Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de vous présenter devant nous pour évoquer un sujet que l'allocution du Président de la République hier a placé au coeur de l'actualité. Cette audition s'inscrit dans le cadre du contrôle de l'action du Gouvernement en cette période de crise, qui est avant tout une crise sanitaire. Notre commission est pleinement mobilisée : nous avons déjà entendu les principaux ministres relevant de nos compétences, et les responsables des cellules de veille, de suivi et d'anticipation qui ont été mises en place auditionnent depuis deux semaines de nombreux professionnels sur différents secteurs, dont le numérique.
Le Président de la République a annoncé hier soir la poursuite de la période de confinement pour au moins quatre semaines, ainsi que la continuation et l'amplification des mesures de soutien à l'économie.
Vous êtes secrétaire d'État chargé du numérique et, avec cette crise, la France, comme le reste du monde, se met au 100 % numérique. Je formulerai trois observations pour lancer ce débat.
D'abord, l'épreuve que nous traversons présente à la fois des opportunités et des risques pour le secteur du numérique. Au chapitre des risques, nous constatons nos faiblesses dans ce secteur stratégique. « Nain numérique », « colonie numérique » : les termes ne manquent pas pour décrire notre situation. C'est sur Google, Facebook ou Twitter que nous recherchons les informations, sur les systèmes d'exploitation d'Apple et de Google que nous surfons... Et c'est en Californie que l'on profite de la crise pour expérimenter les livraisons par véhicule autonome. Même au Sénat, nous peinons à trouver un logiciel de visioconférence aussi performant que le logiciel Zoom, dont nous connaissons pourtant les faiblesses.
Le risque, c'est aussi que la crise conforte l'hégémonie de ces géants. Selon un récent sondage, neuf Français sur dix souhaitent une relocalisation des entreprises industrielles. Monsieur le secrétaire d'État, après la crise, le temps ne sera-t-il pas venu de mettre en oeuvre une stratégie de souveraineté numérique, comme le recommandait la commission d'enquête sénatoriale présidée par Franck Montaugé ?
Toujours sur le plan des risques, la crise touche de nombreuses start-ups du secteur. Vous nous direz en quoi les mesures adoptées par le Gouvernement sont adaptées à la situation particulière de ces jeunes pousses. Vous avez annoncé en début d'année que les investisseurs institutionnels s'engageaient à financer ce secteur à hauteur de 6 milliards d'euros ; qu'en est-il ?
Du point de vue des opportunités, le développement du commerce électronique est évidemment accéléré par la fermeture de certains commerces et les mesures de confinement. Pour éviter que cette opportunité ne profite qu'à Amazon, il faut développer les mesures d'accompagnement du petit commerce vers le commerce en ligne, à l'image de ce que fait La Poste avec la plateforme « Ma ville, mon shopping ». La France est en retard dans la numérisation de ses entreprises, en particulier ses commerces de proximité. Les commerçants en sont conscients : des programmes de formation à leur adresse, autrefois boudés, sont aujourd'hui plébiscités. Il en va de même pour le fonds d'aide au numérique pour les commerces mis en place par la région d'Île-de-France. Que fait le Gouvernement pour se saisir de cette opportunité ?
Par ailleurs, cette crise transforme la fracture numérique en gouffre, au niveau tant des réseaux que des usages. Cette fracture, qui amplifie les inégalités sociales et territoriales, suscite une grande inquiétude dans nos territoires. Peut-être évoquerez-vous également les difficultés que connaissent les déploiements, liées au confinement.
Enfin, le Président de la République a également annoncé hier soir la consultation du Parlement sur l'application de traçage, qui fait en ce moment l'objet d'une réflexion. Il convient que cette consultation prenne la forme d'une véritable saisine, assortie d'une étude d'impact détaillée, reposant sur des analyses scientifiques. Cette saisine devra porter sur un projet précis et détaillé et faire suite à la publication d'avis de tous les experts, a minima le Conseil d'État pour le droit, la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés) pour la protection de la vie privée, l'Anssi (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) pour la cybersécurité. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous vous engager à respecter ces conditions ?
Enfin, le ministre dont dépend votre secrétariat d'État, Bruno Le Maire, a indiqué que son ministère n'était pas chargé du développement de cet outil de traçage, qui relèverait des ministres de l'intérieur et de la défense. Or, on entend que vous travaillez avec le ministre de la santé sur ce sujet. Qui en sont les pilotes ?
La crise a agi comme un révélateur de plusieurs phénomènes. D'abord, le numérique est devenu l'épine dorsale du fonctionnement de nos institutions, de nos entreprises et de notre société, notamment dans les relations interpersonnelles. Il s'est imposé dans la vie quotidienne des Français, à travers les applications dont ils se servent et sans lesquelles la vie en confinement serait beaucoup moins supportable. Sans les outils numériques, le fonctionnement de nos institutions serait compromis, à commencer par celui du Parlement : cette audition n'aurait, par exemple, pas pu avoir lieu. Cette crise a donc révélé le caractère vital du numérique.
Deuxième constat, la dépendance très forte de l'Europe aux outils américains ou autres. Sans les grandes entreprises américaines, beaucoup de choses seraient beaucoup plus difficiles ; pourtant, il existe aussi des outils français qui fonctionnent presque aussi bien que Zoom dont, d'ailleurs, la Commission européenne a interdit l'usage. Il est important de ne pas faire passer l'expérience client avant toute autre préoccupation - ce qui est le grand problème du numérique.
Le Gouvernement a pris des mesures de soutien à l'économie numérique, pour éviter que l'écosystème que nous avons mis plusieurs années à construire ne disparaisse avec la crise - pour des raisons évidemment économiques, puisque nous estimions avant la crise que les start-ups devaient créer un emploi sur cinq ou six en 2020, mais aussi de souveraineté. Je prendrai l'exemple de la biotechnologie, qui permet notamment de développer des vaccins et autres solutions pour lutter contre la maladie. Il faut dix ans à une entreprise de ce secteur pour atteindre la rentabilité. Si nous abandonnons ce tissu d'entreprises, il faudra donc dix ans pour le reconstruire.
C'est pourquoi Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et moi-même avons voulu soutenir ce secteur via à la fois le plan global destiné aux entreprises et un dispositif plus spécifique destiné à garantir un accès aux financements aux entreprises numériques, qui ont une relation au système bancaire plus distante. C'est l'objet du plan de soutien de 4 milliards d'euros pour les start-ups que j'ai annoncé récemment. Il repose en premier lieu sur une adaptation des critères d'éligibilité aux prêts garantis par l'État : le critère retenu n'est pas le chiffre d'affaires, puisque celui de ces sociétés est souvent nul, mais la masse salariale. Nous avons également adapté les règles du chômage partiel au fonctionnement de ces entreprises. Ainsi, les entreprises du numérique auront accès aux prêts garantis par l'État, pour un montant d'environ 2 milliards d'euros selon nos estimations.
Elles bénéficieront en deuxième lieu du versement anticipé du crédit d'impôt recherche (CIR) au titre de 2019, alors que ce versement intervient normalement en octobre, et des crédits du programme d'investissements d'avenir (PIA) pour les aides à l'innovation : au total, cela représente près de 2 milliards d'euros.
Celles qui rencontreront des difficultés dans leurs levées de fonds bénéficieront de prêts accordés par Bpifrance pour leur donner de l'air tant que durera la crise. Bpifrance continuera naturellement, en parallèle, à déployer les crédits prévus pour 2020, soit au total 1,3 milliard d'euros.
A la fin de la semaine dernière, près de 8 500 start-ups avaient obtenu un préaccord auprès d'une banque privée pour un prêt de trésorerie, pour un montant total de 1,2 milliard d'euros.
Cette crise a montré que l'accent mis par le Gouvernement sur cet écosystème, qui avait conduit certains à railler la « start-up nation », était justifié : nous voyons désormais le numérique, avec les applications de conversation, les mails, les clouds, toucher tous les Français au jour le jour. Or, bien souvent, nous n'avons pas d'autre choix que de passer par des entreprises américaines. Ce n'est pas vrai pour tous les secteurs : ainsi de la télémédecine, où un acteur français très résilient - qui pose par ailleurs problème dans le milieu médical - a permis de passer en deux semaines de 10 000 à 490 000 téléconsultations par semaine. Cette transformation n'a été permise que grâce à l'existence d'un acteur majeur dans ce secteur.
Nous avons aujourd'hui en France sept « licornes », ces entreprises du secteur numérique valorisées à plus de 1 milliard d'euros, dont quatre ont émergé au cours de l'année écoulée. Comment faire en sorte que l'Europe aille encore plus loin après la crise ? Le retard ne se résorbera pas du jour au lendemain, mais cette crise doit provoquer une prise de conscience. Le Président a évoqué, dans son discours d'hier, le thème de la souveraineté numérique.
Notre première préoccupation, dans les premiers jours de la crise, a été de faire en sorte que les infrastructures tiennent. Mes équipes ont réalisé un travail acharné, avec les opérateurs, pour éviter ce qui est arrivé en Italie : un ralentissement des connexions internet dû à une très forte augmentation de la consommation de bande passante, liée à la fois au télétravail et aux usages de loisir, en recrudescence. Les réseaux mobiles ont connu quelques problèmes localisés et vite résolus. Nous avons également pris des mesures prophylactiques : invitations à la dégradation, dans certains cas, de la qualité vidéo par les fournisseurs de contenus, report du démarrage de la chaîne de vidéos à la demande Disney +, recommandations d'utilisation du WiFi plutôt que du réseau mobile. Nous devrions arriver à la fin du confinement sans problème majeur.
La crise a également mis en lumière la question des zones blanches de la couverture numérique. Les opérations de couverture ont été affectées par l'épidémie. L'une des priorités du Gouvernement a été de permettre aux opérateurs de maintenir le réseau existant et de continuer à déployer le service, alors que les techniciens eux-mêmes étaient touchés par la maladie ou inquiets. Il faut saluer leur courage. De plus, le déploiement a été perturbé par le fait qu'il n'y avait plus de personnel présent dans certaines mairies pour accompagner les techniciens. Nous oeuvrons au cas par cas pour permettre à ces derniers de circuler et de continuer leur travail ; nous travaillons également avec l'Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) et les opérateurs pour que le déploiement de la fibre reprenne aussi vite que possible. Avec 19 000 nouvelles habitations connectées par jour en 2019, la France était le pays le plus rapide du monde en la matière et nous voulons en faire l'un des pays les mieux fibrés. Être privé d'accès à internet représente aujourd'hui une double, voire une triple peine.
La résorption de la fracture numérique se pose également quant aux usages : il faut engager un effort de mise à niveau et de formation. Je salue, dans ce domaine, l'initiative citoyenne « Solidarité numérique », lancée par des acteurs de la médiation numérique et soutenue par notre ministère. C'est à la fois un site internet et un numéro de téléphone, le 01 70 772 372, pour aider les citoyens qui ont des difficultés à utiliser internet à télécharger une attestation dérogatoire de déplacement ou à effectuer d'autres démarches en ligne. Au total, 2 000 volontaires traitent 500 appels par jour.
Au niveau des systèmes d'information de l'État, la crise n'avait pas été anticipée : en témoignent, par exemple, les difficultés de l'espace numérique de travail (ENT) de l'Éducation nationale. Grâce à la réaction remarquable des services, les choses sont rapidement rentrées dans l'ordre. Nous avons pu compter sur les entreprises françaises qui, en quelques jours, ont fait monter en compétence l'Éducation nationale afin de lui permettre d'encaisser le choc. Je salue également le travail de la Direction du numérique de l'État, qui a accompagné les ministères dans leur mise à niveau.
Toutefois, le système D ne peut être une solution à long terme : il faut se poser la question du fonctionnement numérique de nos institutions, y compris le Parlement. Vous, sénatrices et sénateurs, êtes les premiers à souffrir des difficultés du fonctionnement à distance. L'impossibilité de voter à distance est un handicap quand il faut examiner en urgence des dispositions législatives. Il faut développer une résilience des institutions en cas de nouvelle pandémie.
Autre question mise en relief par les événements, l'utilisation du numérique pour lutter contre l'épidémie. Les discussions se sont concentrées sur l'application StopCovid, sa faisabilité technologique et son efficacité dans le cadre de la stratégie de déconfinement, mais elle n'est que la partie émergente de notre action. Nous développons ainsi des outils numériques pour prévoir l'évolution de l'épidémie et faciliter la détection des cas graves, comme le site maladiecoronavirus.fr. Destiné à ceux qui se demandent s'ils ont contracté le virus, il contient une trentaine de questions sur les antécédents, les données biologiques, les symptômes et délivre sur la base des réponses une orientation : appeler le 15, contacter le médecin traitant ou attendre. Ce site, que les Français sont invités à consulter en priorité, a permis de désengorger le 15. Il permet aussi de suivre en direct l'évolution de l'épidémie sur la base du nombre de connexions et du code postal des utilisateurs. Au total, quatre millions de formulaires ont déjà été remplis.
Les applications de télémédecine sont devenues indispensables, et les applications de télésurveillance médicale, qui désengorgent les hôpitaux, sont appelées à se généraliser. Au début de l'épidémie, les malades ne présentant pas de symptômes graves restaient à l'hôpital. Désormais, les lits étant réservés aux cas graves, ils peuvent télécharger l'application Covidom, où ils sont invités à renseigner chaque jour leurs constantes pour bénéficier d'une surveillance précise à distance. Grâce à des algorithmes qui assurent le suivi des symptômes, des soignants sont prévenus en cas d'évolution, et peuvent suggérer un rendez-vous médical ou l'appel du 15. C'est cet outil qui a mis en évidence la prégnance du symptôme de la perte du goût chez les malades.
L'intelligence artificielle et le big data ont été mis à contribution pour faire apparaître les liens entre certains symptômes et un historique médicamenteux ou pathologique, et découvrir des comorbidités. Cela nécessite de croiser des bases de données avec des études sanitaires et épidémiologiques. L'hôpital Cochin a lancé un projet de détection automatique des cas graves de Covid-19 à partir d'une base de 10 000 scanners thoraciques : c'est un précieux outil d'aide à la décision pour les médecins. La plupart des projets dans ce domaine sont pilotés par l'Inserm et l'Institut Pasteur. Là encore, notre mode de fonctionnement est probablement trop lent en cas de crise.
Dernier élément : notre réflexion sur les outils numériques dans le cadre d'une stratégie de déconfinement. Deux ministères sont chargés du pilotage au jour le jour du projet StopCovid : le secrétariat d'État au numérique et le ministère de la santé. Les ministères de la justice et de la recherche sont également parties prenantes, notamment à travers l'Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique), qui pilote le projet StopCovid. Le ministre de la santé et moi-même travaillons sur ces outils hors de toute supervision du ministère de l'intérieur. Contrairement à plusieurs de nos voisins, nous ne développons pas d'outils de vérification du respect du confinement. Les options retenues seront examinées dans le cadre d'un débat parlementaire avant toute prise de décision.
StopCovid est un projet européen co-porté par la France, l'Allemagne et la Suisse. Développée dans la perspective du déconfinement, l'application est destinée à prévenir les personnes qui ont été en contact avec d'autres personnes testées positives au virus, afin de les inviter à se soumettre à leur tour à un test. En effet, pour éviter toute reprise de l'épidémie, la priorité consiste à identifier très vite les personnes testées positives et les « cas contacts ». C'est le travail qui a été mené au cours des stades 1 et 2 de l'épidémie en France, autour du foyer des Contamines-Montjoie. Des entretiens très poussés ont alors été conduits par Santé Publique France pour établir un historique des cas contacts.
Il convient de dissiper les fantasmes sur la réussite des Allemands et des Coréens dans ce domaine : d'après le Haut Conseil scientifique, l'outil numérique, en Corée du Sud, est venu en complément du contact tracing mené « à la main » par des centaines de personnes. Ce travail doit être associé à une capacité à tester très rapidement.
L'application StopCovid a vocation à venir en complément. Ce n'est pas la solution magique, mais c'est un outil qui peut aider à identifier et à casser rapidement les chaînes de transmission. Son utilisation ne se conçoit que dans le cadre d'une stratégie globale comportant des tests, des mesures d'isolement, etc. La décision de déploiement de cette application n'a pas été prise : ce que nous avons décidé de développer, c'est un prototype. Nous assumons avoir lancé le travail sur cette application afin qu'elle puisse être opérationnelle le cas échéant : c'est une mesure d'anticipation. Nous assumons pleinement le fait de mettre sur la table des outils technologiques français utiles au déconfinement, car il serait regrettable que les seuls outils disponibles le moment venu soient singapouriens, américains ou allemands.
Ces outils doivent respecter pleinement nos valeurs et nos lois concernant la vie privée et les libertés publiques : ce sera le cas. Ils respecteront la législation en vigueur ; ils ne nécessiteront pas de nouvelles dispositions législatives et seront même « mieux-disants ». L'application sera installée volontairement par l'utilisateur et elle pourra être désinstallée à tout moment. L'anonymat des données sera complet : personne n'aura accès à la liste des personnes contaminées ni à celle des personnes rencontrées. Il s'agit d'une historicisation de la proximité sociale et non pas d'un tracking de la géolocalisation. Il n'y aura pas d'utilisation des données téléphoniques ou GPS. Le principe est le suivant : si deux personnes ayant téléchargé l'application sont proches l'une de l'autre, leurs téléphones enregistreront ce contact ; si l'une d'entre elles est ultérieurement testée positive au Covid-19 et qu'elle le déclare sur l'application - ce sera probablement via un tiers de santé afin d'éviter les déclarations abusives -, l'autre recevra une notification lui proposant de se faire tester. Aucune liberté publique n'est remise en cause par cette application. Les données seront régulièrement effacées et l'application ne durera que le temps de la crise du Covid-19. Elle sera open source : son code source sera mis à disposition de tous et chacun pourra donc juger si elle offre bien toutes les garanties annoncées.
Toutes les garanties de transparence sont donc réunies. C'est indispensable, car, d'une part, ce sont les valeurs françaises qui sont en jeu, et, d'autre part, l'efficacité du dispositif dépendra de son déploiement, sachant qu'aujourd'hui 80 % de nos concitoyens ont un smartphone. Son caractère open source est une question de transparence et de diplomatie européenne. L'application apportera un bénéfice sanitaire à la fois individuel et collectif. C'est un très beau projet européen : développée en commun par plusieurs pays européens, elle sera mise à la disposition de tous les pays qui pourraient en avoir besoin, notamment des pays qui n'auraient pas la capacité de développer une telle application. Cela leur permettra de pouvoir choisir un outil qui respecte les valeurs universelles en matière de libertés publiques.
S'agissant des réseaux, il est important d'en poursuivre le déploiement et de réduire au maximum les retards. Mais il y aura des surcoûts et des pertes de productivité pour les entreprises. Le Gouvernement compte-t-il appeler les grands opérateurs à plus de responsabilité et de solidarité envers leurs sous-traitants ?
Certains demandent que l'on étende les dispositions de l'ordonnance, afin d'assouplir encore les procédures administratives et de faciliter la réalisation des travaux, mais le recours éventuel au principe selon lequel « silence vaut accord » pose question. Avant de prendre une telle décision, avez-vous engagé une véritable réflexion et un échange avec les élus locaux ? Ne serait-il pas opportun de s'assurer que les travaux obligatoires dans le cadre du « new deal » ayant déjà fait l'objet d'autorisations sont bien réalisés au préalable ?
Nous manquons de chiffres précis concernant la congestion des réseaux. Pouvez-vous nous dire de quelle marge de manoeuvre - 50 % ou moins ? - nous disposons sur nos réseaux fixes et mobiles ? Vous avez obtenu, avec Thierry Breton, qu'un certain nombre de plateformes particulièrement gourmandes en bande passante diminuent la qualité de leurs vidéos : pour combien de temps ? Êtes-vous également en discussion avec les grandes plateformes de jeux vidéo en ligne, car il semblerait qu'elles ne respectent pas toujours les règles du jeu, notamment en cas de mise à jour ?
S'agissant du plan France très haut débit, pouvez-vous vous engager à définir un objectif clair en matière de déploiements d'ici à 2025 - ainsi que le demande régulièrement le Sénat -, afin que le territoire soit couvert à 100 % en très haut débit ?
Quelque 13 millions de nos concitoyens ne maîtrisent pas le numérique et ne peuvent donc pas accéder à certains services comme Covidom. Comment envisagez-vous de remédier, dans l'après-crise, à cette fracture numérique en matière d'usages ?
Enfin, s'agissant de l'application StopCovid, nous avons enfin compris qui est responsable de quoi ; en particulier, c'est l'Inria qui coordonne les travaux. Pouvez-vous préciser quels organismes, publics et privés, participent à ce projet ? Y a-t-il d'autres pays partenaires que l'Allemagne ? Avez-vous passé un marché avec des entreprises ? Si non, comptez-vous le faire ? Ces entreprises seront-elles rémunérées ? Comment ce projet s'articule-t-il avec d'autres projets portés par nos partenaires européens, dont les approches sont parfois plus coercitives ? Quelle est la fiabilité de la technologie Bluetooth, au regard notamment de la protection des données et du volontariat ? Si seulement 20 %, 30 % ou 40 % des Français utilisent l'application, elle sera peu efficace.
Ma question porte sur les enseignements politiques nouveaux, en matière de souveraineté numérique, que vous tirez du comportement actuel des Gafam, qui voient dans la situation actuelle une occasion de développement et d'hégémonie supplémentaire. Vous avez déjà répondu en partie à cette question, mais je voudrais entrer dans les détails.
Apple et Google, qui sont en situation de duopole sur les marchés des smartphones, des magasins d'applications et des systèmes d'exploitation, ont annoncé qu'ils allaient collaborer pour, dans un premier temps, faciliter les applications gouvernementales de traçage en Bluetooth, via une interface de programmation d'applications permettant l'interopérabilité entre les systèmes Android et iOS, et, dans un second temps, proposer leurs propres applications.?Ne craignez-vous pas que ces géants ne se substituent, une fois de plus, aux États souverains ? Pouvez-vous nous assurer que la solution que vous adopterez sera totalement souveraine, et donc hermétique à toute collecte de données par quelque entreprise étrangère que ce soit ?
S'agissant de StopCovid, pouvez-vous nous assurer que son éventuelle mise en oeuvre s'accompagnera de campagnes de tests massives ? À défaut, cette application ne sera d'aucune utilité. Pouvez-vous vous engager à conduire, avant toute généralisation, une expérimentation ?
Les entreprises dont l'activité est essentiellement numérique tirent très bien leur épingle du jeu. On entend des appels à la solidarité de certains secteurs, comme celui des assurances. Alors que la taxe Gafam a été suspendue cette année, n'est-ce pas le moment d'appeler les grands acteurs du numérique à faire preuve de solidarité, par exemple en abondant généreusement le fonds de solidarité pour les entreprises ? Tous les Français continuent de surfer sur Google, sur Facebook, etc. Le cours de bourse d'Amazon a presque retrouvé son plus haut niveau historique, atteint fin février. Ne serait-il pas bienvenu de leur demander de consentir un geste significatif ?
Le fait qu'Apple et Android proposent une interopérabilité rejoint une proposition de loi que nous avions votée...
La plupart des grands opérateurs ont mis en place des actions de soutien en direction de leurs sous-traitants, en termes notamment d'allongement des délais de paiement. La situation est difficile pour la filière comme pour toutes les autres, mais je n'ai pas de remontées particulières. Les grands opérateurs m'ont paru conscients de leurs responsabilités.
Sur les ordonnances, nous avons beaucoup discuté avec les collectivités territoriales, notamment sur la question des délais de recours afin de ne pas arrêter les travaux. Mettre en oeuvre la règle selon laquelle le silence vaut acceptation nous a semblé délicat, car, en cette période, il n'y a parfois personne dans certaines mairies. Nous avons pris en compte les demandes des collectivités territoriales. C'est un sujet sur lequel nous travaillons encore.
Concernant le « new deal », des projets peuvent avoir été ralentis ou arrêtés par la crise du Covid-19, mais ils devront aboutir. Les opérateurs sont très clairs là-dessus et ils souhaitent continuer à avancer. Nous ferons un point précis post-crise : les plans de déploiement auront certainement pris un peu de retard, mais nous recalerons un calendrier de travaux afin de revenir le plus rapidement possible au rythme pré-Covid-19.
Nous ne communiquons pas sur les marges de manoeuvre des réseaux, pour des raisons de sécurité nationale. Sachez cependant que nous disposons d'une marge significative, ce qui nous donne à penser que, compte tenu des dispositions que nous avons prises, nous ne courons aucun risque systémique. Quant à l'augmentation de l'utilisation de la bande passante, elle est du même ordre de grandeur que ce que l'on a pu observer dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne.
J'ai eu l'occasion de discuter avec les responsables de la plupart des grandes plateformes fortement consommatrices de bande passante, y compris celles de jeux en ligne. Celles-ci ont pris des dispositions, s'agissant notamment des mises à jour, afin de consommer moins de bande passante. C'est ainsi que Twitch a choisi de dégrader sa qualité d'image.
Trois organismes copilotent le projet StopCovid au niveau européen : l'Inria pour la France, l'École polytechnique fédérale de Lausanne pour la Suisse et un troisième opérateur pour l'Allemagne. S'agissant de la France, une task force regroupant des chercheurs et des développeurs de l'Inria est à l'oeuvre, avec l'appui de la Direction numérique de l'État et de l'Anssi et en relation avec la Cnil. Cette task force accueille aussi des développeurs privés issus de start-ups ou de grands groupes français, sur la base d'un engagement pro bono. Des développeurs parmi les meilleurs du pays mettent ainsi gratuitement leurs compétences à notre disposition pour le développement de cette application. Je ne peux cependant pas révéler leur identité. Je tiens à remercier tous ceux qui, entreprises ou particuliers, ont ainsi choisi de venir nous aider sur ce projet national. En outre, la propriété intellectuelle de l'application reviendra à l'État et l'application sera ensuite en open source : il n'y a donc aucun intérêt caché. Je ne vois aucun problème s'agissant de la phase de développement ; une fois l'application développée, d'autres questions se poseront, en termes par exemple d'hébergement.
La plupart des autres pays européens ont choisi une voie plus coercitive, avec utilisation des données de géolocalisation afin de vérifier le respect du confinement : ce n'est pas le choix fait par la France. Notre application reposera sur la technologie Bluetooth et le volontariat. La technologie Bluetooth présente l'inconvénient de ne pas avoir été conçue pour mesurer les distances, mais c'est la seule qui respecte efficacement la vie privée. Sera-t-elle suffisamment précise pour que l'application soit utile d'un point de vue épidémiologique ? À ce stade, je suis optimiste, mais je n'en suis pas encore certain.
S'agissant du taux de pénétration, ne confondons pas les objectifs. Tout d'abord, les données épidémiologiques sont divergentes : une étude de l'Imperial College d'Oxford estime l'efficacité entre 60 % et 75 %. Mais tout dépend de la stratégie de déconfinement retenue : si nous déconfinons par zones, nous devrons réfléchir par zones. La mise en oeuvre de cette application devra être complétée par un travail de reconstitution des historiques de proximité qui devra être mené à la main, par des personnes qui appelleront les gens et les interrogeront. C'est la recette allemande et coréenne. Mais à chaque fois que vous alerterez quelques personnes de plus grâce à l'application, vous prendrez un temps d'avance sur la chaîne de transmission. Nous avons donc intérêt à ce que cette application soit le plus utilisée possible, en lien avec le déploiement de tests.
N'ayons pas peur pour les libertés publiques - toutes les garanties sont données -, mais gardons-nous aussi de tout « solutionnisme » technologique : cet outil ne sera pas magique.
Les propos du sénateur Franck Montaugé sur les Gafam confirment beaucoup de choses que nous avions déjà pointées. J'espère qu'à la faveur de la crise nous assisterons à une plus grande prise de conscience des parties prenantes et de la population. Je constate cependant que nous cédons vite à la facilité d'utilisation : je ne sens pas de mouvement général de la population française vers le recours à des outils autres que ceux, bien souvent américains, qui fonctionnent le mieux et sont les plus aisément utilisables aujourd'hui. Pourtant, d'autres solutions existent. Si nous voulons faire des choix européens, il nous faudra peut-être accepter que cela marche un peu moins bien pendant un certain temps.
Nous n'avons pas encore le détail technique de ce que Apple et Google nous proposent au sujet de StopCovid. Nos équipes sont en contact avec les leurs. Nous devons poser un principe : les gouvernements doivent avoir le choix, car ils sont responsables de la gestion de la crise devant leurs concitoyens. Toute aide est bienvenue, mais elle doit être apportée aux conditions des gouvernements. Ce principe de base doit être respecté, plus encore en période de crise.
Le temps nous est compté. Le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé leur volonté de saisir le Parlement sur la question du déploiement de StopCovid, mais tout doit se jouer d'ici au 11 mai. Nous devrons être prêts à cette date et avoir débattu auparavant. Il est donc probable que nous devrons avancer en parallèle : que le Parlement nous fixe des lignes rouges et des principes de fonctionnement, car tous les développements techniques ne seront peut-être pas aboutis au moment du débat parlementaire. Je souhaite que nous puissions présenter l'architecture technique de StopCovid le plus tôt possible, probablement dans une dizaine de jours. Être prêts pour le 11 mai est un défi.
S'agissant de la solidarité des géants du numérique, si l'on regarde le e-commerce, on s'aperçoit qu'il ne tire pas son épingle du jeu aussi bien qu'on le pense. Ses entreprises rencontrent des difficultés opérationnelles, notamment pour la gestion de leurs entrepôts et de leurs livraisons, comme en témoigne la décision d'Amazon de ne livrer que les biens essentiels. Nous ne sommes pas dans un âge d'or du e-commerce : ses entreprises vont certes moins mal que les autres commerçants, mais elles n'observeront probablement pas de hausse de leur chiffre d'affaires. De toute évidence, d'autres services purement numériques en profitent. Je retiens votre idée d'une contribution au fonds de solidarité pour les entreprises, je pense que c'est une très bonne idée, même si cela va un peu au-delà de mes responsabilités.
Il faudrait que ce soit une contribution définie par la loi, et non pas un simple acte de charité, car sinon cela ne sera pas suffisant. Le e-commerce a quand même été moins touché que les petits commerçants, qui subissent une forme de concurrence déloyale. Cela justifierait une contribution de ces plateformes de vente en ligne au redressement du pays. Ce débat est distinct de celui que nous avons par ailleurs sur la fiscalité.
Quel est le montant de l'investissement de la France dans le projet StopCovid ? Les explications fournies me semblent assez nébuleuses. Je ne suis pas convaincue de l'efficacité de ce projet ; or l'argent est rare. Je préférerais que l'on investisse massivement dans des tests et des masques !
J'entends le plaidoyer permanent en faveur de la souveraineté numérique, mais j'attends des actes. Il faut un volontarisme total de l'État, avec une impulsion publique au démarrage et la constitution d'un consortium européen, comme pour Airbus ou la filière nucléaire, sinon nous n'y arriverons pas. Je me réjouis que des licornes se développent, mais cela ne suffit pas. Le citoyen ordinaire ne connaît pas les outils numériques français : il n'y a aucune information, aucun volontarisme de l'État ! À l'image de ce que les Américains ont fait avec le Small Business Act, ne faudrait-il pas privilégier les outils français ou européens dans nos appels d'offres ?
Le Gouvernement a obtenu d'un certain nombre d'acteurs du e-commerce qu'ils proposent des tarifs préférentiels afin de permettre aux commerçants de proximité de poursuivre, autant que possible, leur activité en recourant au numérique. C'est une initiative bienvenue. Parmi ces acteurs figurent de grands noms, tels que Rakuten, Cdiscount ou Leboncoin, mais pas Amazon : pourquoi une telle absence ?
Afin de réduire la fracture numérique entre commerce en ligne et commerce physique, l'initiative « France Num » va-t-elle être renforcée ? On pourrait imaginer, par exemple, de créer un suramortissement dédié à la présence en ligne : qu'en pensez-vous ?
Le Gouvernement a mis en place un plan, bienvenu, de soutien aux start-ups, qui permettra sans doute d'éviter des faillites ou des arrêts de projets, mais permettra-t-il de maintenir les financements sur leur trajectoire antérieure à la crise ? L'objectif de créer 25 000 emplois dans le secteur en 2020 sera-t-il confirmé ?
Au début de cette année, les investisseurs institutionnels s'étaient engagés à investir 6 milliards d'euros dans les entreprises technologiques françaises. Qu'en est-il de cet engagement ? Vous êtes-vous assuré qu'il sera tenu ?
Je souhaitais également évoquer Bpifrance, mais vous avez déjà répondu à ce sujet. J'ajoute simplement qu'il ne faudra pas oublier d'augmenter sa dotation au titre de 2021.
Je suis certain que vous travaillez déjà sur le plan de relance. Comme l'a annoncé le Président de la République hier soir, nous allons devoir changer. Ce plan s'inscrira-t-il dans un tel changement ? Tendra-t-il vers davantage d'indépendance nationale et de souveraineté européenne ?
Dans le secteur de l'immobilier, le numérique est un puissant facteur de productivité et de transversalité, mais cette crise sanitaire a montré l'insuffisance de la dématérialisation à tous les stades de la chaîne du logement, de la conception à la maintenance. Tous les segments ne sont toutefois pas au même niveau : si le secteur privé est équipé à 100 %, ce n'est pas le cas du secteur public, ce qui crée un réel blocage, notamment en ce qui concerne la dématérialisation des demandes de permis de construire. Comptez-vous accélérer le processus de dématérialisation, notamment dans les services de l'État, qui sont loin du compte ?
Dans le domaine de l'hébergement d'urgence, la crise sanitaire a agi comme le révélateur des dysfonctionnements. La fracture numérique est notamment très prégnante parmi ces publics défavorisés ; les enfants, en particulier, se trouvent aujourd'hui déscolarisés. Les associations concernées sont disposées à investir pour améliorer la dotation des centres d'hébergement d'urgence en équipements numériques, mais cela entraînera pour elles un surcoût, alors même que leurs budgets sont déjà contraints.
Enfin, je vous indique que quatorze start-ups azuréennes ont répondu à votre appel à aider les entreprises et les Français, en leur permettant d'utiliser leurs services gratuitement ; c'est un beau message de solidarité.
Dans cette période, vous l'avez dit, on constate à quel point les usages du numérique sont importants. Disposez-vous d'un plan pour développer et promouvoir des outils permettant des usages simples et sécurisés, au moins pour les institutions et les services de l'État ?
S'agissant de la 5G, la Convention citoyenne pour le climat a remis en cause son déploiement, qui n'apporterait, selon elle, rien de plus en cette période de crise. Qu'en pensez-vous ?
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué la fracture numérique en indiquant qu'il paraissait impensable de devoir rester confiné chez soi sans connexion internet ; c'est pourtant la réalité vécue par ceux qui ne disposent que de peu de moyens, financiers ou techniques. Il en est ainsi de certains étudiants, dont les forfaits limités ne peuvent absorber le surplus de consommation induit. Une rapide enquête menée par SMS dans une université d'Occitanie a révélé que 400 étudiants se trouvaient dans cette situation. Des opérateurs ont proposé des recharges prépayées ou des débits supplémentaires, mais, si cela va dans le bon sens, ces efforts restent insuffisants. Envisagez-vous de leur forcer la main afin que ces entreprises s'engagent plus fortement auprès des étudiants, de manière que ceux-ci puissent mener à bien normalement leur année universitaire malgré le confinement ?
Monsieur le secrétaire d'État, cette crise a été interprétée par les fraudeurs comme une excellente occasion d'arnaquer nos concitoyens en profitant du régime de responsabilité limitée des plateformes en ligne. Considérez-vous que cela prouve la nécessité de traiter rapidement le sujet de la responsabilité des places de marché en ligne, après ceux des fake news, de la haine en ligne et de la neutralité des terminaux ? Envisagez-vous de publier une liste des acteurs qui se comportent mal en la matière ? J'en profite pour rendre hommage au travail de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
S'agissant des opérateurs, leur capacité à garantir le fonctionnement optimal du réseau repose sur la poursuite de l'activité de partenaires ou de sous-traitants, lesquels rencontrent des problèmes, en raison, par exemple, de la fermeture de certains constructeurs de pylônes, de l'impossibilité de se procurer certains matériaux, voire de difficultés administratives pour obtenir des arrêtés de voirie ou le traitement rapide des demandes de raccordement électrique, par exemple. Dans ce domaine, le soutien du Gouvernement et du Parlement serait déterminant pour redonner des perspectives aux sous-traitants et aux opérateurs.
Ce confinement révèle de grandes disparités numériques au sein des entreprises. Par exemple, certains collaborateurs sont en télétravail quand d'autres sont au chômage partiel. Existe-t-il un guide des bonnes pratiques de télétravail, que les employeurs pourraient suivre ?
S'agissant de l'accès aux technologies, les entreprises qui maîtrisent les nouveaux outils, notamment ceux qui permettent la collecte et l'exploitation des données de leurs clients, pourront survivre, de même que les commerces qui auront pu mettre en place des solutions de livraison à domicile, mais d'autres sont fermées aux nouvelles techniques. Quel accompagnement leur proposez-vous dans cette transition numérique, secteur par secteur ?
Sur le tracking, vous avez dit l'essentiel. Il me semble que le débat doit se poursuivre jusqu'à son terme, car cette option emporte de lourdes conséquences en matière de libertés individuelles et collectives.
Les plateformes numériques perdent peut-être de l'argent, mais il n'en reste pas moins qu'il y a une distorsion de concurrence aux dépens des commerces physiques : les premières peuvent livrer alors que les seconds sont fermés, par la force des choses. Amazon a ainsi gagné 13 % de chiffre d'affaires dans la dernière semaine du mois de mars et le cours de son action a grimpé de 200 euros... Vous indiquez que cette entreprise entendait limiter son activité à la vente de biens essentiels sous vingt-quatre heures, mais ce sont bien ses salariés qui ont gagné en référé, aujourd'hui même, car il est impossible de respecter les gestes barrières dans les entrepôts. D'une manière générale, tant que la sécurité de l'ensemble des salariés ne peut être assurée, leur donner pour instruction d'aller travailler relève de l'injonction contradictoire.
Je préfère, quant à moi, la loi à l'aumône : les géants du numérique sont des champions de l'optimisation fiscale, nous devons leur demander une contribution au fonds d'urgence ; nous pourrions en débattre lors de l'examen du prochain projet de loi de finances rectificative. Cela me semble nécessaire !
Monsieur le secrétaire d'État, concernant la télémédecine, je souhaite attirer votre attention sur des témoignages de médecins à ce sujet que j'ai reçus. Environ 40 % de l'activité des cabinets de médecine générale s'est évaporée et certains patients ont disparu des radars, en particulier en raison de la propagande pour la télémédecine, qui incite à ne plus se rendre chez le médecin. Des plateformes se montent dans des pays étrangers, le cadre législatif entourant la responsabilité pénale des médecins dans cette pratique à distance évolue, l'Ordre des médecins a modifié son code de déontologie et de grands groupes anticipent les évolutions à venir en rachetant un grand nombre de pharmacies.
Un médecin m'a ainsi indiqué que son métier était attaqué de toutes parts à grands coups de millions d'euros et de campagnes de communication. Il a le sentiment que des acteurs majeurs cherchent à « ubériser » la pratique. Un des grands sites de référencement des médecins prélève ainsi 5 euros de commission par consultation, un montant plus élevé que le coût de fonctionnement du cabinet. Ces sites mènent une véritable guerre du référencement en ligne, qui oblige les praticiens à rejoindre le leader pour rester visibles. Les tarifs sont démesurés, alors que l'on ne connaît pas le coût réel des services, basiques, proposés par les plateformes. Soyons vigilants : l'aspect humain est important, on ne soigne pas l'être humain seulement avec des algorithmes.
Madame Lienemann, le développement de StopCovid ne coûte rien en dehors des salaires des personnels de l'Inria, de l'Anssi et de la Direction interministérielle du numérique impliqués dans le projet. Je concède que le contrôle de gestion du développement de l'application n'a pas été notre priorité, mais le projet ne rassemble que des fonctionnaires et des volontaires qui travaillent gratuitement.
Je partage votre volonté que soit menée une réflexion sur la souveraineté européenne, en faisant le lien avec la commande publique, mais nous ne développerons pas le numérique comme nous avons développé Airbus ou le nucléaire, car il s'agit de créer des outils qui seront adoptés par le public. Cela, seuls des entrepreneurs savent le faire. Nous pouvons aider, mais pas étatiser les projets. Nous avons donc besoin d'établir une sorte de partenariat entre le public et le privé pour mener ces projets à bien.
S'agissant du choix de Microsoft pour le Health Data Hub, il illustre le retard technologique que nous avons pris en la matière : il n'y avait pas d'option française. Nous souhaitons recourir aux algorithmes d'intelligence artificielle pour découvrir des interactions médicamenteuses et des patterns qui nous permettent de lutter contre le Covid-19, et il n'y a pas d'équivalent français à ce que proposent les entreprises américaines dans le cloud sur certaines briques technologiques, notamment le Paas et le Saas Il me semble indispensable de faire en sorte que la France puisse disposer d'un tel outil dans les années à venir, mais aujourd'hui ce n'est pas le cas. Nous avons des acteurs très puissants en ce qui concerne les infrastructures - OVH, Outscale et j'en passe -, mais nous sommes encore très loin du compte s'agissant de certaines couches technologiques.
Monsieur le sénateur Babary, vous m'interrogez sur France Num et le e-commerce, et je vais en profiter pour répondre sur le e-commerce et la distorsion de concurrence évoquée par certains sénateurs. Amazon représente 20 % du commerce en ligne en France, alors qu'ailleurs en Europe son taux de pénétration atteint 40 %, voire 50 %. Chez nous, 80 % du commerce en ligne passe donc par d'autres plateformes, notamment françaises, comme Cdiscount, ManoMano, Fnac-Darty et bien d'autres. Si distorsion de concurrence il y a, celle-ci tient au fait que nos PME ne vendent pas suffisamment sur internet et n'est pas du fait d'Amazon. Nous devons faire en sorte que cela change. Que faisons-nous, collectivement, pour aider nos commerçants à vendre en ligne ? Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative à la vente en ligne. Nous avons pris l'initiative de faire la promotion auprès des petits commerçants de la vente sur les plateformes et nous avons mis en place une action pour permettre aux consommateurs de retrouver, par leur nom ou leur localisation, les petits commerces dont les produits sont vendus par ce canal. Amazon n'a pas voulu se joindre à cet effort. Vous trouvez cela problématique, mais, à l'inverse, les e-commerçants français doivent utiliser le fait que les Français peuvent retrouver chez eux leurs petits commerces pour gagner des parts de marché. Nous devons être aussi bons que les autres dans ce domaine. Faut-il pour cela renforcer France Num ? Je ne veux pas préempter l'après-crise, mais la question du numérique au coeur de la société et de l'économie doit être posée ; y répondre nécessite une réflexion globale, dans laquelle France Num a sa place. Il faudra également traiter de la fracture numérique, de la souveraineté numérique et du récit collectif sur ce sujet.
S'agissant de la contribution des assureurs à l'investissement dans les start-ups, françaises, nous comptons bien que les 6 milliards d'euros promis soient au rendez-vous. Une réunion se tiendra à ce sujet fin avril et les engagements pris de part et d'autre devront être tenus. Bpifrance est évidemment en première ligne sur ce sujet et je salue le travail de ses équipes. Sur le plan de relance, je ne veux pas préempter un sujet qui relève davantage du ministre de l'économie et de l'Union européenne, mais je pense que le numérique devra bien sûr en faire partie.
Madame Estrosi Sassone, vous avez raison de souligner les insuffisances de la dématérialisation dans le secteur du logement. Il y a en effet des insuffisances du côté de l'État : les procédures de demande de logement social, par exemple, doivent être améliorées dans les semaines ou les mois qui viennent, de nombreuses photocopies étant aujourd'hui exigées. Nous devons faire des progrès, mais tout le monde doit être au rendez-vous. Mon collègue Julien Denormandie m'indiquait ainsi que ce sont les collectivités territoriales qui ont demandé que l'on repousse d'un an ou deux l'échéance à laquelle les démarches dématérialisées deviendront obligatoires. En la matière, c'est le Gouvernement qui était mieux-disant. Il faut que les collectivités s'adaptent, ainsi que les entreprises ; nous y travaillons.
S'agissant de la fracture numérique, le constat est terrible : le confinement ajoute de nouveaux handicaps aux difficultés sociales et familiales en matière de recours aux services publics, de lien avec les proches ou les enseignants. Nous avons lancé une initiative de solidarité numérique et nous devrons collectivement faire un effort sur ce sujet. Vous évoquiez le fait que l'Éducation nationale a perdu le contact avec 8 % des enfants scolarisés.
En effet, des entreprises numériques azuréennes ont répondu à l'appel que nous avons lancé à l'ensemble de la french tech pour apporter des solutions gratuites aux entreprises et aux Français : 300 entreprises se sont manifestées et plus d'une centaine d'offres ont été publiées sur mobilisation-numerique.gouv.fr.
S'agissant de l'élaboration d'un guide des bonnes pratiques de télétravail, le ministère du travail donne des indications, ainsi que la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Sur le site mobilisation-numerique.gouv.fr, par ailleurs, des entreprises mettent gratuitement à disposition des solutions de télétravail.
Madame Artigalas, vous m'interrogez sur la promotion de solutions auprès des usagers. Nous sommes en train de travailler sur certaines recommandations d'outils d'utilisation courante. Cela nécessite un audit précis, qui est en cours, mais les services de l'État sont actuellement sous tension. Bien entendu, nos recommandations n'auront de valeur exécutoire qu'en ce qui concerne l'État.
Je rappelle qu'aucune étude épidémiologique n'a démontré l'existence d'un quelconque problème de santé causé par la 5G. S'agissant du rapport entre numérique et environnement, je voudrais souligner que sans technologies numériques avancées, il n'y aura pas de transition énergétique. Certes, le numérique est polluant, il consomme de l'énergie et des terres rares, mais aucune transition énergétique n'est possible sans lui. Le fonctionnement énergétique de demain reposera ainsi sur le smart grid, c'est-à-dire sur un réseau de nombreux petits points de production d'énergie - éoliennes, véhicules électriques, etc. -, qui ne pourra être géré que par des algorithmes l'équilibrant en temps réel. Le rêve d'une société ayant intégré la transition énergétique jusqu'au bout ne pourra donc se réaliser que grâce au numérique ; la 5G en fait partie. Ce secteur, à mon sens, permet donc des économies d'énergie et son bilan est probablement positif, même si nous devons travailler sur la consommation et la préservation des terres rares.
Monsieur Duran, j'ai évoqué la question des forfaits étudiants avec M. Blanquer et Mme Vidal. Les opérateurs ont fait beaucoup d'efforts et nous étudions comment aller plus loin, notamment dans la perspective de l'organisation d'examens recourant à la visioconférence. Le sujet est difficile à traiter, dans la mesure où il faut que le débit mis à disposition pour les études ne soit utilisé que pour celles-ci. La question de l'accès à internet des populations fragiles est en effet plus vaste.
Madame la sénatrice Sylviane Noël, vous avez évoqué ce qui est pour moi un sujet de grand agacement : le comportement de certaines plateformes de vente en ligne dans la crise actuelle, notamment Wish, qui relaie des publicités pour des masques ou des produits dont nous ne savons pas s'ils sont aux normes européennes et qui s'abrite derrière la directive e-commerce. Cela ne restera pas impuni : ceux qui ont profité de la crise pour faire ce genre de business sans aucune considération éthique en paieront le prix. Je rends à mon tour hommage aux agents de la DGCCRF, qui travaillent jour et nuit sur ces questions. Nous devrons réfléchir à adapter nos outils de régulation si les moyens dont nous disposons se révèlent insuffisants, car ces plateformes sont dangereuses pour la population française. Il nous faut les clouer au pilori et les forcer à se mettre en conformité. Si les dispositions de la directive e-commerce s'avèrent imparfaites, il nous faut en parler clairement avec nos partenaires. Ce texte fait déjà l'objet de débats, mais la sécurité des produits vendus en ligne est une question très importante. De tels abus sont insupportables, particulièrement en période de crise.
Madame la sénatrice Noël, nous faisons tout ce que nous pouvons pour que les opérateurs de télécoms puissent continuer à opérer. J'ai parlé avec M. Castaner pour que la police, qui effectue un travail extraordinaire, n'empêche pas les agents de leurs sous-traitants de circuler. Nous suivons ce sujet au jour le jour.
Monsieur Gremillet, s'agissant des outils de téléconsultation, je connais le débat qu'ils suscitent. Il est certain, cela étant, que la télémédecine ne peut se faire sans les médecins. Il faut toutefois garder à l'esprit que disposer d'un champion comme Doctolib représente pour nous une chance collective : je préfère en effet devoir m'adresser à Doctolib pour développer la télémédecine, ce qui ne lui confère aucun passe-droit, plutôt que d'avoir pour seule option le recours à un outil américain, comme c'est le cas dans d'autres domaines. La discussion doit avoir lieu, ce site n'a pas tous les droits, mais c'est un champion français.
Monsieur le secrétaire d'État, vos propos illustrent la difficulté et la nécessité de parvenir à un équilibre entre le physique et le numérique, dans le domaine médical comme dans celui du commerce. C'est une question qui va bien au-delà de la gestion de la présente crise. Merci de nous avoir fait part clairement et honnêtement de vos incertitudes. Nous nous retrouverons pour débattre du traçage dans les semaines qui viennent.
La téléconférence est close à 17 h 30.