Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères en téléconférence

Jean-Yves Le Drian, ministre :

Monsieur Allizard, nous avons été informés de l'épidémie en Chine par notre consul général à Wuhan au mois de janvier. Nous nous sommes alors organisés pour rapatrier nos compatriotes dans de bonnes conditions. Je souligne d'ailleurs que notre consul général et son équipe sont les seuls à être restés sur place, avec un entourage médical. Je tenais à leur rendre hommage.

Vous avez pris connaissance de mon communiqué. J'ai considéré que, dans le récit de l'ambassadeur de Chine en France, certains mots étaient inacceptables, et je le lui ai fait savoir. J'ai lu avec intérêt ce matin la réaction du ministère chinois des affaires étrangères, qui a longuement répondu en indiquant que la Chine ne fera pas de commentaires sur l'inadaptation de la réponse française à l'épidémie, qu'elle se tient aux côtés de la France face à ce défi, qu'elle a remarqué que, sous la direction du président Macron, le Gouvernement a promu des gestes barrières largement soutenus par le peuple et qui aboutissent à des résultats positifs. Il ajoute : « Nous faisons sincèrement l'éloge de cette action, nous soutenons la France dans la mise en oeuvre de mesures fortes en fonction de sa propre situation, et nous avons la conviction que la France vaincra sans aucun doute l'épidémie prochainement. » Je prends acte de cette déclaration, et je n'ai pas de commentaire à faire.

Au-delà de cela, nous avons avec la Chine une relation de clarté et de fermeté. Ce pays veut établir un nouveau multilatéralisme - c'est un concept que nous partageons -, mais il a tendance à ne l'envisager que dans un seul sens. C'est un interlocuteur incontournable avec lequel nous entretenons un dialogue franc et constructif sur trois séries de sujets, liés à l'établissement de ce nouveau multilatéralisme, sur lesquels nous sommes parfois en accord et parfois en désaccord : la réciprocité économique et commerciale, le climat et la biodiversité et, enfin, la convergence entre l'initiative des nouvelles routes de la soie et la stratégie européenne de connectivité. Nous respectons la souveraineté de la Chine, celle-ci doit également respecter notre souveraineté, notre unité et notre présence européenne collective. Comme vous l'avez constaté, nous disons ce que nous pensons. En outre, nous avons des discussions très étroites sur la crise du coronavirus - je parle moi-même régulièrement avec mon homologue M. Wang Yi pour résoudre diverses questions, s'agissant, notamment, des capacités en masques.

Je n'ai pas d'information sur l'évolution de la situation à Tchernobyl et sur les incendies dans les environs du site, mais, à ma connaissance, l'aide publique au développement n'a pas servi à la construction de la centrale.

Le Président de la République a indiqué que l'effacement de la dette concernerait les pays les plus en difficulté. Nous ne les avons pas encore identifiés, mais nous avons pu très vite accélérer sur les moratoires, c'est un bon signe. La tribune publiée par les chefs d'État ou de gouvernement d'Afrique et de l'Union européenne ainsi que par les présidents de l'Union africaine et de la Commission européenne fait sens dans la perspective de l'établissement d'un nouveau type de relation entre l'Europe et l'Afrique, notamment s'agissant des dispositifs financiers et fiscaux. Il existe également des initiatives du Fonds monétaire international en faveur des droits de tirage spéciaux. Monsieur Laurent, je suis preneur de vos propositions pour permettre à ces pays de retrouver des marges fiscales.

Nous regrettons la position américaine sur l'OMS. Il est dommage que, en période de pandémie, le seul outil de coopération mondiale soit ainsi mis en difficulté. L'OMS a un rôle normatif : elle doit dire le droit international sur la santé à partir des dispositions du règlement sanitaire international (RSI), qui n'est pas contraignant. Elle a aussi un rôle d'alerte, d'information et de coordination à travers les 150 bureaux dont elle dispose dans le monde, ainsi que de formation. Sur ce plan, une académie de santé doit d'ailleurs ouvrir à Lyon. Enfin, elle est chargée de la détection et de l'assistance technique. Son fonctionnement peut être discuté : elle manque parfois de réactivité comme d'autonomie par rapport aux États, ainsi que de moyens d'alerte et de capacités normatives, mais cette situation ne relève pas de sa responsabilité, qui est limitée. La crise actuelle devrait nous conduire à revoir le rôle des grands outils existants, car il faut conforter l'OMS. La France sera au rendez-vous sur cette question. Au-delà, il faut réfléchir à une meilleure articulation entre l'OMS, cadre général reconnu par l'ONU, et des outils comme le Fonds mondial de lutte contre le sida, le GAVI pour les vaccins ou Unitaid pour les brevets, de sorte que chacune de ces organisations ait sa place et joue son rôle et que l'OMS puisse elle-même être mature dans l'exercice de ses fonctions.

Avec mon homologue allemand M. Heiko Maas, nous avons lancé l'année dernière une initiative en faveur du multilatéralisme afin de retrouver une nouvelle dynamique. Nous avons été suivis par soixante-dix ministres présents à l'assemblée générale de l'ONU. Demain, nous prendrons ensemble des initiatives afin que l'Alliance pour le multilatéralisme avance des propositions de réforme du système sanitaire international pour le rendre plus cohérent et dynamique. Plusieurs pays vont nous rejoindre. Nous ambitionnons ainsi de refonder un multilatéralisme en tirant les leçons de cette crise. Nous allons donc lancer ensemble cet appel avec le relais de l'Union européenne.

Monsieur Boutant, vous m'interrogez sur le rôle que la Chine aurait pu jouer en endettant certains pays africains. Aujourd'hui, Pékin contribue au moratoire, pour la première fois ; c'est un signe positif.

S'agissant de la conditionnalité du plan de relance, en matière d'accès au mécanisme européen de stabilité, mobilisé la semaine dernière par l'Eurogroupe, les normes de conditionnalité précédentes ont été supprimées. La seule condition qui subsiste est que les financements soient affectés à la crise sanitaire. Le futur plan de relance n'est pas la resucée d'un dispositif antérieur, mais découle d'une volonté d'emprunter collectivement des fonds permettant la relance de l'investissement, chacun à égalité pour assumer l'emprunt collectif et chacun faisant ses propres choix nationaux. J'espère que cette nouvelle donne ira jusqu'au bout et sera l'objet d'une décision le 23 avril, lors du prochain Conseil européen.

S'agissant de l'AEFE, nous sommes face à une triple difficulté : la première concerne les écoles, qui ne fonctionnent plus et perdent donc des recettes, ce qui est en particulier un problème pour les petits établissements qui ne sont pas à gestion directe et qui voient leur avenir remis en cause, car ils ont aussi des élèves qui ne sont pas français et qui subissent des conditions économiques difficiles ; la deuxième touche les familles de Français et inclut la question des droits de scolarité et des bourses ; la troisième, enfin, concerne l'AEFE elle-même. Tout cela fait l'objet du plan de relance. Sur les bourses, comme sur le programme 185, il y aura donc sans doute des modifications, mais je ne suis pas encore en mesure d'en parler. M. Lemoyne gère ce dossier, et le plan sera rapidement mis sur la table. Pour les familles étrangères, des aides seront prévues, car il s'agit d'un outil indispensable d'influence.

Sur les VIE jeunes actifs, je vais regarder, je n'ai pas de réponse technique à vous donner.

Monsieur Yung, depuis l'appel du 23 mars du secrétaire général de l'ONU à une trêve humanitaire, beaucoup de discussions ont été engagées par la France, parmi lesquelles des relations directes avec le Président chinois comme avec MM. Trump et Poutine. Nous espérons que le P5 porte ce point de vue au plus loin, sa réunion en vidéoconférence sera un événement politique de grande ampleur, dont nous espérons qu'il intervienne rapidement. Je me suis entretenu à ce sujet avec mon homologue chinois, M. Wang Yi.

S'agissant de la Haute Autorité mondiale de la santé, j'ai indiqué la semaine dernière combien une instance indépendante composée des meilleurs scientifiques pour identifier les menaces sur la santé humaine et animale me semblait utile. Comme le GIEC en matière de climat, elle agirait comme un interpellateur. Après la crise actuelle, nous nous interrogerons sur l'ensemble de la stratégie de santé dans le monde et nous reviendrons peut-être sur certains engagements pris juste après la Seconde Guerre mondiale. L'Alliance pour le multilatéralisme vise à aborder cette problématique. Lorsque le GIEC prend position, cela fait bouger les lignes, il faudrait qu'il en aille de même en matière de santé.

Les frontières européennes de l'espace Schengen, de l'Union et du Royaume-Uni ont été fermées. Cette décision a été prise en commun, c'est en commun que la décision de rouvrir sera prise. Ce n'est pas pour demain, l'espace européen restera fermé pendant quelque temps.

S'agissant des camping-caristes au Maroc, nous avons affrété deux bateaux pour ramener 400 véhicules. Malheureusement, il restait des places sur le second. Certaines personnes concernées qui se trouvaient à Agadir pensaient y rester, puis ont finalement considéré qu'il fallait rentrer. Il faut savoir si l'on veut rentrer ou non, car la frontière est fermée et, à chaque fois, cela requiert des autorisations. Les intéressés ne se rendent pas compte du temps que l'on passe à cela ! Je veux bien organiser un troisième voyage en bateau, mais alors il faut que ceux-ci soient présents au rendez-vous. Si vous les connaissez, monsieur Laurent, je vous remercie de le leur dire !

Avec mes homologues néo-zélandais et australien, nous sommes mobilisés sur les conséquences du cyclone Harold, qui sont notre priorité, et nous coopérons dans le cadre de l'accord Franz, ce qui ne fait l'objet d'aucune critique. S'agissant de l'assistance sanitaire, nous avons des accords avec certains pays qui permettent, si nécessaire, d'opérer des évacuations sanitaires. Un envoi de fret sanitaire est par ailleurs en cours ; il sera acheminé par Nouméa pour traiter la crise au Vanuatu.

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