Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais évoquer devant vous les aspects budgétaires de ce deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Je veux relever les nouveautés contenues dans ce texte, mais aussi exposer les actions entreprises par la puissance publique qui n’y figurent pas.
Ainsi, nous n’avons pas présenté de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais j’aurai l’occasion de m’exprimer demain devant votre commission des affaires sociales au sujet de la santé et des comptes sociaux. Vous n’ignorez pas que, comme le budget de l’État est limitatif, tous les crédits doivent être adoptés par le Parlement, tandis que le budget de la sécurité sociale est seulement indicatif ; nous ne sommes donc pas obligés de présenter un tel texte, qui n’aurait pas de valeur juridique en tant que telle. Pour autant, la représentation nationale doit disposer d’éléments d’information ; je suis d’ailleurs déjà prêt à répondre à vos questions tout au long du débat qui s’ouvre aujourd’hui.
Le présent texte procède tout d’abord au « rechargement », si vous me permettez l’expression, des dispositifs prévus dans la loi de finances rectificative que M. le ministre de l’économie et des finances et moi-même avions défendue devant vous le mois dernier.
Il faut ouvrir de nouveaux crédits pour le dispositif de chômage partiel, dont le coût s’élève à presque 25 milliards d’euros, dont un tiers est constitué des dépenses de l’Unédic.
Le fonds de solidarité mis en place en direction des travailleurs indépendants nécessite 7 milliards d’euros. Il est abondé aujourd’hui par les assureurs : 185 millions d’euros ont déjà été versés, 215 millions doivent encore l’être. Les régions contribuent à hauteur de 7 % à ce fonds d’indemnisation ; on attend encore le versement de la part de la moitié d’entre elles, mais je sais qu’il est en bonne voie. Ce fonds, grâce aux crédits que vous allez adopter, pourra répondre à toutes les ouvertures demandées par la représentation nationale et le Gouvernement et mises en place par la direction générale des finances publiques ; demain s’y ajouteront, pour le deuxième étage, les instructions des conseils régionaux.
Ce projet de loi de finances rectificative contient également de nouvelles dispositions. Ce sont, d’abord, toutes les mesures économiques que vient d’évoquer M. le ministre de l’économie et des finances : l’APE est abondée de 20 milliards d’euros, de manière à participer au soutien des entreprises françaises ; le FDES, chargé d’intervenir en faveur des grosses PME et des ETI, passe de 75 millions à 1 milliard d’euros ; l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement permet également la mise en place d’avances remboursables pour les entreprises qui n’auraient pu recevoir de prêts bancaires.
On peut citer une autre disposition encore : 880 millions d’euros de crédits sont octroyés au ministère de la santé et des solidarités pour permettre le versement d’une prime de précarité de 150 euros à chaque bénéficiaire du RSA, auxquels s’ajoutent 100 euros par enfant à charge, ainsi que l’avaient annoncé le Président de la République et le Premier ministre.
D’autres dispositions prévoient un abondement de crédits de 1, 7 milliard d’euros – le texte initial en prévoyait 2, 5 milliards – du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », de la mission « Crédits non répartis ». Il s’agit d’un dispositif, permis par l’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), visant à prévoir ce genre de dépenses. Les collectivités territoriales savent bien comment utiliser ce type de crédits, qui n’est pas contraire, suivant la jurisprudence du Conseil d’État, au principe d’autorisation parlementaire des dépenses. Pour autant, je rendrai évidemment compte de l’utilisation de ces crédits : je m’en suis expliqué auprès du président de votre commission des finances, de son rapporteur général et de la commission tout entière. C’est en leur sein, d’ailleurs, qu’on a pu prendre les 880 millions d’euros destinés à la prime de précarité, par l’adoption d’un amendement du rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale.
Ce texte contient, outre ces ouvertures de crédits, des articles très importants : l’article 5 permet ainsi la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes décidées pour la fonction publique hospitalière, la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale. Je rappellerai d’ailleurs, pour cette dernière, que le déchargement porte également sur la part de l’employeur. Les collectivités locales pourront donc verser à l’ensemble des agents, si elles le souhaitent, la prime décidée par le Gouvernement, dans ce plafond de 1 000 euros, sans avoir à payer de charges patronales.
D’autres dispositions concernent l’outre-mer et, singulièrement, les collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie reçoit en particulier un prêt de 240 millions d’euros. Quant à la Polynésie française, nous discutons en ce moment avec M. Édouard Fritch, son président, qui nous a adressé sa demande il y a quelques heures. Nous pensons faire à nos amis polynésiens des propositions pour la trésorerie de cette collectivité qui se concrétiseront sans doute dans un prochain texte financier ; même si le chômage partiel relève des compétences du gouvernement autonome, la République se tient évidemment aux côtés des gouvernements du Pacifique.
Alors, que n’y a-t-il pas dans ce texte ? On n’y trouvera pas les 8 milliards d’euros que le Gouvernement a débloqués pour la santé. Ils relèvent en effet de l’utilisation de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, et figureront dans le déficit de la sécurité sociale, parmi les chiffres que je donnerai demain à la commission des affaires sociales. Ces données sont extrêmement difficiles à suivre parce que, par définition, les assiettes de cotisation se réduisent énormément en ce moment, dans un temps assez record. Vous avez vu que presque 10 millions de personnes se trouvent en chômage partiel. Par ailleurs, nous suivons de près les dépenses qui relèvent du champ social. Ces 8 milliards d’euros, qui contiennent les annonces de 4 milliards d’euros faites par le Président de la République à Mulhouse, sont bien là, mais ils ne figurent pas dans le budget de l’État que nous vous proposons d’examiner aujourd’hui.
Ne figure pas non plus dans ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif d’annulations de charges évoqué par le Président de la République, notamment lundi soir. Ces annulations iront au-delà du report de charges, qui est général et va évidemment continuer au mois de mai pour l’ensemble des entreprises de France qui le souhaitent et en ont besoin. Vous avez été nombreux à nous solliciter sur ce point ; de fait, la Haute Assemblée aura à se prononcer sur de telles annulations sectorielles, parce qu’il faudra adopter des dispositions législatives pour y procéder.
Depuis que la protection sociale a été créée, on n’a jamais annulé de charges sociales par secteurs. Le Gouvernement a déjà pu, sur autorisation parlementaire, annuler des charges sur un territoire donné, notamment en cas de catastrophe naturelle ; c’est ce que j’ai fait pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sur demande du Premier ministre et de vos assemblées, dans les premiers mois de ma présence au ministère. Le Parlement, dans le cadre défini par l’édifice constitutionnel, où cette question fait l’objet d’un contrôle très sourcilleux, peut octroyer des exonérations territoriales spécifiques – c’est le cas des zones de revitalisation rurale, par exemple –, mais nous ne l’avons jamais fait par secteur. Or c’est bien ce que nous allons faire.
Nous avons donc un chemin de crête à trouver entre les annulations qui s’imposent pour les secteurs les plus touchés – le Président de la République les a cités : la restauration, l’hôtellerie, les arts et spectacles, l’événementiel et, de manière générale, les activités touristiques, extrêmement affectées par la crise du coronavirus – et les précautions nécessaires pour que ces mesures soient validées par le Conseil constitutionnel. Il nous faut donc choisir les critères à la fois les plus efficaces et les plus simples, afin d’éviter sur ce point toute dérive technocratique.
Nous avons un double problème, que nous devons résoudre ensemble. Nous vous proposerons, plus tard, une disposition législative à ce sujet, c’est pourquoi, aujourd’hui, j’émettrai un avis défavorable sur les amendements portant sur ce point, afin d’éviter de fragiliser le futur dispositif.
D’abord, nombre d’entreprises ont demandé un report de charges, mais beaucoup ont payé les leurs. Prenons l’exemple des restaurateurs : malgré la fermeture de leur établissement, 40 % d’entre eux les ont payées. Il ne suffit donc pas d’annuler par voie d’amendements ces charges, car cela pénaliserait ceux qui ont joué le jeu.
Je le sais bien, certains de ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs charges ont agi ainsi pour des raisons évidentes – ils ne pouvaient pas payer –, mais, selon les experts-comptables, ceux qui avaient de la trésorerie ont payé, alors même que nous avions accordé un délai de cinq jours après l’échéance, pour modifier la déclaration sociale nominative (DSN) et qu’il y a eu des remboursements par les Urssaf.
Par conséquent, il nous paraît inacceptable que l’annulation des charges dans la restauration ne concerne que ceux qui en ont demandé le report et non ceux qui les ont payées. Il faudrait que cela concerne l’ensemble du secteur, mais ce n’est pas facile à faire.
En second lieu, nous devons maintenir les cotisations salariales. En effet, l’annulation des charges ne concerne pas les cotisations salariales, d’abord parce que ces dernières sont payées par le salarié, de manière automatique – un peu comme avec le prélèvement à la source –, lorsque le salaire est perçu, et puis parce qu’elles ouvrent des droits individuels à la retraite et à la protection sociale. Or je ne crois pas que la volonté du Parlement soit de rogner ces droits pour les salariés connaissant des difficultés. Il s’agit donc bien des charges patronales.
En outre, il faut considérer les secteurs. Il y a des secteurs pour lesquels c’est assez simple, comme la restauration. Le Gouvernement a pris un arrêté imposant aux établissements de ce secteur de fermer, avant tout le monde, et nous leur demanderons sans doute de rouvrir après beaucoup d’autres entreprises ; on peut postuler que c’est un fait exceptionnel qui nous pousse à proposer ce secteur.
L’exemple de l’hôtellerie est un peu plus compliqué : ce secteur n’a pas fait l’objet de fermetures par décision gouvernementale. Officiellement, les hôtels sont potentiellement ouverts ; d’ailleurs, parfois, nous les réquisitionnons. Pourtant, très souvent, ils sont vides et ils connaissent de grandes difficultés économiques ; beaucoup ont mis leurs employés au chômage partiel. Du reste, dans nombre de territoires français, la restauration et l’hôtellerie sont liées. Nous devons donc inclure l’hôtellerie dans les secteurs bénéficiant de l’annulation.
Cela nous demande un travail important sur les secteurs à inclure et sur les sous-secteurs qui en sont dépendants. La blanchisserie n’a pas été citée, mais il est évident que ce secteur est en lien avec l’hôtellerie. Les vignerons n’ont pas non plus été mentionnés, mais il est certain que, si les restaurants ne sont pas ouverts, ces producteurs perdent énormément de leur chiffre d’affaires, même si une partie d’entre eux vend quand même au travers de la grande distribution.
Bref, il nous faut faire un travail fin, que le Gouvernement est évidemment disposé à réaliser avec la représentation nationale, en particulier avec les commissions des finances ou des affaires sociales, mais également avec tout sénateur qui le souhaiterait. Nous y travaillons et nous souhaitons disposer d’un maximum de chiffres ; je transmettrai ceux-ci à la représentation nationale dès que je les aurai finalisés.
L’Assemblée nationale a adopté 36 amendements, dont 9 du Gouvernement, qui tendent entre autres à prévoir le relèvement du plafond de l’Unédic. Les dispositions concernées corrigent certaines injustices portant notamment sur les arrêts de travail et sur les indemnités de ceux qui, par exemple, ont arrêté de travailler et qui avaient un enfant à garder. Cela concernait aussi d’autres dispositifs, dont l’octroi de 235 millions d’euros au ministre de l’économie et des finances pour faire face à diverses exceptions à la règle budgétaire que nous nous sommes fixée depuis le mois de décembre, notamment, vous l’avez vu, pour les cirques, les centres équestres et les zoos, qui font vivre beaucoup de nos territoires.
Voilà les quelques mots que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, pour montrer que ce projet de loi de finances rectificative représente un moment historique. Jamais le Parlement n’aura autorisé le Gouvernement à engager des crédits conduisant à une dette représentant 115 % du PIB et à un déficit représentant 9, 1 % de la richesse nationale. Avec votre assentiment – au moins celui de certains d’entre vous–, ce gouvernement aura porté le déficit budgétaire à 185 milliards d’euros, c’est-à-dire au double du montant présenté il y a encore trois mois dans le projet de loi de finances initiale.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, depuis l’instauration de la République sociale en 1945, et même avant, puisque le Parlement n’a pas eu l’honneur de se réunir pendant l’Occupation – cela rappellera des discussions juridiques, mais elles ont été tranchées depuis bien longtemps, je crois : la France n’était évidemment qu’à Londres –, nous n’avons jamais présenté de tels chiffres. Lorsque la crise de 2009 a éclaté, le déficit constaté à la fin de l’année était d’un peu plus de 7 % du PIB. Or c’était déjà le déficit le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes qu’au mois d’avril et le déficit s’élève déjà à plus de 9 %…
Bref, même si c’est l’anniversaire d’Olivier Henno, monsieur le président, nous n’avons pas de quoi nous réjouir aujourd’hui !