Intervention de Maryline Gygax Généro

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 17 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mme Maryline Gygax généro directrice centrale du service de santé des armées en téléconférence

Maryline Gygax Généro, directrice centrale du service de santé des armées :

C'est un honneur de m'exprimer devant vous ce matin sur la gestion par le SSA de la crise liée au Covid-19. Je tiens tout d'abord à dire que le SSA s'associe à la peine des familles et des camarades des militaires du 5e régiment d'hélicoptères de combat (RCH), encore une fois durement éprouvé par l'accident d'hélicoptère survenu avant-hier.

Je commencerai par vous présenter les actions du SSA dans le cadre de cette pandémie causée par un virus inconnu, très contagieux, qui peut être à l'origine d'une aggravation brutale de l'état respiratoire, y compris chez des sujets jeunes, et contre lequel il n'existe aucun traitement préventif ou curatif connu à ce jour. Cette pandémie a bien évidemment une incidence directe sur la santé des armées, dont le SSA est en charge.

Le SSA est amené, en coordination étroite avec les autorités de santé publique, à déployer tout son savoir scientifique, son expertise militaire de l'exercice médical en situation d'exception, et son expérience des maladies virales émergentes. Cette expérience a été renforcée il y a quelques années par la prise en charge de deux patients atteints par le virus Ebola au sein de l'hôpital militaire Bégin et le déploiement du centre de traitement des soignants en Guinée-Conakry. Conformément à la revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017, dans laquelle sont évoqués le risque d'épidémie virale à grande échelle et la mobilisation régulière du SSA et de ses capacités de recherche en pareil cas, nous avons soigneusement entraîné nos personnels et maintenu les stocks de matériels nécessaires.

J'en viens au nombre de cas de Covid-19 au sein de nos armées. La réponse à cette question n'est pas univoque, et ce pour plusieurs raisons.

Comme vous le savez, les militaires peuvent librement choisir leur médecin traitant. Aussi le SSA n'a-t-il connaissance que des données issues de la surveillance épidémiologique qu'il exerce au sein du Centre d'épidémiologie et de santé publique des armées (CESPA). Nous disposons d'un système d'information permettant la sécurisation des données de santé, baptisé OSEA, et la déclaration anonymisée, par les médecins et les infirmiers de nos antennes médicales, de survenues d'événements de santé chez des militaires. Ainsi, 61 événements font l'objet d'une surveillance épidémiologique, dont des cas de Covid-19. Bien entendu, nos médecins ne peuvent déclarer que les cas dont ils ont connaissance, ce qui suppose une consultation en milieu militaire. Les militaires en arrêt de travail qui signalent leur cas à leur commandement sont une autre source, que nous baptiserons « cas signalés », lesquels peuvent se recouper avec les cas déclarés par le SSA. Enfin, il convient de rappeler qu'une distinction doit être faite entre cas confirmés, possibles et probables, conformément aux définitions de Santé publique France, et de souligner que, selon la phase de l'épidémie et selon les catégories de personnels, la confirmation par la réalisation de tests PCR n'est pas forcément réalisée.

À ce jour, 1 450 cas confirmés et 4 480 cas probables ou possibles sont dénombrés chez les militaires des trois armées, y compris les marins du porte-avions. Le nombre de cas signalés au commandement est de 1 520, ce nombre recoupant partiellement, je le rappelle, les données du SSA. Il s'agit bien des cas cumulés depuis le début de la crise. Pour les gendarmes, les nombres sont respectivement de 120 et de 1 900. Aucun décès n'est à déplorer chez les militaires du ministère des armées, mais un civil de la défense est malheureusement décédé, ainsi qu'un militaire de la gendarmerie. À notre connaissance, 63 militaires sont ou ont été hospitalisés, dont 12 en réanimation. Pour les guéris, j'ai signé une directive rendant obligatoires les consultations à l'antenne médicale lors du retour. Au total, 972 militaires guéris ont été vus au cours des dernières semaines. Les soignants du SSA sont inclus dans les cas de militaires. En cumulé, 180 cas confirmés et 218 cas probables ou possibles de médecins, infirmiers ou techniciens ont été dénombrés. Le nombre cumulé de soignants hospitalisés depuis la fin du mois de mars est de 14, dont 3 en réanimation.

J'en viens à l'opération « Résilience », à laquelle le SSA contribue au sein des hôpitaux militaires, mais aussi par des actions plus spécifiques, comme la mise en place de l'élément militaire de réanimation du SSA (EMR-SSA) à Mulhouse, la participation aux transferts interzonaux de patients, via des missions Morphée, et des évacuations héliportées ou maritimes sur le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Tonnerre.

L'hôpital Bégin, qui est notre hôpital référent en infectiologie, a d'emblée été référencé par la santé publique comme établissement de premier niveau. Quatre autres hôpitaux (Percy à Clamart, Sainte-Anne à Toulon, Laveran à Marseille et Clermont-Tonnerre à Brest) ont été reconnus comme établissements de deuxième niveau. L'hôpital Robert-Picqué à Bordeaux est reconnu comme hôpital de rang trois. Comme leurs homologues de santé publique, ces six hôpitaux militaires ont très vite augmenté leurs capacités de réanimation. Ils ont ainsi presque triplé leur nombre de lits de réanimation, qui sont passés de 57 avant la crise à 166 actuellement, auxquels il convient d'ajouter les 30 lits de l'EMR-SSA. Parallèlement, des unités de lits permettant une prise en charge de patients Covid en médecine intensive ont été installées au sein des huit HIA - y compris ceux de Lyon et de Metz, qui n'ont plus de service de réanimation, nos anesthésistes-réanimateurs ayant été insérés chez les partenaires civils. Le SSA compte ainsi, en sus, 238 lits dédiés à la prise en charge de patients Covid hors réanimation. Depuis le début de la crise, près de 2 000 patients Covid ont été hospitalisés au sein des hôpitaux d'instruction des armées, dont 354 en réanimation. En outre, 5 000 patients Covid ont été vus en consultation. À lui seul, l'hôpital Bégin a réalisé 30 % de l'activité de réanimation liée au Covid-19 du SSA.

L'un des grands atouts du SSA est son aptitude à concevoir des unités de soutien médical des armées dans tous les environnements. Ainsi, lorsque le Président de la République a exprimé le 16 mars le souhait qu'une structure de réanimation militaire soit mise en oeuvre en appui de l'hôpital de Mulhouse, nous avons conçu, équipé et déployé à partir du 21 mars l'EMR-SSA. Je souligne qu'il s'agit non pas d'un hôpital de campagne à proprement parler - ce n'est pas une structure autonome -, mais d'un authentique service de réanimation de 30 lits, sous tente, sécurisé, créé ex nihilo en moins d'une semaine et déployé grâce au soutien des armées. Il est destiné à accueillir des patients très infectieux, ce qui est différent de la prise en charge des blessés de guerre à laquelle nous sommes rompus. Il fonctionne en très bonne collaboration avec l'hôpital de Mulhouse, qui assure une part de son soutien logistique et technique, et en parfaite entente avec les équipes médicales de celui-ci.

Je suis fière d'indiquer que cet EMR-SSA, qui est armé par une centaine de personnels du SSA et trente personnels du régiment médical, a pris en charge à ce jour 44 patients, selon une logique de flux, puisqu'il s'agissait de ne jamais être saturé et d'être toujours en capacité d'accueillir de nouveaux malades. Au total, 11 de ces patients ont été transférés dans d'autres régions, dont deux en Allemagne ; 18 ont été transférés vers le centre hospitalier universitaire (CHU) de Mulhouse, dont 12 en hospitalisation médicale post-réanimation. On déplore deux décès.

L'EMR-SSA a accueilli tous les patients qui lui ont été proposés par le CHU de Mulhouse. Depuis une semaine environ, une des trois travées de 10 lits reste vide, ce qui permet d'envisager son démontage et sa biodécontamination avant son redéploiement ailleurs, selon les besoins qui seront exprimés par la santé publique.

Le SSA a également réalisé six missions Morphée entre le 18 mars et le 3 avril. À la demande de la ministre des armées, Morphée a été mis en alerte immédiate dès le 16 mars. Une astreinte opérationnelle permanente, avec un préavis de 24 heures, est réalisée par nos anesthésistes-réanimateurs et nos personnels. Morphée est une authentique capacité de réanimation en vol, habituellement destinée à l'évacuation de 6 blessés de guerre gravissimes sur de longues distances depuis tout théâtre d'opérations, ou de 4 blessés en réanimation et de 8 blessés moins graves. Sa dernière utilisation datait de l'Afghanistan.

Le module Morphée n'avait jamais été employé sur le territoire national, ni pour des malades hautement infectieux, ni sur les avions A330 Phénix de l'armée de l'air, ni de façon répétée. Au total, 36 malades intubés et ventilés ont été transférés vers d'autres régions, sans aucune dégradation de leur état clinique, pour soulager les services de réanimation de la région Grand-Est. Des patients en état grave ont également été évacués par les hélicoptères de l'armée de terre, armés par des équipes du SAMU ou de notre médecine des forces. Nos équipes ont également participé au transfert de patients depuis la Corse sur le PHA Tonnerre, ainsi qu'à certains transferts par trains sanitaires. Au total, 106 patients ont été évacués par des soignants du SSA et 28 par l'escadrille aéro-sanitaire.

L'organisation de ces missions est assez complexe, car elle nécessite de prélever dans un délai court des personnels au sein des hôpitaux militaires ou des centres médicaux des armées. Je tiens d'ailleurs à saluer la disponibilité, la réactivité et le professionnalisme des personnels du SSA, comme des armées, ainsi que les renforts que nous avons reçus, notamment de 250 élèves de nos écoles et d'une centaine de réservistes.

J'en viens maintenant au soutien spécifique des armées. Toutes les missions que je viens de décrire ont été réalisées en préservant la mission première de soutien opérationnel des armées. Actuellement, 80 équipes de médecine des forces et 101 personnels hospitaliers sont en mission opérationnelle.

Le maintien de la santé des forces armées dans le contexte de l'épidémie actuelle est un véritable défi, qui exige la mise en oeuvre de toutes les aptitudes du SSA. Un des rôles majeurs du SSA est la prévention. Il s'agit de protéger les militaires individuellement et collectivement par la mise en oeuvre des mesures barrières et de mesures combinées en réalisant des enquêtes autour des cas afin de repérer et de casser les chaînes de transmission, mais aussi, indirectement, de protéger les familles.

Par essence, les activités militaires sont susceptibles de se dérouler en milieu confiné, comme un bâtiment de la marine, un sous-marin ou un avion. L'entraînement militaire suppose des activités au cours desquelles il est difficile de maintenir les règles de distanciation sociale. La vie en collectivité est une des bases de la vie militaire. Ainsi, dès le début de la crise, le SSA a émis de nombreuses recommandations sur la mise en oeuvre des mesures barrières et l'adaptation de la vie collective afin de permettre autant que possible une distanciation. Il a mis au point de nombreuses procédures adaptées à l'environnement des trois armées, chacune ayant ses contraintes particulières. Ces procédures ont été réfléchies, mises au point et largement diffusées, en lien étroit avec le commandement. La ministre et la secrétaire d'État ont chargé le SSA de cette prévention, ainsi que de l'évaluation de la mise en oeuvre de ces recommandations. Le SSA apporte des conseils en fonction des situations locales et des données scientifiques connues. Ces conseils sont donc extrêmement évolutifs. Ce travail est réalisé en grande proximité avec le commandement. Celui-ci décide de la mise en oeuvre des mesures préconisées. Pour être efficace, cette action coordonnée doit être continue, attentive, et les mesures prises expliquées en détail aux militaires pour obtenir leur adhésion à chaque instant.

Des mesures spécifiques concernant les opérations sont également mises en oeuvre, alliant par exemple une quatorzaine avant départ à la réalisation de tests PCR pour les unités très opérationnelles, parfois le port de masque dans certaines activités ou circonstances. En OPEX, des zones d'isolement ont été organisées. Un rapatriement sanitaire des formes susceptibles de s'aggraver a été prévu.

La médecine des forces s'est très vite adaptée à la situation en réorganisant les antennes médicales en circuits différenciés de prise en charge. Surtout, le déploiement d'une solution de télémédecine, aux heures ouvrables et non ouvrables, pour les militaires et leurs familles, ainsi que pour les civils de la défense, a permis d'apporter un soutien fort apprécié. Près de 1 000 téléconsultations sont réalisées chaque jour, dont 75 % en lien direct avec le Covid-19. Les psychologues du SSA participent également au soutien médico-psychologique, le périmètre de la plateforme Écoute Défense ayant été étendu au Covid.

Enfin, les chercheurs du SSA, notamment nos experts en biosécurité, sont pleinement mobilisés. Les HIA participent à des essais cliniques ou à des protocoles d'innovation.

Je reviens sur la réalisation d'enquêtes épidémiologiques par les épidémiologistes du CESPA sur les cas de Covid-19 au sein d'unités militaires. Dans tous les cas, il s'agit de comprendre la chaîne épidémique, de réaliser des tests autant que possible, d'isoler les patients et de mettre en quatorzaine les cas contacts. C'est ce qui est en train d'être réalisé s'agissant des militaires du porte-avions.

D'après les éléments dont nous disposions hier en fin de journée, environ 500 marins présentent des symptômes. Une vingtaine d'entre eux ont été hospitalisés à l'hôpital militaire Sainte-Anne, huit d'entre eux sont placés sous oxygénothérapie et l'un est en réanimation. Au total, un peu plus de 2 300 marins sont suivis. Parmi eux, 940 ont été testés positifs au coronavirus, 645 négatifs. Nous attendons les résultats du reste des tests. Tous les marins testés positifs sont pris en charge par le SSA, ceux qui sont testés négatifs sont placés en quatorzaine en milieu militaire à Toulon ou dans les environs, sous la responsabilité de la marine nationale. Chacun des marins, qu'il soit négatif ou positif, est suivi matin et soir par des médecins et des infirmiers du SSA. Leur température est prise deux fois par jour et leur taux d'oxygène contrôlé. L'enquête épidémiologique est en cours, elle est complexe en raison du grand nombre de marins et de la promiscuité à bord, liée à la construction du bateau. Je reviendrai sur la façon de renforcer les mesures préventives.

En conclusion, le SSA répond présent à hauteur de ses moyens, lesquels ne sont pas et n'ont jamais été conçus pour répondre à des problématiques de santé publique à l'échelle de notre pays. Sa raison d'être est le soutien des armées et la satisfaction du contrat opérationnel. Vous le savez, le SSA a subi des réductions significatives de format dans les précédentes lois de programmation militaire, en même temps que les armées. Depuis, les effectifs des armées ont été renforcés, et l'actuelle loi de programmation militaire permet de stabiliser ses moyens, voire de les augmenter légèrement dans sa deuxième partie. Des conséquences devront sans nul doute être tirées à l'issue de cette crise, même s'il est encore un peu tôt pour déterminer précisément le niveau et la nature des moyens, médicaux ou matériels, qu'il conviendra de réexaminer.

Je serai également attentive à la régénération des personnels du SSA et à l'organisation qui permettra de soutenir les armées lorsqu'elles reprendront la plénitude de leurs activités. Nous sommes en train d'élaborer les prévisions en la matière, dans la mesure du possible.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion