Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il y a à peine plus d’un mois, le Sénat adoptait à la quasi-unanimité, rappelons-le, le premier PLFR, dont les dispositions visaient à limiter les effets d’une crise économique sans précédent par son origine et son ampleur – nous le pressentions –, conséquence du gigantesque shutdown de pans entiers de l’économie mondiale décidé pour enrayer la pandémie de Covid-19.
À crise exceptionnelle, moyens exceptionnels ! Il fallait effectivement préserver notre tissu économique et l’emploi, pour préserver notre potentiel de croissance et permettre, le moment venu, un redémarrage le plus rapide possible. Il fallait également éviter qu’une crise sociale ne s’ajoute à la crise sanitaire. Nous avons donc évidemment approuvé ces mesures.
Cependant, le vote favorable du groupe Les Républicains ne l’avait pas empêché de formuler plusieurs remarques.
Tout d’abord, messieurs les ministres, vos prévisions macroéconomiques nous semblaient alors bien trop optimistes, avec une croissance affichée en recul de 1 % seulement. Les critères d’accès au fonds de soutien aux entreprises nous paraissaient trop restrictifs et présentaient des « trous dans la raquette ». Par ailleurs, le montant de ces aides était faible. Surtout, il s’agissait pour l’essentiel de mesures de trésorerie – reports de charges et d’emprunts déjà contractés, nouveaux emprunts garantis par l’État –, bien évidemment utiles, mais insuffisantes à nos yeux pour les entreprises qui seraient les plus impactées par cette crise.
Il manquait également la possibilité de faire un geste de reconnaissance sonnant et trébuchant envers toutes celles et tous ceux qui, par leur engagement à leur poste de travail – je pense aux soignants, bien sûr, mais aussi à d’autres personnels, qu’ils appartiennent aux trois fonctions publiques ou au privé –, ont permis la continuité du fonctionnement des services publics, mais aussi des entreprises essentielles à la Nation.
Avec ce second PLFR, vous ajustez fortement vos prévisions macroéconomiques, vous assouplissez l’accès aux premiers dispositifs, que vous élargissez, tout en en créant de nouveaux, et vous instaurez la possibilité de primes. Tout cela est bienvenu, monsieur le ministre, et nous l’approuverons, même si notre groupe va proposer un certain nombre d’amendements sur lesquels reviendra Jérôme Bascher.
Pour ma part, j’en évoquerai seulement un. Il concerne une question importante, dont vous repoussez encore le traitement : il s’agit de ces milliers d’entreprises qui ne pourront faire face à la crise, même avec les nouvelles dispositions que nous allons adopter.
Les plus grandes entreprises, les plus stratégiques, pourront bénéficier du fonds de 20 milliards d’euros que vous créez pour des prises de participations de l’État, voire pour des nationalisations. Quid des autres ? Je pense bien évidemment aux entreprises des secteurs du tourisme, de la restauration, de l’hôtellerie et de la culture, dont la reprise d’activité sera encore décalée dans le temps, probablement de plusieurs mois, et pour lesquelles le chiffre d’affaires qui sera perdu le sera définitivement, parce qu’il n’est pas possible de rattraper une saison ratée.
Il faut répondre à cette question, messieurs les ministres, et vite. Vous dites être bien conscients du problème, mais vous repoussez la prise de décision. Pourtant, ces entreprises, peut-être plus que les autres, ont besoin d’un minimum de visibilité, parce qu’elles sont les plus fragiles et que leur existence même est en jeu.
En ce moment, permettez-moi d’avoir une pensée pour ces artisans, ces commerçants, ces agriculteurs, ces libéraux, ces chefs d’entreprises petites ou moyennes, qui, du jour au lendemain, voient la pérennité de leur activité fortement menacée. Très souvent, c’est l’investissement humain et financier d’une vie. La vie des chefs d’entreprise, contrairement à ce que laissent parfois entendre certains, n’est pas un long fleuve tranquille, au bout duquel il n’y aurait qu’à engranger des bénéfices. Eux aussi, du jour au lendemain, ils peuvent tout perdre sans avoir commis la moindre faute de gestion ou la moindre erreur, uniquement victimes des circonstances.
Nous devons mesurer leur angoisse, ainsi que celle de leurs salariés, et y répondre par des annulations de charges et d’impôts. Il y a urgence !
De manière plus générale, il faut également et très rapidement mettre en place un plan de relance de l’activité économique, qui doit être le pendant du plan de déconfinement sanitaire progressif, annoncé pour le 11 mai prochain, c’est-à-dire demain.
Limiter à 8 % la chute de la croissance, ce que nous espérons tous, dépendra de nombreux facteurs endogènes et exogènes, que vous ne maîtrisez pas tous, messieurs les ministres, ce dont personne ne vous fera le reproche. Si nous voulons avoir une chance de ne pas devoir encore réviser ce chiffre à la baisse, il nous faut très rapidement mettre en place le plan de relance annoncé.
Il faut également nous donner la certitude que le pays disposera des moyens de protection nécessaires pour l’ensemble de la population qu’elle soit active ou non. Sur ce point, il faudra bien expliquer aux Français – mais le temps n’est pas venu –, pourquoi nous avons tant manqué de masques et de tests, alors que d’autres pays ont pu mettre en place des stratégies différentes et, finalement, limiter bien mieux que nous les dégâts humains et, probablement, économiques de cette crise sanitaire.
Sur la base de vos prévisions nouvelles, le déficit public serait donc de 9 % cette année, et le déficit budgétaire d’un peu plus de 186 milliards d’euros après le vote de l’Assemblée nationale. C’est un chiffre considérable, mais c’est le prix que nous devons payer, au risque d’aggraver la crise si nous ne le faisions pas.
Cependant, il faut dès à présent penser à l’après. Depuis la crise de 2009, nous n’avons pas su, contrairement à d’autres, inverser la courbe de notre dette en réduisant suffisamment notre déficit public – sans même parler d’un retour à l’équilibre, ce que certains ont fait. Nous avons ainsi perdu dix ans. Notre dette représentera donc à la fin de l’année 115 % de notre PIB et, paradoxe absolu, alors qu’elle aura exactement doublé, passant de 1 200 milliards d’euros à 2 500 milliards d’euros entre 2008 et 2020, elle nous coûtera moins cher en intérêts cette année qu’en 2008 ! C’est un paradoxe auquel nous devons prêter attention.
Pour le moment, nous n’avons eu qu’une petite tension sur les marchés – 70 points de base, ce qui n’est rien. La politique de la BCE a permis de corriger immédiatement le tir. Toutefois, mes chers collègues, nous devons nous poser la question suivante : combien de temps cela va-t-il durer ? C’est « l’insoutenable légèreté de la dette », comme le disait à l’époque Philippe Marini. Soyons-en bien conscients : plus le temps passe et moins nous réagissons, plus le sort de la France dépend d’aléas, plus nous perdons en souveraineté, parce que nous ne sommes plus maîtres de notre destin.
Quant à l’Europe, si elle a pris des décisions importantes, chacun voit bien où sont ses limites : les pays du Nord, l’Allemagne, les Pays-Bas et d’autres ne sont pas prêts à accepter l’idée même d’une mutualisation d’une partie de nos dettes. Par ailleurs, l’écart se creuse encore entre nos économies, alors que nous partageons la même monnaie. Il y a là un risque majeur.
Si nous approuvons les mesures que vous prenez pour faire face à cette crise, nous voulons en même temps, dès aujourd’hui, réaffirmer ici que le nouveau « nouveau monde » que le Président de la République nous a annoncé ne pourra pas mettre de côté la question de la dette et du déficit public.