Intervention de Cédric O

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de m. cédric o secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics chargé du numérique en téléconférence

Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'action et des comptes publics, chargé du numérique :

Merci de votre accueil. Le dispositif « Stop Covid » du Gouvernement s'insère dans un projet européen, au sein duquel les Italiens, les Anglais et les Monégasques devraient bientôt rejoindre les Allemands, les Français et les Suisses : pour freiner l'épidémie, la solution doit être pensée à l'échelle européenne.

Voici concrètement comment fonctionnera l'application. Dès que je l'aurai téléchargée sur mon téléphone, et que vous-même, monsieur le président, aurez fait de même, si nous nous trouvons, par exemple, à moins de deux mètres l'un de l'autre pendant plus de cinq minutes, nos deux téléphones enregistreront ce contact sans stocker pour autant de données relatives à nos géolocalisations. Si je présente ensuite des symptômes et que je suis testé positif au coronavirus, vous recevrez immédiatement une notification vous informant que vous avez été en contact avec une personne testée positive, sans préciser de qui il s'agit. Il vous reviendra ensuite d'entrer dans un parcours sanitaire, comme l'a sans doute évoqué devant vous le professeur Delfraissy.

L'utilité est d'abord individuelle. L'application vous indiquera si vous courez un risque de développer la maladie. Ainsi, vous pourrez faire un test, pour éviter de contaminer vos proches. L'intérêt collectif vient du fait qu'elle s'inscrit dans une stratégie de déconfinement, ayant pour but d'éviter un redémarrage de l'épidémie. Pour cela, il faudra tester rapidement les personnes présentant des symptômes, et retracer l'historique de leurs contacts au cours des jours précédents. Nous l'avions fait, d'ailleurs, au début de l'épidémie, notamment pour circonscrire le cluster des Contamines-Montjoie. Cela requiert l'intervention d'enquêteurs de terrain, ou par téléphone, qui prennent contact avec toutes les personnes infectées et reconstituent avec elles la liste des personnes qu'elles ont vues au cours des derniers jours, avec leurs coordonnées, afin de contacter ensuite ces personnes pour leur faire passer des tests. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut couper à la racine la propagation de la maladie.

Nous aurons besoin de telles enquêtes sanitaires. Or celles-ci se heurtent aux limites de la mémoire de chacun. Il n'est pas aisé de se souvenir de toutes les personnes qu'on a côtoyées à moins de deux mètres dans les quinze derniers jours ! Deuxième obstacle : les transports en commun. Impossible de dire à côté de qui l'on s'est trouvé dans le bus ou le métro. D'où l'utilité de l'application, qui, pour peu qu'elle soit raisonnablement diffusée parmi les citadins, réduira parmi eux le nombre de vecteurs du virus. Bien sûr, l'utilité de cette application, si elle est significative, ne sera que complémentaire de celle des autres mesures. Elle vient combler les lacunes des enquêtes de terrain. C'est pour cela que tous les pays européens travaillent dans cette voie. Les Allemands, en tout cas, en font un élément important de leur stratégie de déconfinement. Mais aucun pays n'estime que cela peut être l'alpha et l'oméga de sa politique de prévention.

Pour utile qu'elle soit, cette application ne peut être mise en oeuvre à n'importe quel prix. Le Gouvernement a veillé à prendre toutes les garanties possibles en matière de libertés publiques et de respect de l'anonymat. D'abord, l'application sera totalement anonyme. Personne n'aura accès aux données, ni l'État, ni qui que ce soit. La seule information que donnera l'application, c'est l'existence d'un contact avec une personne qui s'est, depuis, révélée infectée par le coronavirus - et l'utilisateur sera le seul à recevoir cette information. Personne ne saura de quelle personne il s'agit exactement. Il n'existera aucune liste des personnes contaminées.

De plus, l'installation de l'application sera fondée sur le volontariat. Nous n'y mettrons aucune contrepartie. Il n'est certainement pas question d'y conditionner le déconfinement. Chaque citoyen décidera librement de télécharger, ou non, l'application - et de la désinstaller quand il le souhaitera. Les données n'y seront stockées que de manière temporaire : l'historique au-delà de la période d'incubation ne nous intéresse pas, il sera donc effacé périodiquement, toutes les deux ou trois semaines en fonction de ce que les épidémiologistes nous diront. L'application elle-même sera temporaire : elle n'a d'intérêt que pendant que l'épidémie est en cours.

Enfin, le code de l'application sera en open source : n'importe quel développeur pourra aller vérifier que l'application est bien telle que l'a dit le Gouvernement. Et des audits de vérifications réguliers pourront être menés, entre autres par des parlementaires. Déjà, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a publié avant-hier, conjointement avec son homologue allemand le Fraunhofer Institute, un projet d'architecture technique. Il s'agit, en quelque sorte, de l'application sur plans. Tout le monde peut consulter ce document.

C'est un projet européen, auquel prennent part l'École polytechnique fédérale de Lausanne ou l'université d'Oxford, et que d'autres établissements de renom devraient rejoindre dans les jours qui viennent. Chaque pays n'aura pas forcément la même version de l'application, car les sensibilités diffèrent. Mais ces versions partageront des briques communes, élaborées grâce à une étroite collaboration entre les équipes de chaque pays. La difficulté technique est grande, et nous ne sommes pas certains d'être prêts pour le 11 mai. Les Allemands sont encore plus pressés que nous, puisque leur déconfinement est prévu avant le nôtre.

J'ai noté, par exemple dans une interview récente de M. Xavier Bertrand, une inquiétude sur une éventuelle participation de Google et d'Apple à ce projet. Je serai donc très clair : cette application est développée souverainement par la France, avec le concours de certaines entreprises et de certains talents français, sur la base du volontariat et du désintéressement.

Nous nous heurtons à un obstacle en raison d'une particularité du système d'exploitation des iPhones, qui prévoit, en simplifiant, de déconnecter automatiquement une application avec Bluetooth fonctionnant en arrière-plan. Nous avons besoin qu'Apple modifie cette caractéristique, sinon, l'application européenne ne pourrait pas fonctionner efficacement. Mais, à part cette modification, nous ne demandons rien à Apple ou Google. S'ils souhaitent développer leur propre application, cela les regarde.

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