Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 avril 2020 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Benoît Coeuré directeur du pôle innovation de la banque des règlements internationaux ancien membre du directoire de la banque centrale européenne par téléconférence

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Monsieur le directeur, merci d'avoir accepté cette audition de la commission des affaires européennes du Sénat.

Vous avez été membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) pendant huit ans. Quelques-uns d'entre nous ont eu l'occasion de vous rencontrer à Francfort, à l'occasion de déplacements. Votre mandat a pris fin en décembre dernier. Nous espérons que cela vous permettra de nous faire profiter de votre expertise et de votre expérience.

L'Union européenne traverse une crise inédite, brutale et profonde. L'épidémie de Covid-19 impose un confinement durable qui paralyse l'économie européenne et provoque nécessairement une violente récession. Cela change profondément la donne.

Vous avez vécu de près, au sein du board de la BCE, la colère des « faucons », lorsqu'il a été décidé de réactiver, il y a six mois, le quantitative easing.

Ces querelles intestines ont été balayées par le virus, qui a déjà conduit la BCE à s'engager à soutenir l'économie « quoi qu'il en coûte » - clin d'oeil à Mario Draghi : plan de rachat de dettes de 750 milliards d'euros, déplafonnement du quota de dette souveraine racheté par État, prêts aux banques à un taux d'intérêt négatif, extension du champ des titres acceptés en collatéral et réduction de leur décote.

Le débat s'est déplacé au Conseil européen, où une ligne de fracture connue entre les États du nord et ceux du sud a ressurgi. Lors de leur réunion du 26 mars, les chefs d'État et de gouvernement n'ont pas réussi à s'accorder sur la mise en place d'un instrument commun de solidarité financière face au choc symétrique dont Jacques Delors, sortant de sa réserve habituelle, a jugé à juste titre qu'il faisait courir un danger mortel à l'Union européenne.

L'Eurogroupe, chargé de trouver une issue, s'est rassemblé jeudi dernier autour d'un plan d'urgence de 540 milliards d'euros, s'appuyant à la fois sur la Banque européenne d'investissement (BEI) pour 200 milliards d'euros, sur le dispositif d'aide au chômage partiel pour 100 milliards d'euros et sur le mécanisme européen de stabilité (MES) pour le reste.

Le mécanisme d'aide au chômage partiel est adossé au budget de l'Union européenne, ce qui n'est pas le cas du dispositif de la BEI, dont les États sont actionnaires. Le cas du MES apparaît différent, dans la mesure où il bénéficie de la garantie des États sous forme de capital appelable. Pour autant, il n'existe pas de mutualisation des risques, dans la mesure où chaque État contribue au prorata de sa participation.

De fait, aucun accord n'a été trouvé sur l'émission de titres de dettes mutualisées, trop vite appelés à notre goût « coronabonds », permettant aux États bénéficiaires d'accéder à des taux d'intérêt inférieurs à ceux qu'ils auraient obtenus en empruntant directement.

La balle a été renvoyée au Conseil européen concernant la possible création d'un fonds commun pour financer la reprise. Au moment de quitter la BCE, il y a trois mois, vous aviez souligné que, partageant la même monnaie, nous sommes tous « dans le même bateau ». Vous croisiez les doigts en espérant qu'il n'y aurait pas de crise tant que la zone euro ne se serait pas dotée d'institutions ad hoc au service de l'intérêt collectif.

Or la crise est déjà là, nous surprenant par son ampleur redoutable. Aussi souhaiterions-nous connaître votre analyse. Quelle issue vous semble possible dans ce contexte difficile ? Quels seraient les avantages d'une mutualisation du risque par le biais de titres de dette émis en commun ou d'un fonds de relance temporaire ? Quels en seraient les dangers ? Comment les limiter pour les pays qui ne bénéficieraient pas de financement dans ce cadre ?

Enfin, si une issue positive est trouvée à cette question, peut-on espérer qu'il en résulte une accélération de la marche vers l'union des marchés de capitaux ? C'est un horizon que nous appelons de nos voeux depuis déjà pas mal de temps, mais qui est loin d'être aujourd'hui la réalité.

Monsieur le directeur, vous avez la parole.

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