Je suis très heureux d'avoir cette occasion de converser avec vous. Dans cette période difficile, il est important de garder ce lien de compréhension mutuelle.
Je veux évoquer la situation des Français à l'étranger, puis celle des Français de l'étranger - la distinction est importante.
Il nous a fallu en premier lieu permettre à nos compatriotes en déplacement personnel ou professionnel de rejoindre le territoire national alors même que le trafic aérien international était de plus en plus limité et que les frontières et les aéroports de bien des pays fermaient. En dépit de situations difficiles, nous avons fait en sorte que 166 000 personnes rentrent de 140 pays différents. Il a fallu pour ce faire affréter des vols, téléphoner à des ministres, voire à des chefs d'État, mais nous sommes presque parvenus à la fin de cette étape, même si quelques complications sont encore possibles. Je pense notamment aux jeunes qui se trouvent en Australie ou en Nouvelle-Zélande dans le cadre d'un programme vacances-travail ; du fait du confinement, ils se retrouvent parfois sans activité et sans ressources. Nous les avons invités à se manifester auprès de nos consulats et nous avons mis en place des vols à tarifs attractifs pour leur permettre de rentrer en France ; ceux qui veulent rentrer pourront le faire.
Ce rapatriement global a pu se dérouler grâce à notre bonne relation avec Air France, mais aussi à la coopération d'autres compagnies aériennes, notamment Qatar Airways et Ethiopian Airlines. Dès la semaine prochaine, ce sera une nouvelle donne. Les compagnies aériennes ont réduit considérablement leurs liaisons et se sont repliées sur un réseau squelette ; nos ressortissants encore présents à l'étranger devront donc prendre d'autres dispositions. J'apprécie en tout cas vos remerciements : notre centre de crise et les postes diplomatiques ont su faire face et accomplir leur devoir.
Concernant les Français résidant à l'étranger, nous leur avons généralement conseillé de rester sur place et de respecter les mesures de confinement prises par les autorités locales. Environ 3,5 millions de personnes sont concernées ; la crise actuelle est d'ailleurs pour elles une bonne occasion de s'inscrire au registre des Français de l'étranger tenu dans chaque consulat. Nous leur conseillons aussi de nous faire connaître leurs éventuelles vulnérabilités sanitaires. À la demande du Président de la République, nous travaillons à la mise au point d'un dispositif de soutien médical et, éventuellement, d'évacuation sanitaire, afin de les rassurer. Ce dispositif sera différent selon les pays. Dans chaque pays vulnérable, nos ambassadeurs feront connaître aux expatriés toutes les mesures susceptibles d'assurer leur protection.
Il importe que nous puissions garder notre influence dans ces pays. La sécurisation de nos concitoyens qui y résident doit par conséquent être non seulement sanitaire, mais aussi éducative et sociale. L'enseignement doit être maintenu, notamment au sein des établissements de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Nous apprécions la continuité pédagogique assurée par tous leurs enseignants restés sur place, qui ont fait montre de professionnalisme et de loyauté envers la communauté française et les autres enfants placés sous leur responsabilité. Cela aussi fait partie de l'influence de la France.
Nous nous soucions particulièrement de trois aspects de notre système éducatif à l'étranger : les bourses existantes, l'aide sociale apportée à certaines familles rencontrant aujourd'hui des difficultés, mais aussi les problèmes financiers qui touchent certains établissements. Nous allons mettre en place dans les jours qui viennent, à la demande du Président de la République, un plan d'urgence visant à apporter un soutien massif à tout le réseau et à garantir ainsi sa continuité. Nous le rendrons public dans les plus brefs délais, de même que le dispositif sanitaire ; certaines mesures requerront des traductions législatives et budgétaires.
J'en viens à la réponse européenne à la crise.
La machine a connu un léger retard à l'allumage, comme Mme von der Leyen l'a reconnu elle-même. Il y a eu du retard dans la solidarité, parce que l'ampleur de l'épidémie a surpris et désarçonné tout le monde, mais aussi parce que la santé ne fait pas partie des compétences ordinaires de l'Union européenne. Devant l'urgence, les États ont d'abord réagi en ordre dispersé. Néanmoins, ce retard a été largement rattrapé. Des actes de solidarité concrète ont vite eu lieu : nous remercions nos voisins allemands, suisses, autrichiens ou encore luxembourgeois d'avoir pris en charge des malades français. Nous avons pu collaborer pour les rapatriements, par le biais d'un mécanisme européen de protection civile qui s'est avéré efficace. Nos instruments conjoints d'appui humanitaire et d'aide au développement ont été mobilisés.
Surtout, toutes les institutions européennes ont été au rendez-vous de la réponse économique à la crise, de la Commission à la Banque centrale européenne (BCE) et à la Banque européenne d'investissement (BEI). La BCE a très tôt procédé au rachat de 750 milliards d'euros d'actifs ; des commandes groupées d'équipements de protection ont été passées très vite. L'UE a levé des tabous et pris des décisions qui, auparavant, auraient été jugées impossibles ou irresponsables : les règles du pacte de solidarité et celles relatives aux aides d'État ont été assouplies. L'Eurogroupe de la semaine dernière a acté l'engagement de 540 milliards d'euros supplémentaires au travers de la BEI et de la mobilisation du mécanisme européen de stabilité ; l'initiative Sure aidera en outre les États à financer le chômage partiel. Cela sera complété par la mise en place du fonds de relance souhaité par la France, qui avait suscité des oppositions. Ce fonds, d'un montant d'environ 500 milliards d'euros, permettra d'engager ensemble les investissements nécessaires pour sortir de la crise économique une fois la pandémie jugulée.
Je suis convaincu que ce plan de réponse global sera validé au Conseil européen du 23 avril prochain et que cet épisode amènera l'Europe à se montrer plus pragmatique, plus réactive, plus solidaire, mais aussi plus souveraine dans ses décisions. La crise peut être un accélérateur de refondation ; elle permet en tout cas des actes que l'Union n'avait jamais osé entreprendre.
Concernant l'Afrique, je tiens d'abord à condamner avec la plus grande fermeté, comme le Président de la République ce matin, les propos humainement et moralement scandaleux que j'ai entendus sur de prétendues expérimentations qui pourraient se mener sur ce continent.
Nous considérons la situation sanitaire en Afrique sans catastrophisme, mais avec une extrême vigilance. La pandémie y est plus tardive qu'en Europe - on ne compte encore que 816 morts -, mais la vague monte et la quasi-totalité des pays est désormais touchée. On connaît la fragilité des systèmes de santé africains, les difficultés d'acheminement des médicaments, le manque de ressources et de personnel médical. Par ailleurs, les mesures de confinement peuvent avoir un effet dévastateur sur la part importante de la population qui tire ses ressources de l'économie informelle. Il est de notre devoir, en tant que bons voisins et amis, d'agir pour aider l'Afrique à faire face, mais c'est aussi dans notre intérêt. C'est un impératif sanitaire : nous devons écarter la menace d'un effet boomerang dans les prochains mois. C'est aussi un impératif sécuritaire : les terroristes ne sont pas confinés, ils continuent à frapper. Il importe donc que nous continuions à aider l'Afrique de manière très vigoureuse.
Je suis impressionné par la prise de conscience de l'enjeu par les autorités africaines, qui ont pris des mesures précoces de grande ampleur. J'ai également été frappé par la qualité de l'appel lancé par le Président de la République et relayé par de nombreux chefs d'État ou de gouvernement européens et africains : les actions proposées sont extrêmement fortes, ce doit être un grand sursaut.
Il faut soutenir et accompagner les efforts des États africains dans le domaine sanitaire. C'est pourquoi j'ai décidé de réorienter immédiatement 1,2 milliard d'euros de l'aide française au développement vers les enjeux sanitaires et alimentaires, afin de renforcer les systèmes de soins et les capacités de détection. L'Europe a également pris des initiatives ; Mme von der Leyen a annoncé la mobilisation de 15 milliards d'euros pour les pays en difficulté. Le compte n'y est pas tout à fait pour l'Afrique, mais nous allons continuer de travailler. Nous agissons enfin en collaboration avec l'OMS et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, pour que le multilatéralisme soit présent et efficace sur le terrain. Nous avons négocié un accord particulier avec le Fonds mondial pour que 5 % des sommes qui lui ont été remises puissent aller à l'assistance technique aux États, qui pourraient alors bénéficier de son important réseau.
Le secteur scientifique africain ne doit pas non plus être négligé ; il permettra, en relation avec les antennes de l'Institut Pasteur, d'accélérer la recherche sur les vaccins, en lien avec l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) et l'OMS. Ces collaborations seront essentielles pour garantir qu'un vaccin soit disponible en Afrique, mais aussi aider à l'innovation.
La troisième priorité de notre action pour l'Afrique est l'urgence humanitaire. La restriction des transports et les fermetures de frontières engendrent des difficultés de ce point de vue. Nous allons donc mettre en place, à l'échelle européenne, un pont aérien humanitaire pour répondre à l'appel à la mobilisation lancé par le secrétaire général des Nations unies.
Enfin, le quatrième pilier de cette action est économique. Vous avez entendu l'appel relatif à la dette qu'a lancé le Président de la République en réponse aux initiatives des ministres des finances africains. Hier soir, une première étape a été franchie : les créanciers publics et privés bilatéraux se sont mis d'accord pour un premier moratoire de 20 milliards de dollars au sein du club de Paris ; le G20 a aussi validé cet accord. La Chine, devenue ces dernières années l'un des principaux créanciers des pays africains, a pris part à cet accord, ce qui représente un acte historique de sa part. Il faudra que les institutions multilatérales répondent à la même logique de manière à élargir ce dispositif ; parallèlement, conformément aux engagements du Président de la République, nous nous organiserons pour une annulation nette de la dette des pays pour lesquels cela s'avérera nécessaire. Ce qui paraissait récemment impossible se met en place ! Mentionnons aussi la mobilisation des droits de tirage spéciaux par le Fonds monétaire international.
Je veux à présent faire un tour d'horizon des crises internationales en cours. Le 23 mars, le secrétaire général des Nations unies a lancé un appel au cessez-le-feu mondial, auquel le pape François a fait écho le jour de Pâques. Malheureusement, malgré les efforts diplomatiques, les crises se poursuivent dans la violence.
Dans la région d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie, l'accord conclu le 5 mars entre la Russie et la Turquie est toujours en vigueur, mais ni le régime de Bachar Al-Assad ni la Russie n'ont renoncé à l'ambition de reprendre leur offensive le moment voulu. Comme rien n'avance à Genève, Idlib reste une poudrière sanitaire : les personnes déplacées en particulier courront un risque énorme quand l'épidémie les atteindra. Nous travaillons à obtenir des dérogations pour que l'aide médicale et humanitaire parvienne dans cette zone.
En Libye, pendant la crise sanitaire, les combats continuent. La trêve conclue il y a trois semaines est restée lettre morte, le processus de Berlin est encalminé. Des offensives ont été lancées sur la bande côtière par le gouvernement dit « d'entente nationale », avec le soutien de la Turquie ; des villes, notamment Sabratha, ont été reprises à l'Armée nationale libyenne du maréchal Haftar. Celle-ci a riposté, les combats se poursuivent. Il faut que les causes profondes du conflit fassent enfin l'objet de négociations : un remplaçant doit être trouvé à M. Ghassan Salamé ; on doit désarmer les milices et faire partir les mercenaires ; les ressources pétrolières doivent être justement réparties. L'embargo sur les armes doit être respecté ; c'est l'objet de l'opération Irini, qui va bientôt se mettre en oeuvre et dont la France sera le plus grand contributeur.
Au Yémen, un cessez-le-feu de deux semaines a été annoncé par la coalition menée par l'Arabie saoudite, mais on relève de nombreuses violations de part et d'autre. Il est d'autant plus urgent de le faire respecter que les premiers cas de Covid-19 viennent s'ajouter au choléra dans un pays dont le système de santé est déjà dévasté. Nous soutenons les efforts de M. Martin Griffiths en la matière.
L'Irak, pour sa part, fait face à une accumulation de défis majeurs : une crise sanitaire - l'épidémie y a commencé -, une crise économique, du fait de l'effondrement des prix du pétrole, dont ce pays est très dépendant, une crise sécuritaire, liée aux tensions croissantes entre l'Iran et les États-Unis, enfin une crise politique interne, qui voit la poursuite de manifestations et une vacance institutionnelle : M. Al-Kadhimi a été chargé de former un gouvernement, mais nul ne sait s'il y parviendra. La lutte contre Daech demeure notre priorité, mais elle est entravée par la situation politique interne régionale. Il faut faire preuve d'une grande vigilance, l'organisation terroriste se réorganisant et demeurant très active, du moins dans sa propagande.
Au Liban, enfin, la crise économique et politique qui sévit depuis octobre se voit désormais aggravée par la crise sanitaire. J'ai des discussions régulières avec mon homologue libanais. Je lui transmets un message clair : au-delà des annonces du nouveau gouvernement, il faut que les actes soient au rendez-vous ; c'est indispensable pour restaurer la confiance dans les autorités politiques libanaises. Toutefois, le statu quo domine, les réformes urgentes ne sont pas engagées, la moitié de la population est maintenant sous le seuil de pauvreté et l'évolution économique est très préoccupante. L'arrivée du Covid-19 ne peut qu'aggraver encore la situation.
Les situations conflictuelles se poursuivent donc, ce qui rend urgente l'adoption par le Conseil de sécurité des Nations unies d'une résolution robuste qui fixerait le cadre d'une trêve humanitaire générale pour la durée de la pandémie. Nous travaillons à cette fin depuis quelques semaines avec les membres permanents du Conseil de sécurité. Une réunion des chefs d'État de ces pays pourrait se tenir bientôt.