Intervention de Michel Vaspart

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 avril 2020 : 1ère réunion
Communication de m. michel vaspart sur les répercussions de la crise du covid 19 sur le secteur portuaire et le transport maritime en téléconférence

Photo de Michel VaspartMichel Vaspart :

Au cours de ces dernières semaines, nous avons mené avec mes collègues Didier Mandelli et Jean-Pierre Corbisez, une série d'auditions par visioconférence avec les acteurs de la chaîne logistique, qui sont en première ligne pour sécuriser nos approvisionnements en biens essentiels, je pense bien sûr aux denrées alimentaires, et aux équipements médicaux et pharmaceutiques. Je remercie à cette occasion l'ensemble des collègues qui ont pu participer à ces auditions.

Comme vous le savez, je me suis particulièrement intéressé au secteur portuaire et au transport maritime. L'objectif de ces consultations était double : d'une part, évaluer le fonctionnement des différents maillons de la chaîne du transport maritime de marchandises, depuis les chargeurs jusqu'aux manutentionnaires en passant par les services portuaires ; d'autre part, dresser un premier bilan économique des conséquences de l'épidémie de Covid-19 sur ces secteurs et voir quelles mesures de soutien peuvent être mises en oeuvre pour les accompagner face à cette situation inédite. Vous avez reçu des notes de situation sur ces secteurs, je ne reviendrai pas sur l'ensemble des détails qui y figurent.

Je souhaiterais vous faire part de trois constats et de trois axes de propositions pour gérer l'urgence et préparer le « jour d'après ».

D'abord, la crise actuelle démontre le caractère stratégique des infrastructures portuaires et des armateurs pour assurer la continuité des approvisionnements nationaux. Pour rappel, le transport maritime assure 90 % du commerce mondial de marchandises, près de 80 % du commerce extérieur de l'Union européenne et les trois quarts des importations françaises. Ce constat avait d'ailleurs justifié en partie mon souhait de conduire une mission sur la gouvernance et la performance des ports maritimes, qui est présidée par Martine Filleul et dont je suis rapporteur. Aujourd'hui, sans nos ports, sans nos armateurs, notamment le plus puissant d'entre eux, CMA-CGM, dont les quelque 500 navires desservent 420 des 521 ports de commerce du monde, notre pays serait dépendant pour ses approvisionnements essentiels et stratégiques. Le secrétaire d'État aux transports a récemment appelé l'Union européenne à définir une nouvelle « politique industrielle des transports », conjointement avec ses homologues allemand, italienne et espagnol. Un renforcement du contrôle des investissements étrangers est évoqué. Je salue cette annonce qui doit désormais se traduire en acte. La concentration des armateurs se renforce et les trois alliances maritimes internationales, dont la plus importante associe CMA-CGM et les chinois COSCO et Evergreen, représentent 95 % des flux est-ouest. Il est donc essentiel pour notre souveraineté de disposer d'infrastructures performantes et d'armateurs français mobilisables pour assurer les approvisionnements de la Nation. Depuis le début de la crise, une attention spécifique est accordée aux entreprises dites stratégiques et dont le fonctionnement participe à la garantie de notre souveraineté nationale. Je compte attirer l'attention du Gouvernement d'une manière forte sur l'armateur CMA-CGM et ses liens capitalistiques avec des groupes chinois. Le groupe CMACGM a récemment cédé ses participations dans dix terminaux à China Merchants Ports dans le cadre de la co-entreprise Terminal Link afin de se refinancer. Il ne faudrait pas que l'Europe et la France perdent le contrôle de cette entreprise stratégique.

Deuxième constat, les ports et les armateurs ont su s'organiser efficacement face à la crise et dans des délais rapides, malgré un équilibre social encore fragile. Les grands ports maritimes et les ports décentralisés fonctionnent majoritairement, de même que les ports intérieurs et 100 % des terminaux demeurent opérationnels, même si les trafics de fret ont baissé de 40 % à ce jour, en particulier le vrac. Une forte baisse du vrac liquide est à venir, en lien avec la baisse de consommation des produits pétroliers. Je ne reviens pas sur les difficultés signalées en matière de relève d'équipage, de renouvellement des titres des marins, d'inspection des navires et de pénuries d'équipements sanitaires. Les acteurs ont salué l'écoute des administrations et du Gouvernement. La situation s'améliore donc progressivement.

Troisième constat, l'ampleur des conséquences de la crise est encore largement méconnue mais certaines activités souffrent plus que d'autres, je pense en particulier aux croisières et au transport de passagers, qui sont à l'arrêt. En période normale, les liaisons maritimes et les passages d'eau entre le continent et les îles représentent de 30 à 40 millions de passagers annuels. Les chantiers de construction et réparation navales fonctionnent à 20 % à peine. C'est la survie de tout un tissu de PME, marins, compagnies et sous-traitants, représentant des centaines de milliers d'emplois directs et indirects, et la vitalité des territoires littoraux qui est en jeu.

Face à cette situation, j'ai trois axes de recommandations :

Tout d'abord, face à une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles sont nécessaires. Le transport maritime est une activité à forte intensité capitalistique avec des charges fixes élevées et la situation économique et financière des compagnies s'aggrave de semaine en semaine. Les acteurs économiques nous ont fait part de leurs demandes, que je souhaiterais appuyer au nom de la commission si vous en êtes d'accord. Voici les principales : le gel des redevances domaniales, des exonérations de taxes portuaires, le paiement immédiat des indemnités d'assurance pour des sinistres existants avant la crise, l'extension du dispositif d'exonération de charges patronales prévues par la loi pour l'économie bleue aux entreprises de pilotage, remorquage et lamanage dans les ports, l'intégration des pertes financières résultant d'une immobilisation des navires face au risque sanitaire et à la pandémie dans la catégorie des risques de guerre et intervention de la caisse centrale de réassurance de l'État, un moratoire de 18 mois pour le remboursement des dettes et des intérêts. Un moratoire de 6 mois aurait été annoncé par la Fédération bancaire de France mais il faut maintenant s'assurer de la réalité de cet engagement. Les professionnels demandent également la prolongation du prêt garanti par l'État (PGE) jusqu'à l'été 2021 et un élargissement des dépenses éligibles, une meilleure prise en compte des spécificités du secteur maritime pour les mesures de chômage partiel ainsi qu'un soutien à la trésorerie des compagnies par un élargissement des prêts de la Banque publique d'investissement (BPI) afin de financer les fonds propres devant être investis pour la construction de nouveaux navires. Enfin, dans un contexte de concurrence intense au sein de l'Union européenne, je considère que nous devrons aller beaucoup plus loin sur la question des exonérations de charge pour atteindre un véritable « net wage » comme au Danemark, en Allemagne ou en Italie. À ce jour la France n'utilise pas l'ensemble des leviers sociaux et fiscaux permis par le régime des aides d'État et nous perdons en compétitivité.

Ensuite, à moyen terme, nous devons définir un plan de relance non seulement pour soutenir les entreprises mais, plus important encore à mes yeux, pour préserver le mouvement de verdissement et de développement durable dans lequel le secteur est engagé depuis plusieurs années. Avant la crise, le tableau apparaissait positif : les armateurs font construire de plus en plus de navires au gaz naturel liquéfié (GNL), les ports mettent en place des infrastructures dédiées à l'avitaillement en GNL, les croisiéristes investissent pour diminuer leurs rejets affectant la qualité de l'air dans les villes portuaires. Si l'État et les banques n'apportent pas leur soutien aux opérateurs, je crains que l'ambition écologique soit réduite, ce que personne ne souhaite. Une autre piste me paraît particulièrement intéressante à examiner : la possibilité de réserver aux armements français une part du transport de fret à destination de la France (5 à 10 %) pour marquer la priorité stratégique de l'État à l'égard de la souveraineté maritime et en matière d'approvisionnement. Ce dispositif existe par exemple depuis 1992 pour les approvisionnements énergétiques (5,5 %).

Mon dernier axe de préconisation concerne l'anticipation du déconfinement, en particulier pour le transport maritime de passagers. Il y a urgence car la saison estivale approche et les compagnies maritimes réalisent entre 50 et 90 % de leur chiffre d'affaires durant cette période. Si rien n'est fait, les conséquences seront désastreuses pour la viabilité des compagnies, pour l'entretien et la sécurité des navires, pour le tourisme national et bien sûr pour les collectivités organisatrices de la mobilité. Je sais que mes collègues élus des territoires littoraux et des îles sont particulièrement sensibles et sensibilisés à ce sujet.

Pour les liaisons assurées avec des délégations de service public (DSP) classiques, il est indispensable que les autorités organisatrices de la mobilité et les compagnies se rapprochent dès maintenant et travaillent avec Jean Castex pour bâtir une organisation robuste, permettant de respecter les gestes barrières tout en assurant un minimum de liaisons. Il y a un point de vigilance particulier sur les liaisons transmanches : les compagnies de transport de passagers qui se sont reconverties dans le transport de fret demandent des compensations financières et la possibilité d'accorder des avoirs pour les voyages non assurés plutôt que des remboursements. Que ce soit en France ou au Royaume-Uni, ce sujet avance malheureusement très lentement. Pour une reprise des liaisons passagers en phase de déconfinement progressif, plusieurs pistes doivent être étudiées : la réduction du nombre de places par navire, l'augmentation du prix des billets avec modération, des subventions d'exploitation aux opérateurs. Sans oublier là encore un soutien du secteur des assurances.

Voici les éléments que je souhaitais partager avec vous. Je vous indique également que j'enverrai prochainement un courrier au ministre de l'action et des comptes publics, avec copie au secrétaire d'État aux transports, pour appuyer ces demandes, au nom de toute notre commission, si vous en êtes d'accord. Je vous remercie de votre attention.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion