Intervention de Benoît Coeuré

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 avril 2020 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Benoît Coeuré directeur du pôle innovation de la banque des règlements internationaux ancien membre du directoire de la banque centrale européenne par téléconférence

Benoît Coeuré, directeur du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI) :

Merci, monsieur le président.

Je me réjouis de cet entretien et serai volontairement assez court dans mon propos liminaire pour laisser tout le temps nécessaire à la discussion.

Je précise - ce qui va sans dire - que mes propos n'engagent pas la BRI, qui n'a aucune compétence en matière européenne, ni la BCE, dont je ne fais plus partie. Je m'exprime donc à titre personnel.

Je commencerai par une remarque assez générale : je crois que si l'on veut bien raisonner sur les instruments disponibles et les possibilités qu'offre cette crise, il faut s'inscrire dans le temps long, résister à l'urgence et replacer ce débat dans la perspective de la construction de l'union budgétaire en Europe.

Cette union se construit petit à petit, en partant d'un traité signé en 1992 qui ne la prévoyait pas et instaurait seulement une monnaie unique, qui coexiste encore aujourd'hui avec une collection de budgets nationaux seulement régis par des règles.

Il est important de comprendre que la capacité budgétaire de la zone euro se construit petit à petit, de manière pragmatique, et qu'aucun big bang ne conduira à la construction d'une union budgétaire avec une dette fédérale. Ceci nécessiterait en effet un changement profond des traités dont les Européens ne veulent manifestement pas.

Il faut donc se résoudre à cette approche par petits pas. Le fait est que, depuis la crise de la zone euro de 2010, on a accompli de tels pas avec la construction du Mécanisme européen de stabilité et d'un fonds de sauvetage des banques - le fonds de résolution unique.

Cette crise est une étape supplémentaire dans un processus nécessairement incrémental et pragmatique, qui doit concilier les contraintes et les aspirations politiques de tous les États membres. L'idée que cette crise puisse nous projeter tout de suite dans un monde avec des eurobonds et un budget fédéral me semble tout à fait irréaliste.

Par ailleurs, par son engagement fort et rapide, la BCE a donné à l'Eurogroupe et aux chefs d'État ou de gouvernement le temps de bien construire la réponse à la crise. On aurait souhaité que l'Eurogroupe puisse apporter une réponse d'urgence dès début mars. Il ne l'a pas fait et a laissé la BCE s'en charger.

Celle-ci a agi avec beaucoup de force grâce à son nouveau programme, le Programme d'achat urgence face à la pandémie (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP). Ceci a modifié les termes du débat à l'Eurogroupe.

Ce débat, qui aurait en effet pu initialement avoir à porter sur les moyens de calmer les tensions sur les marchés de dette souveraine, notamment italienne, a pu, grâce à l'intervention de la BCE, se concentrer sur des sujets de plus long terme et l'Eurogroupe a pu prendre un peu plus de temps pour construire sa réponse.

C'est une bonne nouvelle car certains des instruments dont on parle ont des conséquences profondes qu'il faut penser jusqu'au bout. Il faut ainsi peser toutes les conséquences d'une mutualisation de la dette.

Les règles qui encadrent les politiques budgétaires nationales et l'absence de mutualisation des risques budgétaires sont les deux faces d'une même médaille : si on touche à l'une, il faut toucher à l'autre. Il ne serait pas raisonnable d'aller vers des eurobonds sans avoir une réflexion de fond sur les règles budgétaires, ce qui nécessiterait, sous une forme ou une autre, des transferts de souveraineté budgétaire vers l'échelon européen, ce qui doit être discuté politiquement et contrôlé démocratiquement. On ne peut partager le risque budgétaire sans également en partager la responsabilité.

C'est ce débat que l'Eurogroupe n'a pas pu ou voulu traiter, ce qui explique le relatif manque d'ambition des solutions retenues à ce stade.

Ces solutions reflètent les préférences assez diverses des États membres. Il est normal qu'elles soient temporaires. Le débat n'est pas terminé.

À titre personnel, je serais favorable à ce que le fonds destiné à soutenir la reprise, tel que proposé par la France, dispose d'une capacité d'emprunt et puisse gager des ressources futures. Ce ne seraient toutefois pas des eurobonds, mais simplement une modalité d'un financement de court terme, dans des circonstances exceptionnelles et temporaires. Cela ne devrait pas avoir d'impact en soi sur les fondamentaux de l'Union monétaire.

À plus long terme, vouloir changer ces fondamentaux constitue un bon débat. Les règles budgétaires ont en effet mal fonctionné : elles étaient mal conçues dès l'origine et les États membres se sont mis d'accord, par facilité politique, pour les vider progressivement de leur contenu et accorder des flexibilités toujours plus grandes. Résultat :on se retrouve régulièrement dans des situations où la Banque centrale doit fournir l'essentiel des instruments de stabilisation et de gestion de crise. Ce n'est pas normal. C'est, à long terme, mauvais pour la légitimité de la construction européenne et pour la confiance des citoyens dans leur banque centrale, qu'ils tiennent pour responsable de décisions qui sont fondamentalement politiques.

Pour résumer, il faut selon moi scinder la question du financement de l'action qui est aujourd'hui nécessaire face au virus et celle, de long terme, concernant l'organisation budgétaire de la zone euro.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion