Intervention de Julien Denormandie

Commission des affaires économiques — Réunion du 15 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Julien deNormandie ministre chargé de la ville et du logement en téléconférence

Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement :

À mon tour, je veux rendre hommage à tous les acteurs de la chaîne de l'immobilier. La première des priorités, c'est en effet que les logements continuent à fonctionner.

C'est pourquoi, depuis le début du confinement, tous les trois jours, je fais un point avec la Fédération des ascensoristes, la Fédération des sociétés de nettoyage, etc., pour m'assurer que ces services essentiels à la vie des logements perdurent. J'ai une pensée particulière pour les gardiens d'immeuble, à qui j'ai écrit, pour les travailleurs sociaux qui travaillent au sein des centres d'hébergement et pour le tissu associatif.

La réponse à la crise que nous traversons doit comporter trois volets : le premier est sanitaire, le deuxième est économique, le troisième est social. Il faut rendre hommage à tous les acteurs du monde social.

Au premier jour du confinement, ma première priorité a été de m'assurer que la maintenance et le fonctionnement des logements étaient garantis.

La question de l'activité du logement dans son ensemble se pose également. Celle-ci concerne près de 2 millions de personnes, si l'on ne prend en compte que l'activité de construction et celle des agents immobiliers de manière générale, y compris les notaires, entre autres. Ce secteur est touché de plein fouet : la semaine dernière, neuf chantiers sur dix étaient à l'arrêt, ce qui a des conséquences aujourd'hui, mais en aura surtout demain. Bien évidemment, ces entreprises bénéficient des aides que l'État a mises en oeuvre.

Notre première action a été de permettre la reprise des chantiers, là où c'est possible et en garantissant la sécurité des salariés. A ainsi été mis en place voilà quinze jours, en lien avec d'autres ministères et l'ensemble des fédérations concernées, un guide sanitaire édictant les principales mesures pour assurer la sécurité des salariés et des personnels travaillant sur les chantiers.

Nous nous sommes également heurtés à des questions juridiques complexes, par exemple les pénalités de retard. Comment reprendre un chantier quand on sait que cela entraînera des pénalités de retard ? Nous sommes donc convenus de modifier par la loi les relations entre maîtres d'ouvrage et opérateurs. Un texte en ce sens a été présenté et adopté ce matin en conseil des ministres.

Se pose également la question des surcoûts. Aujourd'hui, les mesures sanitaires prévues par le guide sanitaire ont un impact sur l'équation économique des chantiers. Qui supportera ces surcoûts ? Comment les répartir au mieux ? Les solutions sont-elles d'ordre juridique, organisationnel, contractuel ? Sur ce sujet, la réflexion est toujours en cours avec l'ensemble des parties prenantes.

Le confinement a aussi une incidence sur les délais de l'ensemble des actes liés à une opération de logements, qu'il s'agisse des autorisations (permis de construire), de la mise en oeuvre (droits d'aliénation) ou des délais de recours.

Le 25 mars dernier, il a paru indispensable de figer le cadre juridique pour sécuriser l'ensemble des acteurs. C'est pourquoi une ordonnance a été prise avec la garde des sceaux, mais elle allait beaucoup trop loin dans l'allongement des délais. En cette période de confinement où les dossiers ne pouvaient plus être instruits, il était normal de surseoir aux délais relatifs aux autorisations d'urbanisme, qui fonctionnent sur le modèle du « silence vaut accord ».

De la même façon, il fallait décaler les délais de recours. Cet allongement des délais était dantesque : on prenait le temps de recours restant, allongé de la période sanitaire, c'est-à-dire jusqu'au 24 mai, auquel s'ajoutait un délai tampon d'un mois afin que toute la machine se remette en place, à l'issue duquel le droit de recours repartait de zéro. Ainsi, pour un délai qui aurait dû expirer dix jours avant le confinement, c'est un report de trois mois qui aurait été prévu après la période sanitaire... Cette situation, qui figeait tous les projets, a suscité de nombreuses inquiétudes.

Il en était de même pour les autorisations d'urbanisme. J'insiste sur le fait que les collectivités ont toujours la possibilité de les délivrer et je les invite à le faire, lorsque les conditions de sécurité sont réunies, afin de s'assurer que le tissu des PME et des ETI ne souffre pas davantage au lendemain de la crise. L'ordonnance du 25 mars dernier prévoyait que les autorisations d'urbanisme étaient décalées du temps de la période, plus un mois.

Forts des remontées de terrain que nous avons eues, la garde des sceaux et moi-même avons présenté ce matin une nouvelle ordonnance prévoyant que, pour les délais de recours, le temps qui restait avant l'entrée en vigueur du confinement serait reconduit à l'issue de cette période, avec un minimum de sept jours. Sur les documents d'urbanisme comme sur la préemption, le temps qui restait avant le confinement sera reconduit après. Rien ne change pour les délais de rétractation. Nous avons essayé de remettre de l'ordre en diminuant l'augmentation des délais ; il n'en demeure pas moins que cette période aura un impact sur la construction.

Nous réfléchissons déjà, avec l'ensemble des acteurs, aux mesures à prendre le moment venu pour faire du bâtiment et de l'immobilier un acteur majeur de la relance. Ces mesures porteront sur la construction neuve, l'offre et la demande, mais elles doivent également concerner la réhabilitation. En effet, cette crise a mis davantage en avant encore la nécessité de promouvoir la réhabilitation : rénovation énergétique, rénovation des grandes copropriétés dégradées, rénovation des bâtiments sociaux.

Il faut que tous les maillons de la chaîne du logement soient en mesure de fonctionner : déménageurs, notaires... Un décret tout à fait exceptionnel a été pris voilà quinze jours permettant de dématérialiser l'ensemble des actes notariés.

Enfin, nous aurons un rôle à jouer dans la reprise. Cette année est marquée par le schéma suivant : élections municipales, confinement, élections municipales. Pendant les années d'élections municipales, vous le savez, le nombre d'autorisations d'urbanisme n'est pas le même. Or il faut collégialement réfléchir aux moyens de soutenir les PME et ETI, qui seront pleinement affectées par cette séquence.

J'en viens à l'hébergement d'urgence.

La première priorité a été d'amplifier les mises à l'abri. Nous avons prolongé la trêve hivernale jusqu'à la fin du mois de mai, afin d'éviter toute expulsion locative, et pérennisé l'ensemble du dispositif hivernal, qui avait permis l'ouverture de 14 000 places d'hébergement supplémentaires. Depuis le confinement, 15 000 places de plus ont été ouvertes, dont 10 000 réquisitions ou mises à disposition de chambres d'hôtels. Il s'agit là d'une mesure dont la mise en place est rapide et qui permet d'épauler les associations en s'appuyant sur le personnel des hôtels.

Il a fallu ensuite gérer l'aide alimentaire. De nombreuses associations ont dû s'adapter, car elles s'appuient sur des bénévoles qui sont le plus souvent d'un certain âge et qui ont dû se protéger de la propagation du virus en se confinant.

Dans l'Hexagone et en outre-mer, là où des difficultés ont été constatées, une aide exceptionnelle a été mise en place, d'un montant de 15 millions d'euros et à destination d'environ 60 000 bénéficiaires, par le biais de « chèques-services », sorte de « tickets restaurant », devant être distribués par les centres communaux d'action sociale (CCAS) ou des associations d'aides alimentaires qui ont des difficultés de fonctionnement.

Se pose aussi la question particulière des sans-abris contaminés par le Covid-19, mais ne nécessitant pas d'être hospitalisés. Il est très difficile d'en connaître le nombre exact. Lorsque les centres d'hébergement d'urgence ne peuvent pas les isoler en leur sein, ces malades sont dirigés vers des centres spécifiques : 86 centres de cette nature ont été ouverts depuis le début du confinement, gérés par les associations, ce qui représente environ 3 200 places disponibles.

La protection des personnels travaillant dans les centres accueillant des Covid + constitue bien un enjeu. Tout le matériel leur est fourni par les agences régionales de santé (ARS). Quid des autres centres, qui demandent légitimement à avoir plus de matériel de protection ? Nous avons passé des commandes groupées importantes.

En matière de politique de la ville, notre réponse doit s'appuyer sur trois actions.

Je ne reviens pas sur les débats qui ont pu déshonorer ceux qui les avaient lancés, notamment l'amalgame indécent entre l'origine des personnes vivant dans les quartiers prioritaires de la ville et la capacité à obéir aux règles de confinement. En réalité, le non-respect des règles se produit tout autant dans les quartiers bourgeois que dans les quartiers les plus difficiles.

La première action, c'est l'accompagnement des familles modestes. De plus en plus d'habitants des quartiers prioritaires de la ville se tournent vers les CCAS et les aides alimentaires. C'est notamment dû à l'arrêt de la cantine, à la fermeture de certains lieux d'approvisionnement ou au fait que certains compléments de revenus n'existent plus.

Nous avons annoncé ce matin le versement d'une aide exceptionnelle de solidarité consacrée aux personnes les plus précaires - bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) -, ainsi qu'à toutes les familles éligibles à l'aide personnalisée au logement (APL). Son principe est assez simple : les bénéficiaires du RSA ou de l'ASS toucheront 150 euros ; en outre, ainsi que les bénéficiaires des APL, ils percevront 100 euros par enfant. Ainsi, une femme seule élevant trois enfants habitant en région parisienne et touchant 250 euros d'APL touchera au mois de mai prochain 300 euros en plus de cette allocation. Le montant de cette mesure, qui concernera 4 millions de foyers, s'élèvera à 850 millions d'euros. Tout sera géré par les CAF, aucune démarche ne sera nécessaire.

La deuxième action, c'est le soutien aux acteurs associatifs sur le terrain. Dans cette période, il est très important d'aider les associations. C'est pourquoi nous avons notamment pris des mesures juridiques, pour permettre aux communes qui n'avaient pas eu le temps de statuer sur un certain nombre d'aides aux associations de le faire. Cela répond d'ailleurs à une demande forte de votre part. Je précise que l'ensemble des aides prévues pour les entreprises valent aussi pour les associations.

Le soutien aux acteurs de terrain passe également par une vigilance accrue dans certains domaines. Je pense aux échanges nombreux que j'ai eus avec le directeur général de La Poste. Vous savez le rôle essentiel que joue La Poste dans ces quartiers, notamment en début de mois. Nous avons suivi avec beaucoup d'attention la mise en place du service public.

La troisième action, c'est la continuité éducative. La crise que nous traversons est à notre société ce que le négatif est à la photographie : c'est un reflet encore plus vif des inégalités sociales. Je travaille avec Jean-Michel Blanquer pour apporter des mesures de soutien sur la continuité éducative - fourniture de matériel, mentorat, tutorat...

Telles sont les trois priorités que j'ai fixées dans les quartiers de politique de la ville. Tout se fait en lien avec les collectivités locales : des visioconférences sont organisées deux fois par semaine avec les maires de ces quartiers, afin que je puisse m'assurer que ce qui est mis en oeuvre est bien déployé dans les territoires et que des solutions puissent être trouvées dès qu'un nouveau problème est identifié.

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