pour assurer le financement des entreprises. Les demandes de prêts garantis par l'État (PGE) atteignent environ 3 milliards d'euros chaque jour, et, selon les derniers chiffres publiés hier, les banques ont reçu jusqu'ici 230 000 demandes de tels prêts, pour près de 45 milliards d'euros. Je rends hommage à l'action des salariés des banques. Frédéric Visnovsky et moi-même veillons à ce que les banques prennent de bonnes décisions.

Nous sommes également attentifs aux assureurs crédit, dont l'engagement nous paraît encore perceptible. À travers la médiation du crédit, nous avons un rôle de garde-fou.

Nous avons reçu la semaine dernière 645 dossiers éligibles. Nous en recevons chaque jour plus que nous n'en recevions en un mois l'an passé. Mais cela représente moins de 1 % des demandes de PGE formulées auprès des banques. Ce sont principalement des très petites entreprises (TPE) à la santé fragile qui sont concernées, une moitié d'entre elles étant confrontées à un refus de PGE. Vous pouvez compter sur notre mobilisation à leurs côtés.

Sur le plan monétaire, l'Europe agit plus qu'on ne le dit. La question des « coronabonds » divise, mais l'action monétaire exceptionnelle de la Banque centrale européenne (BCE) nous réunit. Deux chiffres significatifs : jusqu'à 3 000 milliards d'euros pourront être mobilisés au profit des petites et moyennes entreprises (PME) qui se financent grâce aux banques, et nous avons décidé 750 milliards d'euros supplémentaires d'achat de titres pour les acteurs qui se financent via les marchés, c'est-à-dire les grandes entreprises et les États.

Il faut donc relativiser : oui, il serait possible de faire plus au titre de la solidarité européenne, mais on fait déjà beaucoup. Ainsi, grâce à l'Union européenne, l'Italie a pu emprunter à un coût moindre.

Nous devons commencer à réfléchir à l'après-crise et là, beaucoup de questions restent ouvertes. La confiance des ménages et des entrepreneurs jouera un rôle essentiel : la confiance sanitaire, à travers une sortie sûre et indispensable du confinement - ce sera l'acte 2 - et la confiance économique dans notre capacité à repartir durablement - l'acte 3.

Notre après-crise ressemblera, en moins dramatique, à un après-guerre. Nous devrons probablement nous appuyer sur trois leviers : le retour à la croissance, le traitement des dettes, une bonne utilisation de la politique monétaire.

La demande des ménages devrait être portée par leur situation financière, dans l'ensemble relativement favorable même si certains d'entre eux souffrent. L'offre des entreprises pourra rester bridée en raison d'une dette élevée, de faillites ou de difficultés persistantes d'approvisionnement international. Des programmes d'investissement seront donc nécessaires pour soutenir la demande et améliorer les capacités de production. La capacité d'endettement à l'échelon européen demeure préservée, ce qui favorisera la réalisation de nos priorités structurelles comme la transition climatique. Le fonds de relance, ou recovery fund, poussé par la France au sein de l'Eurogroupe, prendra ici tout son sens.

Sur le plan national, le meilleur investissement, c'est l'investissement dans l'éducation et la formation. C'est grâce à lui que nous couvrirons le coût de ce choc.

Le traitement de la dette sera complexe, car celle-ci, celle des États comme celle des entreprises, aura significativement augmenté. Parallèlement, l'épargne liquide des ménages se sera accrue en raison d'une consommation moindre.

La dette publique sera d'autant plus élevée que certaines créances sociales et fiscales pourraient être abandonnées, impliquant un effort budgétaire rigoureux dans la durée et une dépense publique plus sélective. Cet effort ne portera ses fruits qu'à moyen terme puisque, dans l'immédiat, il faudra aider au redémarrage de l'économie.

L'histoire nous apprend qu'il existe d'autres solutions partielles pour la dette : le cantonnement, la mutualisation. Mais il n'y aura pas de miracle : nous devrons porter plus longtemps des dettes publiques plus élevées, même si les taux d'intérêt restent très bas.

Enfin, en matière de politique monétaire, l'inflation devrait rester faible avec une demande globale qui ne repartira que progressivement, tandis que le prix du pétrole restera à un niveau bas. Cette faible inflation va nous obliger à maintenir des taux d'intérêt bas et des liquidités très abondantes.

Une annonce a frappé les esprits la semaine dernière, à savoir la facilité temporaire de découvert accordée par la Banque d'Angleterre au Trésor britannique, et qu'il devra rembourser dans l'année. Il ne s'agit ni d'une innovation ni d'un financement monétaire : cette facilité avait déjà été accordée en 2008 et en 2009, plafonnée alors à 20 milliards de livres, c'est-à-dire moins de 1 % du PIB britannique.

Pour finir, je veux vous assurer du complet engagement de la Banque de France grâce à cinq leviers : par notre réseau et la médiation auprès des TPE-PME et des ménages en difficulté ; par la couverture des besoins en monnaie fiduciaire ; par la politique monétaire ; par un suivi attentif des marchés ; par une surveillance de la solidité financière des banques et des assurances, via l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). C'est par notre unité et notre solidarité que nous surmonterons cette épreuve.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion