Monsieur Raynal, pour répondre à votre première question, je vais distinguer trois horizons temporels. Aujourd'hui, il n'y a pas de doute qu'il faut que la dépense publique constitue un bouclier au service des entreprises -c'est ce que j'ai appelé l'acte 1 : en préservant ainsi notre appareil de production, nous préservons notre capacité à redémarrer. Pour l'après-crise, l'acte 2, il faudra être prudent avec les économies sur la dépense publique, parce qu'il faudra consolider la reprise. Avec le retour à la normale, l'acte 3, je ne crois pas que le niveau des dépenses publiques en France - 56 % du PIB -, beaucoup plus élevé que chez nos voisins - 45 % en moyenne dans la zone euro -, qui ont pourtant un modèle social proche du nôtre, sera un atout pour la croissance. J'ai parlé de dépenses publiques plus sélectives, et je mesure la difficulté de l'exercice politique et démocratique, mais je pense que c'est la méthode qui s'imposera pour réduire la dette publique.
Vous avez évoqué le fait que, dans les après-guerres, l'inflation avait joué. Cette fois-ci, il semble que nous serons plutôt dans la situation inverse. Le chiffre de l'inflation du mois de mars en France vient d'être confirmé à 0,7 % ; les prévisions du FMI sont à moins de 1 % pour notre pays l'année prochaine. Tout cela crée des marges de manoeuvre pour la politique monétaire, et même une obligation d'intervenir.
Vous vous interrogiez sur une contradiction éventuelle entre une inflation plus forte et des taux que l'on veut maintenir bas. La tâche de la Banque centrale européenne sera plus simple si l'inflation est plutôt faible, compte tenu d'une demande qui repart progressivement et d'un prix du pétrole bas. Notre marge de manoeuvre nous permettra de maintenir des taux très bas et des liquidités très abondantes pour soutenir la reprise.
Vous avez parlé d'isoler la part de la dette imputable à la crise. Cette solution du cantonnement a souvent été pratiquée dans le passé : la Caisse des dépôts et consignations, créée en 1816, a contribué à cantonner la dette issue des guerres napoléoniennes. Cela dit, le cantonnement ne résout pas le problème du remboursement de la dette, même s'il peut être un outil de pilotage budgétaire.
Enfin, la Banque centrale européenne doit être guidée par son mandat, à savoir le maintien de la stabilité des prix, non seulement parce que le traité l'exige, mais parce que c'est la condition de la confiance des Européens dans leur monnaie. Cette confiance est un actif clé et il n'est pas question de le perdre. Nos décisions seront donc guidées par l'objectif de stabilité des prix et non par la « dominance » budgétaire.
Monsieur Dallier, il reste évidemment beaucoup d'interrogations sur la profondeur de la crise. Aujourd'hui, la Banque de France ne fait pas de prévisions annuelles ; nous verrons si nous pouvons le faire en juin. Nous estimons seulement que chaque quinzaine de confinement coûte 1,5 % de PIB à l'économie française et presque autant en déficit.
Le suivi de la solidité des banques est notre devoir permanent - c'est aussi celui du superviseur européen pour les six principales banques françaises. Nous avons relâché un certain nombre de réserves qui existaient sur le capital, dont le fameux « coussin contracyclique ».
Monsieur Bascher, aujourd'hui, le taux du livret A a atteint un plancher, les taux de l'assurance vie ont eux-mêmes baissé. La rémunération de l'épargne liquide des Français a été mise en ligne avec l'environnement de taux bas. Aujourd'hui, la clé pour la mobilisation de cette épargne est le retour de la confiance, sanitaire d'abord, puis économique, plutôt que des décisions supplémentaires sur les taux administrés. Incontestablement, le choc très sévère que nous vivons ne va pas arranger les choses quant à la solvabilité des acteurs économiques. Pour autant, le choix d'augmenter la dette publique pour prêter aux entreprises me paraît le seul possible. Dans la bataille économique, on ne compte pas pour sauver des entreprises et des emplois. Il faudra trouver, pour certaines entreprises qui connaissent des problèmes de solvabilité, des solutions de bilan. Le Gouvernement a annoncé 20 milliards d'euros d'interventions en fonds propres, plutôt pour les grandes entreprises ; l'Allemagne a annoncé des interventions en fonds propres pour les PME - c'est une des petites différences -, mais cela nous paraît plutôt de l'ordre des intentions que des réalisations. Ce sujet devra être abordé de manière différenciée, selon les secteurs et selon la situation des entreprises.