Intervention de Christophe Castaner

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Christophe Castaner ministre de l'intérieur sur les mesures prises dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 en téléconférence

Christophe Castaner , ministre de l'intérieur :

Monsieur Bonhomme, je ne connais pas la situation particulière de Cannes, mais je puis vous indiquer que, au sein de la police nationale et au moment où je vous parle, il y a 309 personnes atteintes, sur un volume de 150 000 agents, et 8 369 isolés sanitaires. Nous pratiquons en effet un confinement relativement massif dès qu'il y a un cas avéré de Covid-19, ce qui nous conduit, et ce n'est pas simple, à neutraliser une compagnie de CRS ou un escadron tout entier, parce que nous ne voulons pas faire prendre des risques à nos agents.

En ce qui concerne les tests systématiques, notre objectif est d'en rendre disponibles 50 000 par semaine. C'est le rôle des préfets et des ARS que de mobiliser le plus de laboratoires possibles. À cet égard, ceux de la police et de la gendarmerie le sont pleinement.

Les publics prioritaires sont les résidents des Ehpad et les personnels de santé. Mais, attention, l'efficacité des tests n'est que de 60 % à 70 % et, dans les premiers jours de la maladie, un porteur peut être négatif. C'est donc un bon indicateur, mais qui ne règle pas toutes les situations. C'est l'un des sujets sur lequel j'ai mis la pression sur les préfets hier soir, avec le ministre de la santé.

Il y des départements qui ne disposent pas de capacités de test suffisantes - je pense aux territoires ruraux, qui comptent de nombreux Ehpad, mais peu de laboratoires. J'ai donc demandé aux préfets de régions d'organiser une solidarité infrarégionale.

S'agissant des marchés, il y a un vrai paradoxe : pour adoucir l'interdiction totale, nous avons fait confiance à l'intelligence territoriale des préfets, sur la base des préconisations des maires. Nous avons élaboré une doctrine, une fiche technique permettant aux maires de dire qu'ils savent organiser un marché en respectant la sécurité sanitaire, ce que le préfet vérifie.

Toutefois, comme la responsabilité est laissée au préfet, il peut y avoir des différences selon les départements. C'est le paradoxe dans lequel nous sommes, tous : si nous aimons prendre en compte la dimension territoriale et expérimenter, il faut en accepter le corollaire, qui est la possibilité de telles différences.

Il existe davantage d'arrêtés dérogatoires aujourd'hui, mais je n'ai pas changé de doctrine. Après l'intervention du Premier ministre, j'étais le soir même en visioconférence avec les préfets : j'ai rappelé le cadre - l'interdiction - et la possibilité d'y déroger sous certaines conditions et avec une méthodologie particulière. Le 30 mars, 2 257 marchés étaient autorisés par des arrêtés ; ils étaient 3 373 le 6 avril et 3 629 le 13 avril.

Monsieur Durain a évoqué la doctrine de déconfinement communiquée par un député. Aucune doctrine de cet ordre n'a été transmise aux préfets. Le Président de la République l'a demandée sous quinze jours et elle sera présentée le moment venu.

Monsieur Wattebled, l'application de traçage n'est pas un dossier qui relève du ministère de l'intérieur. Cédric O l'a dit : il s'agirait d'un téléchargement volontaire et avec un seul objectif, la prévention et la maîtrise des risques de contamination. Le dispositif n'aurait pas vocation à être contrôlé. Notre compétence est d'exécuter ce qui sera décidé par d'autres. Vous aurez l'occasion de vous exprimer sur ce sujet, le Président de la République ayant souhaité un débat parlementaire sur cette application facultative.

Vous me demandez s'il y aura des dépistages en nombre suffisant. Mais quel est ce nombre suffisant ? Nous ne pourrons pas tester 65 millions de personnes par jour. Aucun pays au monde ne l'a fait. Aujourd'hui, nous montons en charge.

Faut-il rendre le masque obligatoire ? C'est une décision à prendre sur la base de données scientifiques et qui ne relève pas du ministère de l'intérieur.

Monsieur Leconte, nous avons enregistré 3 031 entrées en mars dans le dispositif national d'accueil (DNA), alors qu'elles étaient 6 297 en 2019, mais il y a eu quinze jours sans fermeture de frontières ; ce chiffre n'est donc pas très représentatif. Aujourd'hui, il y a très peu d'entrées dans notre pays, car il y a un contrôle assez significatif à l'entrée de l'Union européenne, à la porte marocaine par exemple. Je n'ai pas de chiffres plus précis depuis le 18 mars.

Il est possible de déposer une demande d'asile, soit par les procédures à la frontière, soit sur le territoire national pour les publics vulnérables accompagnés et signalés notamment par les associations. Nous avons fermé les guichets de gestion de l'accueil, mais nous avons maintenu des agents qui travaillent sur ces sujets.

Pour les visas de court séjour qui seraient dépassés, nous avons prévu un dispositif simple de prorogation, via un rendez-vous téléphonique avec les préfectures. S'agissant des saisonniers actuellement en France avec un visa valable six mois, mais ayant des activités agricoles en perspective, l'ordonnance prévoit la possibilité de proroger leur visa de trois mois s'ils ne peuvent pas rentrer chez eux et qu'ils peuvent travailler sur le territoire national.

Monsieur Reichardt, 160 000 policiers et gendarmes ont effectué des contrôles de respect du confinement le week-end dernier, mais tous ont reçu les mêmes instructions. Ce que vous me dites m'étonne : deux personnes qui sont confinées ensemble, si elles ont rempli leur attestation, peuvent sortir ensemble. Peut-être ont-elles été verbalisées parce qu'elles n'avaient qu'une seule attestation pour deux.

Vous me reprochez de ne pas avoir peur des joggeurs. Le confinement total et absolu n'a été mis en place dans aucun pays, car il se heurte à des besoins physiologiques. Il faut que l'on puisse sortir une heure par jour. Et je précise que je ne pratique pas le jogging, sinon sur un tapis, ce qui ne pose pas de problème d'attestation...

Vous demandez une confiance accrue entre les préfets et les élus. Pour avoir rencontré leurs associations ce matin, je puis vous dire qu'aucune ne m'a rapporté de problème avec les préfets. Il y a des endroits où la situation est plus compliquée qu'ailleurs - c'est lié à la nature des relations humaines -, mais le message que je passe de façon permanente, c'est celui de la discussion.

Je n'ai pas voulu que les préfets défèrent, notamment, les arrêtés qui imposaient le port du masque ; j'ai préféré qu'ils échangent avec les maires et précisent pourquoi nous considérions que ces textes n'étaient pas juridiquement valables - le Conseil d'État se prononcera sur ce point dans les heures qui viennent - et pourquoi un tel message pouvait susciter un relâchement dans le confinement, certaines personnes considérant que, parce qu'elles portent un masque ou un foulard, elles peuvent s'épargner les contraintes des gestes barrières et du confinement.

Monsieur Thani Mohamed Soilihi, nous restons totalement mobilisés sur l'ensemble du spectre du droit commun. Le « petit judiciaire » n'étant pas prioritaire au ministère de la justice, nous sommes surtout mobilisés sur le haut du spectre, ainsi que sur le respect des échéances, et je sais que la garde des sceaux est également très vigilante sur ce terrain.

À Mayotte, nous sommes montés en puissance, en mobilisant des moyens particuliers contre l'immigration clandestine dans le cadre de l'opération Shikandra. Pour l'instant, Mayotte n'est pas excessivement touchée par le Covid-19, mais nous connaissons sa situation sanitaire et sociale très délicate. C'est pourquoi, avec la ministre des outre-mer, j'ai mis en place des dispositifs pour protéger ce département, ainsi que les territoires d'outre-mer en général.

Au moment où je vous parle, trois navires patrouillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre autour de Mayotte pour lutter contre le risque d'immigration clandestine, qui est doublé d'un risque sanitaire. Même si le gouvernement comorien indique qu'il n'y a pas de cas sur son territoire, je sais que la population n'y croit pas, et je ne prends pas forcément ces déclarations pour argent comptant. Depuis le 6 avril, sur huit kwassa-kwassas repérés, deux ont été repoussés et six ont été interceptés à leur arrivée, mais il est vrai que la tension avec les Comores ne facilite pas les reconduites, qui se font en temps normal de manière beaucoup plus fluide. Nous ne baisserons pas la garde sur ces questions-là.

Les évacuations sanitaires à destination des outre-mer ont fait l'objet d'une approche spécifique. Plusieurs de nos postes diplomatiques ont en effet saisi les autorités de demandes d'évacuation de ressortissants nationaux ou européens. Nous y répondons en prenant en compte la capacité médicale des territoires d'outre-mer. Dans cette perspective, nous avons d'ailleurs prévu la mise en place de moyens aériens entre Mayotte et La Réunion. Chaque cas fait l'objet d'une évaluation particulière. Et s'agissant des Européens, nous veillons avec leur pays d'origine à ce que le passage en outre-mer, comme ailleurs sur le territoire national, ne soit qu'un transit court.

En ce qui concerne les marchés, la doctrine n'a pas changé ; j'en ai discuté de nouveau il y a peu avec le Premier ministre, notre intention n'est pas d'empêcher les marchés, mais de faire en sorte qu'ils puissent se tenir dans les conditions sanitaires correctes.

Je n'ai pas d'inquiétude particulière pour la DETR, qui ne relève pas de mon ministère. Quant à l'installation des conseils municipaux, nous souhaiterions anticiper sur l'échéance du 23 mai.

Le ministre de la culture a fait des annonces ce matin sur les petits festivals. Nous n'avons pas encore pu travailler sur leur mise en oeuvre mais nous allons le faire dans les jours qui viennent : il est nécessaire que les indications les plus précises soient données aux organisateurs le plus vite possible. Une cellule spéciale au sein du cabinet du ministre de la culture répond à toutes les demandes de conseils, et la CIC se mettra à la disposition du ministère de la culture ; ainsi pourrons-nous définir, ensemble, ce que sont les petits festivals et quelles règles sanitaires il nous appartiendra à nous, forces de sécurité intérieure, de faire respecter.

Mme Jourda a évoqué la difficulté d'avoir plusieurs interlocuteurs ; j'ai été maire suffisamment longtemps pour le savoir. Ce que je conseille aux élus, c'est de ne pas hésiter à solliciter les préfets sur tous les sujets pour lequel ils sont mobilisés, si besoin en lien avec l'ARS ou avec une autre autorité.

La stratégie de déconfinement, je le répète, sera précisée sous une quinzaine de jours.

Enfin, les résultats des élections municipales sont disponibles sur « data.gouv.fr ».

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