Sur la situation du porte-avions, qui représente un événement majeur, vous parlez d'incompréhension et d'inquiétude. En l'état de mes connaissances, le Charles-de-Gaulle a appareillé en janvier, c'est-à-dire au moment où l'épidémie était encore un lointain événement en Chine. Or il convient de replacer chaque étape de la prise en charge des marins du porte-avions en rapport avec la phase dans laquelle se trouvait l'épidémie, les événements qui se sont produits sur le territoire national et les données de la science.
À ce stade, je ne suis pas en mesure d'apporter des réponses très précises à vos questions, puisque l'enquête épidémiologique du SSA est en cours et qu'une enquête de commandement a été déclenchée par le chef d'état-major de la marine ; sa réalisation sera confiée à un amiral, assisté d'un inspecteur du SSA pour les questions de santé, afin qu'elle soit la plus pertinente et complète possible.
Comment garantir au commandement qu'aucune épidémie à coronavirus ne se répande au cours d'une mission ou qu'un virus ne soit pas embarqué à bord d'un bâtiment de la Marine nationale, voire pis, d'un sous-marin ?
Une garantie de niveau maximal peut être apportée au commandement en fonction des données scientifiques - et on ne les connaît pas encore toutes concernant ce virus -, du type de mission, ainsi que de la connaissance, de l'environnement, des conditions et de la durée de celle-ci, de l'existence ou non d'un confinement, des interactions potentielles avec des éléments extérieurs aux armées, enfin, des possibilités de disposer des équipements et de l'organisation nécessaires. Au titre de la prévention, que peut-on conseiller au commandement pour éviter des drames comme celui du porte-avions ?
Les mesures de protection des forces sont fondées sur les mêmes principes que celles qui s'appliquent au grand public. L'utilisation des solutions hydroalcooliques, dont l'approvisionnement a soulevé quelques difficultés au sein de la gendarmerie, est désormais possible pour toutes les unités militaires, en complément d'un lavage des mains fréquent lorsque les conditions le permettent. La distanciation sociale est plus délicate sur un porte-avions, conçu il y a une trentaine d'années, dont la conformation a pour but de se protéger contre un ennemi extérieur et non un agent infectieux interne ; les coursives étant étroites, il est quasiment impossible de ne pas se croiser. Les mesures barrières sont respectées très sérieusement, mais ne peuvent qu'être imparfaites et insuffisantes.
Par ailleurs, faut-il proposer le port permanent du masque pour tout l'équipage ? Sur ce point, les politiques évoluent en fonction des données scientifiques et de la disponibilité des masques de différentes catégories. Le ministère des armées continue à réserver les masques FFP2 aux soignants, ceux-ci se trouvant en contact rapproché avec les patients contaminés et contagieux, et à privilégier les masques chirurgicaux anti-projections dans certaines situations spécifiques. Quant aux masques alternatifs à destination du grand public, ils seront bientôt, je l'espère, largement disponibles.
J'en viens à la question des tests. Monsieur le président, vous avez évoqué l'intérêt de réaliser un dépistage systématique avant chaque mission. Compte tenu des multiples informations sur les différents tests, je concentrerai mon propos sur leur objectif préventif.
Les tests de diagnostic viral tendent à rechercher le virus et à s'assurer, dans la mesure du possible, qu'aucun militaire sur le point de partir en mission n'en soit porteur. Parmi ces tests, seuls les dispositifs PCR sont actuellement possibles, mais leur protocole est lourd : il a fallu plusieurs jours pour tester l'ensemble des marins du groupe naval. En outre, ces tests, bien que fiables, peuvent révéler de faux négatifs si l'échantillon contient une quantité très faible du virus.
Au-delà de la présence du virus, ces tests pourraient-ils présenter l'intérêt d'informer les armées sur les militaires qui disposent d'anticorps, en supposant qu'une immunité en découle ? Si les tests PCR n'ont pas été réalisés avant le départ du porte-avions, c'est parce que, au mois de janvier, notre pays n'était pas encore en état d'alerte maximale concernant ce virus. De plus, avons-nous les moyens de tester toutes les unités militaires avant leur départ ? Pour le moment, les réactifs manquent partout, en France et dans le monde, pour pratiquer des tests systématiques. C'est pourquoi nous avons proposé au commandement, avant tout départ en opération, d'associer une quatorzaine, destinée à s'assurer que, en l'absence de symptômes, les militaires ne sont pas porteurs du virus, à une évaluation clinique et à des tests PCR systématiques pour les missions les plus sensibles.
Néanmoins, ayant conscience des limites de ces dispositifs, nous attendons prochainement des tests sérologiques de diagnostic rapide, utilisables avec deux gouttes de sang et lisibles en quinze minutes, afin d'y ajouter l'évaluation des militaires porteurs d'anticorps. Ce sont donc des mesures combinées qui permettent d'apporter au commandement un maximum de garanties.
Sur les questions relatives aux sous-marins nucléaires, je ne pourrai vous répondre qu'à huis clos.
J'en reviens à la situation du porte-avions et de son ravitailleur La Somme. La direction centrale du service de santé des armées a été alertée le 7 avril au soir de l'existence de plusieurs dizaines de cas d'infections respiratoires aiguës. En accord avec le commandement, nous avons envoyé dès le lendemain une équipe d'épidémiologistes, de médecins et d'infirmiers-préleveurs sur le Charles-de-Gaulle pour commencer l'enquête épidémiologique et réaliser des prélèvements sur les 60 marins symptomatiques, dont 50 se sont révélés positifs. Sur les 16 négatifs, certains ont vu leurs symptômes s'amplifier dans les jours suivants, d'où la mise en place d'une autre série de tests à l'issue de laquelle 10 cas sont devenus positifs. Nous avons aussi, le lendemain de l'alerte, évacué trois marins, plus symptomatiques ou plus à risque, vers l'hôpital militaire Sainte-Anne.
Comme je l'ai dit, l'enquête épidémiologique est en cours et l'enquête de commandement va débuter. Je peux seulement vous donner les éléments dont j'ai connaissance aujourd'hui, mais la ministre et le chef d'état-major des armées ont, comme moi, la volonté de faire preuve de transparence au fur et à mesure que des mises à jour interviendront.