Madame Lienemann, le développement de StopCovid ne coûte rien en dehors des salaires des personnels de l'Inria, de l'Anssi et de la Direction interministérielle du numérique impliqués dans le projet. Je concède que le contrôle de gestion du développement de l'application n'a pas été notre priorité, mais le projet ne rassemble que des fonctionnaires et des volontaires qui travaillent gratuitement.
Je partage votre volonté que soit menée une réflexion sur la souveraineté européenne, en faisant le lien avec la commande publique, mais nous ne développerons pas le numérique comme nous avons développé Airbus ou le nucléaire, car il s'agit de créer des outils qui seront adoptés par le public. Cela, seuls des entrepreneurs savent le faire. Nous pouvons aider, mais pas étatiser les projets. Nous avons donc besoin d'établir une sorte de partenariat entre le public et le privé pour mener ces projets à bien.
S'agissant du choix de Microsoft pour le Health Data Hub, il illustre le retard technologique que nous avons pris en la matière : il n'y avait pas d'option française. Nous souhaitons recourir aux algorithmes d'intelligence artificielle pour découvrir des interactions médicamenteuses et des patterns qui nous permettent de lutter contre le Covid-19, et il n'y a pas d'équivalent français à ce que proposent les entreprises américaines dans le cloud sur certaines briques technologiques, notamment le Paas et le Saas Il me semble indispensable de faire en sorte que la France puisse disposer d'un tel outil dans les années à venir, mais aujourd'hui ce n'est pas le cas. Nous avons des acteurs très puissants en ce qui concerne les infrastructures - OVH, Outscale et j'en passe -, mais nous sommes encore très loin du compte s'agissant de certaines couches technologiques.
Monsieur le sénateur Babary, vous m'interrogez sur France Num et le e-commerce, et je vais en profiter pour répondre sur le e-commerce et la distorsion de concurrence évoquée par certains sénateurs. Amazon représente 20 % du commerce en ligne en France, alors qu'ailleurs en Europe son taux de pénétration atteint 40 %, voire 50 %. Chez nous, 80 % du commerce en ligne passe donc par d'autres plateformes, notamment françaises, comme Cdiscount, ManoMano, Fnac-Darty et bien d'autres. Si distorsion de concurrence il y a, celle-ci tient au fait que nos PME ne vendent pas suffisamment sur internet et n'est pas du fait d'Amazon. Nous devons faire en sorte que cela change. Que faisons-nous, collectivement, pour aider nos commerçants à vendre en ligne ? Aujourd'hui, il n'y a pas d'alternative à la vente en ligne. Nous avons pris l'initiative de faire la promotion auprès des petits commerçants de la vente sur les plateformes et nous avons mis en place une action pour permettre aux consommateurs de retrouver, par leur nom ou leur localisation, les petits commerces dont les produits sont vendus par ce canal. Amazon n'a pas voulu se joindre à cet effort. Vous trouvez cela problématique, mais, à l'inverse, les e-commerçants français doivent utiliser le fait que les Français peuvent retrouver chez eux leurs petits commerces pour gagner des parts de marché. Nous devons être aussi bons que les autres dans ce domaine. Faut-il pour cela renforcer France Num ? Je ne veux pas préempter l'après-crise, mais la question du numérique au coeur de la société et de l'économie doit être posée ; y répondre nécessite une réflexion globale, dans laquelle France Num a sa place. Il faudra également traiter de la fracture numérique, de la souveraineté numérique et du récit collectif sur ce sujet.
S'agissant de la contribution des assureurs à l'investissement dans les start-ups, françaises, nous comptons bien que les 6 milliards d'euros promis soient au rendez-vous. Une réunion se tiendra à ce sujet fin avril et les engagements pris de part et d'autre devront être tenus. Bpifrance est évidemment en première ligne sur ce sujet et je salue le travail de ses équipes. Sur le plan de relance, je ne veux pas préempter un sujet qui relève davantage du ministre de l'économie et de l'Union européenne, mais je pense que le numérique devra bien sûr en faire partie.
Madame Estrosi Sassone, vous avez raison de souligner les insuffisances de la dématérialisation dans le secteur du logement. Il y a en effet des insuffisances du côté de l'État : les procédures de demande de logement social, par exemple, doivent être améliorées dans les semaines ou les mois qui viennent, de nombreuses photocopies étant aujourd'hui exigées. Nous devons faire des progrès, mais tout le monde doit être au rendez-vous. Mon collègue Julien Denormandie m'indiquait ainsi que ce sont les collectivités territoriales qui ont demandé que l'on repousse d'un an ou deux l'échéance à laquelle les démarches dématérialisées deviendront obligatoires. En la matière, c'est le Gouvernement qui était mieux-disant. Il faut que les collectivités s'adaptent, ainsi que les entreprises ; nous y travaillons.
S'agissant de la fracture numérique, le constat est terrible : le confinement ajoute de nouveaux handicaps aux difficultés sociales et familiales en matière de recours aux services publics, de lien avec les proches ou les enseignants. Nous avons lancé une initiative de solidarité numérique et nous devrons collectivement faire un effort sur ce sujet. Vous évoquiez le fait que l'Éducation nationale a perdu le contact avec 8 % des enfants scolarisés.
En effet, des entreprises numériques azuréennes ont répondu à l'appel que nous avons lancé à l'ensemble de la french tech pour apporter des solutions gratuites aux entreprises et aux Français : 300 entreprises se sont manifestées et plus d'une centaine d'offres ont été publiées sur mobilisation-numerique.gouv.fr.
S'agissant de l'élaboration d'un guide des bonnes pratiques de télétravail, le ministère du travail donne des indications, ainsi que la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Sur le site mobilisation-numerique.gouv.fr, par ailleurs, des entreprises mettent gratuitement à disposition des solutions de télétravail.
Madame Artigalas, vous m'interrogez sur la promotion de solutions auprès des usagers. Nous sommes en train de travailler sur certaines recommandations d'outils d'utilisation courante. Cela nécessite un audit précis, qui est en cours, mais les services de l'État sont actuellement sous tension. Bien entendu, nos recommandations n'auront de valeur exécutoire qu'en ce qui concerne l'État.
Je rappelle qu'aucune étude épidémiologique n'a démontré l'existence d'un quelconque problème de santé causé par la 5G. S'agissant du rapport entre numérique et environnement, je voudrais souligner que sans technologies numériques avancées, il n'y aura pas de transition énergétique. Certes, le numérique est polluant, il consomme de l'énergie et des terres rares, mais aucune transition énergétique n'est possible sans lui. Le fonctionnement énergétique de demain reposera ainsi sur le smart grid, c'est-à-dire sur un réseau de nombreux petits points de production d'énergie - éoliennes, véhicules électriques, etc. -, qui ne pourra être géré que par des algorithmes l'équilibrant en temps réel. Le rêve d'une société ayant intégré la transition énergétique jusqu'au bout ne pourra donc se réaliser que grâce au numérique ; la 5G en fait partie. Ce secteur, à mon sens, permet donc des économies d'énergie et son bilan est probablement positif, même si nous devons travailler sur la consommation et la préservation des terres rares.
Monsieur Duran, j'ai évoqué la question des forfaits étudiants avec M. Blanquer et Mme Vidal. Les opérateurs ont fait beaucoup d'efforts et nous étudions comment aller plus loin, notamment dans la perspective de l'organisation d'examens recourant à la visioconférence. Le sujet est difficile à traiter, dans la mesure où il faut que le débit mis à disposition pour les études ne soit utilisé que pour celles-ci. La question de l'accès à internet des populations fragiles est en effet plus vaste.
Madame la sénatrice Sylviane Noël, vous avez évoqué ce qui est pour moi un sujet de grand agacement : le comportement de certaines plateformes de vente en ligne dans la crise actuelle, notamment Wish, qui relaie des publicités pour des masques ou des produits dont nous ne savons pas s'ils sont aux normes européennes et qui s'abrite derrière la directive e-commerce. Cela ne restera pas impuni : ceux qui ont profité de la crise pour faire ce genre de business sans aucune considération éthique en paieront le prix. Je rends à mon tour hommage aux agents de la DGCCRF, qui travaillent jour et nuit sur ces questions. Nous devrons réfléchir à adapter nos outils de régulation si les moyens dont nous disposons se révèlent insuffisants, car ces plateformes sont dangereuses pour la population française. Il nous faut les clouer au pilori et les forcer à se mettre en conformité. Si les dispositions de la directive e-commerce s'avèrent imparfaites, il nous faut en parler clairement avec nos partenaires. Ce texte fait déjà l'objet de débats, mais la sécurité des produits vendus en ligne est une question très importante. De tels abus sont insupportables, particulièrement en période de crise.
Madame la sénatrice Noël, nous faisons tout ce que nous pouvons pour que les opérateurs de télécoms puissent continuer à opérer. J'ai parlé avec M. Castaner pour que la police, qui effectue un travail extraordinaire, n'empêche pas les agents de leurs sous-traitants de circuler. Nous suivons ce sujet au jour le jour.
Monsieur Gremillet, s'agissant des outils de téléconsultation, je connais le débat qu'ils suscitent. Il est certain, cela étant, que la télémédecine ne peut se faire sans les médecins. Il faut toutefois garder à l'esprit que disposer d'un champion comme Doctolib représente pour nous une chance collective : je préfère en effet devoir m'adresser à Doctolib pour développer la télémédecine, ce qui ne lui confère aucun passe-droit, plutôt que d'avoir pour seule option le recours à un outil américain, comme c'est le cas dans d'autres domaines. La discussion doit avoir lieu, ce site n'a pas tous les droits, mais c'est un champion français.