Merci, monsieur le secrétaire d'État, d'avoir accepté de participer à cette visioconférence, qui est ouverte, au-delà des onze membres du comité de suivi que nous avons constitué, à tous les membres de la commission des lois et compte un grand nombre de participants.
Le Gouvernement envisage de mettre en place une application de traçage des contacts, accessible à tous, qui préviendrait ses utilisateurs à chaque fois qu'un autre utilisateur rencontré se sera révélé porteur du coronavirus. Cette initiative fait débat, et le Sénat en délibérera, probablement la semaine prochaine. J'espère que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) aura donné son avis d'ici là. Nous en avons entendu les responsables, ainsi que des membres du comité de scientifiques Covid-19. Nous nous interrogeons à la fois sur l'utilité et l'efficacité du dispositif envisagé et sur la protection des données personnelles.
Le Gouvernement a annoncé faire reposer la démarche sur le volontariat, ce qui nous semble important. Mais, pour le moment, les enquêtes d'opinion ne révèlent pas d'engouement pour ce dispositif, dont les détails ne pas encore précisément connus, il est vrai. Et nous ne pourrons pas imposer à tout le monde l'utilisation de cette application. De plus, tous nos concitoyens ne maîtrisent pas également les outils numériques qu'elle requiert, et tous ne les possèdent même pas.
Autre obstacle, il existe un grand nombre de porteurs asymptomatiques - on parle de 30 % des personnes contaminées - qui échapperont de ce fait à l'application. Enfin, le professeur Delfraissy a insisté sur le fait que d'importants moyens humains seraient nécessaires pour faire fonctionner le système. En Corée du Sud, ce sont 20 000 agents qui ont été déployés. Chez nous, il en faudrait sans doute 30 000.
Comment ferez-vous respecter l'exigence d'anonymat ? Pouvez-vous nous assurer que le consentement sera bien libre, sans aucune pression ni contrepartie ? Comment garantir le secret médical et protéger la vie privée ? Le choix de la technologie Bluetooth, plutôt que d'un système de géolocalisation, limite ces préoccupations, mais ne les supprime pas.
Merci de votre accueil. Le dispositif « Stop Covid » du Gouvernement s'insère dans un projet européen, au sein duquel les Italiens, les Anglais et les Monégasques devraient bientôt rejoindre les Allemands, les Français et les Suisses : pour freiner l'épidémie, la solution doit être pensée à l'échelle européenne.
Voici concrètement comment fonctionnera l'application. Dès que je l'aurai téléchargée sur mon téléphone, et que vous-même, monsieur le président, aurez fait de même, si nous nous trouvons, par exemple, à moins de deux mètres l'un de l'autre pendant plus de cinq minutes, nos deux téléphones enregistreront ce contact sans stocker pour autant de données relatives à nos géolocalisations. Si je présente ensuite des symptômes et que je suis testé positif au coronavirus, vous recevrez immédiatement une notification vous informant que vous avez été en contact avec une personne testée positive, sans préciser de qui il s'agit. Il vous reviendra ensuite d'entrer dans un parcours sanitaire, comme l'a sans doute évoqué devant vous le professeur Delfraissy.
L'utilité est d'abord individuelle. L'application vous indiquera si vous courez un risque de développer la maladie. Ainsi, vous pourrez faire un test, pour éviter de contaminer vos proches. L'intérêt collectif vient du fait qu'elle s'inscrit dans une stratégie de déconfinement, ayant pour but d'éviter un redémarrage de l'épidémie. Pour cela, il faudra tester rapidement les personnes présentant des symptômes, et retracer l'historique de leurs contacts au cours des jours précédents. Nous l'avions fait, d'ailleurs, au début de l'épidémie, notamment pour circonscrire le cluster des Contamines-Montjoie. Cela requiert l'intervention d'enquêteurs de terrain, ou par téléphone, qui prennent contact avec toutes les personnes infectées et reconstituent avec elles la liste des personnes qu'elles ont vues au cours des derniers jours, avec leurs coordonnées, afin de contacter ensuite ces personnes pour leur faire passer des tests. Ce n'est qu'ainsi qu'on peut couper à la racine la propagation de la maladie.
Nous aurons besoin de telles enquêtes sanitaires. Or celles-ci se heurtent aux limites de la mémoire de chacun. Il n'est pas aisé de se souvenir de toutes les personnes qu'on a côtoyées à moins de deux mètres dans les quinze derniers jours ! Deuxième obstacle : les transports en commun. Impossible de dire à côté de qui l'on s'est trouvé dans le bus ou le métro. D'où l'utilité de l'application, qui, pour peu qu'elle soit raisonnablement diffusée parmi les citadins, réduira parmi eux le nombre de vecteurs du virus. Bien sûr, l'utilité de cette application, si elle est significative, ne sera que complémentaire de celle des autres mesures. Elle vient combler les lacunes des enquêtes de terrain. C'est pour cela que tous les pays européens travaillent dans cette voie. Les Allemands, en tout cas, en font un élément important de leur stratégie de déconfinement. Mais aucun pays n'estime que cela peut être l'alpha et l'oméga de sa politique de prévention.
Pour utile qu'elle soit, cette application ne peut être mise en oeuvre à n'importe quel prix. Le Gouvernement a veillé à prendre toutes les garanties possibles en matière de libertés publiques et de respect de l'anonymat. D'abord, l'application sera totalement anonyme. Personne n'aura accès aux données, ni l'État, ni qui que ce soit. La seule information que donnera l'application, c'est l'existence d'un contact avec une personne qui s'est, depuis, révélée infectée par le coronavirus - et l'utilisateur sera le seul à recevoir cette information. Personne ne saura de quelle personne il s'agit exactement. Il n'existera aucune liste des personnes contaminées.
De plus, l'installation de l'application sera fondée sur le volontariat. Nous n'y mettrons aucune contrepartie. Il n'est certainement pas question d'y conditionner le déconfinement. Chaque citoyen décidera librement de télécharger, ou non, l'application - et de la désinstaller quand il le souhaitera. Les données n'y seront stockées que de manière temporaire : l'historique au-delà de la période d'incubation ne nous intéresse pas, il sera donc effacé périodiquement, toutes les deux ou trois semaines en fonction de ce que les épidémiologistes nous diront. L'application elle-même sera temporaire : elle n'a d'intérêt que pendant que l'épidémie est en cours.
Enfin, le code de l'application sera en open source : n'importe quel développeur pourra aller vérifier que l'application est bien telle que l'a dit le Gouvernement. Et des audits de vérifications réguliers pourront être menés, entre autres par des parlementaires. Déjà, l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) a publié avant-hier, conjointement avec son homologue allemand le Fraunhofer Institute, un projet d'architecture technique. Il s'agit, en quelque sorte, de l'application sur plans. Tout le monde peut consulter ce document.
C'est un projet européen, auquel prennent part l'École polytechnique fédérale de Lausanne ou l'université d'Oxford, et que d'autres établissements de renom devraient rejoindre dans les jours qui viennent. Chaque pays n'aura pas forcément la même version de l'application, car les sensibilités diffèrent. Mais ces versions partageront des briques communes, élaborées grâce à une étroite collaboration entre les équipes de chaque pays. La difficulté technique est grande, et nous ne sommes pas certains d'être prêts pour le 11 mai. Les Allemands sont encore plus pressés que nous, puisque leur déconfinement est prévu avant le nôtre.
J'ai noté, par exemple dans une interview récente de M. Xavier Bertrand, une inquiétude sur une éventuelle participation de Google et d'Apple à ce projet. Je serai donc très clair : cette application est développée souverainement par la France, avec le concours de certaines entreprises et de certains talents français, sur la base du volontariat et du désintéressement.
Nous nous heurtons à un obstacle en raison d'une particularité du système d'exploitation des iPhones, qui prévoit, en simplifiant, de déconnecter automatiquement une application avec Bluetooth fonctionnant en arrière-plan. Nous avons besoin qu'Apple modifie cette caractéristique, sinon, l'application européenne ne pourrait pas fonctionner efficacement. Mais, à part cette modification, nous ne demandons rien à Apple ou Google. S'ils souhaitent développer leur propre application, cela les regarde.
L'efficacité d'un dispositif de traçage des contacts semble conditionnée au nombre de personnes acceptant d'utiliser l'application. Comment inciter nos concitoyens à adopter ce dispositif ? Toute la population n'est pas équipée de smartphones, et il y a une fracture numérique géographique - avec des zones blanches - et sociale. On risque de pénaliser nos concitoyens les plus âgés, les plus vulnérables, qui sont justement ceux qui auraient le plus besoin de cette application.
Quels bénéfice ou retour sur investissement attendre de cette application, et sur quelle base ? Il n'y a pas de pistage sans dépistage : avez-vous prévu une brigade spécifiquement consacrée au suivi de ce dispositif ? Sans moyens humains, comme le disait le professeur Delfraissy la semaine dernière, celui-ci ne sera pas efficace.
Vous avez bien clarifié la position gouvernementale sur Google et Apple en matière de souveraineté et d'articulation avec ces entreprises, mais celles-ci ont fait des annonces communes. Comment nous positionner par rapport à leurs initiatives ? C'est une posture inverse de celle que vous évoquiez...
L'Assemblée nationale et le Sénat devraient débattre de ces questions les 28 et 29 avril, mais il est nécessaire que la CNIL se prononce auparavant sur les plans technique et juridique. Où en êtes-vous de sa saisine ?
Vous devriez recevoir incessamment - je vous y sais attaché en tant que membre de la CNIL, M. Hervé - la saisine qui devrait être faite aujourd'hui par le Secrétariat général du Gouvernement.
L'idée d'une telle application vient d'études épidémiologiques, notamment celles du professeur Christophe Fraser de l'université d'Oxford et de l'Imperial College de Londres, au coeur du projet anglais. Plus l'application sera répandue, plus elle sera utile, en plus des enquêtes sanitaires à la main, centrales, qui concerneront tout le territoire - y compris les zones blanches. Cette application permettra d'ajouter des personnes supplémentaires, ce qui sera à chaque fois utile, notamment pour informer les personnes ayant pris les transports en commun ou d'autres personnes difficiles à toucher par les enquêtes sanitaires. Toute personne entrant dans le dispositif est un plus.L'application fonctionne par le système Bluetooth, et n'a donc pas besoin des réseaux mobiles pour fonctionner. Nous essayons aussi de trouver une solution ne passant pas par les smartphones, comme, par exemple, un boîtier qui offrirait les mêmes garanties d'anonymat et de sécurité que les smartphones, mais cela poserait des difficultés techniques encore supplémentaires. Et toute solution proposée par Apple ou Google rendrait cette solution ne passant pas par un smartphone totalement illusoire....Le coeur du dispositif de prévention reste les enquêtes sanitaires faites à la main. Je ne peux pas vous en préciser l'organisation, ce sujet relève d'Olivier Véran et de Jean Castex. L'application a vocation à s'insérer dans la stratégie globale de déconfinement du Gouvernement.
Google et Apple ont annoncé la semaine dernière qu'ils cherchaient à développer ensemble une application, avec interopérabilité entre les deux systèmes, dont la fonctionnalité serait similaire à l'application du Gouvernement - en plus de celles que développent les gouvernements européens. Il m'est difficile de me prononcer sur cette potentielle application, car les précisions techniques sont très parcellaires. En tout état de cause, elle devrait respecter l'ensemble des lois et règlements sur la protection de la vie privée - la CNIL y sera extrêmement attentive. Même si je me réjouis que ces deux entreprises veuillent développer des outils en matière de lutte contre la crise, il est important que les États aient leurs propres outils.
Le Premier ministre et le ministre de la santé ont annoncé la tenue de deux débats : un sur les conditions du déconfinement et un sur l'application. Le groupe socialiste et républicain du Sénat a déposé une proposition de résolution pour qu'il y ait un débat parlementaire sur l'ensemble du déconfinement, et non par petits bouts. Le tracking fait partie du déconfinement ; pourquoi n'y a-t-il pas de débat global ?
Pourquoi envisager un débat sur le sujet alors que l'application n'est pas totalement aboutie ? Êtes-vous favorable à un vote ou considérez-vous, comme M. Le Gendre, qu'un tel vote ne changerait rien et est inutile ? Le comité analyse, recherche et expertise (CARE), qui accompagne la réflexion des autorités, notamment sur les aspects numériques, a-t-il été consulté sur le contact tracing ?
Pour plus de transparence, vous avez mentionné la possibilité d'un contrôle, notamment parlementaire, sur l'utilisation de l'application. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Selon vous, il n'y aura jamais de partage de données entre individus. À quel endroit les données seront-elles stockées ? Ce stockage sera-t-il être décentralisé ou centralisé ? On génèrerait des clefs Bluetooth qui pourraient être échangées sur les quatorze derniers jours, mais avec quelles garanties de protection de la vie privée ?
Si je comprends bien, sans avoir recours au logiciel d'Apple et Google, vous avez néanmoins besoin de leur accord pour modifier les deux systèmes d'exploitation Android et iOS ? Peut-on avancer sans l'accord de ces deux plateformes ?
Le Premier ministre a évoqué deux débats : un sur le contact tracing le 28 avril à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, et la possibilité d'un second débat sur la stratégie de déconfinement. M. Kanner souhaite, d'après son courrier adressé au Premier ministre, un débat « holistique » abordant le contact tracing dans le cadre stratégique plus global du déconfinement sanitaire. Je ne peux pas me prononcer sur cette demande d'un vote global : c'est au Premier ministre qu'il appartient de déterminer les modalités du débat.
Mon sentiment est le suivant : a priori, le projet d'application ne nécessite aucune modification législative ni réglementaire du droit en vigueur avant l'état d'urgence. Même dans une situation hors Covid-19, lois et codes permettraient au Gouvernement de mettre en oeuvre cette application sans passer devant le Parlement. Il ne s'agit pas d'une législation d'exception. En raison des interrogations et des demandes des groupes parlementaires, cependant, un débat parlementaire se tiendra sur le sujet.
Monsieur Kerrouche, il sera compliqué de déployer cette application pour le 11 mai, et donc encore plus pour les 28 et 29 avril. Nous débattrons donc d'éléments techniques très proches de ceux qui ont été présentés avant-hier, et qui sont ceux qui sont soumis à la CNIL. Les discussions entre groupes politiques et entre le Parlement et le Gouvernement ne porteront probablement pas sur le rejet ou l'acceptation sans coup férir de l'application, mais sur les lignes rouges auxquelles l'application devra se conformer pour être déployée. On peut difficilement voter sur des éléments qui ne sont pas finalisés et qui ne donnent pas lieu à un texte législatif. Ce matin, devant les présidents de groupes, le Premier ministre est resté ouvert ; c'est la meilleure manière d'avancer - en temps masqué, car les développeurs continuent de progresser, tandis que le Parlement doit se prononcer -, sinon nous ne serons pas prêts pour le 11 mai.
Les parlementaires doivent nous faire part de leurs lignes rouges, en lien avec la réponse de la CNIL. Le Gouvernement les fixera ensuite avec eux. J'ai évoqué la possibilité qu'il y ait, au-delà du 28 et du 29 avril, un comité de suivi, qui peut être parlementaire aussi bien que pluripartite, rassemblant parlementaires, experts scientifiques, juristes... Le Gouvernement est ouvert sur ce sujet.
Si l'application est utile et que nous sommes tous certains qu'elle protègera nos libertés, nous devrons tout faire pour qu'elle soit déployée le plus largement possible pour protéger tant la collectivité que les individus. Pour cela, il est impératif, d'abord, que cette application existe techniquement, mais aussi qu'elle garantisse toutes nos libertés et qu'elle respecte nos valeurs ; c'est également une condition de son acceptabilité. Pour que cela soit garanti aux yeux de tout le monde, la transparence sera une vertu cardinale que nous devrons mettre en place dans des conditions que nous sommes disposés à discuter pour rassurer autant que possible.
M. le sénateur Kerrouche suggère la consultation du CARE ou du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) sur cette application. Les deux groupes sont placés auprès du Président de la République et le mécanisme de leur consultation n'est pas formalisé. Le HCSP a publié des rapports sur l'utilité de ces outils, et le professeur Delfraissy lui-même a indiqué qu'une telle application serait très utile, en complément d'une stratégie d'enquête sanitaire.
Avons-nous besoin de l'accord de Google et d'Apple sur leurs systèmes d'exploitation Android et iOS ? S'agissant d'Android, probablement pas, mais pour ce qui est d'iOS, pour être efficace, l'application nécessitera qu'Apple en modifie les conditions de fonctionnement. Il semble que toute autre solution relèverait du bricolage. Ma position est donc la suivante : nous avons besoin que cette application fonctionne au mieux pour apporter les garanties sanitaires nécessaires ; nous avons donc besoin qu'Apple modifie ses conditions de fonctionnement.
Comment les données seront-elles partagées : seront-elles centralisées ou décentralisées ? Il s'agit d'un débat de techniciens, et je vous invite à lire la tribune publiée avant-hier par le président-directeur général de l'Inria, qui aborde cette question. Tout d'abord, les termes « centralisées » ou « décentralisées » n'ont pas grand sens. Les questions qui se posent sont les suivantes : où seront stockées les données et quels seront les flux d'échanges entre données et entre téléphones ? Différentes architectures dites « décentralisées » sont en débat, parmi lesquelles la solution promue par Apple, qui se passe de serveur central. Cela signifie que l'ensemble des indications sur les personnes contaminées est stocké, crypté, sur chaque téléphone. Jugez par vous-même des risques que présente ce dispositif. L'architecture envisagée dans notre projet franco-allemand est détaillée dans l'article de l'Inria et mes équipes sont à votre disposition pour en discuter. L'anonymat, le volontariat, le caractère temporaire du stockage des données et la transparence, qui garantissent le respect des libertés et de la vie privée, seront respectés.
Même si j'ai bien compris l'utilité d'une application intégrée dans une stratégie globale, j'ai une question précise. Vous indiquez que cet outil serait paramétré pour signaler un contact à moins de deux mètres pendant cinq minutes. De quels critères cette modalité est-elle issue ? Cela signifie-t-il que l'on n'est pas concerné par une contamination si l'on est exposé durant moins de cinq minutes à une personne porteuse du virus ?
Ce n'était qu'un exemple, les épidémiologistes sont en train de discuter de chacun de ces paramètres. Tout d'abord, il n'est pas question de déterminer une certitude de contamination, mais seulement une probabilité non négligeable. Personne n'est capable à ce jour de répondre sur les détails, d'autant que l'application ne peut pas savoir, par exemple, dans quelle position vous vous trouviez. Les discussions entre épidémiologistes pour modéliser le risque prennent en compte la distance, le temps d'exposition, la récurrence, bref, un ensemble de paramètres qui sont en train d'être mis au point. J'ai seulement choisi un exemple, la réalité sera plus complexe. Bien évidemment, ces paramètres seront publics et probablement évolutifs en fonction des progrès de notre connaissance de la maladie.
Une des questions qui se posaient était la capacité de la norme Bluetooth à mesurer la distance entre les téléphones, car elle n'a pas été conçue pour cela. Les équipes française et allemande ont réussi à la calibrer pour le rendre suffisamment sensible ; cette incertitude est donc levée. Reste à intégrer les données épidémiologiques, qui ne serviront qu'à définir une probabilité. Le parcours sanitaire qui suivra permettra de déterminer les mesures à prendre. Il faut bien avoir à l'esprit que cette application ne saura pas si vous portez un masque ou non, ou si vous avez touché une surface contaminée. Elle se contentera d'estimer une probabilité afin que l'on teste un certain nombre de personnes que l'on n'aurait, sinon, pas identifiées.
Notre pays manque d'abord de masques et de tests. La mise en oeuvre d'une telle application, dont l'usage comporte des risques importants pour nos libertés au bénéfice de résultats médiocres, est-elle vraiment urgente ? Pour qu'elle soit efficace, elle devra être adoptée par au moins 80 % de la population. Cela vous semble-t-il possible ? Enfin, comment les données recueillies seront-elles détruites et comment pourrons-nous nous assurer qu'elles le seront ?
J'ai déjà essayé de répondre à votre question : il faudra des masques et il faudra des tests. L'application vient s'insérer dans une stratégie globale : dès lors que nous déconfinons, nous devrons identifier très vite les personnes porteuses du virus, c'est-à-dire celles qui auront été testées positives et celles qui auront été en contact avec elles. C'est pourquoi des enquêtes sanitaires seront menées. La technologie est utile pour identifier les personnes qui auront échappé à cette enquête.
Le confinement a un coût terrible pour les libertés publiques comme pour la vie quotidienne des Français. Si nous disposons d'outils qui respectent nos libertés - j'ai la volonté de faire en sorte que vous puissiez vous en assurer - quelle serait la responsabilité de ceux qui refuseraient de les utiliser pour des raisons sans rapport avec leur réalité ? C'est vrai, il faut inclure lignes rouges et garanties, mais une fois que ce sera fait, parlons de la manière dont nous pouvons faire en sorte que cette épidémie ne recommence pas dans la population.
Le seuil que vous évoquez n'a pas grand sens ; si, dans les grandes villes, 30 % de la population installe l'application, nous pourrons toucher ces personnes dans les transports en commun, par exemple, alors que nous n'aurions pu les approcher autrement, et ainsi elles ne prendront pas le risque de contaminer leurs proches. Si nous pouvons identifier une ou deux personnes supplémentaires qui sont porteuses, mais qui l'ignorent, les résultats ne seront pas médiocres.
Les données recueillies seront automatiquement détruites après deux ou trois semaines et cette disposition figurera dans le code de l'application, lequel sera public. Tout le monde pourra l'y retrouver.
Selon vous, il serait irréaliste de prévoir que le Parlement vote sur ce sujet. Le Parlement n'est pourtant pas un club de réflexion et il n'est pas absurde qu'il se prononce sur des sujets aussi importants. La Constitution permet d'ailleurs au Gouvernement de demander un tel vote. Vous nous indiquez que l'application ne sera pas prête à la date du débat, mais alors reportons-le et débattons de l'ensemble de la logique du déconfinement ! Vous ajoutez que ce n'est pas une question sur laquelle on pourrait se prononcer par oui ou par non, mais c'est le cas que nous rencontrons le plus fréquemment : nous votons des amendements, nous introduisons précisément des lignes rouges, comme vous dites. Il semble particulièrement important que le Parlement puisse s'exprimer sur le respect de la vie privée et des libertés publiques, ainsi que sur la destruction des données. Plusieurs groupes l'ont demandé. Pourquoi le refuser ?
Tout d'abord, je voudrais vous rappeler que nous ne débattrions pas d'un texte, même si la discussion pourra avoir lieu. Il pourrait, par exemple, s'agir d'une déclaration. Le Premier ministre l'a dit ce matin : le sujet est en débat. Il ne me revient pas de me prononcer s'agissant de l'ensemble de la logique de déconfinement. En ce qui concerne le contact tracing, le Premier ministre a rappelé pourquoi il ne lui semblait pas nécessaire d'en passer par un vote, mais il y aura des échanges dans les heures qui viennent sur le sujet, comme il y en a eu ce matin entre le Premier ministre et les présidents des groupes.
Nous avons compris qu'il fallait que le maximum de personnes adhère à cette application. Toutefois, nos concitoyens plus âgés n'ont souvent pas les moyens technologiques de le faire. Quel type de pédagogie envisagez-vous de mettre en oeuvre ?
J'ajoute une question toute simple : serez-vous prêts le 11 mai, de manière que cette application puisse être utilisée par le plus grand nombre de nos concitoyens ? Serons-nous, alors, suffisamment informés pour qu'elle puisse accompagner le déconfinement ?
Si nous parvenons à nous mettre collectivement d'accord sur son utilité, il faudra que le plus grand nombre possible de Français déploient cet outil, notamment les plus fragiles, qui sont les plus difficiles à toucher, dont le taux d'équipement est plus faible et qui sont les plus éloignés des moyens de communication du Gouvernement. Je ne saurais me prononcer sur la campagne de communication, mais elle devra s'appuyer sur les médias grand public, sur les associations et les travailleurs sociaux, afin que nous puissions expliquer l'intérêt que présente l'utilisation de cette application. En tout état de cause, cela se fera toujours dans le respect du libre arbitre et chacun devra donc être informé pour se déterminer en son âme et conscience.
Monsieur le président, je vais m'engager : si Apple lève ses restrictions, selon moi, nous serons prêts. Dans le cas contraire, ce sera difficile. En réalité, même si Apple le fait, il n'est pas certain que nous y parviendrons, mais nous avançons sur le chemin technologique qui nous est tracé. Les Allemands nous précèdent dans le déconfinement, ils ont donc la volonté d'y parvenir plus tôt que nous. Et si nous surmontons cette contrainte, j'ai bon espoir !