Cet arrêté n'a pas été retiré ; il était limité dans le temps, et j'ai souhaité qu'il ne soit pas reconduit. À mon sens, il y avait une erreur d'interprétation dans sa mise en oeuvre.
Nous devons être pragmatiques : nous avançons en marchant, comme dit l'adage des protestants. Il arrive qu'une règle posée et mise en oeuvre dans des délais extrêmement courts prête à des interprétations fausses. Il est de la responsabilité du ministre de l'intérieur de veiller à fluidifier, mais aussi à « débrancher », voire à s'excuser. J'ai le souvenir de l'avoir fait devant le Sénat en répondant à une question d'actualité au Gouvernement sur des actes pris à l'égard des collectivités locales qui n'étaient pas conformes à notre volonté de travailler ensemble.
L'engagement des pompiers, des policiers et des gendarmes ne se fait pas au détriment du reste de leur engagement. Le drame de Romans-sur-Isère il y a dix jours l'a durement rappelé : le confinement ne fait pas disparaître les risques, en particulier le risque terroriste. Tous nos services de police, de gendarmerie et de renseignement ont pris des mesures pour assurer un niveau de protection contre cette menace, qui reste inchangée et permanente. J'en veux pour preuve que, sous l'empire de l'état d'urgence sanitaire, de nouvelles mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) ont été prises, des visites domiciliaires continuent d'être organisées et les groupes d'évaluation départementaux (GED) continuent de se réunir, sous le pilotage des préfets.
Laurent Nunez et moi-même veillons à ce que le ministère de l'intérieur, même s'il doit prendre toute notre part dans le combat contre le Covid-19, ne néglige pas sa mission fondamentale de sécurité et de protection des Français. Sur ces sujets, nous avons mis en place des doctrines spécifiques d'organisation, notamment pour tout ce qui concerne le haut du spectre de nos services. Ainsi, pour le risque terroriste, nous avons fait en sorte, au sein de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et, au sein de la police judiciaire, à la sous-direction anti-terroriste (SDAT), qu'il y ait systématiquement une équipe A et une équipe B, qui ne se croisent jamais, afin que nous puissions répondre à toute sollicitation. Il était particulièrement nécessaire de le faire.
De la même façon, l'organisation du temps de travail dans la police nationale a été très vite revue, afin d'anticiper une mobilisation que nous savons longue.
Enfin, dès le 1er mars dernier, j'ai demandé le renforcement de la cellule ministérielle de veille. Au lendemain d'une réunion du conseil de défense et de sécurité nationale, le 17 mars, il a été décidé d'activer la cellule interministérielle de crise (CIC).
Vous connaissez évidemment le contour juridique de cette structure. Même si c'est la CIC Beauvau, elle est présidée par le Premier ministre. Le ministre de l'intérieur est en charge de son animation et de l'exécution des décisions prises par le Premier ministre dans le cadre de l'animation gouvernementale, qui est de sa responsabilité. Pour les mettre en oeuvre, il suit les orientations fixées par le Président de la République, notamment lors des conseils de défense nationale. Deux conseils ont eu lieu au début de la crise, et des réunions exceptionnelles ont été organisées ; une réunion par semaine est consacrée à la gestion de la crise et permet ensuite, sous l'autorité du Premier ministre, de prendre toutes les décisions ministérielles et interministérielles qui s'imposent.
Les arbitrages rendus au sein de la CIC sont ensuite relayés aux préfets. Tous les soirs, je réunis les préfets en visioconférence pour expliquer les mesures décidées, mais aussi pour m'assurer de l'effectivité de la mise en oeuvre des décisions prises. Outre que ces échanges sont nécessaires pour faire redescendre les informations et les instructions, ils sont utiles pour favoriser les remontées de terrain et bénéficier directement du niveau d'analyse des préfets.
Deux fois par semaine, ce dispositif est mixte : il réunit les préfets de région et les autorités régionales de santé (ARS), sous la double autorité du ministre des solidarités et de la santé et de moi-même. Au moment où je vous parle, la CIC, qui reste hébergée place Beauvau, ce sont 70 personnes et 10 ministères, qui relaient l'ensemble de ce travail interministériel. La CIC est un outil de coopération interministérielle en lien permanent avec le centre de crise sanitaire du ministère des solidarités et de la santé sur le volet relatif à la réponse sanitaire, mais aussi avec le centre de crise du ministère des affaires étrangères pour les Français à l'étranger - ceux qui s'y trouvaient provisoirement comme ceux qui y sont établis - qui souhaitent rentrer en France. Je tiens à souligner l'énorme travail qui a été accompli dans ce cadre-là, puisqu'il s'est agi de rapatrier 160 000 personnes dans un contexte de blocage mondial.
La CIC est aussi un outil de contrôle parlementaire. Nous avons créé en son sein une plateforme qui est à la disposition des présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et qui permet d'accéder à l'ensemble des arrêtés préfectoraux pris sur le fondement de l'état d'urgence sanitaire, avec une mise à jour hebdomadaire. Cela permet aux présidents, à leurs services et aux parlementaires qui travaillent avec eux de nous interroger sur la base de ce que nous produisons.
Enfin, la CIC a une mission particulière, qui est de faire le lien avec les collectivités territoriales. Je ne reviens que très rapidement sur le rôle des maires. Les présidents de départements et les présidents de régions sont aussi très actifs et très engagés sur ces sujets ; je les salue également.
Je demande aux préfets de les accompagner au maximum et de prendre en compte leurs souhaits, mais aussi de rester dans leur rôle et, s'ils le considèrent nécessaire, de demander à tel ou tel exécutif de revoir un arrêté ou de favoriser la coordination des décisions. Par exemple, certains maires ont pris des arrêtés de couvre-feu. J'ai demandé aux préfets de les accompagner, y compris quand un doute juridique subsistait sur la possibilité qu'ils avaient de les prendre, de les aider à les réécrire lorsque c'était nécessaire, voire de prendre un arrêté préfectoral en leur lieu et place et avec leur accord, pour assurer une meilleure sécurité juridique à ces dispositions.
Dans certains cas, je me suis opposé à ces arrêtés, lorsqu'ils ne concernaient que des parties ou des quartiers de communes. Si un arrêté de couvre-feu doit être pris, il doit l'être sur l'ensemble du territoire communal, et pas seulement sur tel ou tel quartier, pour éviter que ce dernier ne soit stigmatisé. À l'inverse, quand un nombre important de maires prenaient des arrêtés de couvre-feu, j'ai suggéré, ou les préfets m'ont proposé, que l'arrêté soit pris par le préfet à l'échelle départementale. Ce fut le cas dans les Alpes-Maritimes, où un grand nombre de maires avaient pris l'initiative d'instaurer un couvre-feu, ce qui entraînait une incohérence dans la carte géographique, car d'autres maires s'y refusaient.
Dans 99,5 % des cas, les échanges ont été fructueux. Quand des incidents sont survenus, il m'est arrivé de décrocher mon téléphone, pour les regretter et soutenir mon administration, tout en disant que je pouvais comprendre que, dans la pression, le terme utilisé ait pu être maladroit ; à l'inverse, j'ai pu dire à un maire qu'il avait selon moi un peu outrepassé les limites. En tant qu'ancien maire, je pouvais parler ainsi, et cela s'est toujours bien passé.
Ce que je souhaite, et c'est l'instruction permanente que je donne aux préfets, c'est que nous soyons à l'écoute des élus pour faire remonter les différents problèmes auxquels ils sont confrontés. C'est l'esprit de la réunion qui s'est déroulée ce matin avec le Premier ministre. Cela a été le cas pour les marchés : j'ai privilégié d'abord une approche sanitaire, puis une approche pragmatique, sur la base des propositions des maires.
Je ne reviens pas sur les dispositions de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 concernant les élections municipales. Les questions que vous avez posées, monsieur le président, sont celles que les associations d'élus ont relayées ce matin. Elles souhaitent l'installation la plus rapide possible des conseils municipaux élus au complet dès le premier tour, sauf contrainte sanitaire. J'ai dû rappeler ce matin le cadre légal : au regard de l'analyse du comité de scientifiques, qui doit être rendue avant le 23 mai prochain, nous serons amenés à prendre deux décisions, la première sur le maintien ou non du second tour des élections municipales au mois de juin prochain, la seconde sur l'installation des conseils élus.
Sur ce sujet, nous avons deux échéances calendaires, qui ne sont pas des dates fixes : l'avis du comité de scientifiques, au plus tard le 23 mai ; le second tour des élections municipales et l'installation des conseils élus au plus tard à la fin du mois de juin. C'est sur cette base que les échanges doivent se poursuivre, pour que nous allions le plus vite possible si les conditions sanitaires le permettent. C'est le souhait du Premier ministre.
Pour les conseils municipaux élus au complet dès le premier tour, certains de nos interlocuteurs, ce matin, auraient aimé que, dès le 12 mai prochain, à la sortie du confinement, nous puissions procéder à leur installation. Sur ce sujet, vos retours m'intéressent.
Il est nécessaire d'aller vite pour deux raisons : d'abord, parce que la démocratie locale le justifie, dans la mesure où les électeurs se sont prononcés ; ensuite, parce qu'il est essentiel de donner aux exécutifs locaux la légitimité électorale pour agir vite et fort dans le combat que nous devons mener ensemble.
La question des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) a aussi été posée. Le système retenu par la loi du 23 mars 2020 porte une forme de fragilité non pas tant juridique que politique, sur laquelle nous avons été interrogés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, si je viens de dresser les grandes lignes de notre organisation, je n'oublie pas notre action sur le terrain. La consigne passée aux Français, qui n'a rien perdu de sa vigueur, est claire et sans ambiguïté : « Autant que vous le pouvez, restez chez vous. » Pour la faire respecter, nous avons mis en place un certain nombre de mesures. Il y a les attestations dérogatoires de déplacement, qui sont obligatoires et dont nous avons expliqué le fonctionnement et les exceptions aux Français. Il s'agit d'un travail de pédagogie, qui a été particulièrement intense au début du confinement et que nous poursuivons.
Nous avons édicté cette règle pour tout le territoire et fait en sorte qu'elle soit respectée partout, sans exception. En moyenne, ce sont 100 000 policiers et gendarmes qui sont déployés en permanence pour contrôler nos concitoyens et, le cas échéant, les verbaliser. Je demande à nos forces de sécurité de protéger les Français en premier. À mon sens, la verbalisation est déjà un échec ; elle n'est pas un objectif en soi. D'après le pointage d'hier soir, près de 12,6 millions de contrôles ont été réalisés et 762 106 verbalisations ont été dressées.
Nous avons su faire monter en puissance nos effectifs déployés sur le terrain à certains moments, par exemple lorsque l'on a craint des départs en vacances ou pendant le week-end de Pâques. Non, il n'y a pas de vacances dans le combat contre le Covid-19 ! Sur ce point, nous avons voulu être particulièrement fermes. Au cours de ces week-ends, 160 000 hommes et femmes ont été mobilisés. Et je n'oublie pas les polices municipales. La loi que vous avez adoptée prévoit la possibilité de doter ces dernières de la capacité de dresser des procès-verbaux - nous avons très vite ouvert ce droit ; elles sont particulièrement mobilisées, tout comme le sont les maires dans le travail de sensibilisation.
Je ne reviens pas sur le coût du non-respect du confinement. En revanche, il faut insister sur l'usure et la difficulté du confinement. Ce dernier est plus facile à vivre quand on habite une résidence particulière avec un jardin, quelque part dans les Alpes-de-Haute-Provence, que lorsque l'on vit à plusieurs dans un appartement situé dans un quartier, sans abonnement à internet et sans que chacun dispose d'une tablette. Cela peut avoir pour conséquence un relâchement, c'est-à-dire la reprise du risque face au Covid-19. Sur ce point, il faut être particulièrement attentif.
Nous devons être tout aussi attentifs à la protection des forces de sécurité intérieure, des forces de sécurité civile et des pompiers.
Je l'ai dit à l'Assemblée nationale et je le répète devant vous : je ne suis ni médecin ni expert scientifique. Je m'en remets à l'expertise des scientifiques et à la doctrine gouvernementale fixée en fonction de leur analyse. Dès la mi-mars, j'ai demandé que soient distribués dans toutes les voitures de police et de gendarmerie, mais aussi, pour les policiers et les gendarmes dans tous les lieux d'accueil du public, des kits de protection, comprenant notamment du gel et des masques. Des instructions ont été données pour que ces masques soient portés conformément à la doctrine définie par les scientifiques, c'est-à-dire seulement en cas d'intervention devant des personnes présentant des symptômes ou en cas de risque important. Il appartient aux policiers d'apprécier la situation, et c'est d'ailleurs ce qu'ils font toujours à chaque contrôle.
Nous avons procédé à des commandes de masques quand c'était nécessaire, mais nous en disposions aussi dans notre équipement de base. Sur ce sujet, les chiffres évoluent en permanence. Ils ont d'ailleurs changé depuis mon audition la semaine dernière à l'Assemblée nationale. Voici ce que je peux avancer à la date du 15 avril : quelque 9 millions de masques sont à la disposition du ministère de l'intérieur et 4 millions ont déjà été répartis dans les unités. D'ici à la fin du mois d'avril, 9 millions de masques supplémentaires seront livrés. Au total, ce sont 60 millions de masques que le ministère de l'intérieur a commandés.
Je n'évoque pas le matériel complémentaire - lunettes, visières et autres - que nous avons acheté pour assurer la meilleure protection possible pour nos forces de sécurité intérieure.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà en quelques mots un premier tour d'horizon de l'action du ministère de l'intérieur pendant cette crise. C'est une action résolue, forte, déterminée, qui s'appuie sur le travail exceptionnel de tous les agents du ministère, sur la voie publique, dans les casernes de sapeurs-pompiers, en administration centrale et en préfecture.
Aujourd'hui, la santé des Français nécessite l'engagement de tous. Je suis à la tête d'un ministère qui, sur ce point, ne lésine pas.