Intervention de Pierre Razoux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 28 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de M. Pierre Razoux directeur de recherche à l'irsem sur le moyen-orient face à la crise sanitaire et géopolitique en téléconférence

Pierre Razoux, directeur de recherche à l'IRSEM :

Qui souffrira le plus de l'effondrement des prix pétroliers ? Certainement les gros producteurs du Moyen-Orient. Les Iraniens, paradoxalement, tirent aussi avantage de la crise : ils ne pouvaient plus exporter leur pétrole depuis deux ans et demi, sinon vers la Chine, à bas prix. La crise met leurs concurrents dans cette même situation ; cela égalise l'équation, de sorte que l'Iran a tout intérêt à ce que l'effondrement des prix pétroliers dure. Il espère contraindre ainsi ses rivaux à revenir à la table de négociations.

Au-delà du Moyen-Orient, d'autres gros producteurs de pétrole sont aussi touchés, comme l'Algérie, le Venezuela ou le Mexique. En Algérie, les autorités prétendent gérer la crise - mais l'argent ne rentre plus dans les caisses. L'Irak est le seul pays où les tensions sont assez fortes pour pousser à l'affrontement entre les forces américaines et les milices chiites. Mais rien n'est sûr et les Iraniens feront tout pour calmer le jeu.

Le Qatar n'a jamais été un gros producteur de pétrole, mais de gaz. Or l'avenir énergétique est au gaz naturel liquéfié. Il est donc en position favorable et pourra s'entendre avec l'Iran et la Russie, autres gros producteurs de gaz. L'affaiblissement financier de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis ne peut que les encourager à négocier une réorganisation régionale. Quant aux initiatives que la France pourrait prendre au Liban, mes fonctions actuelles m'interdisent de me prononcer sur la question.

Même chose concernant la mission sénatoriale en Israël. Le bon sens serait de discuter avec toutes les parties prenantes, d'essayer de comprendre ce qu'elles ont à dire. Parmi les Palestiniens, certains militent pour une troisième intifada pour pousser Israël à négocier. D'autres plaident pour une stratégie nataliste de long terme, dans l'idée qu'un déséquilibre démographique flagrant obligerait les autorités israéliennes à organiser le divorce. Enfin, un troisième groupe considère que les revendications palestiniennes ne sont plus qu'un rêve, que le train est passé : mieux vaut trouver un arrangement négocié avec Israël, endossé par la communauté internationale, notamment les États-Unis, l'Europe et les monarchies du Golfe - bref, sauver les meubles en retirant le maximum d'argent.

Enfin, l'Union pour la Méditerranée était une belle idée. Mais dès lors qu'elle laissait de côté des pays non riverains comme l'Allemagne, le Benelux ou le Royaume-Uni, elle avait peu de chances d'aboutir. Inclure Israël était également compliqué. De mon point de vue, elle était morte née. L'initiative 5 + 5 est intéressante en ce qu'elle associe cinq pays de la rive nord et cinq pays de la rive sud de la Méditerranée occidentale - le Portugal, l'Espagne, la France, l'Italie et Malte côté nord, et, côté sud, les pays de la Libye jusqu'au Maroc. Mais elle aboutit aussi à fragmenter encore un peu la Méditerranée, laissant les pays de Méditerranée orientale dériver dans l'opposition géopolitique entre la Turquie, la Russie, la Chine et les États-Unis. Mieux vaudrait une vision européenne qui englobe l'ensemble de la région.

Le Conseil de sécurité peut certainement agir pour imposer une levée des sanctions. Cependant, les positions des cinq membres sont radicalement divergentes, que ce soit sur le dossier syrien ou iranien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion