Intervention de Florence Lustman

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 28 avril 2020 à 16h10
Audition de Mme Florence Lustman présidente de la fédération française de l'assurance ffa en téléconférence

Florence Lustman, présidente de la Fédération française de l'assurance (FFA) :

Je vous remercie de me donner l'occasion de vous éclairer sur l'implication du secteur de l'assurance dans la crise. Pour ce faire, sont à mes côtés pour contribuer à cette audition Philippe Poiget, délégué général de la FFA, Stéphane Pénet, délégué général adjoint, Christian Pierotti, directeur des affaires publiques et internationales, lequel est accompagné de Viviana Mitrache-Rimbault, responsable du département « Affaires parlementaires », Armelle de Selancy, directrice de la communication, et Christophe Gauer, mon directeur de cabinet.

Je rappelle que les assureurs ont été mobilisés dès le début de la crise de façon extrêmement intense, puisque l'annonce brutale du confinement a fait basculer en télétravail environ 150 000 salariés du secteur en quarante-huit heures. Le secteur de l'assurance a donc d'abord été très occupé par des questions opérationnelles. Un certain nombre d'entre elles avaient déjà été envisagées dans les plans de continuité d'activité (PCA), par exemple, mais il est clair que le déclenchement de la crise et l'ampleur du télétravail qui en a résulté nous ont conduits à devoir résoudre des questions pratiques de manière à pouvoir être disponibles en permanence pour les assurés, pour répondre à leurs questions, qui ont été extrêmement nombreuses, mais également pour indemniser ceux d'entre eux qui subissaient des sinistres. De fait, il ne faut pas perdre de vue que tous les sinistres de la vie courante - dégâts des eaux, incendies, etc. - continuent pendant le confinement. Les assureurs sont sur le pont pour analyser et indemniser ces sinistres, dans des conditions particulières, notamment en faisant un usage beaucoup plus extensif des capacités vidéo. Les experts d'assurance eux-mêmes travaillent à distance. Nous avons donc employé toute notre énergie à poursuivre notre activité.

Par ailleurs, les assureurs, comme tous les Français, sont évidemment extrêmement conscients des conséquences tragiques de la crise sur les victimes, leur entourage, les soignants et tous ceux qui aident à la prise en charge des malades. Étant implantés sur tout le territoire, nous sommes aux premières loges pour constater les difficultés des commerces de proximité sur le terrain.

Les assureurs ont été dès le début très conscients des énormes difficultés que cette crise était en train de créer pour l'ensemble de nos concitoyens, qu'il s'agisse de personnes privées ou de professionnels, et totalement mobilisés pour remplir leur mission de service essentielle. Je reconnais que nous n'avons peut-être pas suffisamment communiqué à cette période sur ce que nous faisions et sur notre prise de conscience de la gravité de la crise qui touchait notre pays. Néanmoins, nous étions aux affaires. Je note d'ailleurs que nous n'avons pas eu de réclamations sur les sinistres que nous étions en train de gérer.

Le secteur de l'assurance est lui aussi gravement touché par la crise sanitaire et, évidemment, par la crise financière qui en résulte. Dans un communiqué de presse, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a estimé que le Covid-19 l'affectait de trois manières.

En premier lieu, avec la chute des marchés financiers, nous avons perdu 250 milliards d'euros sur nos actifs. Personne n'en parle. Pourtant, ce montant est absolument énorme. C'est quasiment le montant des prêts garantis par l'État. Cela a évidemment des conséquences pour nous.

Ensuite, nous sommes affectés par les difficultés de nos clients à honorer le paiement de leur prime. Il y aura beaucoup de créances irrécouvrables.

Enfin, l'ACPR, qui contrôle tout le marché, note qu'une forte dérive de la sinistralité est prévisible - et je le confirme.

Au total, l'ACPR estime que l'on est très loin de pouvoir évaluer l'ensemble des incidences de cette crise sur le secteur des assurances - je reconnais que c'est perturbant, mais il faut bien comprendre que des évolutions de la sinistralité sur quelques jours ne préjugent en rien de l'évolution de la sinistralité sur le reste de l'année -, et conclut que les assureurs subiront un impact majeur sur leur bilan et leurs comptes de résultat.

La FFA regroupe 280 compagnies d'assurance, qui vont de la petite mutuelle de bateaux de pêche à de grands groupes internationaux, caractérisées par des tailles et des statuts juridiques très différents et qui assurent des risques très variés. Il est évident que celles qui assurent les entreprises sont plus fortement touchées par la crise que celles qui n'assurent que les particuliers, voire une catégorie très spécifique de particuliers. L'impact de la crise est donc à la fois très important et divers. Il n'est pas homogène sur l'ensemble du secteur.

Nous avons, dans un premier temps, annoncé toute une série de mesures collectives.

Nous avons choisi de couvrir, en dehors de toute garantie contractuelle, les indemnités journalières des personnes qui se sont déclarées fragiles sur le site internet Ameli de la sécurité sociale et qui sont donc arrêtées sans être malades.

Nous avons décidé collectivement de maintenir en garantie les entreprises contraintes de fermer qui seraient défaillantes dans le paiement de leurs primes. Nous avons également pris des mesures collectives sur les reports de loyers, accordés non seulement aux très petites entreprises (TPE), mais également aux petites et moyennes entreprises (PME).

Enfin, nous nous sommes engagés à abonder le Fonds de solidarité, à hauteur de 200 millions d'euros dans un premier temps. En effet, si nous sommes parfaitement conscients des immenses difficultés engendrées par la crise, en particulier sur les TPE et les indépendants, nous avons estimé qu'il ne nous appartenait pas de choisir la catégorie d'entreprises qui devaient bénéficier de nos gestes de solidarité. Fallait-il aider les cafés-restaurants, les fleuristes, les cordonniers, les pressings, les esthéticiennes ? Nous avons estimé que le mieux était d'abonder le Fonds de solidarité créé par l'État, qui, en équité, gérera cette première tranche de 200 millions d'euros que nous avons mis à disposition.

Cette première série de mesures a été adoptée par l'ensemble des membres de la FFA. Les discussions intenses que nous avions déjà tant avec M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, qu'avec Édouard Philippe, le Premier ministre se sont poursuivies. Ils ont jugé que l'effort global n'était pas suffisant. Ils ont néanmoins parfaitement compris que l'on ne pouvait pas mettre davantage à contribution l'ensemble du secteur de façon systématique et homogène, tous les acteurs n'étant pas touchés au même degré.

C'est la raison pour laquelle se sont ajoutés, à la première série d'engagements, d'autres engagements pris par certaines compagnies d'assurances et pas par d'autres.

Au total, les engagements du secteur des assurances pour accompagner le pays face à la crise sanitaire et économique se montent aujourd'hui à 3,2 milliards d'euros. Cette somme est absolument colossale. Elle a d'ailleurs été reconnue comme telle par le Premier ministre et par Bruno Le Maire, qui ont salué, dans la presse, l'effort très important que nous avons consenti.

Parmi ces 3,2 milliards d'euros, les mesures extracontractuelles et solidaires, par lesquelles nous allons plus loin que ce qui est prévu dans nos contrats, représentent 1,75 milliard d'euros. Je veux les détailler.

Nous avons consacré 850 millions d'euros aux travailleurs non-salariés et aux petites entreprises, acteurs économiques dont nous pensons qu'ils sont les plus touchés par la crise. Nous avons aussi fait des gestes tout spécifiques à destination des personnes les plus exposées à la crise sanitaire, en particulier les personnes fragiles, mais pas seulement. De nombreuses aides sont également apportées via les entreprises d'assistance, qui sont les filiales des assureurs.

Nous avons fléché une partie des aides vers les héros des temps modernes que sont les personnels médicaux mobilisés au quotidien dans la lutte contre le Covid-19. Nous avons pris un certain nombre de décisions extracontractuelles en ce sens. De façon très pragmatique, nous avons décidé de couvrir leurs véhicules assurés pour un usage personnel, mais utilisés à des fins professionnelles dans le cadre de la crise. Nous avons choisi de mettre à leur disposition des logements gratuits, d'étendre leur assurance multirisques habitation lorsqu'ils sont amenés à se loger dans d'autres logements que ceux pour lesquels ils sont habituellement assurés, de leur accorder des réductions tarifaires pour leurs assurances personnelles et, surtout, d'étendre leur garantie de responsabilité civile médicale.

En effet, ces professionnels exercent aujourd'hui leur art dans des conditions qui ne sont pas conformes à celles qu'ils ont déclarées : certains peuvent aider à la prise en charge du Covid-19 alors que ce n'est pas leur spécialité ou encore exercer dans d'autres lieux que ceux où ils exercent habituellement. Nous avons fait de même pour les établissements de santé temporairement habilités à traiter de la maladie.

Je note, au passage - cela illustre bien l'impossibilité de chiffrer l'impact final de la crise sur le secteur des assurances -, que l'on assiste déjà à une hausse significative des mises en cause de ces professionnels liées à la crise. Ce phénomène s'observe également pour les chirurgiens.

Dans le même état d'esprit, nous avons étendu la couverture des entreprises qui se sont lancées dans la fabrication de masques et de gel hydroalcoolique alors même que ce n'était pas leur activité première.

Nous avons également pris toute une série de mesures spécifiques à destination de nos assurés, notamment de nombreuses mesures individuelles pour aider les particuliers qui sont en difficulté financière et pour mieux couvrir ceux qui sont en télétravail. S'y ajoutent de nombreuses initiatives que je pourrais qualifier de « citoyennes » : dons substantiels - à hauteur de millions d'euros - à la recherche médicale, aux hôpitaux, aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), à des associations ; mise à disposition gratuite de logements ; don de plus de 3 millions de masques, de combinaisons intégrales, etc.

Au-delà de ces mesures extracontractuelles et de solidarité, nous avions à la fois l'envie et le devoir, en tant qu'investisseur institutionnel, de participer à la sortie de la crise financière et économique et d'aider le pays. C'est quelque chose que nous savons faire, comme nous l'avons déjà montré par le passé. Nous avons décidé de mobiliser pas moins de 1,5 milliard d'euros en faveur des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des PME et dans le secteur de la santé.

Enfin, nous avons d'ores et déjà lancé des travaux en vue de faire une proposition concrète pour construire un régime d'assurance contre les événements sanitaires majeurs de type Covid-19. Stéphane Pénet pourra vous en dire plus à ce sujet. Nous avons trois sponsors de très haut niveau, qui sont de grands dirigeants du secteur de l'assurance.

Nous avons commencé à travailler sur les réponses à quatre questions clés pour structurer ce régime d'assurance contre les catastrophes sanitaires de grande ampleur : quels types d'événements entraîneraient le déclenchement d'un tel dispositif ? Quels préjudices indemniserait-on, et avec quelle profondeur ? Quelles entreprises seraient concernées ? Quels financements peut-on envisager pour en assurer la solvabilité ?

Dans les réflexions que nous avons entamées pour être prêts à participer au groupe de travail qui a été lancé hier par Bruno Le Maire, sous l'égide de la direction du Trésor, nous sommes associés avec de très nombreux assureurs, mais aussi des actuaires, des statisticiens, des réassureurs, des spécialistes de ces questions, des parlementaires, des risk managers, etc.

En conclusion, nous avons mobilisé 3,2 milliards d'euros, qui se répartissent entre 1,75 milliard de mesures extracontractuelles et de solidarité, lesquelles incluent 400 millions d'euros au bénéfice du Fonds de solidarité, et 1,5 milliard d'investissements dans les PME, les ETI et plus spécifiquement dans le domaine de la santé. Enfin, les travaux pour construire le futur régime de catastrophe sanitaire sont d'ores et déjà lancés.

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