La séance est ouverte à quatorze heures trente.
Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 15 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2020 (texte n° 403, rapport n° 406).
J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
Je rappelle que tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune. Par ailleurs, les sorties de la salle des séances devront s’effectuer exclusivement par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, et moi-même sommes très heureux de vous présenter ce projet de loi de finances rectificative, qui doit nous permettre de faire face aux exigences économiques nouvelles liées à la crise du coronavirus.
Je voudrais d’abord rappeler à quel point cette crise est sans équivalent dans l’histoire contemporaine des nations occidentales et même de la planète entière.
Une économie entièrement à l’arrêt, ou presque ; une crise qui touche toutes les nations, tous les continents, sans exception, avec d’ailleurs une inquiétude particulière, à présent, pour les pays en voie de développement et les pays africains ; une récession qui se chiffre, pour l’ensemble de la zone euro, à -7, 5 % du PIB et, suivant la proposition que nous vous faisons, à -8 % pour la France en 2020. Ces chiffres sont sévères, mais ils sont provisoires, tant les incertitudes sont grandes quant à la durée de la pandémie et à son impact sur les différentes économies, de la plus puissante, les États-Unis, jusqu’aux pays africains en voie de développement.
On observe des phénomènes inédits depuis la Seconde Guerre mondiale : ainsi, le prix du baril de pétrole est aujourd’hui négatif ! Je tiens d’ailleurs à rappeler qu’il n’y a que des risques dans cet effondrement des prix du pétrole : risque pour la transition énergétique, car pour réussir celle-ci, encore faut-il que les prix des énergies fossiles soient à un niveau raisonnable et que nous puissions financer les énergies renouvelables ; risque d’effet domino sur les marchés, puisque les compagnies pétrolières sont détenues par des investisseurs et des fonds qui peuvent être menacés, demain, sur les marchés, et entraîner avec eux l’ensemble des marchés financiers de la planète ; risque, enfin, pour les pays d’Afrique, en particulier ceux de l’est du continent, dont 40 % des ressources budgétaires sont liées à l’extraction et à la commercialisation du pétrole – c’est autant qui part aujourd’hui en fumée. Je tiens donc à le redire avec gravité : l’effondrement des prix du pétrole est un danger pour l’économie mondiale.
Face à cette situation économique sans équivalent dans l’histoire contemporaine, nous avons voulu, avec le Président de la République et le Premier ministre, prendre immédiatement la mesure de la crise. Nous avons immédiatement dit la vérité aux Français : cette crise économique est l’une des plus graves que nous ayons connues depuis la grande récession de 1929. Les fondamentaux ne sont pas les mêmes, les logiques non plus, les réactions des États non plus, mais la profondeur de la récession est comparable à ce que nous avons connu en 1929. Nous avons toujours tenu ce langage de vérité, depuis le premier jour de la crise économique : nous n’en avons jamais dissimulé ni la gravité ni les conséquences.
Nous avons aussi voulu apporter une réponse rapide, forte et immédiate. Nous avons fait un choix très simple, que nous revendiquons devant la représentation nationale, devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : de la dette plutôt que des faillites ; de la dette plutôt que la disparition de décennies entières d’efforts économiques des salariés, des ouvriers, des employés, des ingénieurs et des entrepreneurs français. Ce choix, je le revendique : mieux vaut préserver notre capital humain et économique que préserver des finances publiques que nous saurons restaurer le moment venu.
Les choix simples et clairs que nous avons faits ont été entendus, me semble-t-il, par le monde économique comme par les salariés.
Nous avons choisi, d’abord, de préserver les compétences en développant massivement le dispositif le plus généreux en matière de chômage partiel. Nous indemnisons les salariés, à 100 % au niveau du SMIC et jusqu’à 84 % du salaire net pour les salaires inférieurs à 4, 5 SMIC ; 9 millions de salariés bénéficient aujourd’hui de ce chômage partiel qui nous permet de préserver les savoir-faire et les qualifications, mais aussi de garantir que nous pourrons faire redémarrer rapidement l’économie française quand il le faudra. Je préfère cette situation à celle que connaissent nos amis américains : en l’espace d’une quinzaine de jours, des millions de salariés ont dû s’inscrire au chômage aux États-Unis du fait de l’absence d’un tel dispositif. De ce point de vue, nous avons tiré les conséquences de la crise de 2008-2009 : l’Allemagne avait alors su redémarrer vite, parce qu’elle avait un dispositif de chômage partiel efficace, alors que la France, faute d’un tel dispositif, avait mis plus de temps à relancer son économie.
Le deuxième choix que nous avons fait est le soutien à la trésorerie des entreprises. Évidemment, quand il n’y a ni recettes ni chiffre d’affaires, la trésorerie fond comme neige au soleil. Nous avons donc mis en place, avec M. le ministre de l’action et des comptes publics, des dispositifs de report des charges sociales et fiscales. Nous avons également mis en place des dispositifs de prêts garantis par l’État, à hauteur de 300 milliards d’euros, pour que toutes les entreprises, jusqu’aux PME, puissent trouver les prêts dont elles auraient besoin.
Notre troisième choix a été le soutien aux plus fragiles. Cela s’est traduit, notamment, par la création d’un fonds de solidarité ; le premier étage des versements s’élève à 1 500 euros ; un deuxième étage peut aller jusqu’à 2 000 euros dans sa première version.
Enfin, notre quatrième choix a été de défendre les entreprises stratégiques, celles dont dépend notre indépendance. Je pense notamment à Air France : on est bien content d’avoir cette compagnie et ses avions quand il faut rapatrier nos compatriotes depuis l’étranger. Mais il est aussi question des entreprises de l’énergie, du transport aérien, ou encore du secteur nucléaire, qui ont vocation à être protégées et défendues par l’État ; elles le seront.
Ce premier dispositif a rencontré un succès considérable. Les chiffres que je vous ai donnés sur le chômage partiel montrent que nous avons visé juste, tout comme l’ampleur des prêts accordés aux entreprises françaises – 24 milliards d’euros en quelques jours –, ou encore le nombre d’entreprises bénéficiaires du fonds de solidarité – 1 million d’entrepreneurs s’y sont inscrits.
Cela dit, comme nous avons agi rapidement – je le revendique ! –, des améliorations restaient évidemment à apporter au dispositif. Beaucoup d’entre vous nous ont d’ailleurs fait remonter des critiques et des observations à ce sujet.
Dès le premier jour de cette crise, j’ai eu comme méthode de travail la concertation quotidienne avec tous les acteurs économiques, sans exception. Je m’entretiens avec les représentants de toutes les filières, du très petit entrepreneur jusqu’au patron de très grande entreprise, du travailleur indépendant à la profession libérale, du secteur agricole à la restauration, à l’agroalimentaire et à la grande distribution : j’ai écouté tout le monde de manière à améliorer ce dispositif. Gérald Darmanin et moi-même avons été à l’écoute de toutes les propositions et de toutes les critiques qui nous sont parvenues depuis le terrain.
Nous vous proposons donc aujourd’hui, par le biais de ce projet de loi de finances rectificative, d’une part de recharger le dispositif existant, parce qu’il coûte cher, et d’autre part de l’améliorer.
S’agissant des prêts garantis par l’État, beaucoup nous ont dit que c’était un beau dispositif, mais que toutes les entreprises qui sont en redressement judiciaire ou connaissent des difficultés de cet ordre n’ont pas accès à ces prêts. C’est vrai. Si vous adoptez ce texte, ces entreprises seront éligibles aux prêts garantis par l’État : vous l’avez demandé, nous vous le proposons.
Vous nous avez dit que certaines entreprises ne trouvaient aucune solution. Effectivement, des entreprises industrielles importantes de 300 ou 400 salariés qui se trouvent dans des situations très difficiles, leur secteur d’activité se trouvant fortement impacté, ne parviennent pas à souscrire de prêt, même garanti par l’État : même si le taux de refus des banques n’est que de 4 % ou 5 %, il reste tout de même des milliers d’entreprises qui ne trouvent pas de solution, notamment des entreprises industrielles de taille intermédiaire qui sont pourtant vitales pour certains territoires.
Nous voulons leur apporter, à elles aussi, des solutions. C’est pourquoi nous vous proposons la mise en place d’un système d’avances remboursables qui permettra d’apporter des solutions aux entreprises les plus en difficulté.
Nous proposons également d’abonder le Fonds de développement économique et social (FDES) : 75 millions d’euros étaient disponibles dans ce fonds ; nous proposons de porter cette somme à 1 milliard d’euros. Cet argent ira précisément à des entreprises de taille intermédiaire (ETI) qui ne trouvent pas de solution auprès des banques parce qu’elles ont besoin de se restructurer pour être viables. Le principe du FDES est justement d’apporter aux entreprises des prêts directs de l’État, et non pas simplement de garantir des prêts octroyés par les établissements bancaires. Ces prêts peuvent être complétés par des banques – l’État amorce du moins la pompe – et doivent s’accompagner d’une restructuration de l’entreprise lui permettant d’être viable sur le long terme, l’État n’ayant évidemment pas vocation à financer à fonds perdu des entreprises qui, même en l’absence de la présente crise, n’auraient pas survécu.
Nous apportons donc, concernant l’amélioration de la trésorerie des entreprises, des réponses concrètes aux critiques qui nous sont remontées du terrain, des départements, de tous vos territoires.
Sur le fonds de solidarité aussi, beaucoup de critiques ont été émises immédiatement, même s’il a rencontré un très grand succès ; nous avons tenu compte de ces critiques. Trop de populations étaient exclues de ce fonds. C’était le cas, d’abord, des professions libérales : celles qui répondent aux critères du fonds seront désormais incluses. C’était aussi le cas des groupements d’agriculteurs : ils seront inclus. Je pense enfin aux entreprises en redressement judiciaire ou en difficulté : elles aussi seront incluses. Nous allons élargir considérablement le spectre des petits entrepreneurs éligibles – ceux qui emploient moins de dix salariés – pour que personne ne soit laissé de côté. Telle est bien notre ambition : comme la commissaire européenne Margrethe Vestager l’a elle-même reconnu, la réponse économique française est la plus forte de toutes les réponses européennes. J’estime que c’est à l’honneur de notre nation d’avoir su apporter des réponses à chacun.
Toujours sur ce fonds de solidarité, d’aucuns nous ont dit que notre mode de calcul n’était pas le bon. Pour être éligible à ce fonds, à l’heure actuelle, il faut être une très petite entreprise, de moins de dix salariés, dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros et qui a enregistré une baisse de chiffre d’affaires d’au moins 70 % entre mars 2019 et mars 2020. Ce pourcentage est trop élevé, et la période de référence n’est pas la bonne. Nous avons donc baissé ce taux à 50 % ; nous vous proposons en outre de changer les modalités de calcul en offrant aux entreprises qui le souhaiteraient la possibilité de calculer la perte de chiffre d’affaires, non plus à partir de mars 2019, mais à partir de la moyenne mensuelle de l’activité tout au long de l’année 2019. C’est l’une des propositions de la commission des affaires économiques du Sénat que nous avons retenues dans ce projet de loi de finances rectificative. Nous avons donc là un dispositif qui me paraît plus efficace.
Enfin, concernant les entreprises stratégiques, vous nous avez fait observer à juste titre que le compte d’affectation spéciale (CAS) destiné à les soutenir était insuffisamment doté pour apporter du capital aux entreprises qui en auraient besoin ; nous avons donc décidé d’augmenter de 20 milliards d’euros l’abondement du CAS de l’Agence des participations de l’État (APE). Ainsi, nous disposerons de réserves financières suffisantes pour apporter le capital nécessaire aux entreprises qui en auraient besoin. Beaucoup pensent à Air France, qui aura effectivement besoin du soutien de l’État : il lui sera apporté, afin de préserver un fleuron industriel français et un gage d’indépendance de la nation française. Nous le ferons dès les prochains jours.
Une fois passé le temps de cette réponse immédiate, qui nous permet d’amortir le choc, il faudra reprendre le travail et l’activité. Nous savons tous que la solution immédiate est nécessaire, que ce soutien et cette protection apportés par l’État sont conformes à ce que nous sommes – nous, Français – et à ce qu’a toujours été l’État dans l’histoire de la France : le protecteur des intérêts supérieurs de la Nation. Mais l’économie française devra fonctionner autrement dans les mois qui viennent.
Il faudra commencer par redémarrer, par reprendre l’activité, reprendre le chemin du travail. C’est la demande qui m’a été faite par le Premier ministre et le Président de la République : examiner comment nous pouvons faire redémarrer l’économie française dans des conditions de sécurité sanitaire totale ; j’insiste bien sur ce dernier mot. Je ferai donc des propositions au Premier ministre et au Président de la République dans les heures qui viennent, en essayant d’offrir aux Français à la fois de la méthode et de la clarté.
Trois situations très différentes s’offrent à nous. La première est celle des secteurs qui sont déjà capables de fonctionner aujourd’hui, mais n’ont pourtant pas véritablement repris l’activité.
Certains secteurs ont pour leur part très bien fonctionné et, grâce à eux, nous avons pu avoir une vie à peu près normale pendant les semaines de confinement – je pense en particulier aux secteurs de l’alimentation, de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, qui ont tourné, contre vents et marées, malgré les difficultés et les risques sanitaires ; les ouvriers de l’industrie agroalimentaire, les agents de caisse, les metteurs en rayon, les transporteurs, tous étaient là, fidèles au poste, pour garantir la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et une vie à peu près normale.
D’autres secteurs, en revanche, se sont heurtés à des difficultés que je peux parfaitement comprendre alors qu’ils auraient pu continuer à fonctionner. Nous allons devoir répondre à ces difficultés. Je pense au bâtiment et aux travaux publics ; nous aurons dès aujourd’hui une réunion spécifique à ce secteur avec Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, pour déterminer à quels obstacles il se heurte et pourquoi les chantiers sont aujourd’hui, pour 80 % à 85 % d’entre eux, à l’arrêt. On observe des problèmes d’approvisionnement en matières premières et en matériel de protection, mais aussi de définition de la distance qui doit être observée entre ouvriers sur les chantiers ; enfin, la situation peut entraîner des surcoûts que les clients ne veulent évidemment pas prendre à leur charge. Tous ces problèmes devront être réglés.
La deuxième situation qui réclame notre attention est celle des commerces qui ont été fermés par arrêté ministériel le 15 mars et qui pourront rouvrir à partir du 11 mai. Mon souhait est en tout cas que le plus grand nombre de commerces puissent rouvrir à partir de cette date. J’ai cité les coiffeurs – je pense que leur fermeture affecte tous les Français ! –, je pourrais en citer d’autres. Pour cela, il faut définir, secteur par secteur, des guides de bonnes pratiques qui permettront le redémarrage de ces secteurs dans des conditions de sécurité sanitaire totale pour les salariés comme pour les clients.
Il reste le troisième cas de figure, qui a été cité explicitement par le Président de la République : je veux parler des lieux de convivialité, dont la situation est plus compliquée. Nous savons parfaitement que la société que nous allons devoir construire dans les mois qui viennent, tant que nous n’aurons pas de réponse à cette épidémie sous la forme d’un vaccin, est une société de la distance. Je vous l’avoue, une telle société n’est pas agréable. Elle n’est conforme ni à notre génie national ni à notre conception de la vie en société.
Personne n’aime la distance, les Françaises et les Français moins que quiconque : nous sommes une société de convivialité, de contact, de rapport humain, de démocratie et de débats. J’aimerais mieux voir cet hémicycle plein que de le voir aussi vide qu’il l’est aujourd’hui pour des raisons de sécurité sanitaire, et je pense que n’importe quel Français, dans son lieu de travail, dans les lieux de culture, dans n’importe quel lieu d’activité, dirait exactement la même chose.
Mais il se trouve que, pour des raisons de sécurité sanitaire, nous devons vivre avec de la distance. Or dans les lieux de convivialité que sont les restaurants, les bars, ou les cafés, le défi est beaucoup plus considérable que dans n’importe quel autre lieu d’activité professionnelle. Il faudra donc se donner un peu plus de temps pour déterminer sous quelles règles ces lieux pourront rouvrir dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire possible.
Permettez-moi, à ce propos, de rendre hommage à tous les restaurateurs : depuis des semaines, ils ne cessent de se mobiliser et de nous apporter des idées et des propositions. Ils ont parfaitement conscience que, s’ils doivent rouvrir le plus vite possible, ce ne sera possible que dans des conditions de sécurité sanitaire totale, de manière à ce que leurs clients soient rassurés et à ce que leur activité puisse se poursuivre. Nous prendrons donc le temps nécessaire pour garantir la réouverture dans les meilleures conditions possible de tous les restaurants, de tous les bars et de tous les cafés français.
La troisième et dernière étape, après la réponse immédiate et la reprise progressive du travail, sera la relance de notre activité économique. Il faut y penser dès maintenant ; c’est ce que nous faisons, avec les économistes, nos partenaires européens et les représentants de divers organismes multilatéraux. Il faut déterminer quels défis nous devrons relever et quelles seront les lignes directrices de cette relance : j’en vois au moins quatre.
La première ligne directrice de cette relance est l’investissement. Ce qui va manquer à l’économie française, aux entreprises françaises, aux technologies françaises, à notre industrie, c’est de l’investissement. Aujourd’hui, il est à zéro, alors même que, juste avant la crise, nous étions l’un des pays de la zone euro qui investissaient le plus. Eh bien, il faut relancer cet investissement dans nos entreprises, parce que c’est de lui que dépend la puissance économique de la nation française au XXIe siècle.
La deuxième ligne directrice est un certain soutien à la demande. Il restera à déterminer dans quel volume, par quels moyens et instruments, mais vous voyez bien que les Français sont en train de constituer une épargne de précaution, à hauteur de 55 milliards d’euros en quelques semaines. Il faut nous assurer que les Français retrouvent le goût de la consommation et que la demande reparte ; sinon, notre économie aura du mal à redémarrer rapidement.
La troisième ligne directrice, qui me paraît importante, est le soutien aux secteurs qui auront été les plus touchés par la crise. Il faut venir en aide à ceux qui ont pris la crise de plein fouet, du tourisme et de la restauration à l’hôtellerie. On peut également citer l’industrie automobile et ses dizaines de milliers de sous-traitants, l’industrie aéronautique, Airbus au premier chef, et bien sûr le transport aérien. Tous ces secteurs auront besoin d’un accompagnement spécifique et ciblé plus important et plus efficace.
La dernière ligne directrice de cette relance est évidemment la coordination européenne, à laquelle je vous invite tous à réfléchir dès à présent ; vos idées et vos propositions, qui émergent en nombre depuis quelques jours, sont toutes les bienvenues, car personne n’a la vérité révélée ; je consulte donc le plus possible pour être sûr de trouver la réponse la plus appropriée le moment venu. Si nous ne coordonnons pas nos réponses économiques au moment de la relance et que certains pays européens vont dans une direction et d’autres dans la direction opposée, il y a fort à parier que cette relance ne sera pas efficace. Nous sommes un marché unique, nous avons avec nos partenaires européens un destin commun ; nous devons donc réfléchir à une relance commune et coordonnée, qui sera ainsi plus efficace.
Voilà les quelques éléments que je voulais vous présenter en ouverture de l’examen de ce projet de loi de finances rectificative.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais évoquer devant vous les aspects budgétaires de ce deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020. Je veux relever les nouveautés contenues dans ce texte, mais aussi exposer les actions entreprises par la puissance publique qui n’y figurent pas.
Ainsi, nous n’avons pas présenté de projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais j’aurai l’occasion de m’exprimer demain devant votre commission des affaires sociales au sujet de la santé et des comptes sociaux. Vous n’ignorez pas que, comme le budget de l’État est limitatif, tous les crédits doivent être adoptés par le Parlement, tandis que le budget de la sécurité sociale est seulement indicatif ; nous ne sommes donc pas obligés de présenter un tel texte, qui n’aurait pas de valeur juridique en tant que telle. Pour autant, la représentation nationale doit disposer d’éléments d’information ; je suis d’ailleurs déjà prêt à répondre à vos questions tout au long du débat qui s’ouvre aujourd’hui.
Le présent texte procède tout d’abord au « rechargement », si vous me permettez l’expression, des dispositifs prévus dans la loi de finances rectificative que M. le ministre de l’économie et des finances et moi-même avions défendue devant vous le mois dernier.
Il faut ouvrir de nouveaux crédits pour le dispositif de chômage partiel, dont le coût s’élève à presque 25 milliards d’euros, dont un tiers est constitué des dépenses de l’Unédic.
Le fonds de solidarité mis en place en direction des travailleurs indépendants nécessite 7 milliards d’euros. Il est abondé aujourd’hui par les assureurs : 185 millions d’euros ont déjà été versés, 215 millions doivent encore l’être. Les régions contribuent à hauteur de 7 % à ce fonds d’indemnisation ; on attend encore le versement de la part de la moitié d’entre elles, mais je sais qu’il est en bonne voie. Ce fonds, grâce aux crédits que vous allez adopter, pourra répondre à toutes les ouvertures demandées par la représentation nationale et le Gouvernement et mises en place par la direction générale des finances publiques ; demain s’y ajouteront, pour le deuxième étage, les instructions des conseils régionaux.
Ce projet de loi de finances rectificative contient également de nouvelles dispositions. Ce sont, d’abord, toutes les mesures économiques que vient d’évoquer M. le ministre de l’économie et des finances : l’APE est abondée de 20 milliards d’euros, de manière à participer au soutien des entreprises françaises ; le FDES, chargé d’intervenir en faveur des grosses PME et des ETI, passe de 75 millions à 1 milliard d’euros ; l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement du Gouvernement permet également la mise en place d’avances remboursables pour les entreprises qui n’auraient pu recevoir de prêts bancaires.
On peut citer une autre disposition encore : 880 millions d’euros de crédits sont octroyés au ministère de la santé et des solidarités pour permettre le versement d’une prime de précarité de 150 euros à chaque bénéficiaire du RSA, auxquels s’ajoutent 100 euros par enfant à charge, ainsi que l’avaient annoncé le Président de la République et le Premier ministre.
D’autres dispositions prévoient un abondement de crédits de 1, 7 milliard d’euros – le texte initial en prévoyait 2, 5 milliards – du programme 552, « Dépenses accidentelles et imprévisibles », de la mission « Crédits non répartis ». Il s’agit d’un dispositif, permis par l’article 7 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), visant à prévoir ce genre de dépenses. Les collectivités territoriales savent bien comment utiliser ce type de crédits, qui n’est pas contraire, suivant la jurisprudence du Conseil d’État, au principe d’autorisation parlementaire des dépenses. Pour autant, je rendrai évidemment compte de l’utilisation de ces crédits : je m’en suis expliqué auprès du président de votre commission des finances, de son rapporteur général et de la commission tout entière. C’est en leur sein, d’ailleurs, qu’on a pu prendre les 880 millions d’euros destinés à la prime de précarité, par l’adoption d’un amendement du rapporteur général du budget de l’Assemblée nationale.
Ce texte contient, outre ces ouvertures de crédits, des articles très importants : l’article 5 permet ainsi la défiscalisation et l’exonération de charges sociales des primes décidées pour la fonction publique hospitalière, la fonction publique d’État et la fonction publique territoriale. Je rappellerai d’ailleurs, pour cette dernière, que le déchargement porte également sur la part de l’employeur. Les collectivités locales pourront donc verser à l’ensemble des agents, si elles le souhaitent, la prime décidée par le Gouvernement, dans ce plafond de 1 000 euros, sans avoir à payer de charges patronales.
D’autres dispositions concernent l’outre-mer et, singulièrement, les collectivités du Pacifique. La Nouvelle-Calédonie reçoit en particulier un prêt de 240 millions d’euros. Quant à la Polynésie française, nous discutons en ce moment avec M. Édouard Fritch, son président, qui nous a adressé sa demande il y a quelques heures. Nous pensons faire à nos amis polynésiens des propositions pour la trésorerie de cette collectivité qui se concrétiseront sans doute dans un prochain texte financier ; même si le chômage partiel relève des compétences du gouvernement autonome, la République se tient évidemment aux côtés des gouvernements du Pacifique.
Alors, que n’y a-t-il pas dans ce texte ? On n’y trouvera pas les 8 milliards d’euros que le Gouvernement a débloqués pour la santé. Ils relèvent en effet de l’utilisation de l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, et figureront dans le déficit de la sécurité sociale, parmi les chiffres que je donnerai demain à la commission des affaires sociales. Ces données sont extrêmement difficiles à suivre parce que, par définition, les assiettes de cotisation se réduisent énormément en ce moment, dans un temps assez record. Vous avez vu que presque 10 millions de personnes se trouvent en chômage partiel. Par ailleurs, nous suivons de près les dépenses qui relèvent du champ social. Ces 8 milliards d’euros, qui contiennent les annonces de 4 milliards d’euros faites par le Président de la République à Mulhouse, sont bien là, mais ils ne figurent pas dans le budget de l’État que nous vous proposons d’examiner aujourd’hui.
Ne figure pas non plus dans ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif d’annulations de charges évoqué par le Président de la République, notamment lundi soir. Ces annulations iront au-delà du report de charges, qui est général et va évidemment continuer au mois de mai pour l’ensemble des entreprises de France qui le souhaitent et en ont besoin. Vous avez été nombreux à nous solliciter sur ce point ; de fait, la Haute Assemblée aura à se prononcer sur de telles annulations sectorielles, parce qu’il faudra adopter des dispositions législatives pour y procéder.
Depuis que la protection sociale a été créée, on n’a jamais annulé de charges sociales par secteurs. Le Gouvernement a déjà pu, sur autorisation parlementaire, annuler des charges sur un territoire donné, notamment en cas de catastrophe naturelle ; c’est ce que j’ai fait pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, sur demande du Premier ministre et de vos assemblées, dans les premiers mois de ma présence au ministère. Le Parlement, dans le cadre défini par l’édifice constitutionnel, où cette question fait l’objet d’un contrôle très sourcilleux, peut octroyer des exonérations territoriales spécifiques – c’est le cas des zones de revitalisation rurale, par exemple –, mais nous ne l’avons jamais fait par secteur. Or c’est bien ce que nous allons faire.
Nous avons donc un chemin de crête à trouver entre les annulations qui s’imposent pour les secteurs les plus touchés – le Président de la République les a cités : la restauration, l’hôtellerie, les arts et spectacles, l’événementiel et, de manière générale, les activités touristiques, extrêmement affectées par la crise du coronavirus – et les précautions nécessaires pour que ces mesures soient validées par le Conseil constitutionnel. Il nous faut donc choisir les critères à la fois les plus efficaces et les plus simples, afin d’éviter sur ce point toute dérive technocratique.
Nous avons un double problème, que nous devons résoudre ensemble. Nous vous proposerons, plus tard, une disposition législative à ce sujet, c’est pourquoi, aujourd’hui, j’émettrai un avis défavorable sur les amendements portant sur ce point, afin d’éviter de fragiliser le futur dispositif.
D’abord, nombre d’entreprises ont demandé un report de charges, mais beaucoup ont payé les leurs. Prenons l’exemple des restaurateurs : malgré la fermeture de leur établissement, 40 % d’entre eux les ont payées. Il ne suffit donc pas d’annuler par voie d’amendements ces charges, car cela pénaliserait ceux qui ont joué le jeu.
Je le sais bien, certains de ceux qui ne se sont pas acquittés de leurs charges ont agi ainsi pour des raisons évidentes – ils ne pouvaient pas payer –, mais, selon les experts-comptables, ceux qui avaient de la trésorerie ont payé, alors même que nous avions accordé un délai de cinq jours après l’échéance, pour modifier la déclaration sociale nominative (DSN) et qu’il y a eu des remboursements par les Urssaf.
Par conséquent, il nous paraît inacceptable que l’annulation des charges dans la restauration ne concerne que ceux qui en ont demandé le report et non ceux qui les ont payées. Il faudrait que cela concerne l’ensemble du secteur, mais ce n’est pas facile à faire.
En second lieu, nous devons maintenir les cotisations salariales. En effet, l’annulation des charges ne concerne pas les cotisations salariales, d’abord parce que ces dernières sont payées par le salarié, de manière automatique – un peu comme avec le prélèvement à la source –, lorsque le salaire est perçu, et puis parce qu’elles ouvrent des droits individuels à la retraite et à la protection sociale. Or je ne crois pas que la volonté du Parlement soit de rogner ces droits pour les salariés connaissant des difficultés. Il s’agit donc bien des charges patronales.
En outre, il faut considérer les secteurs. Il y a des secteurs pour lesquels c’est assez simple, comme la restauration. Le Gouvernement a pris un arrêté imposant aux établissements de ce secteur de fermer, avant tout le monde, et nous leur demanderons sans doute de rouvrir après beaucoup d’autres entreprises ; on peut postuler que c’est un fait exceptionnel qui nous pousse à proposer ce secteur.
L’exemple de l’hôtellerie est un peu plus compliqué : ce secteur n’a pas fait l’objet de fermetures par décision gouvernementale. Officiellement, les hôtels sont potentiellement ouverts ; d’ailleurs, parfois, nous les réquisitionnons. Pourtant, très souvent, ils sont vides et ils connaissent de grandes difficultés économiques ; beaucoup ont mis leurs employés au chômage partiel. Du reste, dans nombre de territoires français, la restauration et l’hôtellerie sont liées. Nous devons donc inclure l’hôtellerie dans les secteurs bénéficiant de l’annulation.
Cela nous demande un travail important sur les secteurs à inclure et sur les sous-secteurs qui en sont dépendants. La blanchisserie n’a pas été citée, mais il est évident que ce secteur est en lien avec l’hôtellerie. Les vignerons n’ont pas non plus été mentionnés, mais il est certain que, si les restaurants ne sont pas ouverts, ces producteurs perdent énormément de leur chiffre d’affaires, même si une partie d’entre eux vend quand même au travers de la grande distribution.
Bref, il nous faut faire un travail fin, que le Gouvernement est évidemment disposé à réaliser avec la représentation nationale, en particulier avec les commissions des finances ou des affaires sociales, mais également avec tout sénateur qui le souhaiterait. Nous y travaillons et nous souhaitons disposer d’un maximum de chiffres ; je transmettrai ceux-ci à la représentation nationale dès que je les aurai finalisés.
L’Assemblée nationale a adopté 36 amendements, dont 9 du Gouvernement, qui tendent entre autres à prévoir le relèvement du plafond de l’Unédic. Les dispositions concernées corrigent certaines injustices portant notamment sur les arrêts de travail et sur les indemnités de ceux qui, par exemple, ont arrêté de travailler et qui avaient un enfant à garder. Cela concernait aussi d’autres dispositifs, dont l’octroi de 235 millions d’euros au ministre de l’économie et des finances pour faire face à diverses exceptions à la règle budgétaire que nous nous sommes fixée depuis le mois de décembre, notamment, vous l’avez vu, pour les cirques, les centres équestres et les zoos, qui font vivre beaucoup de nos territoires.
Voilà les quelques mots que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, pour montrer que ce projet de loi de finances rectificative représente un moment historique. Jamais le Parlement n’aura autorisé le Gouvernement à engager des crédits conduisant à une dette représentant 115 % du PIB et à un déficit représentant 9, 1 % de la richesse nationale. Avec votre assentiment – au moins celui de certains d’entre vous–, ce gouvernement aura porté le déficit budgétaire à 185 milliards d’euros, c’est-à-dire au double du montant présenté il y a encore trois mois dans le projet de loi de finances initiale.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, depuis l’instauration de la République sociale en 1945, et même avant, puisque le Parlement n’a pas eu l’honneur de se réunir pendant l’Occupation – cela rappellera des discussions juridiques, mais elles ont été tranchées depuis bien longtemps, je crois : la France n’était évidemment qu’à Londres –, nous n’avons jamais présenté de tels chiffres. Lorsque la crise de 2009 a éclaté, le déficit constaté à la fin de l’année était d’un peu plus de 7 % du PIB. Or c’était déjà le déficit le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne sommes qu’au mois d’avril et le déficit s’élève déjà à plus de 9 %…
Bref, même si c’est l’anniversaire d’Olivier Henno, monsieur le président, nous n’avons pas de quoi nous réjouir aujourd’hui !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n’est pas une surprise, nous voici de nouveau réunis, moins d’un mois après l’examen d’un premier projet de loi de finances rectificative (PLFR 1).
Nous l’avions alors annoncé, les données macroéconomiques nous paraissaient quelque peu optimistes – l’estimation de la contraction du PIB passe d’ailleurs de -1 % à -8 % – et les dispositifs méritaient sans doute d’être ajustés.
C’est pourquoi nous nous réunissons encore aujourd’hui, moins d’un mois plus tard, en assez grand nombre et avec un nombre élevé d’amendements, puisqu’il y en aurait, me dit-on, plus de 330. Cela impliquera de nous réunir demain matin ou de travailler jusqu’à tard cette nuit, puisque la réunion de la commission mixte paritaire était initialement fixée à demain matin.
Je veux dire un mot du programme de stabilité. C’est la période au cours de laquelle, normalement, vous le savez, nous devrions donner un avis sur ce programme. Dans les circonstances actuelles, celui-ci est limité à la simple reprise des éléments, déjà considérables, des PLFR 1 et 2. Messieurs les ministres, nous aurons donc à nous prononcer, au travers des prochains documents, sur les engagements pluriannuels de la France, mais ce n’est pas le débat aujourd’hui.
Quelques mots sur le contexte macroéconomique, notamment la prévision de croissance, fortement révisée. On prévoyait encore une récession de 1 % en mars ; j’avais souligné, avec d’autres, que l’on était évidemment très en deçà de la réalité. Aujourd’hui, le Gouvernement table sur un recul de plus de 8 % du PIB ; c’est sans doute beaucoup plus réaliste et cela constitue, Gérald Darmanin vient de le dire, la pire performance depuis l’après-guerre.
Cela s’explique par la prolongation du confinement au-delà de la période initiale, mais aussi, malheureusement, par le recul d’un tiers de l’activité économique, avec des secteurs – je pense bien sûr au tourisme ou à la construction – qui sont particulièrement touchés, voire, dans certains cas, totalement à l’arrêt. On considère ainsi, si j’en crois les auditions de la commission des finances, que chaque mois de confinement représente une baisse d’à peu près 3 points de PIB. Ainsi, on le voit, toute prolongation du confinement – nous verrons ce qui se passe après le 11 mai prochain – a des conséquences très directes sur notre taux de croissance.
En réalité – là est peut-être la principale incertitude –, tout dépendra non pas de la période de confinement en elle-même, mais de la sortie du confinement et de la capacité de rebond de notre économie. En l’occurrence, messieurs les ministres, le scénario retenu à ce stade me paraît peut-être un peu optimiste. Nous le savons, et vous l’avez indiqué, certains secteurs ne reprendront leur activité que très progressivement. En outre, il y a une épargne de précaution très importante et il n’est pas certain que les Français consommeront fortement demain ; peut-être voudront-ils prendre encore quelques précautions, peut-être leur aversion au risque nous entraînera-t-elle vers un scénario malheureusement plus pessimiste qu’une contraction de 8 %, si ce rebond n’est pas confirmé.
J’en viens maintenant au plan de soutien. Son impact budgétaire était, dans le PLFR 1, assez modeste – nous l’avions souligné –, mais, Bruno Le Maire vient de le dire, le Gouvernement a fait des ajustements relativement significatifs, lesquels conduisent à un plan beaucoup plus massif de soutien à l’économie. Le montant global du plan croît de 20 %, en cohérence avec la prolongation du confinement. Vous avez également accepté de rééquilibrer un certain nombre de composantes du plan, en tenant compte des insuffisances de sa version initiale. C’est la raison pour laquelle, messieurs les ministres, la majorité sénatoriale soutiendra ce plan, en votant le PLFR, quelque peu amendé, bien sûr.
En dépit de ce rééquilibrage – soyons tout à fait complets –, les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni, montrent que le plan français prévoit davantage de mesures de report de charges. Peut-être, si j’en crois Gérald Darmanin, ces mesures se transformeront-elles en dégrèvements dans quelques mois, mais, à ce stade, nous prévoyons moins de mesures budgétaires – à peu près 40 milliards d’euros, dont 24 milliards pour le chômage partiel – que nos voisins allemands, dont le fonds de solidarité est beaucoup plus puissant, et que nos voisins britanniques, qui ont également un dispositif de soutien au chômage partiel. Le plan français révèle une relative parcimonie par rapport au plan allemand, mais, sans doute, la situation budgétaire de départ n’était pas la même…
Conséquence évidente de ce plan, on constate une très forte dégradation de nos comptes publics : un déficit de 9, 1 % et un endettement public de 115 % du PIB. Néanmoins, nous devons partager, me semble-t-il, la stratégie gouvernementale, qui consiste à ne pas augmenter les impôts et à mettre en place des mesures qui préservent, autant que possible, le tissu productif.
De fortes incertitudes demeurent sur l’hypothèse de croissance, mais également sur l’élasticité des recettes et sur le chiffrage du coût des mesures de soutien. Bref, ce plan de soutien, nous n’en doutons pas, ne sera pas le dernier, nous aurons des rendez-vous très prochainement ; il faudra, peut-être avant même le plan de relance que nous espérons tous, ajuster ces mesures.
À court terme, l’objectif est évidemment de préserver le tissu productif, dès lors que les coûts de financement sont heureusement, grâce à la politique de la Banque centrale européenne (BCE), d’à peu près zéro. À moyen terme, cet héritage budgétaire ne paraît pas de nature à remettre en cause la soutenabilité de la dette française, à condition que, bien entendu, une fois cette crise passée, nous soyons capables de redresser les comptes publics.
Le budget que vous nous présentez, messieurs les ministres, est, je le dis clairement, un budget qui pare au plus pressé. Je le précise pour nos collègues, car de nombreux amendements ont été déposés – je comprends cette impatience collective à aller vers la relance et vers le rebond de l’économie –, il ne s’agit pas d’un plan de relance. Nombre d’amendements relèvent plus du plan de relance, de mesures de rebond de l’économie. Nous débattrons de cela – nous sommes tous impatients de le faire –, mais, selon le plan du Gouvernement, les mesures prises aujourd’hui restent temporaires et, à mon sens, elles doivent le rester.
Il s’agit ainsi de sauvegarder les emplois menacés, d’apporter, en quelque sorte, une bouée de sauvetage permettant d’aider les ménages, notamment les plus modestes, et les entreprises à rester à flot, à payer leurs factures.
Les chiffres sont, à cet égard, exceptionnels. Le déficit de l’État s’élèvera à 185, 4 milliards d’euros, quasiment le double de ce que nous avons adopté dans le cadre de la loi de finances initiale – laquelle prévoyait un déficit, déjà élevé, de 93, 1 milliards d’euros –, alors qu’aucune mesure de relance n’a encore été prise. Cette aggravation résulte, d’une part, de la baisse de nos recettes, puisque toutes les recettes de l’État, sauf peut-être celles qui portent sur les jeux en ligne, sont affectées – la TVA, l’impôt sur les sociétés, dont le rendement baisse de 40 %, l’impôt sur le revenu, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) –, à hauteur d’à peu près 32 milliards d’euros, et, d’autre part, bien sûr, d’une très forte augmentation de nos dépenses.
Au-delà du budget de l’État, je veux également souligner les difficultés que rencontreront, à plus ou moins long terme, un certain nombre d’opérateurs de l’État, qui devront faire face à des difficultés. Prenons l’exemple de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), dont le budget est notamment alimenté par des recettes sur le carburant : il n’y a plus de circulation automobile aujourd’hui ; cela posera donc un problème à cette agence. Ce n’est pas le seul cas ; beaucoup d’opérateurs de l’État sont dans la même situation, de même que les collectivités ; nous y reviendrons.
Les dépenses du budget général augmentent de 38 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 6, 25 milliards d’euros relatifs aux heures supplémentaires prévus dans le PLFR 1 ; pour la comparaison, cela représente un montant à peu près équivalent à celui d’une mission aussi importante que la mission « Défense ». Les chiffres, nous en convenons tous, sont vertigineux, mais je crois que la situation l’exige.
Logiquement, c’est la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui connaît l’augmentation la plus importante de ses crédits, avec le renforcement du fonds de solidarité et le financement de l’activité partielle, qui concerne plus de 9 millions de salariés et représente, à ce stade, 24 milliards d’euros. Le fonds était initialement, le ministre l’a reconnu et je l’en remercie, peut-être excessivement restrictif ; il est très largement amélioré, grâce à des initiatives diverses et variées. Il tient notamment compte de la prolongation du confinement et il vise à préserver le maximum d’emplois.
Un nouveau programme est créé, le programme « Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire », et est doté de 20 milliards d’euros. Il vise tout simplement à permettre à l’État de participer au capital d’entreprises en difficulté. Bien évidemment, vous le comprendrez très bien, le Gouvernement ne peut pas publier, à l’avance – il y a eu des débats à ce sujet à l’Assemblée nationale –, la liste des entreprises dans lesquelles il souhaiterait intervenir, si ce sont des sociétés cotées ; le ministre a cité Air France, qui aura évidemment besoin de soutien, mais il y en a d’autres. Néanmoins, nous avons déposé un amendement tendant à renforcer, dans des conditions particulières de sécurité, l’information du Parlement à ce sujet.
Ce projet de loi de finances rectificative prévoit également d’autres mesures. Je pense notamment à la TVA à 5, 5 % sur les masques de protection et sur les gels hydroalcooliques, etc.
Mes chers collègues, la commission des finances, qui s’est réunie ce matin, vous propose d’adopter ce texte, qui constitue, je le répète, une bouée de sauvetage et non un plan de relance ; cela viendra et nous vous ferons des propositions, messieurs les ministres. Toutefois, nous souhaitons apporter un certain nombre d’améliorations techniques, au nombre de quatre. Il s’agira d’amendements de soutien à la lutte contre l’épidémie et au déconfinement, avec l’extension du taux de TVA réduit aux tenues de protection, de mesures visant à soutenir tous les salariés ayant travaillé pendant la période de confinement – c’est la question de la défiscalisation et de la « désocialisation » des heures supplémentaires –, du renforcement de l’aide aux entreprises, au travers de la prorogation du fonds de solidarité au-delà du 11 mai pour les entreprises qui ne pourraient pas rouvrir, et d’amendements visant à permettre, sous certaines conditions, des prêts octroyés à 100 % par Bpifrance aux entreprises confrontées à des refus de prêt.
Sans vouloir aller trop loin dans la comparaison avec l’Allemagne, il est indéniable que ce PLFR 2 renforce les moyens du fonds de solidarité, qui sont multipliés par sept.
Par ailleurs, nous souhaitons un meilleur contrôle des participations de l’État, via le renforcement du comité de suivi.
Nous sommes dans l’urgence et la commission des finances ainsi que les groupes majoritaires feront le choix de la responsabilité. Ne nous trompons pas de tempo, nous aurons des propositions à faire sur la relance, mais, aujourd’hui, nous sommes dans le sauvetage et nous souhaitons y contribuer par nos amendements.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marc Gabouty et Mme Nadia Sollogoub applaudissent également.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous voici en séance pour examiner un deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, exactement un mois après l’examen du précédent.
Cet exercice était déjà annoncé lors de nos débats du mois de mars ; nous le pressentions, cela s’est confirmé. Très vite, les chiffres présentés dans le premier PLFR – une croissance en baisse de 1 %, un déficit de 3, 9 % du PIB, une dette publique en légère hausse – se sont révélés en décalage par rapport à l’ampleur de la crise que nous traversons. Les pertes de recettes fiscales étaient largement sous-estimées, de même que le coût budgétaire du dispositif de chômage partiel.
Dans le présent texte, la chute du PIB est désormais estimée à 8 %, le déficit public serait porté à 9 % du PIB et la dette consolidée à 115 % du PIB. Même s’il s’agit d’un constat sévère et d’une dégradation historique de nos finances publiques, même si, à cette heure, toutes les estimations doivent encore être considérées avec prudence, cet exercice de sincérité des comptes était nécessaire ; il est donc le bienvenu.
Cet effort de transparence devra être poursuivi. Nous le savons, le Gouvernement n’est pas juridiquement contraint de déposer un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, mais tous les paramètres de cette loi sont bouleversés. De même, la crise affecte l’ensemble des politiques publiques et son effet, à la hausse, mais parfois aussi à la baisse, avec un décalage de certaines dépenses – je pense par exemple aux investissements qui ne peuvent être engagés –, devrait être mesuré.
Il ne suffit pas d’affirmer que les ouvertures de crédits budgétaires, annoncées par tel ou tel membre du Gouvernement, seront financées par des économies de constatation ; ces données devront être présentées au Parlement. Il n’est pas envisageable ni raisonnable, du point de vue du pilotage de l’action publique, d’attendre le schéma de fin de gestion pour faire les comptes de chaque mission budgétaire.
Ce projet de loi de finances rectificative permet également de répondre aux observations sur l’insuffisance du premier plan d’urgence, que beaucoup d’entre nous avaient pointée. Je me réjouis que le Gouvernement présente désormais des actions complémentaires, en portant notamment à 7 milliards d’euros le montant du fonds de solidarité pour les entreprises, et en en élargissant les critères d’éligibilité, mais nos voisins allemands prévoient 50 milliards d’euros pour le même objet !
Les mesures pour le personnel soignant et le soutien aux ménages modestes étaient également attendues.
Pour autant, chacun sait que le deuxième PLFR n’est encore qu’une étape ; un troisième projet est d’ores et déjà en préparation, nous dit-on. Il sera celui des arbitrages politiques. Quel sera le plan de relance ? Quels secteurs seront prioritaires ? Surtout, après avoir constaté la sévérité de la crise et de son impact sur nos finances publiques, avec une hausse de la dette publique de près de 20 points de PIB, comment financer cette relance ? Malgré l’accord survenu à Bruxelles, il n’existe pas encore de plan européen de relance ; jusqu’où pourra-t-on aller, à l’échelon national, sans un fort soutien européen ?
Pour ce qui concerne la part de financement national, j’avais avancé, le mois dernier, la nécessité, dans le cadre d’un futur plan de relance, de reconsidérer les allégements très importants de fiscalité, auxquels nous avons procédé au cours des dernières années, pour les détenteurs des plus hauts patrimoines.
Je souhaiterais également que le prochain PLFR prenne en compte la situation des collectivités territoriales, dont les recettes sont très fortement touchées, qu’il s’agisse des redevances ou des produits fiscaux, avec, dès cette année, le versement transport, les droits de mutation, la taxe de séjour, l’octroi de mer, si substantiel pour nos collectivités ultramarines, et, dès l’an prochain, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Toutes les collectivités locales ne pourront pas faire face à cette situation.
La crise actuelle touche toute notre économie, mais des secteurs souffrent plus fortement que d’autres. Devant notre commission, Mme Agnès Pannier-Runacher a indiqué que « la prochaine étape, après l’élargissement du fonds de solidarité, consistera à mettre en place des dispositifs spécifiques à certains secteurs : le tourisme, la culture, l’événementiel, l’hôtellerie et la restauration ». Nous espérons pouvoir examiner ces mesures rapidement, tant ces secteurs sont durement frappés. Au-delà de ces branches, nous souhaitons une prise en compte de la situation des entreprises, quel que soit le secteur, dont les charges fixes non modulables sont élevées.
À l’heure où nous débattons de ce texte, beaucoup d’incertitudes demeurent, et non des moindres, sur les conséquences de la crise sanitaire qui a conduit à mettre notre pays pratiquement à l’arrêt. Le Gouvernement nous demande de lui faire confiance, tant pour les initiatives qui devront être prises pour le redémarrage de l’économie que pour les mesures de sauvetage qu’il devra mettre en œuvre, en ouvrant 20 milliards d’euros supplémentaires pour permettre des recapitalisations, sans connaître les entreprises concernées ni le calendrier de mise en œuvre.
Monsieur le ministre de l’économie et des finances, vous avez indiqué à l’Assemblée nationale qu’il s’agira d’entreprises cotées, privées ou publiques, intervenant dans des secteurs stratégiques et répondant à trois critères de choix : l’indépendance nationale, les technologies et l’emploi. Nous suivrons ce dossier avec une totale attention pour voir quelles seront ces priorités.
La commission des finances restera donc mobilisée, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au cours des jours et des semaines qui viennent, dans son rôle de contrôle et de proposition pour permettre à notre pays de surmonter cette crise sans précédent.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – M. Marc Laménie applaudit également.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, face à une situation inédite, le Gouvernement a décidé de donner la priorité à l’humain et à la santé. Tout le monde, du moins en France et en Europe – peut-être à une exception près, du côté de la Biélorussie –, s’accordera sur cet impératif sanitaire.
Toutefois, notre pays doit aussi être vigilant à l’égard de son économie et de son fonctionnement social, qui contribuent également à la santé de nos concitoyens. Le scénario économique, pour les semaines, les mois et peut-être les années à venir, est aussi incertain que le scénario sanitaire. Le premier dépend en partie du second, mais pas seulement, et les incertitudes persistantes ne doivent pas brider notre capacité d’action et d’initiative.
Dans l’urgence, nous avons adopté conforme, au mois de mars, un premier PLFR, qui avait un caractère certes incomplet, mais qui avait le mérite de mettre en place les principaux outils d’intervention permettant d’éviter un effondrement de l’économie, la disparition de nombreuses entreprises et une explosion du chômage. Je pense en particulier au dispositif immédiatement mis en place et très vite opérationnel du chômage partiel. J’aurai toutefois une question à ce sujet : lorsque l’on parle de près de 10 millions de chômeurs, est-ce en équivalent temps plein ou en nombre de personnes ? Cela mériterait d’être précisé, car, financièrement, l’impact n’est pas tout à fait le même.
Dans ma question au Gouvernement du 1er avril dernier, j’estimais, messieurs les ministres, que le dispositif adopté méritait d’être amplifié, complété et parfois précisé, et j’appelais à la mise en place d’un fonds de solidarité beaucoup plus ambitieux. Les réponses que nous trouvons dans le PLFR 2 répondent assez positivement à ces remarques. Elles permettent notamment d’élargir le champ d’intervention du prêt garanti par l’État (PGE), malgré les contraintes de l’Union européenne, qui a elle-même adapté, fin mars, son dispositif.
Le fonds de solidarité, quant à lui, change de dimension, avec une dotation totale de 7 milliards d’euros, à laquelle il faudrait ajouter les engagements des régions à hauteur de 500 millions d’euros et ceux des assurances, qui sont passés de 200 à 400 millions d’euros, montant qui n’est d’ailleurs toujours pas à la hauteur des économies qu’elles feront sur les indemnisations pendant le confinement ; cet abondement est tout à fait appréciable, mais probablement encore insuffisant, d’autant que ses modalités de mise en œuvre et son accessibilité ont fait l’objet d’assouplissements et que les mesures sectorielles visant les professions se trouvant dans l’incapacité de reprendre prochainement leur activité ne semblent pas – c’est normal – avoir été totalement intégrées à cette montée en puissance.
Il convient aussi de se féliciter de dispositions complémentaires importantes, comme la dotation supplémentaire de 925 millions d’euros au Fonds de développement économique et social, pour l’octroi de prêts à des entreprises fragiles ou en difficulté et dont le redressement nécessite une restructuration.
Avec un engagement financier d’une autre dimension, la mission « Participation financière de l’État » est dotée de 20 milliards d’euros de crédits, pour renforcer les fonds propres d’entreprises stratégiques. C’est une mesure indispensable.
Les autres mesures à caractère économique et social me semblent, dans leur ensemble, tout à fait pertinentes. Je pense en particulier à celles qui concernent les soignants et tous ceux qui se sont investis au cours de la période – fonctionnaires d’État, agents des collectivités locales et salariés du secteur privé – pour que notre pays continue de fonctionner au minimum.
Nous devons maintenant penser à l’avenir, avec un horizon qui se mesure plutôt, pour l’instant, en semaines, éventuellement en mois pour les optimistes, mais non encore en années. Tout en respectant les mesures de protection sanitaire, notre économie aurait sans doute pu maintenir un niveau d’activité plus élevé que celui que nous avons connu au cours des dernières semaines ; on ne va pas refaire l’histoire, mais un certain nombre d’entreprises, y compris publiques, comme La Poste, ont été très réactives pour mettre le pied sur le frein… Le redémarrage risque d’être hétérogène, suivant la nature des activités, et sans doute un peu chaotique, à la veille d’un été qui suscite bien des interrogations.
En revenant sur les difficultés rencontrées par les entreprises, notamment les plus petites, il conviendrait de donner à celles-ci des garanties, par l’intermédiaire la commission des chefs des services financiers (CCSF), qui réunit les directeurs financiers des différentes administrations – impôts, Urssaf ou autres –, sur la possibilité d’étaler le remboursement de charges sur douze, vingt-quatre ou trente-six mois, une sorte de « crédit fournisseur » de l’administration, qui fait déjà cela pour un certain nombre d’entreprises. En effet, même avec un regain dynamique d’activité, je ne vois pas comment ces entreprises pourraient être en mesure, en juillet ou en septembre, de faire face à un double montant d’échéances. Ce dispositif existe ; autant s’appuyer dessus.
Nous devrons aussi, au cours des prochaines semaines, anticiper, peut-être avec des mesures complémentaires, la reprise, sans doute très progressive, de secteurs d’activité touchant au tourisme, aux loisirs, à la restauration, à la culture et au sport.
Je souhaite que nous puissions aborder la renaissance de ces secteurs lors de notre prochaine réunion, pour examiner un PLFR 3, ce qui serait bien évidemment un excellent signe.
En attendant, le groupe du RDSE approuvera ce PLFR, mais défendra un certain nombre d’amendements et votera pour la plupart de ceux qui seront présentés par notre rapporteur général.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, oui, c’est le deuxième projet de loi de finances rectificative ; il approfondit, amplifie, prolonge le premier, qui devait être ajusté. C’est bien normal ; c’était d’ailleurs attendu, puisqu’il fallait agir vite, dans l’urgence. Maintenant, il faut ajouter un certain nombre de mesures.
Ce qui importe, cela a été dit, c’est de ne pas se tromper de tempo. Nous ne sommes pas encore dans la relance ; nous sommes dans l’urgence ; puis, in fine, viendra – nous l’espérons tous – le temps de la croissance. Il est important de retenir cela, parce que c’est ce qui nous servira de guide dans l’examen et dans le vote des amendements qui seront présentés. Il faut bien différencier les moments successifs, qui vont de l’urgence à la façon dont nous revisiterons un certain nombre de pans de notre économie.
Je me réjouis du climat de nos échanges, notamment au sein de la commission des finances…
L’ordre de marche proposé par le Gouvernement ne se heurte pas à une opposition frontale. Au contraire, il rencontre plutôt une forme d’unité ; cela me semble positif pour le pays, car une forme de défiance serait plus néfaste.
Bien sûr, il y a des nuances et des débats – des amendements ont d’ailleurs été déposés –, mais l’annonce de l’adoption de ce projet par la majorité sénatoriale me semble aller dans le bon sens.
Elle témoigne d’un esprit de responsabilité, signe que le Gouvernement a tenu compte des remontées formulées par les sénateurs et par d’autres, Bruno Le Maire y a insisté, pour modifier les premiers dispositifs. En outre, nous partageons le même constat quant à la pertinence des outils utilisés, parce que la situation est inédite. Face à cette crise, nous avons dû arrêter l’économie, même si la décision n’a pas été prise de gaieté de cœur. Il ne s’agit pas d’une crise financière dont on tire les conséquences, mais d’une crise de l’offre et de la demande provoquée par la décision de mettre l’économie à l’arrêt, ce qui est totalement inédit dans l’histoire économique.
Il en découle évidemment des décisions à prendre, principalement le chômage partiel et les prêts garantis, pour sauvegarder au maximum les compétences, les talents et le savoir-faire de nos entreprises sur le long terme. Ces mesures nous rassemblent.
Dans ce contexte, j’insisterai sur trois éléments. Le premier, ce sont les hypothèses. Comment l’économie rebondira-t-elle… ou non ? Quelle sera la répartition entre la reprise de la consommation et l’épargne de précaution ? L’épargne de précaution qui se constitue sera-t-elle durable ? Les Français seront-ils tentés de la conserver ou bien portés par une forte envie de consommation, notamment dans les villes ? Regardons ce qui se passe dans les autres pays. Il faudra s’adapter au déroulement de la situation, en tirer les conséquences et orienter cette épargne si elle devait être maintenue.
Le deuxième élément, c’est le rétablissement des comptes. L’histoire économique nous enseigne plutôt de ne pas augmenter les impôts, quels qu’ils soient, en cas de forte récession, comme le recommandait l’économiste John Maynard Keynes. L’histoire récente nous a montré que vouloir rétablir rapidement les comptes par la hausse fiscale pénalise le retour de la croissance ; on l’a vu d’ailleurs sous deux gouvernements différents, de 2010 à 2014, avec deux vagues successives. Le rétablissement des comptes ne peut pas passer, me semble-t-il, par une augmentation de la fiscalité – c’est un débat que nous aurons.
Enfin, il y a l’après : les mesures qui devront être prises pour enrichir le plan de relance. Gérald Darmanin et Bruno Le Maire nous invitent à formuler des propositions, à poursuivre notre contribution, comme nous l’avons fait pour le premier projet de loi de finances rectificative. Il est bon que les idées foisonnent, mais il faudra aussi établir des priorités et sérier les problèmes. Oui, il y a l’investissement, pour lequel il faudra envisager un crédit d’impôt ou une forme d’amortissement accéléré. Distinguer plus clairement ce qui relève du fonctionnement et de l’investissement dans les règles européennes me semble constituer une priorité. Autre sujet essentiel : les politiques industrielles et les formes qu’elles prendront dans les différents budgets. Voilà quelques-unes des pistes que nous étudierons, j’en suis convaincu, à l’avenir.
En tant que rapporteur spécial, avec Vincent Éblé, des crédits de la mission « Culture », je conclurai en attirant notre attention collective sur le choc énorme de cette crise sur le secteur culturel. Je pense notamment aux acteurs privés, aux indépendants, aux cinémas, aux libraires et à d’autres, qui devront être pris en considération dans les plans à venir.
M. Jean-Marc Gabouty applaudit.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, sans surprise, je vais voter les crédits du deuxième PLFR. Ne vous y trompez pas, messieurs les ministres, il s’agit de faire en sorte que vous disposiez des moyens financiers pour répondre aux trois défis que cette situation exceptionnelle nous impose : le défi sanitaire, le défi économique et le défi sociétal.
Le défi sanitaire est loin d’être gagné et si, dans cette période, il n’est pas question d’entrer en polémique, il faudra bien faire un jour le bilan de vos décisions. Je pense notamment aux tests. Tous les pays qui ont maîtrisé au mieux leur situation ont eu une politique massive de tests. En France, il semblerait que l’on s’interroge encore sur lequel choisir… Tous les retards de décision auront un coût humain et financier, et le Gouvernement en est responsable puisque nous lui en donnons les moyens.
En matière économique, là aussi, nous sommes d’accord pour que vous puissiez disposer des marges de manœuvre nécessaires, mais nous devrons comparer l’utilisation de ces moyens avec la pratique de nos voisins. Force est de constater, par exemple, que nous consacrerons trois fois plus de moyens au chômage partiel que l’Allemagne, qui, elle, disposera de sept fois plus de moyens pour le soutien aux entreprises. Surtout, les prises de participation financière de l’État sont de 100 milliards d’euros en Allemagne, contre 20 milliards d’euros en France.
On voit bien qu’une chose est de disposer de moyens financiers, une autre est la mise en œuvre des stratégies. Aujourd’hui, nous avons la responsabilité de vous donner les moyens d’une politique forte. Vous serez responsables de la qualité de sa mise en œuvre. Les Français ont de plus en plus de mal à se tenir confinés. L’espoir d’un rebond fort peut les aider à tenir, mais ne nous y trompons pas : si la problématique de la santé est prioritaire, les dégâts sociétaux consécutifs à une économie chancelante pourraient être considérables. Les Français sont nombreux à s’interroger sur les effets de la valse des milliards. Ceux qui pensent que cela n’aura pas de conséquence se trompent. Demain plus que jamais, nous aurons besoin de citoyens forts, entreprenants, responsables et n’attendant pas tout de l’État.
Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’examen d’un projet de loi de finances rectificative ne permet évidemment pas d’embrasser tous les aspects d’une loi de finances initiale. Nous sommes dans une situation d’urgence sanitaire, sociale et économique. Cependant, les mesures qui s’inscrivent dans ce PLFR devraient déjà, selon nous, donner des signes clairs quant aux politiques qui seront menées demain. Les choix du moment devraient engager fortement l’avenir de notre société.
Le Gouvernement a décrété d’emblée que notre fiscalité ne serait pas modifiée. Cette crise sanitaire bouscule la planète entière, notre continent européen, et percute de plein fouet la société française, qui souffre de fortes inégalités depuis trop longtemps. L’Insee montrait qu’en 2018 la pauvreté avait augmenté de 0, 6 % dans notre pays ; personne ne niera que le confinement est beaucoup plus difficilement supportable quand on est confronté au mal-logement ou à l’absence de moyens numériques pour assurer la continuité éducative des enfants. Cette crise met aussi en évidence la nécessité de services publics forts, celui de la santé d’abord, de l’éducation aussi, ou encore des collectivités locales.
Les discours du Gouvernement, dans la période, tranchent singulièrement avec certains propos tenus au début de ce quinquennat. Ainsi, dans son discours de politique générale prononcé le 4 juillet 2017 à la tribune de l’Assemblée nationale, M. Édouard Philippe déclarait : « Il y a une addiction française à la dépense publique ». M. le ministre Bruno Le Maire, ici présent, lui emboîtait le pas quelques jours plus tard avec ces paroles : « Depuis trente ans, la France est droguée aux dépenses publiques. Oui, il faut les réduire : c’est une question de souveraineté nationale. » Enfin, et j’arrêterai là mon inventaire, la fameuse formule du président Macron, en juin 2018 : « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux ».
Ces propos pourraient-ils encore être tenus aujourd’hui, en pleine crise sanitaire où la dépense publique devient un outil essentiel ? Nous considérons pour notre part que les prochains débats budgétaires se tiendront dans un contexte profondément modifié, où les repères libéraux auront été largement bousculés. Vous faites le choix de financer vos mesures par la dette, et nous avons même entendu un temps très bref un appel à la générosité publique. Or la force d’un État, c’est notamment sa capacité à lever l’impôt. Nous pensons qu’il y a des ressources à solliciter du côté des plus gros patrimoines, des plus hauts revenus, ou encore des dividendes, dont le niveau a battu un record l’an dernier avec 51 milliards d’euros, un chiffre qui fait de la France le meilleur rémunérateur d’actionnaires en Europe. Notre groupe a déposé plusieurs amendements visant à solliciter ces ressources.
Les aides aux entreprises ne sauraient se limiter aux plus grands groupes industriels stratégiques ; il faudra veiller à ce que l’ensemble du tissu économique soit demain en mesure de retrouver rapidement sa vitesse de croisière. Il importe également de conditionner ces aides. L’on ne saurait imaginer l’octroi d’argent public à des groupes qui distribueraient des dividendes, pratiqueraient des licenciements ou auraient des liens avec les paradis fiscaux.
À la date d’aujourd’hui, on estime que la dette de la France pourrait atteindre 115 % du PIB. Tous les dogmes libéraux volent en éclats : déficit à 3 % – on parle aujourd’hui de 8 % –, dette à 60 % du PIB dont nous sommes très loin. Dans cette crise internationale, on a vu des tabous tomber. La banque centrale britannique a pris la décision, le 9 avril dernier, de financer directement le Trésor afin de l’aider à affronter les ravages sanitaires et économiques provoqués par l’épidémie de Covid-19. C’est bien un pilier de la doxa libérale qui s’effondre, à savoir l’indépendance des banques centrales et l’interdiction qui leur est faite de financer directement les États. La Réserve fédérale aux États-Unis a suivi le même chemin et a déjà engagé des moyens illimités pour soutenir l’économie du pays.
Il faudra bien à un moment donné lancer ce débat de fond au niveau européen. Il faudrait, dans les circonstances présentes, redéfinir fondamentalement le rôle de la Banque centrale européenne. Notre pays va donc encore enrichir les marchés financiers et in fine nous ne connaîtrons pas davantage les détenteurs ultimes de nos titres de dette. Avouez que la souveraineté de la France est singulièrement mise en danger !
Les collectivités locales doivent être également particulièrement aidées, pour deux raisons essentielles : elles sont d’abord, avec beaucoup d’autres, aujourd’hui en première ligne, prenant les initiatives les plus diverses pour soutenir et accompagner les populations dans cette crise ; ensuite, ces collectivités seront demain des leviers essentiels dans le redémarrage économique de notre pays – rappelons qu’elles représentent encore 73 % de l’investissement public. Elles ne doivent plus à l’avenir être considérées comme des variables d’ajustement à la baisse de la dépense publique.
Enfin, les aides aux plus démunis dans ce PLFR ne sont pas à la hauteur des enjeux du moment, comme les efforts pour les personnes bénéficiant des minima sociaux, sans compter les demandeurs d’emploi non indemnisés, ainsi que les étudiants boursiers.
Nous nous étonnons également de l’absence, dans ce PLFR, de mesures d’ampleur pour l’éducation nationale. Certes, on y évoque une prime aux enseignants qui ont assuré l’accueil des enfants du personnel soignant, mais la problématique est, selon nous, beaucoup plus globale. L’école, dans ce pays, représente 12 millions d’élèves et 800 000 personnels. Il faudra sans doute, dans un prochain PLFR, prendre des mesures fortes pour aider les élèves en décrochage dans cette période difficile à retrouver le chemin de la réussite, car on connaît l’incidence forte de la sociologie sur la réussite scolaire des élèves.
Ainsi donc, nous considérons qu’il y a beaucoup de manques dans ce projet de loi de finances rectificative et, en l’état, il n’est pas envisageable que le groupe CRCE émette un vote favorable.
Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en quelques mois, l’épidémie du coronavirus a balayé toutes nos prévisions : un déficit maintenu à 2, 2 % du PIB, une dette stabilisée à 100 %, une croissance à 1, 2 %… Rarement loi de finances initiale aura été rendue caduque aussi rapidement, et dans de telles proportions !
Le déficit qui plonge à 9 % du PIB, la dette qui s’envole et la récession qui frappe à -8 % : telle est désormais la réalité avec laquelle nous devons composer. La froideur de ces chiffres a de quoi nous glacer le sang.
Nous espérons tous que les conséquences sanitaires de la pandémie seront rapidement limitées, et je souhaite ici m’associer à la douleur de tous nos concitoyens pour qui la période du confinement est aussi celle d’un deuil. Grâce à la mobilisation exceptionnelle de nos soignants, de nos chercheurs et de tout le pays, je suis certain que nous vaincrons le virus.
Cependant, nous savons désormais que les conséquences économiques de la pandémie grèveront longtemps nos finances publiques. Et pour cause : les moyens nécessaires que nous mobilisons pour sauver nos entreprises donnent le vertige. Alors que nous nous apprêtons à voter un projet de loi de finances rectificative qui entérine une dette à 115 % du PIB et sanctionne une dépense publique au-delà de 60 % du PIB, je tiens à le rappeler : la situation est alarmante.
Pourtant, nous devons nous rendre à l’évidence : sans entreprises, pas de reprise. Telle doit être aujourd’hui notre seule préoccupation : préserver le tissu de nos entreprises ; aider nos artisans, nos TPE, nos PME, nos ETI et nos grandes entreprises à passer la crise, à tenir bon, à survivre, ni plus ni moins. La santé a commandé hier la stratégie du confinement pour tous les citoyens. Ce n’est pas terminé, mais l’économie commande aujourd’hui la stratégie du soutien pour les entreprises en difficulté. Au vu de la situation actuelle, le plan de sauvetage de 110 milliards d’euros apparaît malheureusement comme une impérieuse nécessité – une impérieuse nécessité, certes, mais nous devons garder à l’esprit que nous n’avons pas cet argent.
Le plan que nous votons aujourd’hui sera donc financé par les générations futures. C’est encore ce que nous avons de mieux à faire, car mieux vaut transmettre un actif et un passif, c’est-à-dire un bilan, une entreprise, que pas d’entreprise du tout. Mais les générations qui naîtront dans le monde de demain paieront les décisions que nous allons prendre aujourd’hui. Soyons-en conscients.
Le dispositif de chômage partiel s’inscrit dans cette logique. Il s’agit d’une mesure sociale qui s’avère indispensable par la souplesse qu’elle accorde aux entreprises. Elle permet de sauvegarder aujourd’hui les emplois dont nous aurons besoin demain pour relancer l’activité du pays. Le renforcement des deux dispositifs exceptionnels mis en place lors du premier PLFR, le chômage partiel, que je viens d’évoquer, et les prêts garantis par l’État, me semblent aller dans le bon sens : l’État prend à sa charge le financement des conséquences liées à la crise, sans chercher à tout administrer. Le renforcement de ces dispositifs répond aux attentes des acteurs du terrain.
Il en va de même pour la dotation du fonds de solidarité. En totalisant l’abondement supplémentaire de l’État, le concours des régions et la participation des assureurs, désormais un peu plus en phase avec la gravité de la situation, le fonds est aujourd’hui doté de plus de 7 milliards d’euros. Ce rehaussement, accompagné d’une révision des critères d’éligibilité, répond aux attentes du terrain, notamment dans les territoires les plus fragiles.
Un mot, enfin, sur les futures prises de participation de l’État au capital d’entreprises stratégiques. Je salue cette décision indispensable qui matérialise notre souveraineté économique, et je ne doute pas que ces participations seront aussi temporaires que possible. Je regrette seulement que le Parlement ne puisse pas, à ce stade, participer plus activement à la définition de cette stratégie, même si j’en comprends les raisons. Je rejoins en cela la position du rapporteur général de la commission des finances.
Mes chers collègues, en votant le premier PLFR, nous nous doutions bien qu’il y en aurait un deuxième. Et en abordant le deuxième, on ne peut qu’envisager un troisième… Quoi qu’il en soit, les mesures que nous allons voter, même si elles font l’objet d’un débat, et c’est heureux, vont dans le bon sens. Comme je l’ai dit : sans entreprises, pas de reprise. C’est dans cette logique constructive que le groupe Les Indépendants aborde l’examen de ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la France, comme le reste du monde, est durement affectée par la pandémie de Covid-19. Cette catastrophe sanitaire entraîne dans son sillage une catastrophe économique qui explique que nous nous retrouvions ici pour un second projet de loi de finances rectificative, à peine plus d’un mois après en avoir adopté la première mouture. Dans un contexte exceptionnel où les inconnues sont nombreuses, mesurer l’ampleur des dégâts relève de la gageure.
Le groupe Union Centriste a salué, en mars dernier, la réactivité du Gouvernement, dont la réponse a permis tout à la fois de protéger les salariés et de soulager la trésorerie des entreprises en difficulté. Compte tenu du prolongement du confinement, dont le coût hebdomadaire pour l’économie française est chiffré à près de 20 milliards d’euros par l’Insee, la situation d’un grand nombre de nos entreprises, dans un grand nombre de secteurs, s’est aujourd’hui fortement détériorée.
Dans le présent « collectif budgétaire », le Gouvernement propose de porter de 45 milliards à 110 milliards d’euros le plan d’urgence économique. Le budget dédié au dispositif de chômage partiel voit ainsi ses crédits quasiment tripler, pour atteindre désormais 24 milliards d’euros. C’est une somme considérable, mais non moins nécessaire. De même, les crédits alloués au fonds de solidarité pour les TPE sont revus très nettement à la hausse, à 7 milliards d’euros. Il faut s’en réjouir.
Ce budget rectificatif instaure également un dispositif exceptionnel de soutien aux prêts et aux fonds propres, à hauteur de 20 milliards d’euros, pour les entreprises dites « stratégiques » fragilisées par la crise. Il faudra veiller, messieurs les ministres, et nous y veillerons, à ce que l’État n’investisse pas à fonds perdu dans des activités commerciales en subventionnant aveuglément les investisseurs et les créanciers de ces grandes entreprises. Il est en tout cas heureux que l’Assemblée nationale ait subordonné le soutien de l’État, et à travers lui celui des contribuables, au respect d’objectifs environnementaux. Nous approuvons cette mesure et espérons qu’elle prospérera à l’issue de la navette parlementaire.
Le Gouvernement a fait le choix opportun de plusieurs mesures complémentaires, à la fois bancaires, budgétaires et fiscales, visant opportunément à sauvegarder l’appareil productif français ; et il faudra aller plus loin s’agissant de certaines d’entre elles.
Nous l’avons dit le mois dernier : le report des échéances sociales et fiscales était nécessaire. Mais il est devenu insuffisant à mesure que s’est prolongé le confinement. Nous avons appris, lors de la présentation de ce PLFR « nouvelle version », que 750 millions d’euros allaient être consacrés à des annulations de charges sociales et fiscales, dans le cadre de plans sectoriels concernant l’hôtellerie, la restauration ou encore l’événementiel.
Mes collègues du groupe Union Centriste et moi-même pensons qu’il sera tôt ou tard inévitable de transformer ce report en annulations pures et simples. Nous déposerons en ce sens un amendement, sans limitation sectorielle, mais à la condition que soient satisfaits certains critères rigoureux, notamment celui du chiffre d’affaires. Notre volonté est non seulement de réserver le bénéfice de cette annulation aux entreprises les plus en difficulté, mais aussi d’en limiter le coût pour les finances publiques.
Nous approuvons évidemment le versement d’une prime exceptionnelle aux agents publics mobilisés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Cette prime est une juste reconnaissance du travail effectué, s’agissant en particulier des personnels hospitaliers. Mais, pour être tout à fait justes, il nous faudrait aussi marquer notre reconnaissance à tous les autres : songeons en effet aux médecins généralistes, infirmières et infirmiers libéraux, salariés de laboratoires d’analyses et de dépistages, et à toutes celles et tous ceux qui, au péril de leur vie, allant même jusqu’à la donner, ont affronté le danger sans réserve ! Ne pourrait-on pas, messieurs les ministres, prévoir un nouveau dispositif ou calibrer les dispositifs existants de façon à rétribuer leur vaillance ?
Nous le savons, et le rapporteur général l’a rappelé ce matin en commission des finances : la saison des PLFR ne fait que commencer. À travers cet épisode 2, le solde budgétaire se dégrade déjà, par rapport à la loi de finances initiale, de 92 milliards d’euros, pour s’établir à plus de 185 milliards d’euros. « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites », écrivait Alphonse Allais. Mais que ce soit par le canal budgétaire ou le canal monétaire, par la voie nationale ou la voie européenne, chaque euro injecté devra un jour ou l’autre être remboursé. Notre collègue Nathalie Goulet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Engagements financiers de l’État », vous l’expliquerait mieux que moi.
Espérons ainsi que nos débats de ce jour permettent d’esquisser le plan d’investissement qu’il nous faudra, sans tarder, collectivement bâtir pour éviter chacun des écueils. Cela dépendra évidemment des perspectives de la sortie de crise. L’hypothèse privilégiée par le Gouvernement d’un retour rapide à la normale, avec une consommation rebondissant dès le second semestre, nous paraît plutôt optimiste. Les exemples récents sont là pour nous montrer que thésauriser est souvent le premier réflexe après les périodes de tumulte. Nous devrons nous méfier de « la relance pour la relance », souvent dispendieuse. L’épargne devra être drainée le plus rapidement et le plus efficacement possible vers le tissu productif.
Au-delà du choc sanitaire et économique qu’elle provoque dans le pays tout entier, la pandémie de Covid-19 aura un impact particulièrement lourd sur l’ensemble des collectivités territoriales qui, grâce à la proximité des élus locaux avec les administrés, grâce aussi à leur réactivité et leur agilité, ont démontré le rôle primordial qu’elles savaient jouer en ces circonstances si singulières. Pour que leurs initiatives se poursuivent et produisent tous leurs fruits, il faudra veiller, messieurs les ministres, à leur conférer les outils juridiques et financiers leur permettant d’accompagner au mieux nos campagnes, nos villages et nos villes de province…
L’examen du texte par l’Assemblée nationale a déjà permis de notables progrès. Parmi ceux-là, nous nous félicitons de l’abaissement du taux de TVA applicable aux gels hydroalcooliques ainsi qu’aux masques de protection, mesure réclamée par notre président Hervé Marseille.
Nous espérons que l’examen de ce PLFR par la Haute Assemblée permette, dans un esprit toujours constructif, de préserver la vitalité et les forces de notre pays. Enfin, en votre nom à tous, vous me permettrez d’avoir une pensée pour tous nos malades, qu’ils soient hospitalisés ou isolés dans leur domicile. Personne ne s’adresse jamais à eux ! Depuis le début de la crise sanitaire, les malades sont devenus des chiffres ou, pire, ont disparu parce que non comptabilisés. Le Sénat n’étant pas une assemblée à chiffres, adressons donc à tous les malades notre soutien et nos espoirs, notre énergie aussi, parce que leur combat vaut largement le nôtre cet après-midi !
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui le deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2020, dans un contexte à la fois très similaire et très différent du premier. Très similaire, car le pays est toujours confiné et nous sommes toujours en train de lutter contre cette maladie qui le paralyse largement. Mais aussi très différent, car ce deuxième texte nous est soumis alors que nous en savons aujourd’hui davantage sur les conséquences économiques possibles de la pandémie.
Lors du premier PLFR, notre groupe, par la voix de Thierry Carcenac, avait fait part de ses réserves sur le cadrage macroéconomique présenté par le Gouvernement. Les données présentées dans ce deuxième texte le confirment : 9, 1 % de déficit attendu pour 2020, 115 % de dette et 8 % de récession. Nous espérons tous que ces chiffres pourront être revus positivement dans les semaines et les mois qui viennent, en tout cas qu’ils ne s’aggravent pas encore, mais ce scénario semble à ce stade cohérent et pertinent.
Se pose dès lors la question, parmi mille autres, de l’impact de la stratégie de déconfinement sur la reprise de l’activité économique. Je veux dire à cet égard, même si je conviens qu’il ne s’agit pas du cœur du sujet, que nous partageons les craintes exprimées par le Haut Conseil des finances publiques : estimer que l’essentiel de l’impact économique concernera le premier semestre de l’année et que le retour à la normale pourrait être rapide et complet nous semble être un pari certes positif, mais risqué quant à l’avenir… et au niveau de nos finances publiques.
Puisque nous abordons la question des chiffres, je voudrais également vous mettre en garde, messieurs les ministres, comme nous l’avons fait dès le premier PLFR, sur le vocabulaire qu’emploie le Gouvernement durant cette crise. Le climat est suffisamment anxiogène pour nos concitoyens pour ne pas ajouter, au-delà des polémiques portant sur la gestion de la pandémie, celles sur les chiffres. Laisser penser que vous injectez 110 milliards d’euros est une manière particulièrement biaisée de présenter les choses. Il y a tout d’abord les 20 milliards d’euros de participations financières de l’État dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’une dépense réelle. À ce stade, il s’agit avant tout d’une provision permettant d’agir autant que de besoin pour renforcer nos entreprises. De plus, l’expérience passée montre que ces prises de participation sont, au final, rentables pour l’État. Il y a également 50 milliards d’euros qui relèvent d’avances de trésorerie et pas de dépenses réelles. Il y a également 8 milliards d’euros, au bas mot, qui sont assumés non pas par l’État directement, mais par l’Unédic, même si l’État en assume le portage à ce stade, et 8 milliards d’euros de plus qui sont portés par le budget social et non par le budget général de l’État – je reviendrai plus loin sur ce point.
Je vous épargne l’analyse au milliard près, mes chers collègues, mais je crois que tout le monde comprend l’idée générale : n’en faisons pas trop avec les chiffres, messieurs les ministres, ou plus exactement adoptons moins d’emphase et plus de sobriété dans le discours sur ce point.
De fait, force est de le constater, notre pays n’a pas les moyens de mettre autant d’argent sur la table que nous le souhaiterions.
Après la crise de 2008, vos prédécesseurs, faisant face à une augmentation de la dette, se sont attachés à diminuer le déficit de nos comptes publics. La bien meilleure croissance que vous avez trouvée à votre arrivée pouvait enfin permettre de baisser significativement le niveau de la dette en pourcentage du PIB.
Vous vous y étiez d’ailleurs engagés. Malheureusement, à l’orée de cette crise sanitaire, le niveau de la dette était au plus haut ; vous n’en êtes évidemment pas seuls fautifs, mais nous en payons collectivement le prix aujourd’hui.
Encore faut-il noter que la politique monétaire plus qu’accommodante de la Banque centrale européenne nous permet, malgré tout, de mener l’action publique nécessaire au moment que nous vivons.
J’en viens maintenant à un point qui, pour le groupe socialiste et républicain, est fondamental. Nous nous sommes d’ailleurs régulièrement exprimés sur ce sujet. Au-delà de son coût, c’est la question du paiement de la crise qui nous intéresse. La problématique est d’ailleurs double.
En premier lieu – je reviens sur les dépenses sociales –, nous estimons que ce n’est pas au budget social que devrait revenir le paiement des 8 milliards de dépenses de santé liées au Covid-19. Si vous avez, à juste titre, créé une mission budgétaire spécifique dans le budget général, nous estimons que ces sommes devraient y être portées, d’une part dans un souci de lisibilité financière, d’autre part parce que c’est un enjeu d’information et de vote du Parlement, dans la mesure où vous ne prévoyez pas l’examen d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative. Surtout, nous ne connaissons que trop bien ce sujet. Depuis votre arrivée aux affaires, on creuse de nouveau le déficit de la sécurité sociale. Ces dépenses ne sont pas contestables en soi, mais demain, au lieu de faire porter les efforts sur la solidarité nationale, on déremboursera d’un côté, on coupera dans les dépenses de l’autre.
Finalement, en bout de course, ce seront une nouvelle fois les plus précaires, les malades, et nos aînés qui paieront. C’est la raison pour laquelle nous demandons l’inscription de ces dépenses sociales au budget général : la santé d’aujourd’hui ne doit pas se traduire par un affaiblissement de la santé de demain.
De plus, s’il devait y avoir une prise en charge par le budget général, nous proposons que, sur le modèle des OPEX, cela se fasse non pas dans l’opacité des décrets de reventilation intraprogramme des crédits, mais, pour partie, dans le cadre d’une solidarité de toutes les missions budgétaires.
Cela nous semblerait de nature à favoriser le financement nécessaire à la lutte que nous menons actuellement sur les plans tant sanitaire qu’économique.
Les recettes constituent le second aspect du financement de cette crise. Une nouvelle fois, comme après le premier PLFR, nous n’en trouvons guère trace dans votre texte, monsieur le ministre.
Lors de l’examen du premier PLFR, vous aviez estimé que ce n’était pas le débat et, malgré nos doutes, nous n’avions pas insisté et avions accepté que le sujet soit renvoyé à plus tard.
Nous considérons que plus tard c’est aujourd’hui, et que nous pouvons et devons désormais évoquer les conséquences de cette crise tant pour les finances publiques que pour les particuliers.
Le Gouvernement a d’ailleurs déjà ouvert le sujet. Aux provocations du MEDEF visant à mettre à bas quasiment un siècle de conquêtes sociales…
Sourires.
Plusieurs ministres ont invoqué la nécessité de travailler plus ou la nécessaire remise à plat de la dépense publique.
On cherche vainement le « en même temps » cher à notre président. Curieusement, rien sur la solidarité nationale nécessaire, rien sur la participation et l’effort des entreprises, une fois l’activité redémarrée, rien sur la participation des plus fortunés d’entre nous, rien sur la contribution du capital à la restauration de nos comptes.
Nous ne repartirons pas avec les recettes du passé ! Nous appelons à davantage de solidarité entre tous et demandons un mécanisme de taxation exceptionnelle du capital.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Une taxation des revenus ou de la consommation serait bien évidemment contre-productive, nous en convenons sans aucune difficulté, eu égard à la spécificité de la crise économique que nous traversons.
Cependant, rien sur le plan économique n’empêche la mise en œuvre d’un mécanisme de solidarité centré sur le capital. Nous vous ferons plusieurs propositions en ce sens durant les débats.
Je sens qu’il y aura des accords en la matière !
Nous nous permettrons également de mettre en lumière certains secteurs d’activité et certaines situations sociales pour lesquelles nous estimons que la réponse du Gouvernement gagnerait à être complétée.
En conclusion, monsieur le ministre, nous prenons acte des apports du Gouvernement dans ce deuxième PLFR, notamment pour maintenir le potentiel de croissance de notre économie et faire en sorte que les salariés puissent continuer à vivre et être présents pour la relance. La réponse n’est évidemment pas parfaite, mais elle existe, et le texte gagne en crédibilité par rapport à la première mouture.
Le groupe socialiste et républicain le votera, même s’il souhaite bien entendu obtenir des avancées dans le cadre de notre débat. Il ne s’agit cependant pas d’un blanc-seing, et nous demandons au Gouvernement, dans le cadre de cette lecture au Sénat, d’améliorer sa copie, pour permettre plus de transparence dans la communication et plus de solidarité dans les faits.
Messieurs les ministres, je le dis avec gravité, ne prenez pas le risque d’une fracture citoyenne et sociale au lendemain de la crise. Nous n’avons pas besoin de cela.
Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un mois, le Sénat adoptait à la quasi-unanimité, rappelons-le, le premier PLFR, dont les dispositions visaient à limiter les effets d’une crise économique sans précédent par son origine et son ampleur – nous le pressentions –, conséquence du gigantesque shutdown de pans entiers de l’économie mondiale décidé pour enrayer la pandémie de Covid-19.
À crise exceptionnelle, moyens exceptionnels ! Il fallait effectivement préserver notre tissu économique et l’emploi, pour préserver notre potentiel de croissance et permettre, le moment venu, un redémarrage le plus rapide possible. Il fallait également éviter qu’une crise sociale ne s’ajoute à la crise sanitaire. Nous avons donc évidemment approuvé ces mesures.
Cependant, le vote favorable du groupe Les Républicains ne l’avait pas empêché de formuler plusieurs remarques.
Tout d’abord, messieurs les ministres, vos prévisions macroéconomiques nous semblaient alors bien trop optimistes, avec une croissance affichée en recul de 1 % seulement. Les critères d’accès au fonds de soutien aux entreprises nous paraissaient trop restrictifs et présentaient des « trous dans la raquette ». Par ailleurs, le montant de ces aides était faible. Surtout, il s’agissait pour l’essentiel de mesures de trésorerie – reports de charges et d’emprunts déjà contractés, nouveaux emprunts garantis par l’État –, bien évidemment utiles, mais insuffisantes à nos yeux pour les entreprises qui seraient les plus impactées par cette crise.
Il manquait également la possibilité de faire un geste de reconnaissance sonnant et trébuchant envers toutes celles et tous ceux qui, par leur engagement à leur poste de travail – je pense aux soignants, bien sûr, mais aussi à d’autres personnels, qu’ils appartiennent aux trois fonctions publiques ou au privé –, ont permis la continuité du fonctionnement des services publics, mais aussi des entreprises essentielles à la Nation.
Avec ce second PLFR, vous ajustez fortement vos prévisions macroéconomiques, vous assouplissez l’accès aux premiers dispositifs, que vous élargissez, tout en en créant de nouveaux, et vous instaurez la possibilité de primes. Tout cela est bienvenu, monsieur le ministre, et nous l’approuverons, même si notre groupe va proposer un certain nombre d’amendements sur lesquels reviendra Jérôme Bascher.
Pour ma part, j’en évoquerai seulement un. Il concerne une question importante, dont vous repoussez encore le traitement : il s’agit de ces milliers d’entreprises qui ne pourront faire face à la crise, même avec les nouvelles dispositions que nous allons adopter.
Les plus grandes entreprises, les plus stratégiques, pourront bénéficier du fonds de 20 milliards d’euros que vous créez pour des prises de participations de l’État, voire pour des nationalisations. Quid des autres ? Je pense bien évidemment aux entreprises des secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie et de la culture, dont la reprise d’activité sera encore décalée dans le temps, probablement de plusieurs mois, et pour lesquelles le chiffre d’affaires qui sera perdu le sera définitivement, parce qu’il n’est pas possible de rattraper une saison ratée.
Il faut répondre à cette question, messieurs les ministres, et vite. Vous dites être bien conscients du problème, mais vous repoussez la prise de décision. Pourtant, ces entreprises, peut-être plus que les autres, ont besoin d’un minimum de visibilité, parce qu’elles sont les plus fragiles et que leur existence même est en jeu.
En ce moment, permettez-moi d’avoir une pensée pour ces artisans, ces commerçants, ces agriculteurs, ces libéraux, ces chefs d’entreprises petites ou moyennes, qui, du jour au lendemain, voient la pérennité de leur activité fortement menacée. Très souvent, c’est l’investissement humain et financier d’une vie. La vie des chefs d’entreprise, contrairement à ce que laissent parfois entendre certains, n’est pas un long fleuve tranquille, au bout duquel il n’y aurait qu’à engranger des bénéfices. Eux aussi, du jour au lendemain, ils peuvent tout perdre sans avoir commis la moindre faute de gestion ou la moindre erreur, uniquement victimes des circonstances.
Nous devons mesurer leur angoisse, ainsi que celle de leurs salariés, et y répondre par des annulations de charges et d’impôts. Il y a urgence !
De manière plus générale, il faut également et très rapidement mettre en place un plan de relance de l’activité économique, qui doit être le pendant du plan de déconfinement sanitaire progressif, annoncé pour le 11 mai prochain, c’est-à-dire demain.
Limiter à 8 % la chute de la croissance, ce que nous espérons tous, dépendra de nombreux facteurs endogènes et exogènes, que vous ne maîtrisez pas tous, messieurs les ministres, ce dont personne ne vous fera le reproche. Si nous voulons avoir une chance de ne pas devoir encore réviser ce chiffre à la baisse, il nous faut très rapidement mettre en place le plan de relance annoncé.
Il faut également nous donner la certitude que le pays disposera des moyens de protection nécessaires pour l’ensemble de la population qu’elle soit active ou non. Sur ce point, il faudra bien expliquer aux Français – mais le temps n’est pas venu –, pourquoi nous avons tant manqué de masques et de tests, alors que d’autres pays ont pu mettre en place des stratégies différentes et, finalement, limiter bien mieux que nous les dégâts humains et, probablement, économiques de cette crise sanitaire.
Sur la base de vos prévisions nouvelles, le déficit public serait donc de 9 % cette année, et le déficit budgétaire d’un peu plus de 186 milliards d’euros après le vote de l’Assemblée nationale. C’est un chiffre considérable, mais c’est le prix que nous devons payer, au risque d’aggraver la crise si nous ne le faisions pas.
Cependant, il faut dès à présent penser à l’après. Depuis la crise de 2009, nous n’avons pas su, contrairement à d’autres, inverser la courbe de notre dette en réduisant suffisamment notre déficit public – sans même parler d’un retour à l’équilibre, ce que certains ont fait. Nous avons ainsi perdu dix ans. Notre dette représentera donc à la fin de l’année 115 % de notre PIB et, paradoxe absolu, alors qu’elle aura exactement doublé, passant de 1 200 milliards d’euros à 2 500 milliards d’euros entre 2008 et 2020, elle nous coûtera moins cher en intérêts cette année qu’en 2008 ! C’est un paradoxe auquel nous devons prêter attention.
Pour le moment, nous n’avons eu qu’une petite tension sur les marchés – 70 points de base, ce qui n’est rien. La politique de la BCE a permis de corriger immédiatement le tir. Toutefois, mes chers collègues, nous devons nous poser la question suivante : combien de temps cela va-t-il durer ? C’est « l’insoutenable légèreté de la dette », comme le disait à l’époque Philippe Marini. Soyons-en bien conscients : plus le temps passe et moins nous réagissons, plus le sort de la France dépend d’aléas, plus nous perdons en souveraineté, parce que nous ne sommes plus maîtres de notre destin.
Quant à l’Europe, si elle a pris des décisions importantes, chacun voit bien où sont ses limites : les pays du Nord, l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres ne sont pas prêts à accepter l’idée même d’une mutualisation d’une partie de nos dettes. Par ailleurs, l’écart se creuse encore entre nos économies, alors que nous partageons la même monnaie. Il y a là un risque majeur.
Si nous approuvons les mesures que vous prenez pour faire face à cette crise, nous voulons en même temps, dès aujourd’hui, réaffirmer ici que le nouveau « nouveau monde » que le Président de la République nous a annoncé ne pourra pas mettre de côté la question de la dette et du déficit public.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le lundi de Pâques, le Président de la République annonçait un déconfinement le 11 mai. Le dimanche suivant, le Premier ministre annonçait un déconfinement le 11, mais…
Sourires.
Au-delà du jeu de mots, la sortie de confinement est complexe, sans vérité, mais essentielle. Elle doit être précise, car, je le dis solennellement ici, la France ne peut pas se permettre un reconfinement. La reprise en V attendue, un V qui ressemble plutôt au symbole de Nike au fil du confinement, ne doit pas être en W puis en L, comme disent les économistes : ce ne serait alors plus une récession, mais une dépression, avec le risque démocratique de sinistre mémoire qui ne manque pas de s’ensuivre.
Ce PLFR 2, plus réaliste que la réaction rapide et bienvenue du PLFR 1, Philippe Dallier l’a dit, ne donnera sa pleine efficacité que sous deux conditions, déjà évoquées dans le Discours de la méthode de Descartes.
Pour réussir le déconfinement, il faut donner de la clarté et un calendrier, secteur par secteur, mais aussi pays par pays, car, vous l’avez dit, monsieur le ministre, tout doit être coordonné. J’ai peur que l’Union européenne ne passe à côté de l’histoire. L’incertitude et les palinodies sont les armes létales de la reprise. Donnons vite des perspectives avec un PLFR 3, véritable pacte de stabilité et de croissance !
Ensuite, seconde condition, il convient d’écouter et de réagir aux manques que ce plan globalement bien construit et bien calibré laisse entrevoir, malgré votre bonne volonté.
J’en viens à l’esprit qui nous anime : faire remonter les inquiétudes de l’économie réelle oubliées par les administrations centrales, les fameux « trous dans la raquette » des aides. La commission des affaires économiques, sous l’impulsion de Sophie Primas, comme celle des finances, avec Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, mais aussi celle des affaires européennes, avec Jean Bizet, y travaillent.
J’évoquerai tout d’abord trois sujets budgétaires. Il manque des crédits pour la culture, les intermittents, les vacataires du patrimoine, mais aussi pour l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), comme l’ont souligné nos collègues représentants des Français établis hors de France, Robert del Picchia, Christophe-André Frassa, Ronan Le Gleut et Jacky Deromedi.
Il manquera aussi des crédits pour un dispositif, le Fonds d’intervention pour la sauvegarde de l’artisanat et du commerce (Fisac), que Bercy veut faire disparaître depuis vingt ans et que nous défendons ici. Il jouera un rôle clef pour l’après.
Nous avons pensé à un fonds abondé par ceux qui profitent de l’oligopole administratif, créé à la suite de la fermeture de certains magasins.
Car c’est notre grande conviction : les efforts de crise doivent être partagés par tous, banquiers et assureurs, grandes surfaces, État et collectivités, mais aussi contribuables et travailleurs de tout type, syndicats, qui doivent jouer le jeu du travail et du dialogue.
Protestations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.
Il ne doit pas y avoir non plus de trous dans la raquette des efforts.
Plusieurs amendements que nous soutenons visent à améliorer l’efficacité et la justice de ce plan de soutien. Ils sont inspirés du terrain et de nos groupes de travail.
Il s’agit de transformer les reports de charges sociales et fiscales en dégrèvements, notamment pour le secteur des hôtels, cafés et restaurants, ainsi que pour le tourisme, la culture et l’événementiel. Il convient également de rendre certaines sociétés civiles immobilières (SCI) éligibles aux prêts garantis par l’État, de reporter la hausse de la TICPE appliquée au gazole non routier (GNR) dans le BTP, secteur qui se porte fort mal. Il faut aussi introduire, dans la commande publique, des critères locaux, raccourcir les délais pour engager plus vite les chantiers, relever le plafond de défiscalisation des dons et du mécénat liés à la crise sanitaire, baisser la TVA sur les masques et les gels hydroalcooliques, …
… surtout lorsque ce sont les collectivités qui les financent à la place de l’État. Enfin, des prêts devront être directement consentis par Bpifrance, certaines banques ne jouant pas le jeu.
S’agissant des prises de participation, je crois plus à celles de Bpifrance et de la Caisse des dépôts et consignations qu’à celles de l’État, qui se révèle souvent un bien mauvais actionnaire, enfermé dans des injonctions paradoxales.
Ce PLFR pose de nombreuses questions pour la suite. J’en évoquerai trois.
Comment les banques noteront-elles le bilan des entreprises pour l’année 2020 ? Il sera bien évidemment catastrophique. Je rappelle à cet égard que les prêts de trésorerie viennent grever les bilans et sont assujettis à l’impôt sur les sociétés.
Par ailleurs, avec des dépenses publiques représentant 60 % du PIB, y a-t-il de la place pour un plan de relance budgétaire ? Un tel niveau de dépenses est « communiste », ce qui devrait faire plaisir à notre collègue Éric Bocquet…
La montagne des dettes que nous avons contractées est le respirateur artificiel de notre économie. Le fait que les stabilisateurs économiques, très élevés en France, n’aient pas joué leur rôle soulève certaines questions.
Enfin, la réactivité de notre système administratif a montré ses limites. Il faudra déconcentrer, décentraliser, et transformer le préfet en vrai patron de toutes les administrations : agence régionale de santé (ARS), direction départementale des finances publiques (DDFiP) et rectorats compris.
Faites confiance au local, les élus locaux se sont montrés exemplaires dans cette crise !
Méfions-nous de toutes les tracasseries et complications que la bureaucratie française tente de constituer par atavisme, malgré elle, comme l’a si bien dit Bruno Retailleau.
Penser global, c’est l’objet de ce PLFR. Agir local, ce doit être la souplesse et l’agilité, nécessaires en ces temps de crise, et permettant la déclinaison de ce texte.
Messieurs les ministres, le Sénat joue pleinement son rôle sur ce volet économique et budgétaire comme il l’a fait s’agissant des libertés individuelles, sous l’égide de Philippe Bas.
Le Gouvernement appelle à l’union nationale. Avec le PLFR 1, le Sénat a adopté cet état d’esprit. Avec le PLFR 2, c’est au Gouvernement de montrer le sien : faisons de part et d’autre assaut de modestie et de détermination, face à une crise qui interroge notre humanité.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Permettez-moi de revenir rapidement, monsieur le président, sur deux points évoqués par tous les orateurs.
Il s’agit tout d’abord du calendrier et des perspectives économiques dans les semaines et les mois à venir. Je souhaite que nous puissions procéder étape par étape, ne serait-ce que par souci de clarté vis-à-vis des Français.
Le premier temps a été celui de la riposte économique : c’est le plan d’urgence économique que nous avons mis en place et qui est amélioré par ce projet de loi de finances rectificative, lequel tient compte, je le répète, des remontées du terrain, des critiques, des observations et des propositions.
Le deuxième temps est celui de la reprise économique, de la reprise du travail, à partir du 11 mai pour certains secteurs. Nous devrons alors préciser, par des codes de bonnes pratiques, sous quelles conditions pourront se rouvrir un certain nombre de commerces. Ce deuxième temps s’étalera sur plusieurs semaines. Il durera un peu plus longtemps pour certains secteurs comme la restauration, qui sont soumis, nous l’avons tous dit, à des contraintes particulières.
Le troisième temps sera celui de la relance économique. À mon avis, rien ne serait pire que de mélanger les différentes étapes, ne serait-ce que vis-à-vis de nos compatriotes. La riposte est immédiate ; la reprise aura lieu dans quelques jours pour un certain nombre de secteurs économiques ; et la relance est située à un horizon de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois, pour être efficace, bien calibrée et coordonnée avec nos partenaires européens.
Ensuite, je ne voudrais pas, devant la représentation nationale, laisser flotter l’idée que le Gouvernement tablerait sur une reprise économique rapide. Telle n’a jamais été notre position. Vous pouvez reprendre toutes mes déclarations depuis plusieurs semaines, j’ai toujours indiqué que la reprise économique serait lente, longue et coûteuse, et je ne retire pas un seul de ces mots. Selon moi, le discours de vérité est le bon discours vis-à-vis des Français.
C’est vrai, cette crise est sans précédent dans notre histoire économique récente. Dans son intensité, elle n’est comparable qu’à la grande récession de 1929. Retrouver des niveaux de croissance économique et de prospérité comparables à ceux que nous avons connus prendra du temps, sera difficile et coûteux. Il vaut mieux le dire dès le départ.
Les raisons en sont très simples et très pratiques. Certains secteurs industriels ont été presque totalement à l’arrêt pendant plusieurs semaines. Les chaînes de valeur ne vont pas se ranimer du jour au lendemain. Il faudra d’abord trouver des matières premières. Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec le cobalt, qui permet de fabriquer des batteries électriques ! La République démocratique du Congo a confiné un certain nombre de ses mines dans lesquelles est extrait le cobalt. Ainsi l’approvisionnement en matières premières va-t-il s’avérer compliqué. Je pense également à l’exemple du lithium et à ce qui se passe en Amérique du Sud et dans tous les pays en développement.
Certaines chaînes de production sont très complexes. La construction d’un Airbus nécessite 500 000 pièces ! Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour que la machine redémarre immédiatement : des centaines de sous-traitants doivent se remettre en branle, ce qui est long, lent et difficile. Les chaînes de valeur sont complexes, et nous ne pourrons pas les simplifier du jour au lendemain, sans compter que l’approvisionnement en matières premières peut poser un certain nombre de difficultés.
Par ailleurs, nous sommes dans l’incertitude s’agissant de la situation pandémique tant que nous n’avons pas de vaccin. Or rien n’est plus défavorable à la reprise économique que l’incertitude. En effet, les consommateurs pourraient avoir un comportement de thésaurisation, ce qui les conduirait à abonder leur livret A et leur livret de développement durable. De la même manière, les investisseurs n’aiment pas non plus l’incertitude.
Aucun d’entre nous, il faut avoir l’humilité de le reconnaître, ne peut avoir de certitude pour ce qui concerne la sécurité sanitaire. Nous devons l’accepter, et bien voir qu’elle pèsera sur la reprise économique.
Enfin, troisième raison, la reprise sera lente, difficile et coûteuse parce qu’elle devra s’accompagner de règles sanitaires strictes. Faire fonctionner un commerce en instaurant des règles concernant le nombre de clients par mètre carré, rouvrir un restaurant avec des règles de distanciation, relancer une industrie avec des règles d’accès différentes, relancer des administrations – on le voit à Bercy, Gérald Darmanin peut en témoigner – avec des règles de présence différentes, ce n’est pas simple et cela empêche l’économie de tourner à plein régime ! Je pense notamment à l’organisation de la cantine, mais aussi du télétravail, nécessaire pour s’assurer que les locaux ne sont pas trop remplis.
Je ne fais que vous exposer, avec beaucoup d’humilité, des raisons très simples et très pratiques, pour expliquer que la relance de l’économie sera longue, difficile et coûteuse. C’est mon langage depuis le premier jour, et c’est un langage de vérité.
Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et UC.
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements déposés, à savoir 339, et afin d’organiser nos travaux dans de bonnes conditions, je vous propose de suspendre la séance jusqu’à vingt et une heures trente.
Monsieur le président de la commission des finances, pouvez-vous nous indiquer l’heure à laquelle vous souhaitez réunir la commission ?
Je propose que la commission se réunisse à dix-neuf heures. Il y a en effet un délai nécessaire à l’élaboration du dérouleur par les services de la séance.
Mes chers collègues, compte tenu du nombre d’amendements déposés, à savoir 339, et afin d’organiser nos travaux dans de bonnes conditions, je vous propose de suspendre la séance jusqu’à vingt et une heures trente.
Monsieur le président de la commission des finances, pouvez-vous nous indiquer l’heure à laquelle vous souhaitez réunir la commission ?
Si j’ai bien compris, et pour réorganiser nos agendas, sont prévues une séance de nuit et une séance demain matin.
Si j’ai bien compris, et pour réorganiser nos agendas, sont prévues une séance de nuit et une séance demain matin.
La réunion de la commission des finances aura lieu à dix-neuf heures ce soir. Nous poursuivrons nos travaux de vingt et une heures trente à minuit et demi. Il est prévu que la séance soit ouverte demain, le matin, l’après-midi et, éventuellement, le soir.
La commission mixte paritaire aurait lieu jeudi à onze heures, et le Sénat examinerait ses conclusions jeudi après-midi.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La réunion de la commission des finances aura lieu à dix-neuf heures ce soir. Nous poursuivrons nos travaux de vingt et une heures trente à minuit et demi. Il est prévu que la séance soit ouverte demain, le matin, l’après-midi et, éventuellement, le soir.
La commission mixte paritaire aurait lieu jeudi à onze heures, et le Sénat examinerait ses conclusions jeudi après-midi.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.