Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n’est pas une surprise, nous voici de nouveau réunis, moins d’un mois après l’examen d’un premier projet de loi de finances rectificative (PLFR 1).
Nous l’avions alors annoncé, les données macroéconomiques nous paraissaient quelque peu optimistes – l’estimation de la contraction du PIB passe d’ailleurs de -1 % à -8 % – et les dispositifs méritaient sans doute d’être ajustés.
C’est pourquoi nous nous réunissons encore aujourd’hui, moins d’un mois plus tard, en assez grand nombre et avec un nombre élevé d’amendements, puisqu’il y en aurait, me dit-on, plus de 330. Cela impliquera de nous réunir demain matin ou de travailler jusqu’à tard cette nuit, puisque la réunion de la commission mixte paritaire était initialement fixée à demain matin.
Je veux dire un mot du programme de stabilité. C’est la période au cours de laquelle, normalement, vous le savez, nous devrions donner un avis sur ce programme. Dans les circonstances actuelles, celui-ci est limité à la simple reprise des éléments, déjà considérables, des PLFR 1 et 2. Messieurs les ministres, nous aurons donc à nous prononcer, au travers des prochains documents, sur les engagements pluriannuels de la France, mais ce n’est pas le débat aujourd’hui.
Quelques mots sur le contexte macroéconomique, notamment la prévision de croissance, fortement révisée. On prévoyait encore une récession de 1 % en mars ; j’avais souligné, avec d’autres, que l’on était évidemment très en deçà de la réalité. Aujourd’hui, le Gouvernement table sur un recul de plus de 8 % du PIB ; c’est sans doute beaucoup plus réaliste et cela constitue, Gérald Darmanin vient de le dire, la pire performance depuis l’après-guerre.
Cela s’explique par la prolongation du confinement au-delà de la période initiale, mais aussi, malheureusement, par le recul d’un tiers de l’activité économique, avec des secteurs – je pense bien sûr au tourisme ou à la construction – qui sont particulièrement touchés, voire, dans certains cas, totalement à l’arrêt. On considère ainsi, si j’en crois les auditions de la commission des finances, que chaque mois de confinement représente une baisse d’à peu près 3 points de PIB. Ainsi, on le voit, toute prolongation du confinement – nous verrons ce qui se passe après le 11 mai prochain – a des conséquences très directes sur notre taux de croissance.
En réalité – là est peut-être la principale incertitude –, tout dépendra non pas de la période de confinement en elle-même, mais de la sortie du confinement et de la capacité de rebond de notre économie. En l’occurrence, messieurs les ministres, le scénario retenu à ce stade me paraît peut-être un peu optimiste. Nous le savons, et vous l’avez indiqué, certains secteurs ne reprendront leur activité que très progressivement. En outre, il y a une épargne de précaution très importante et il n’est pas certain que les Français consommeront fortement demain ; peut-être voudront-ils prendre encore quelques précautions, peut-être leur aversion au risque nous entraînera-t-elle vers un scénario malheureusement plus pessimiste qu’une contraction de 8 %, si ce rebond n’est pas confirmé.
J’en viens maintenant au plan de soutien. Son impact budgétaire était, dans le PLFR 1, assez modeste – nous l’avions souligné –, mais, Bruno Le Maire vient de le dire, le Gouvernement a fait des ajustements relativement significatifs, lesquels conduisent à un plan beaucoup plus massif de soutien à l’économie. Le montant global du plan croît de 20 %, en cohérence avec la prolongation du confinement. Vous avez également accepté de rééquilibrer un certain nombre de composantes du plan, en tenant compte des insuffisances de sa version initiale. C’est la raison pour laquelle, messieurs les ministres, la majorité sénatoriale soutiendra ce plan, en votant le PLFR, quelque peu amendé, bien sûr.
En dépit de ce rééquilibrage – soyons tout à fait complets –, les comparaisons internationales, notamment avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni, montrent que le plan français prévoit davantage de mesures de report de charges. Peut-être, si j’en crois Gérald Darmanin, ces mesures se transformeront-elles en dégrèvements dans quelques mois, mais, à ce stade, nous prévoyons moins de mesures budgétaires – à peu près 40 milliards d’euros, dont 24 milliards pour le chômage partiel – que nos voisins allemands, dont le fonds de solidarité est beaucoup plus puissant, et que nos voisins britanniques, qui ont également un dispositif de soutien au chômage partiel. Le plan français révèle une relative parcimonie par rapport au plan allemand, mais, sans doute, la situation budgétaire de départ n’était pas la même…
Conséquence évidente de ce plan, on constate une très forte dégradation de nos comptes publics : un déficit de 9, 1 % et un endettement public de 115 % du PIB. Néanmoins, nous devons partager, me semble-t-il, la stratégie gouvernementale, qui consiste à ne pas augmenter les impôts et à mettre en place des mesures qui préservent, autant que possible, le tissu productif.
De fortes incertitudes demeurent sur l’hypothèse de croissance, mais également sur l’élasticité des recettes et sur le chiffrage du coût des mesures de soutien. Bref, ce plan de soutien, nous n’en doutons pas, ne sera pas le dernier, nous aurons des rendez-vous très prochainement ; il faudra, peut-être avant même le plan de relance que nous espérons tous, ajuster ces mesures.
À court terme, l’objectif est évidemment de préserver le tissu productif, dès lors que les coûts de financement sont heureusement, grâce à la politique de la Banque centrale européenne (BCE), d’à peu près zéro. À moyen terme, cet héritage budgétaire ne paraît pas de nature à remettre en cause la soutenabilité de la dette française, à condition que, bien entendu, une fois cette crise passée, nous soyons capables de redresser les comptes publics.
Le budget que vous nous présentez, messieurs les ministres, est, je le dis clairement, un budget qui pare au plus pressé. Je le précise pour nos collègues, car de nombreux amendements ont été déposés – je comprends cette impatience collective à aller vers la relance et vers le rebond de l’économie –, il ne s’agit pas d’un plan de relance. Nombre d’amendements relèvent plus du plan de relance, de mesures de rebond de l’économie. Nous débattrons de cela – nous sommes tous impatients de le faire –, mais, selon le plan du Gouvernement, les mesures prises aujourd’hui restent temporaires et, à mon sens, elles doivent le rester.
Il s’agit ainsi de sauvegarder les emplois menacés, d’apporter, en quelque sorte, une bouée de sauvetage permettant d’aider les ménages, notamment les plus modestes, et les entreprises à rester à flot, à payer leurs factures.
Les chiffres sont, à cet égard, exceptionnels. Le déficit de l’État s’élèvera à 185, 4 milliards d’euros, quasiment le double de ce que nous avons adopté dans le cadre de la loi de finances initiale – laquelle prévoyait un déficit, déjà élevé, de 93, 1 milliards d’euros –, alors qu’aucune mesure de relance n’a encore été prise. Cette aggravation résulte, d’une part, de la baisse de nos recettes, puisque toutes les recettes de l’État, sauf peut-être celles qui portent sur les jeux en ligne, sont affectées – la TVA, l’impôt sur les sociétés, dont le rendement baisse de 40 %, l’impôt sur le revenu, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) –, à hauteur d’à peu près 32 milliards d’euros, et, d’autre part, bien sûr, d’une très forte augmentation de nos dépenses.
Au-delà du budget de l’État, je veux également souligner les difficultés que rencontreront, à plus ou moins long terme, un certain nombre d’opérateurs de l’État, qui devront faire face à des difficultés. Prenons l’exemple de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), dont le budget est notamment alimenté par des recettes sur le carburant : il n’y a plus de circulation automobile aujourd’hui ; cela posera donc un problème à cette agence. Ce n’est pas le seul cas ; beaucoup d’opérateurs de l’État sont dans la même situation, de même que les collectivités ; nous y reviendrons.
Les dépenses du budget général augmentent de 38 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux 6, 25 milliards d’euros relatifs aux heures supplémentaires prévus dans le PLFR 1 ; pour la comparaison, cela représente un montant à peu près équivalent à celui d’une mission aussi importante que la mission « Défense ». Les chiffres, nous en convenons tous, sont vertigineux, mais je crois que la situation l’exige.
Logiquement, c’est la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » qui connaît l’augmentation la plus importante de ses crédits, avec le renforcement du fonds de solidarité et le financement de l’activité partielle, qui concerne plus de 9 millions de salariés et représente, à ce stade, 24 milliards d’euros. Le fonds était initialement, le ministre l’a reconnu et je l’en remercie, peut-être excessivement restrictif ; il est très largement amélioré, grâce à des initiatives diverses et variées. Il tient notamment compte de la prolongation du confinement et il vise à préserver le maximum d’emplois.
Un nouveau programme est créé, le programme « Renforcement exceptionnel des participations financières de l’État dans le cadre de la crise sanitaire », et est doté de 20 milliards d’euros. Il vise tout simplement à permettre à l’État de participer au capital d’entreprises en difficulté. Bien évidemment, vous le comprendrez très bien, le Gouvernement ne peut pas publier, à l’avance – il y a eu des débats à ce sujet à l’Assemblée nationale –, la liste des entreprises dans lesquelles il souhaiterait intervenir, si ce sont des sociétés cotées ; le ministre a cité Air France, qui aura évidemment besoin de soutien, mais il y en a d’autres. Néanmoins, nous avons déposé un amendement tendant à renforcer, dans des conditions particulières de sécurité, l’information du Parlement à ce sujet.
Ce projet de loi de finances rectificative prévoit également d’autres mesures. Je pense notamment à la TVA à 5, 5 % sur les masques de protection et sur les gels hydroalcooliques, etc.
Mes chers collègues, la commission des finances, qui s’est réunie ce matin, vous propose d’adopter ce texte, qui constitue, je le répète, une bouée de sauvetage et non un plan de relance ; cela viendra et nous vous ferons des propositions, messieurs les ministres. Toutefois, nous souhaitons apporter un certain nombre d’améliorations techniques, au nombre de quatre. Il s’agira d’amendements de soutien à la lutte contre l’épidémie et au déconfinement, avec l’extension du taux de TVA réduit aux tenues de protection, de mesures visant à soutenir tous les salariés ayant travaillé pendant la période de confinement – c’est la question de la défiscalisation et de la « désocialisation » des heures supplémentaires –, du renforcement de l’aide aux entreprises, au travers de la prorogation du fonds de solidarité au-delà du 11 mai pour les entreprises qui ne pourraient pas rouvrir, et d’amendements visant à permettre, sous certaines conditions, des prêts octroyés à 100 % par Bpifrance aux entreprises confrontées à des refus de prêt.
Sans vouloir aller trop loin dans la comparaison avec l’Allemagne, il est indéniable que ce PLFR 2 renforce les moyens du fonds de solidarité, qui sont multipliés par sept.
Par ailleurs, nous souhaitons un meilleur contrôle des participations de l’État, via le renforcement du comité de suivi.
Nous sommes dans l’urgence et la commission des finances ainsi que les groupes majoritaires feront le choix de la responsabilité. Ne nous trompons pas de tempo, nous aurons des propositions à faire sur la relance, mais, aujourd’hui, nous sommes dans le sauvetage et nous souhaitons y contribuer par nos amendements.