Je ne suis pas hostile au modèle concessionnaire, qui a fait ses preuves. La question qui se pose à nous est celle-ci : même si la délégation de service public est globale et couvre un ensemble, donc s'il est normal qu'il comporte une « bonne » rémunération du concessionnaire, parce qu'il y a une prise de risque, il faut se prémunir contre des évolutions excessivement avantageuses. C'est cela que nous n'avons pas su faire jusqu'à présent.
Si la rentabilité, ou le Return On Equity (ROE), du point de vue des actionnaires, est supérieur de un, deux ou trois points à ce qui était prévu, pourquoi pas ? Mais si c'est le double, alors ce n'est plus acceptable ! Or, par rapport à ce qui s'est passé depuis 2006, ce qui me choque profondément c'est que nous n'ayons pas été capables de mettre en place un dispositif de prise en compte de la renégociation des emprunts qui est, je crois, dans la loi de 2015, ou en tout cas, c'est une proposition de la Cour. Il faut, dans ces contrats de concession longs, que l'on prévoie à l'avance la possibilité de raccourcir la durée de concession ou de réduire les tarifs, et qu'elle soit déclenchée à partir d'une analyse faite tous les quatre ou cinq ans, pas forcément tous les ans. De telles clauses de retour à meilleure fortune existent dans beaucoup de contrats. Il faut améliorer nos contrats de concession de ce point de vue.
Quant à la suite des concessions, je n'étais pas content du tout qu'on les ait prolongées alors qu'elles arrivaient à échéance, pour les premières, dès 2028, pour d'autres, jusqu'en 2032. Là, elles s'étalent entre 2032 et 2036. S'agissant d'équipements matures, je ne renouvellerais pas ces concessions.
Le montage que nous avions imaginé, avec le ministre de Robien, consistait à sauvegarder la capacité d'investissement de l'État par le biais d'une débudgétisation. J'y crois profondément : regardez, année après année, les budgets de l'État ! Bientôt, on n'investira plus du tout !
On arrive à un paradoxe choquant. Dans son référé de janvier 2019, la Cour des comptes le met en évidence. Les concessionnaires souhaitent évidemment prolonger leurs concessions. Quand on leur propose des travaux supplémentaires, ils sont en général tout à fait preneurs. Ils imaginent donc des travaux dits « compensables ». On élargit ici, on crée une nouvelle section là, ça c'est sympa... mais ailleurs, c'est beaucoup moins évident et la Cour pointe des travaux censés justifier une compensation en termes d'augmentation de la durée de concession ou d'augmentation des tarifs, qui étaient déjà prévus dans les cahiers des charges ! Donc on ne va pas payer deux fois ! Bref, je pense que l'on peut vraiment améliorer le modèle des concessions.
Si on ne le fait pas, on se retrouve face à un paradoxe. On fait des travaux... « utiles et nécessaires », selon l'expression employée en doctrine administrative. Voyez, en région parisienne, dès que l'on passe le péage pour aller à Roissy, monsieur le sénateur de l'Oise le sait bien, c'est très bien entretenu, mais après, jusqu'au boulevard périphérique... Cela donne une image du pays terrible !
J'ai essayé de faire financer le fameux pont de Nogent, à l'intersection de l'A4 et l'A86, grâce à la concession Sanef qui démarre un peu plus loin. On a un réseau routier qui est de niveau autoroutier en termes de fréquentation, mais dont l'entretien tarde pour telle ou telle raison et dont l'état est de ce fait de plus en plus lamentable, vraiment lamentable. Puis, au même moment, un peu plus loin, on va faire des travaux supplémentaires sur une section autoroutière qui est déjà très bien comme elle est. Si vous n'avez pas la même rigueur d'approche sur le traitement de ces travaux, on arrive à des situations absurdes.
C'est aussi l'occasion de dire que nous avons vraiment besoin de nos grands groupes de BTP. Ne prenez pas tout ce que j'ai dit comme des critiques ! Selon certains économistes, pour qu'ils se développent bien à l'international, il faut qu'ils aient une très bonne assise sur leur marché intérieur. Et nos autoroutes concédées fonctionnent. Bruno Lasserre, qui m'avait invité récemment à un colloque au Conseil d'État sur les concessions, où je me suis retrouvé à la même table que David Azéma, m'a rappelé quelque chose qui l'avait profondément choqué : je ne sais plus quelle société concessionnaire avait inclus, dans les travaux dits compensables par les tarifs de péage, la mise en place du télépéage, qui permettait des réductions de personnel censées améliorer la productivité, sous prétexte que cela déclenchait des économies d'émissions de carbone... Là, évidemment, les bras vous en tombent !
Bref, si l'on pouvait avoir les comptes des entreprises pour les décortiquer... J'ai vu plusieurs fois Pierre Coppey : il m'a dit être prêt à mettre ses comptes à livre ouvert. Donc décortiquons-les et regardons ce modèle. Il faut que le cash-flow soit suffisant pour permettre le désendettement, parce qu'au terme de la concession l'endettement doit être nul ; il faut payer non seulement les intérêts de la dette, mais le remboursement du capital de la dette sur la durée de la concession ; ensuite, il faut rémunérer l'actionnaire qui a mis des fonds propres et lui rembourser la totalité de ses fonds propres. Tout cela se chiffre, au regard des cash-flows. S'il y a un bénéfice raisonnable, dans les normes qu'on connaît parfaitement, très bien ! Mais si ce bénéfice est excessif, cela veut dire que le concédant s'est mal défendu.