Intervention de Cédric O

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de m. cédric o secrétaire d'état chargé du numérique en téléconférence

Cédric O, secrétaire d'État :

La plupart des grands opérateurs ont mis en place des actions de soutien en direction de leurs sous-traitants, en termes notamment d'allongement des délais de paiement. La situation est difficile pour la filière comme pour toutes les autres, mais je n'ai pas de remontées particulières. Les grands opérateurs m'ont paru conscients de leurs responsabilités.

Sur les ordonnances, nous avons beaucoup discuté avec les collectivités territoriales, notamment sur la question des délais de recours afin de ne pas arrêter les travaux. Mettre en oeuvre la règle selon laquelle le silence vaut acceptation nous a semblé délicat, car, en cette période, il n'y a parfois personne dans certaines mairies. Nous avons pris en compte les demandes des collectivités territoriales. C'est un sujet sur lequel nous travaillons encore.

Concernant le « new deal », des projets peuvent avoir été ralentis ou arrêtés par la crise du Covid-19, mais ils devront aboutir. Les opérateurs sont très clairs là-dessus et ils souhaitent continuer à avancer. Nous ferons un point précis post-crise : les plans de déploiement auront certainement pris un peu de retard, mais nous recalerons un calendrier de travaux afin de revenir le plus rapidement possible au rythme pré-Covid-19.

Nous ne communiquons pas sur les marges de manoeuvre des réseaux, pour des raisons de sécurité nationale. Sachez cependant que nous disposons d'une marge significative, ce qui nous donne à penser que, compte tenu des dispositions que nous avons prises, nous ne courons aucun risque systémique. Quant à l'augmentation de l'utilisation de la bande passante, elle est du même ordre de grandeur que ce que l'on a pu observer dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne.

J'ai eu l'occasion de discuter avec les responsables de la plupart des grandes plateformes fortement consommatrices de bande passante, y compris celles de jeux en ligne. Celles-ci ont pris des dispositions, s'agissant notamment des mises à jour, afin de consommer moins de bande passante. C'est ainsi que Twitch a choisi de dégrader sa qualité d'image.

Trois organismes copilotent le projet StopCovid au niveau européen : l'Inria pour la France, l'École polytechnique fédérale de Lausanne pour la Suisse et un troisième opérateur pour l'Allemagne. S'agissant de la France, une task force regroupant des chercheurs et des développeurs de l'Inria est à l'oeuvre, avec l'appui de la Direction numérique de l'État et de l'Anssi et en relation avec la Cnil. Cette task force accueille aussi des développeurs privés issus de start-ups ou de grands groupes français, sur la base d'un engagement pro bono. Des développeurs parmi les meilleurs du pays mettent ainsi gratuitement leurs compétences à notre disposition pour le développement de cette application. Je ne peux cependant pas révéler leur identité. Je tiens à remercier tous ceux qui, entreprises ou particuliers, ont ainsi choisi de venir nous aider sur ce projet national. En outre, la propriété intellectuelle de l'application reviendra à l'État et l'application sera ensuite en open source : il n'y a donc aucun intérêt caché. Je ne vois aucun problème s'agissant de la phase de développement ; une fois l'application développée, d'autres questions se poseront, en termes par exemple d'hébergement.

La plupart des autres pays européens ont choisi une voie plus coercitive, avec utilisation des données de géolocalisation afin de vérifier le respect du confinement : ce n'est pas le choix fait par la France. Notre application reposera sur la technologie Bluetooth et le volontariat. La technologie Bluetooth présente l'inconvénient de ne pas avoir été conçue pour mesurer les distances, mais c'est la seule qui respecte efficacement la vie privée. Sera-t-elle suffisamment précise pour que l'application soit utile d'un point de vue épidémiologique ? À ce stade, je suis optimiste, mais je n'en suis pas encore certain.

S'agissant du taux de pénétration, ne confondons pas les objectifs. Tout d'abord, les données épidémiologiques sont divergentes : une étude de l'Imperial College d'Oxford estime l'efficacité entre 60 % et 75 %. Mais tout dépend de la stratégie de déconfinement retenue : si nous déconfinons par zones, nous devrons réfléchir par zones. La mise en oeuvre de cette application devra être complétée par un travail de reconstitution des historiques de proximité qui devra être mené à la main, par des personnes qui appelleront les gens et les interrogeront. C'est la recette allemande et coréenne. Mais à chaque fois que vous alerterez quelques personnes de plus grâce à l'application, vous prendrez un temps d'avance sur la chaîne de transmission. Nous avons donc intérêt à ce que cette application soit le plus utilisée possible, en lien avec le déploiement de tests.

N'ayons pas peur pour les libertés publiques - toutes les garanties sont données -, mais gardons-nous aussi de tout « solutionnisme » technologique : cet outil ne sera pas magique.

Les propos du sénateur Franck Montaugé sur les Gafam confirment beaucoup de choses que nous avions déjà pointées. J'espère qu'à la faveur de la crise nous assisterons à une plus grande prise de conscience des parties prenantes et de la population. Je constate cependant que nous cédons vite à la facilité d'utilisation : je ne sens pas de mouvement général de la population française vers le recours à des outils autres que ceux, bien souvent américains, qui fonctionnent le mieux et sont les plus aisément utilisables aujourd'hui. Pourtant, d'autres solutions existent. Si nous voulons faire des choix européens, il nous faudra peut-être accepter que cela marche un peu moins bien pendant un certain temps.

Nous n'avons pas encore le détail technique de ce que Apple et Google nous proposent au sujet de StopCovid. Nos équipes sont en contact avec les leurs. Nous devons poser un principe : les gouvernements doivent avoir le choix, car ils sont responsables de la gestion de la crise devant leurs concitoyens. Toute aide est bienvenue, mais elle doit être apportée aux conditions des gouvernements. Ce principe de base doit être respecté, plus encore en période de crise.

Le temps nous est compté. Le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé leur volonté de saisir le Parlement sur la question du déploiement de StopCovid, mais tout doit se jouer d'ici au 11 mai. Nous devrons être prêts à cette date et avoir débattu auparavant. Il est donc probable que nous devrons avancer en parallèle : que le Parlement nous fixe des lignes rouges et des principes de fonctionnement, car tous les développements techniques ne seront peut-être pas aboutis au moment du débat parlementaire. Je souhaite que nous puissions présenter l'architecture technique de StopCovid le plus tôt possible, probablement dans une dizaine de jours. Être prêts pour le 11 mai est un défi.

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