Intervention de Benoît Coeuré

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 avril 2020 à 9h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Benoît Coeuré directeur du pôle innovation de la banque des règlements internationaux ancien membre du directoire de la banque centrale européenne par téléconférence

Benoît Coeuré :

J'ai évoqué le défaut et la restructuration lorsque j'ai parlé des questions qui ne pourraient être résolues qu'au sortir de la crise et des différentes manières de réduire le ratio de dette par rapport au PIB. Cela inclut la problématique de l'annulation.

Il faut différencier deux questions. D'une part, la question de l'annulation ou d'un moratoire sur les dettes publiques des pays émergents et en développement - le Président de la République s'est exprimé hier soir au sujet des pays africains- qui sera abordée lors des assemblées de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Ce débat concerne principalement la communauté des créanciers publics. D'autre part, la question de l'annulation générale des dettes souveraines qui est plus compliquée, car les dettes sont détenues par des opérateurs privés, qui sont eux-mêmes souvent les intermédiaires ou les mandants des épargnants. Annuler les dettes représente un transfert de richesse au détriment des détenteurs ultimes de ces dettes que sont les épargnants nationaux ou internationaux. Il n'y a rien de magique à l'annulation d'une dette : c'est une manière de transférer le fardeau à quelqu'un d'autre, de faire payer quelqu'un d'autre. Ce débat redistributif doit être instruit par des moyens politiques.

Ce débat n'a rien de tabou. Il a eu lieu dans le cas de la Grèce. Une reconfiguration significative des termes de la dette grecque a été discutée en 2012 puis en 2015 par l'Eurogroupe, puis par les chefs d'État ou de gouvernement et votée par les parlements nationaux. Ce n'est pour moi qu'une modalité d'un débat plus vaste sur le partage des coûts d'après-crise. Ce n'est pas une solution miracle. Il faudra bien que quelqu'un paye. Et la nécessité de ce débat, si elle existe, n'apparaîtra qu'après la crise.

La dette peut-elle être annulée par la BCE ? Une grande partie des dettes émises en ce moment par les États membres de l'union monétaire sont certes achetées par la BCE dans le cadre de ses programmes, qu'il s'agisse de l'assouplissement quantitatif classique ou du programme exceptionnel lié à la pandémie. Ces dettes ne peuvent être annulées parce que ce serait contraire aux traités, mais elles seront détenues par la BCE pour une période longue, voire très longue, en accord avec les objectifs monétaires. Cela fait donc également partie de la solution même si cela ne peut être la seule solution.

La BCE peut-elle être attaquée par les marchés ? Non. La BCE n'est pas cotée en bourse, elle est détenue à 100 % par les banques centrales des États membres et elle ne dépend pas des marchés pour son financement, puisqu'elle crée la monnaie. En revanche, il est important que ses actions restent crédibles auprès des marchés si on veut qu'elles soient efficaces et que la crédibilité de son engagement à défendre l'intégrité de la zone euro et à remplir son mandat ne soit pas mise en cause. Je n'ai pas le sentiment que ce soit aujourd'hui le cas. La BCE est très crédible, notamment après ses actions des dernières semaines.

Quant à l'emploi des 540 milliards d'euros, je ne me sens pas qualifié pour répondre à cette question, qui dépend de l'impact sectoriel de la crise dans les différents États membres et qui relève également de la stratégie industrielle.

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