Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 22 avril 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • armateur
  • maritime
  • navire
  • port

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Notre réunion de ce matin comporte deux points à l'ordre du jour : d'abord, une communication de Michel Vaspart sur les travaux qu'il a menés au sujet de la situation des secteurs portuaire et maritime durant cette crise, puis l'audition de M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep).

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Au cours de ces dernières semaines, nous avons mené avec mes collègues Didier Mandelli et Jean-Pierre Corbisez, une série d'auditions par visioconférence avec les acteurs de la chaîne logistique, qui sont en première ligne pour sécuriser nos approvisionnements en biens essentiels, je pense bien sûr aux denrées alimentaires, et aux équipements médicaux et pharmaceutiques. Je remercie à cette occasion l'ensemble des collègues qui ont pu participer à ces auditions.

Comme vous le savez, je me suis particulièrement intéressé au secteur portuaire et au transport maritime. L'objectif de ces consultations était double : d'une part, évaluer le fonctionnement des différents maillons de la chaîne du transport maritime de marchandises, depuis les chargeurs jusqu'aux manutentionnaires en passant par les services portuaires ; d'autre part, dresser un premier bilan économique des conséquences de l'épidémie de Covid-19 sur ces secteurs et voir quelles mesures de soutien peuvent être mises en oeuvre pour les accompagner face à cette situation inédite. Vous avez reçu des notes de situation sur ces secteurs, je ne reviendrai pas sur l'ensemble des détails qui y figurent.

Je souhaiterais vous faire part de trois constats et de trois axes de propositions pour gérer l'urgence et préparer le « jour d'après ».

D'abord, la crise actuelle démontre le caractère stratégique des infrastructures portuaires et des armateurs pour assurer la continuité des approvisionnements nationaux. Pour rappel, le transport maritime assure 90 % du commerce mondial de marchandises, près de 80 % du commerce extérieur de l'Union européenne et les trois quarts des importations françaises. Ce constat avait d'ailleurs justifié en partie mon souhait de conduire une mission sur la gouvernance et la performance des ports maritimes, qui est présidée par Martine Filleul et dont je suis rapporteur. Aujourd'hui, sans nos ports, sans nos armateurs, notamment le plus puissant d'entre eux, CMA-CGM, dont les quelque 500 navires desservent 420 des 521 ports de commerce du monde, notre pays serait dépendant pour ses approvisionnements essentiels et stratégiques. Le secrétaire d'État aux transports a récemment appelé l'Union européenne à définir une nouvelle « politique industrielle des transports », conjointement avec ses homologues allemand, italienne et espagnol. Un renforcement du contrôle des investissements étrangers est évoqué. Je salue cette annonce qui doit désormais se traduire en acte. La concentration des armateurs se renforce et les trois alliances maritimes internationales, dont la plus importante associe CMA-CGM et les chinois COSCO et Evergreen, représentent 95 % des flux est-ouest. Il est donc essentiel pour notre souveraineté de disposer d'infrastructures performantes et d'armateurs français mobilisables pour assurer les approvisionnements de la Nation. Depuis le début de la crise, une attention spécifique est accordée aux entreprises dites stratégiques et dont le fonctionnement participe à la garantie de notre souveraineté nationale. Je compte attirer l'attention du Gouvernement d'une manière forte sur l'armateur CMA-CGM et ses liens capitalistiques avec des groupes chinois. Le groupe CMACGM a récemment cédé ses participations dans dix terminaux à China Merchants Ports dans le cadre de la co-entreprise Terminal Link afin de se refinancer. Il ne faudrait pas que l'Europe et la France perdent le contrôle de cette entreprise stratégique.

Deuxième constat, les ports et les armateurs ont su s'organiser efficacement face à la crise et dans des délais rapides, malgré un équilibre social encore fragile. Les grands ports maritimes et les ports décentralisés fonctionnent majoritairement, de même que les ports intérieurs et 100 % des terminaux demeurent opérationnels, même si les trafics de fret ont baissé de 40 % à ce jour, en particulier le vrac. Une forte baisse du vrac liquide est à venir, en lien avec la baisse de consommation des produits pétroliers. Je ne reviens pas sur les difficultés signalées en matière de relève d'équipage, de renouvellement des titres des marins, d'inspection des navires et de pénuries d'équipements sanitaires. Les acteurs ont salué l'écoute des administrations et du Gouvernement. La situation s'améliore donc progressivement.

Troisième constat, l'ampleur des conséquences de la crise est encore largement méconnue mais certaines activités souffrent plus que d'autres, je pense en particulier aux croisières et au transport de passagers, qui sont à l'arrêt. En période normale, les liaisons maritimes et les passages d'eau entre le continent et les îles représentent de 30 à 40 millions de passagers annuels. Les chantiers de construction et réparation navales fonctionnent à 20 % à peine. C'est la survie de tout un tissu de PME, marins, compagnies et sous-traitants, représentant des centaines de milliers d'emplois directs et indirects, et la vitalité des territoires littoraux qui est en jeu.

Face à cette situation, j'ai trois axes de recommandations :

Tout d'abord, face à une situation exceptionnelle, des mesures exceptionnelles sont nécessaires. Le transport maritime est une activité à forte intensité capitalistique avec des charges fixes élevées et la situation économique et financière des compagnies s'aggrave de semaine en semaine. Les acteurs économiques nous ont fait part de leurs demandes, que je souhaiterais appuyer au nom de la commission si vous en êtes d'accord. Voici les principales : le gel des redevances domaniales, des exonérations de taxes portuaires, le paiement immédiat des indemnités d'assurance pour des sinistres existants avant la crise, l'extension du dispositif d'exonération de charges patronales prévues par la loi pour l'économie bleue aux entreprises de pilotage, remorquage et lamanage dans les ports, l'intégration des pertes financières résultant d'une immobilisation des navires face au risque sanitaire et à la pandémie dans la catégorie des risques de guerre et intervention de la caisse centrale de réassurance de l'État, un moratoire de 18 mois pour le remboursement des dettes et des intérêts. Un moratoire de 6 mois aurait été annoncé par la Fédération bancaire de France mais il faut maintenant s'assurer de la réalité de cet engagement. Les professionnels demandent également la prolongation du prêt garanti par l'État (PGE) jusqu'à l'été 2021 et un élargissement des dépenses éligibles, une meilleure prise en compte des spécificités du secteur maritime pour les mesures de chômage partiel ainsi qu'un soutien à la trésorerie des compagnies par un élargissement des prêts de la Banque publique d'investissement (BPI) afin de financer les fonds propres devant être investis pour la construction de nouveaux navires. Enfin, dans un contexte de concurrence intense au sein de l'Union européenne, je considère que nous devrons aller beaucoup plus loin sur la question des exonérations de charge pour atteindre un véritable « net wage » comme au Danemark, en Allemagne ou en Italie. À ce jour la France n'utilise pas l'ensemble des leviers sociaux et fiscaux permis par le régime des aides d'État et nous perdons en compétitivité.

Ensuite, à moyen terme, nous devons définir un plan de relance non seulement pour soutenir les entreprises mais, plus important encore à mes yeux, pour préserver le mouvement de verdissement et de développement durable dans lequel le secteur est engagé depuis plusieurs années. Avant la crise, le tableau apparaissait positif : les armateurs font construire de plus en plus de navires au gaz naturel liquéfié (GNL), les ports mettent en place des infrastructures dédiées à l'avitaillement en GNL, les croisiéristes investissent pour diminuer leurs rejets affectant la qualité de l'air dans les villes portuaires. Si l'État et les banques n'apportent pas leur soutien aux opérateurs, je crains que l'ambition écologique soit réduite, ce que personne ne souhaite. Une autre piste me paraît particulièrement intéressante à examiner : la possibilité de réserver aux armements français une part du transport de fret à destination de la France (5 à 10 %) pour marquer la priorité stratégique de l'État à l'égard de la souveraineté maritime et en matière d'approvisionnement. Ce dispositif existe par exemple depuis 1992 pour les approvisionnements énergétiques (5,5 %).

Mon dernier axe de préconisation concerne l'anticipation du déconfinement, en particulier pour le transport maritime de passagers. Il y a urgence car la saison estivale approche et les compagnies maritimes réalisent entre 50 et 90 % de leur chiffre d'affaires durant cette période. Si rien n'est fait, les conséquences seront désastreuses pour la viabilité des compagnies, pour l'entretien et la sécurité des navires, pour le tourisme national et bien sûr pour les collectivités organisatrices de la mobilité. Je sais que mes collègues élus des territoires littoraux et des îles sont particulièrement sensibles et sensibilisés à ce sujet.

Pour les liaisons assurées avec des délégations de service public (DSP) classiques, il est indispensable que les autorités organisatrices de la mobilité et les compagnies se rapprochent dès maintenant et travaillent avec Jean Castex pour bâtir une organisation robuste, permettant de respecter les gestes barrières tout en assurant un minimum de liaisons. Il y a un point de vigilance particulier sur les liaisons transmanches : les compagnies de transport de passagers qui se sont reconverties dans le transport de fret demandent des compensations financières et la possibilité d'accorder des avoirs pour les voyages non assurés plutôt que des remboursements. Que ce soit en France ou au Royaume-Uni, ce sujet avance malheureusement très lentement. Pour une reprise des liaisons passagers en phase de déconfinement progressif, plusieurs pistes doivent être étudiées : la réduction du nombre de places par navire, l'augmentation du prix des billets avec modération, des subventions d'exploitation aux opérateurs. Sans oublier là encore un soutien du secteur des assurances.

Voici les éléments que je souhaitais partager avec vous. Je vous indique également que j'enverrai prochainement un courrier au ministre de l'action et des comptes publics, avec copie au secrétaire d'État aux transports, pour appuyer ces demandes, au nom de toute notre commission, si vous en êtes d'accord. Je vous remercie de votre attention.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Merci beaucoup pour cette communication très intéressante. Il est important que la commission tout entière soutienne cette démarche et qu'elle puisse être faite au nom de notre commission. S'il n'y a pas d'objections, M. Vaspart va donc rédiger un courrier au ministre faisant état de nos préoccupations et préconisations.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Je vous remercie pour ce point de situation. Je pense, en effet, que cette thématique est un sujet majeur aujourd'hui. Il serait intéressant de l'inscrire sur un plan européen et d'engager une réflexion plus globale sur un plan logistique stratégique pour valoriser certains secteurs dans la perspective des politiques à construire à l'aune du développement durable.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Concernant la stratégie, la mission que nous avons menée avec Martine Filleul nous a conduits à observer plusieurs problèmes, notamment l'absence de stratégie nationale portuaire. Il n'y a pas non plus de stratégie européenne pour le moment. Dans les grands ports maritimes français, les directeurs disposent d'une large autonomie, les conseils de surveillance fonctionnent plus ou moins bien en fonction de la personnalité du directeur du port et de leurs membres. Notre rapport de mission formulera un certain nombre de propositions sur ces points. Sa publication a bien entendu été décalée compte tenu du contexte sanitaire.

Je pense qu'il faut donner à chaque port des objectifs définis par leur conseil de surveillance, mais aussi par l'État. De surcroît, il faut impérativement définir une stratégie européenne face aux concurrents asiatiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Filleul

Merci pour ce compte rendu. Je partage les constats, ainsi que les recommandations. Je voulais cependant insister sur deux sujets qu'il a évoqués : autant je partage la préoccupation d'un plan de relance pour l'ensemble des activités portuaires, autant je souhaite insister sur le fait qu'il faut conditionner les aides au verdissement, favoriser les projets qui vont dans ce sens et surtout ne pas réduire l'ambition sur la diminution des rejets et la décarbonation. En deuxième point et pour aller dans le sens de Michel Vaspart, je souhaite évoquer le tourisme maritime et fluvial. Ces deux secteurs, qui souffrent particulièrement de la crise sanitaire que nous vivons, et des aides doivent être mises en place.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Houllegatte

Merci pour ce point complet. J'ai deux questions complémentaires. Lors de l'audition avec Armateurs de France, il avait été évoqué la spécificité du chômage partiel en disant que celui-ci a été calqué sur le modèle industriel, alors que le modèle maritime correspond plutôt à 15 jours en mer et 15 jours à terre, ce qui signifie que deux personnes tiennent le même poste. Est-ce que ce point fait partie de la liste des propositions ?

Second point : je rejoins ce qui vient d'être dit sur le conditionnement des aides. Nous avions également évoqué les aides à la pince pour le transport combiné, alors est-ce que cet élément fait partie des mesures dans ce plan de relance, comme le « net wage » (les exceptions de charges) ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Il y a effectivement une demande spécifique des armateurs concernant le chômage partiel pour les raisons que vous évoquez, puisque pour le moment cette spécificité n'est pas prise en compte, notamment pour les délégués de bord. Je saisirai le ministre sur ce sujet.

Concernant le verdissement de la flotte, il faut veiller à ce qu'il n'y ait pas de recul. On voit bien qu'aujourd'hui de nombreux acteurs demandent des reports d'application de textes verts votés par notre commission, dans différents secteurs. On a aussi vu, par exemple, le recours massif au plastique à usage unique et les entreprises fabriquant les bouteilles plastiques tourner à plein régime et même faire des heures supplémentaires. Pour le secteur maritime, le risque est d'avoir une remise en cause du bon chemin pris par le secteur aussi bien sur le gaz naturel liquéfié (GNL) pour la propulsion des navires, que sur les prises à quai pour les bateaux de croisière. Il faut donc que notre commission soit particulièrement vigilante sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

J'ajoute qu'il faut que cette vigilance soit exercée sur l'ensemble des sujets de notre périmètre. A l'occasion des événements que l'on vit et pour l'après, il ne faut pas remettre en cause des bonnes pratiques environnementales.

Debut de section - PermalienPhoto de Michèle Vullien

Merci pour cette présentation claire et complète. Je souhaite intervenir sur un point particulier. J'ai été étonnée lors de l'audition des armateurs qu'on n'évoque pas ou peu la question sociale dans les ports. Vous avez parlé d'un équilibre fragile. Avant cette crise sanitaire, on avait des difficultés fortes liées aux grèves à répétition des dockers. Finalement, le fret se détournait des ports français. Je souhaite donc savoir ce qu'on peut envisager sur cette question.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Dans le cadre de la mission d'information, nous avons effectué plusieurs déplacements, dans les sept grands ports maritimes de métropole et celui de Paris, ainsi qu'Anvers et Rotterdam. Ce sujet est revenu en France dans la quasi-totalité des places portuaires, sauf à Dunkerque où la situation est historiquement différente. J'évoquerai ce sujet dans notre rapport de mission d'information avec des propositions concrètes. Cependant, dans mon intervention, je me suis tenu à l'urgence du Covid-19. Je vous invite donc à attendre la publication de ce rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Merci pour ce travail. De mon point de vue, nous ne prenons pas encore la mesure du bouleversement économique des deux prochaines années. Par exemple, je ne suis pas certain que les croisières vont reprendre rapidement. Ce tourisme est tout de même anxiogène en période de crise et comme nous allons vivre encore longtemps avec le Covid-19, je ne suis pas très optimiste. Par contre, sur le volet environnemental, il me semble qu'il y a un point très important, qui serait intéressant de mettre en avant dans le rapport : si le trafic maritime international baisse durablement, l'offre de transport sera de facto excédentaire. À partir de là, deux solutions sont ouvertes : soit il y a moins de navires à la mer, soit les navires iront moins vite. Or, on sait que la course à la vitesse du transport maritime international est la principale raison de l'explosion des émissions de gaz à effet de serre dans ce secteur. Je me demande donc s'il ne serait pas intéressant d'explorer à l'échelle européenne le fait d'imposer aux bateaux une vitesse plus faible, parce que de toute manière l'offre de transport est très importante et il vaut mieux finalement des bateaux plus lents que des bateaux qui ne tournent pas du tout. Je pense que cela aurait un impact important sur le climat. Je pense aussi aux ports pétroliers et d'énergie fossile, comme celui de Saint-Nazaire, qui vont connaître un effondrement de leur trafic sur les deux prochaines années.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Certains armateurs ont déjà fait ce choix puisque cela fait partie des mesures qui permettent de limiter l'impact environnemental. Une entreprise, comme CMA-CGM, a réduit ses vitesses de 20 % sur certains trajets. D'autres armateurs ont aussi adopté cette mesure. En revanche, il est nécessaire d'avoir une approche coordonnée à l'échelle européenne et dans le cadre de l'Organisation maritime internationale (OMI) mais c'est une piste de réflexion intéressante pour la décarbonation de l'activité maritime et elle fait l'objet de discussions régulières.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Je pense que nous sommes dans une situation où nous serons obligés de « taper du poing sur la table » vis-à-vis des Chinois, qui sont en partie responsables de cette situation. Il faut donc imposer aux armateurs chinois de respecter des vitesses plus faibles. Cette obligation est contrôlable : il suffit de regarder la géolocalisation des navires. En cas de non-respect, il faudra interdire l'accès aux ports européens. Je pense que nous devons mettre en oeuvre rapidement ce type de bonnes pratiques et les imposer de manière stricte à tous les armateurs, notamment chinois.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Vaspart

Je me permets d'apporter un complément sur ce point. Je n'ai pas voulu trop insister tout à l'heure lorsque j'ai parlé de CMA-CGM mais, à l'heure actuelle, les Chinois sont présents partout sur la planète, comme j'ai pu le constater lors de notre déplacement en Nouvelle-Calédonie ou encore quand je me suis rendu en Polynésie Française à l'occasion de notre réflexion sur la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM). Ils détiennent une grande partie des matières premières mondiales que ce soit en Afrique ou ailleurs. On a découvert en Polynésie dans notre ZEE, près des îles, des filets dérivants de 3 ou 4 kilomètres appartenant à des bateaux chinois qui pillent notre ressource halieutique sans que personne ne dise mot. Dans le cadre de notre mission d'information sur les ports, nous avons également constaté que les Chinois sont fortement présents dans le domaine maritime : ils ont racheté le port du Pirée, ils sont excessivement présents sur le port de Trieste et sur le port de Gênes et se mobilisent véritablement pour que la route de la soie arrive en Europe. Sur ce sujet, nous ne pouvons pas être naïfs car ces routes fonctionneront dans un quasi-sens unique. Il est donc grand temps que l'Europe et la France se rendent compte et qu'on ne laisse plus faire : c'est un problème de souveraineté nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Je rebondis sur ce qui a été dit au sujet des bouteilles en plastique et des emballages à usage unique. Effectivement, je constate, dans ma thématique « économie circulaire », qu'il y a en ce moment une vraie pression qui commence à monter pour que l'on détende un certain nombre de dispositifs que nous avions votés au Sénat. Je rejoins aussi ce qui a été dit sur le volet environnemental, donc effectivement soyons assez vigilants.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Il y a d'ailleurs eu des articles dans la presse qui soulignent un réel mouvement d'influence de la part de certains milieux pour demander l'assouplissement de ces règles. Nous devons rester extrêmement vigilants sur ces points.

Je remercie Michel Vaspart pour la qualité de son travail et son engagement sur ces sujets, qui donne beaucoup de force à son travail. C'est très précieux pour notre commission, ainsi que pour le Sénat. Et je remercie également Martine Filleul. Le secteur maritime a besoin de soutien et la situation actuelle nous interroge sur la capacité réelle de la France à utiliser ses atouts.

Comme indiqué, un courrier va être adressé au ministre, suivi d'un « quatre pages » pour donner un écho à ce travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Avant l'audition de Sébastien Soriano à 10 heures, je profite de ce temps pour faire un point sur la dernière réunion du bureau, lundi 20 avril. Je vous rappelle que cet après-midi nous entendrons les dirigeants d'Air France-KLM, et la semaine prochaine (mardi après-midi) le président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). De plus, nous venons de programmer l'audition de la secrétaire d'État Brune Poirson mercredi matin prochain. Cette réunion, que nous avons évoquée en réunion de bureau, nous paraît utile pour que l'on puisse évoquer avec elle la question des déchetteries, qui pose de nombreux problèmes dans le pays, et également ce que nous avons encore dit ce matin sur un éventuel assouplissement des règles sur lequel il faut être vigilant.

Pour la semaine suivante, le 5 mai nous entendrons Valérie Pécresse, en tant que présidente d'Île-de-France Mobilités, et le 6 mai Catherine Guillouard, présidente de la RATP. Nous entamerons ensuite un cycle d'auditions sur la thématique de « l'après-crise ».

Le bureau de la commission a acté la tenue de communications, chaque semaine à partir d'aujourd'hui, de nos collègues référents sur les secteurs relevant de la compétence de la commission : la semaine prochaine, Nicole Bonnefoy sur le transport aérien et le 6 mai Didier Mandelli sur les transports collectifs, ferroviaires et fluviaux. Le bureau a également proposé la désignation de de nouveaux référents : Guillaume Chevrollier sur les problèmes liés à l'eau et à la biodiversité, et Frédéric Marchand et Nelly Tocqueville sur l'alimentation durable, en lien avec les enjeux écologiques et d'aménagement du territoire. Voilà quelques éléments nouveaux que je souhaitais porter à votre connaissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous auditionnons aujourd'hui M. Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep), que nous connaissons bien et qui est déjà venu à plusieurs reprises devant nous. Le Sénat, et particulièrement notre commission, sont particulièrement vigilants sur l'aménagement numérique du territoire. Vous ne serez donc pas étonné, Monsieur le Président, que, dès le début de la crise que nous traversons, nous ayons mis en place un groupe de suivi des questions relatives à l'aménagement numérique du territoire, dont les référents sont MM. Patrick Chaize, Jean-Michel Houllegatte et Guillaume Chevrollier.

L'augmentation des usages numériques avec la crise a suscité des craintes quant à la résistance des réseaux. Jusqu'à présent, ceux-ci ont tenu ; vous nous expliquerez ce qui a été fait pour éviter la catastrophe et vous nous direz si nous pouvons être rassurés aujourd'hui. Cette crise a été très révélatrice des forces et des faiblesses de notre société numérique : le télétravail, qui a atteint un record, a permis de maintenir une partie de l'activité économique et de l'enseignement, mais les inégalités territoriales très fortes ont été mises en évidence. Plus de la moitié du territoire n'est pas couvert par une connexion fixe à très haut débit et il existe encore en matière de mobile plusieurs milliers de zones blanches. On mesure à quel point il est nécessaire d'atteindre les objectifs fixés par les programmes de déploiement et, à ce titre, il paraît incroyable que le Gouvernement n'ait pas accepté de consacrer 300 millions d'euros de plus au plan France Très Haut Débit eu égard à l'importance des investissements nécessaires, ainsi que le proposait, notamment, M. Patrick Chaize lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020.

La crise sanitaire va sans doute engendrer des retards dans la mise en oeuvre du New Deal mobile : la mise en service des pylônes du dispositif de couverture ciblée pourrait ainsi être décalée. Des retards pourraient également survenir dans la mise en oeuvre du plan France très haut débit, notamment dans la couverture des zones d'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII). Certains retards étaient prévisibles et il ne faudrait pas que les opérateurs profitent de la crise pour faire entériner des décalages qui auraient eu lieu de toute façon.

Nous sommes très attachés au rôle de l'Arcep et à son pouvoir de contrôle et de sanction, vous pouvez compter sur notre soutien.

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

C'est toujours un plaisir de venir devant vous. Nous sommes attentifs aux orientations du Parlement, notamment à celles qui sont exprimées par cette commission, car nous sommes à l'écoute des priorités de la Nation.

En effet, les réseaux tiennent et on constate à quel point on a besoin d'eux. La première réaction des pouvoirs publics a été de s'assurer de la capacité des opérateurs à les entretenir par des interventions physiques, avec la mise en place de plans de continuation d'activité (PCA) axés sur cette priorité. Le risque de congestion était alors seulement potentiel et nous avons anticipé durant le week-end précédant le confinement les conséquences d'une explosion du télétravail, de l'école en ligne et des usages ludiques. Le déploiement a été traité par le Gouvernement par le biais des ordonnances, permettant une fluidification des interventions.

L'Arcep a agi plutôt sur la congestion, en maintenant un dialogue permanent afin de ne pas laisser les opérateurs seuls. Ainsi le redimensionnement de certaines interconnexions téléphoniques insuffisantes a été opéré, et les grands utilisateurs, les OTT - Over The Top - ont pris leurs responsabilités, à l'invitation de la Commission européenne et du Gouvernement. Sur ce dernier point, nous ne disposons pas aujourd'hui de bilan qui nous permette de rendre compte de l'efficacité des mesures qu'ils ont prises. Nous avons obtenu une réduction de 25 % du débit de certains OTT comme Netflix via des changements de formats dans les réseaux, mais nous n'avons pas constaté pour autant de baisse significative en volume. Par ailleurs, certains usages, les téléchargements en particulier, échappent aux pics de consommation et ne sont pas inclus dans le dialogue entre OTT et opérateurs.

Un effort a donc bien été fait, mais je ne peux dire aujourd'hui s'il a été efficace ; nous devrons l'étudier sur un plus long terme. D'autres mesures auraient peut-être pu être prises pour renforcer le dialogue. Ainsi, le report du démarrage de Disney + de deux semaines n'a, semble-t-il, pas permis un changement d'architecture technique chez les opérateurs, qui craignaient que les flux n'empruntent des chemins difficiles à optimiser. Une analyse ex post est donc nécessaire pour apprécier la proportionnalité de cette mesure, mais, face à la crise, il fallait prendre des décisions en urgence, à partir de ce que nous savions.

Il est également difficile de mesurer l'effet de la responsabilisation du grand public. Plusieurs messages ont été diffusés à son intention, afin de consolider les réseaux mobiles 4G. Aujourd'hui, la fragilité se trouve au niveau de la boucle locale, dans le dernier kilomètre : les réseaux fixes sont solides parce qu'ils sont spécifiques à chaque individu, alors que les réseaux mobiles sont partagés. Ainsi, beaucoup de sollicitations sur la même cellule risquent de ralentir le réseau.

Comment accompagner les opérateurs ? Faut-il augmenter les fréquences, les réorganiser pour mieux optimiser leur utilisation, voire éteindre certaines technologies, comme la 3G ? Il faudra sans doute aussi mutualiser davantage le réseau 2G, par exemple. Ensuite, il faut améliorer la collecte. Sur ce point, nous avons longtemps fait confiance aux opérateurs, nous avons accru la pression avec le New Deal mobile, et, pour le contrôle des obligations qui en découlent, nous devrons être exigeants, car les augmentations de trafic restent fortes et le dimensionnement du réseau doit suivre.

Sur l'importance du numérique et les inégalités territoriales, votre commission nous alerte régulièrement, et j'en ai fait la priorité de mon mandat. Avant la crise, l'investissement du secteur des télécoms était passé de 7 milliards d'euros au début des années 2010 à 10 milliards d'euros par an en 2018 et les chiffres de 2019, que nous rendrons publics fin mai, seront conformes à cet ordre de grandeur. Le marché se déployait et la mobilisation était forte sur la fibre, avec un record de 4,9 millions de lignes optiques déployées l'année dernière. En ce qui concerne le mobile, le déploiement massif de la 4G s'est généralisé : 95 % des sites existants, en dehors de ceux relevant des dispositifs propres aux zones blanches, ont basculé en 4G. J'ai, bien sûr, à l'esprit les 5 % restants et les zones non couvertes.

Notre stratégie, consistant à nous appuyer sur un marché fort qui investit beaucoup, a fonctionné. Des dispositifs publics doivent maintenant faire en sorte que le marché satisfasse des objectifs d'intérêt général, c'est le sens du New Deal mobile. Il faut également une mobilisation forte sur tout ce qui ne peut être servi par le marché, c'est la logique des réseaux d'initiative publique (RIP).

Cette dynamique peut-elle se poursuivre ? Je vais être un peu solennel : les pouvoirs publics ont fait le choix de s'appuyer fortement sur le marché pour déployer les réseaux ; le marché doit être responsable à l'égard de ce choix, que je continue à considérer comme pertinent, car il s'appuie sur une alchimie vertueuse entre public et privé permettant de pousser les forces du marché vers l'intérêt général. Aujourd'hui, les opérateurs s'en sortent plutôt plus confortablement que le reste de l'économie, malgré des difficultés opérationnelles : ils fonctionnent par abonnement et la crise limite les changements d'opérateur. Nous attendons donc d'eux qu'ils soient au rendez-vous de leurs responsabilités. Nous saluons les nombreuses initiatives qui ont été prises, les avances de trésorerie concédées aux PME sous-traitantes, les fonds de soutien créés, mais j'attends, notamment des quatre grands acteurs du secteur, qu'ils soutiennent, s'il le faut à bras-le-corps, le tissu de PME de la filière. Il faut éviter que la reprise ne soit ralentie parce qu'on aurait laissé se démanteler ce tissu que nous avons construit tous ensemble. Je les appelle à aller très loin dans leur soutien à cet écosystème, parce que l'après va être très exigeant sur la connectivité. Les réseaux sont essentiels, nous sommes tous impressionnés par la mobilisation des agents de terrain, mais tous, également, émus par les chiffres inquiétants de ceux qui ne sont pas connectés. Nous constatons combien, en situation de confinement, l'absence de connexion est un facteur d'exclusion massif. Les opérateurs doivent donc jouer pleinement leur rôle et permettre une reprise très rapide des déploiements.

Entre 1997 et 2020, nous avons construit un modèle gagnant dans lequel le marché a pu répondre aux objectifs d'aménagement du territoire et je ne suis pas favorable à la remise en place de monopoles publics pour créer des réseaux, mais il faut que les grands acteurs se montrent très responsables. L'Arcep est chargée du contrôle du respect de leurs engagements en matière de déploiement et elle sera très exigeante. Nous tiendrons, certes, compte des contraintes, mais les engagements des opérateurs ont une valeur juridique : nous nous assurerons que les retards soient proportionnés et justifiés et nous imposerons, le cas échéant, un nouveau calendrier portant des mises en demeure. Sur le mobile, nous aurons un premier rendez-vous au mois de juillet, quand devront être mis en service les premiers sites du dispositif de couverture ciblée du New Deal mobile. Sur le fixe, avec M. Julien Denormandie, Ministre auprès de la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, chargé de la Ville et du Logement, l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et les opérateurs de la zone AMII, nous devrons nous mettre autour de la table pour fixer des calendriers, sans doute à la rentrée.

Je suis très sensible à vos propos sur l'Arcep, Monsieur le Président, les réseaux sont un bien commun qui a besoin d'une autorité présente pour garantir que les forces qui concourent à son fonctionnement aillent dans le sens de l'intérêt général. Nous ne sommes toutefois pas naïfs : ce secteur porte de grands enjeux économiques et politiques. La gouvernance de la régulation doit donc garantir notre capacité à jouer notre rôle. Cela se joue sur deux plans. Le premier est notre pouvoir de sanction ; M. Chaize a déposé une proposition de loi pour le mettre à jour, nous accueillons positivement l'idée d'une consolidation et nous sommes à la disposition du Sénat pour en discuter. Le second est notre gouvernance ; nous y tenons jalousement, parce que toute modification nous fragiliserait. À ce titre, dans le cadre du projet de loi sur l'audiovisuel, nous sommes fermement opposés à l'idée de changer la composition du collège de l'Arcep avec l'introduction d'une personnalité désignée par la future autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) qui succèdera au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Nous collaborons avec le CSA, mais modifier la gouvernance de l'Arcep ne nous semble pas souhaitable, car cela nous fragiliserait.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Nous avons noté votre appel solennel à la responsabilité des opérateurs et nous sommes en phase avec ce propos. Nous avons également noté avec satisfaction votre volonté d'assurer un suivi très rigoureux des engagements des opérateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Je me félicite de la résilience de nos réseaux, grâce auxquels le numérique garantit en cette période de crise la continuité économique et l'enseignement. Il permet aussi, plus fondamentalement encore, que confinement ne rime pas avec isolement, en nous permettant de rester en contact avec nos proches. Il me semblerait donc cohérent que le statut de secteur essentiel soit enfin accordé officiellement aux réseaux de communication électronique. L'Arcep partage-t-elle cette position ?

Nous saluons la reprise des déploiements de réseaux, mais les conditions de travail demeurent dégradées, ce qui entraîne une hausse du coût des prises, y compris sur les RIP. Comment nous assurer que cette hausse soit strictement limitée à cette période ? N'est-ce pas l'occasion de réviser certains RIP anciens dont les conditions financières sont souvent moins favorables pour les collectivités ? Les petites entreprises de travaux publics sont bien plus impactées par la crise que les opérateurs, lesquels pourraient même en bénéficier. Ces derniers s'appuient sur un réseau résilient, bâti par l'ensemble de l'écosystème ; il serait donc cohérent qu'ils soutiennent les entreprises qui le composent. Comment pouvons-nous nous en assurer autrement que par l'expression d'un voeu ?

La Direction interministérielle du numérique (Dinum) a déployé une plateforme permettant aux opérateurs de faire remonter les difficultés qu'ils rencontrent localement dans la conduite des travaux. L'ANCT fera le lien avec les collectivités territoriales, mais je regrette que ces dernières ne puissent elles-mêmes utiliser cette plateforme pour leurs propres remontées.

Les programmes de déploiement ont probablement pris plusieurs semaines, voire plusieurs mois de retard. La seule solution envisageable, à mon sens, serait de geler la période de mars à juin et de reporter les échéances des programmes de déploiement, si nécessaire. L'Arcep accorde-t-elle son soutien public à cette proposition ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

S'agissant du statut de service essentiel accordé aux réseaux, je n'en maîtrise par les implications juridiques. C'est une bonne idée, sur un plan conceptuel ; d'ailleurs le service universel existe déjà et prévoit que certaines prestations soient accessibles à tous, analysons-en les conséquences, notamment en matière de résilience des réseaux. Historiquement, nous avions un grand opérateur public dans les réseaux fixes, aujourd'hui il existe plusieurs opérateurs privés et un réseau de collectivités locales intervenantes, dont les réseaux publics passent par des partenaires privés avec des modèles différents. Il s'agit donc d'une myriade de boucles locales. Comment peut-on suivre la résilience de cette infrastructure à long terme ? L'Arcep s'est engagée dans un processus lourd d'analyse des marchés qui nous a conduits à réviser à la fois la régulation d'Orange et celle de la fibre. S'agissant de ce dernier chantier, notre calendrier est maintenu, avec une ébauche à l'été et une adoption en fin d'année. Nous prévoyons de considérer que la boucle optique doit devenir le réseau de référence et prendre ainsi le relais du réseau en cuivre. Cela passe par l'imposition de certaines fonctionnalités et un suivi de la qualité des réseaux. Il faudra sans doute, par ailleurs, harmoniser les plans de continuation de service et réfléchir à des mutualisations de moyens entre acteurs. Cette réflexion pourrait être portée par le comité de filière de la fibre.

En ce qui concerne les difficultés de déploiement, nous avons voulu garder le lien avec les RIP et les territoires en organisant un chat. Les remontées nous indiquent que les RIP sont des réseaux comme les autres, malgré des montages différents, qui rencontrent les mêmes difficultés que les autres. Les acteurs privés qui en sont partenaires ne sont pas en insécurité, car ils bénéficient de contrats de très long terme, nous comptons donc sur leur responsabilité. En tout état de cause, l'Arcep est à l'écoute des difficultés, qu'il faudra analyser au cas par cas.

Vous me demandez comment transformer les voeux en obligation. Cela ne me semble pas nécessaire, car nous disposons d'un cadre juridique permettant d'exiger des opérateurs qu'ils respectent leurs calendriers initiaux, lesquels sont juridiquement contraignants. Il leur revient de se justifier, s'ils ne satisfaisaient pas à ces obligations, et de nous démontrer qu'ils ont pris les mesures nécessaires. Les termes de cette discussion sont donc à notre avantage et il n'est pas nécessaire de rendre juridiquement contraignants de nouveaux engagements, car, dans ce rapport de force, nous n'en avons pas besoin.

La plateforme de signalement que vous évoquez est le fait du Gouvernement, je ne ferai donc pas de commentaires. Les pouvoirs publics sont à l'écoute des collectivités locales et si vous n'êtes pas entendus, n'hésitez pas à passer par l'Arcep. La mobilisation de l'ANCT est totale sur ce dossier et je suis certain qu'il y a une bonne raison que cette plateforme fonctionne ainsi.

Sur l'appréciation du retard qui sera pris, j'entends la proposition d'acter qu'il ne pourra pas dépasser trois mois. Il n'est toutefois pas certain qu'un tel délai soit pertinent pour toutes les obligations ; le New Deal mobile, notamment, prévoyait des échéances en juin et nous avons averti très tôt les opérateurs que nous serions très attentifs au respect de cette date, eu égard au caractère symbolique de ce programme. A priori, le premier arrêté du 27 juin ne fera pas preuve de mansuétude, je ne pars pas du principe que les opérateurs disposeront de trois mois de plus pour remplir leurs obligations. Le New Deal mobile est une opération exceptionnelle, qui prévoit la reconduite de fréquences sans augmentation de redevances en échange d'engagements juridiquement contraignants des opérateurs. Nous serons, certes, à leur écoute, mais le monde n'a pas commencé au mois de mars et je n'entends pas leur concéder un chèque en blanc de trois mois.

Inversement, ce délai pourrait ne pas être suffisant. Il est trop tôt pour évaluer la vitesse de reprise sur le terrain et je ne saurais apprécier aujourd'hui la durée de ce décalage, d'autant que nous ignorons les conditions précises du déconfinement, la possibilité d'éventuelles rechutes, etc. Une telle décision est donc prématurée. Je vous rejoins sur un point : nous n'accepterons pas n'importe quel motif de retard au prétexte de la crise. L'Arcep est un régulateur « business friendly », il ne s'agit pas de devenir un garde-chiourme - pour autant, nous ne sommes pas naïfs. Je ne souhaite donc pas m'enfermer dans un cadre strict de trois mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Michel Houllegatte

Cette crise démontre que le numérique peut être un vecteur de résilience, jusque dans la lutte contre l'épidémie. Reste la question de son empreinte environnementale : notre mission d'information à ce sujet a mis en évidence le concept de sobriété numérique, qui est d'actualité aujourd'hui, au moins en matière de partage de la bande passante. Au-delà de la responsabilisation des grands fournisseurs de contenus et du public, ne faut-il pas inventer de nouvelles formes de régulation des contenus et des volumes de données, quitte à envisager des dérogations proportionnées au principe de neutralité du net ?

Par ailleurs, avez-vous été consulté sur le déploiement de l'application StopCovid et avez-vous un avis sur ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

En matière de sobriété numérique, nous sommes en train de faire notre révolution : intégrer la question environnementale n'était pas intuitif pour nous. Après le Grenelle de l'environnement, la loi nous a confié un objectif général de sobriété, mais sans nous donner d'instrument concret. Nous menions donc sur le sujet un travail de veille peu actif. Nous voyons aujourd'hui monter cette question, y compris dans le cadre de l'arrivée de la 5G. Elle doit être une préoccupation forte pour nous, dans la continuation de notre manifeste Les réseaux comme bien commun et nous devons donc nous armer sur ce sujet. Ma culture d'ingénieur me dicte de disposer d'informations avant d'agir ; aujourd'hui, celles-ci sont parcellaires et insuffisantes, avec beaucoup d'agrégats généraux, alors qu'il nous faut une connaissance très fine. Des ordres de grandeur ont été dégagés : 50 % de l'impact environnemental est le fait des terminaux, 25 % des OTT et des serveurs et 25 % des réseaux de télécoms. Parce que nous avons besoin d'une connaissance plus précise de cette dernière brique, nous avons modifié notre collecte d'information annuelle, de manière à demander la consommation par opérateur à l'intérieur de chaque couche de réseau et, ainsi, de dialoguer avec les opérateurs pour comprendre où se trouvent les marges de manoeuvre. Certes, les individus sont responsables, mais, selon moi, la première responsabilité repose sur les grandes entreprises. Certaines d'entre elles sont très engagées, il faudra engranger leurs initiatives sans nécessairement adopter une logique coercitive. Nous en sommes aujourd'hui à la construction de la connaissance, nous ne ferons donc pas de préconisations à ce stade. Nous verrons si nous pouvons collecter des bonnes pratiques afin de les généraliser, notamment dans le mobile, en matière d'utilisation des bandes de fréquence. Pour l'instant, je ne souhaite pas entrer dans une logique régulatoire.

La question des usages est une question de société qui nous dépasse. Notre mission est de permettre aux Français de communiquer le plus librement possible. De ce point de vue, les forfaits illimités sont un must. Nous recherchons un développement des usages neutre, car la société en est dépendante. La sobriété numérique ne doit donc pas être synonyme de restriction de ces usages, ce qui ne serait pas un bon message dans la société de la connaissance.

En revanche, il faut d'abord imposer la sobriété numérique aux entreprises, et il y a, de ce point de vue, beaucoup à faire au niveau des OTT et des terminaux. L'Arcep milite donc pour une extension de la régulation des télécoms aux terminaux, car, à défaut, 50 % du problème nous échappe, alors même que la question de l'obsolescence programmée montre bien que ceux-ci jouent un rôle très important.

En ce qui concerne les utilisateurs, la société est prête, mais la sobriété doit être décidée par les individus et non par l'État. Nous entendons donc mettre en place une régulation par la data : afin de permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés, nous travaillons sur des outils de comparaison et d'information sur la consommation énergétique des usages. Un article de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire contraint les opérateurs à apposer la consommation énergétique sur la facture, mais il nous semble plus efficace de passer par un tiers certifiant les informations, ainsi que de mettre ces informations à disposition de l'utilisateur dans les OS des terminaux eux-mêmes. Des outils qui rendent ce service existent d'ailleurs déjà, comme Mobile Carbonaliser. Pour que la sobriété de l'utilisateur puisse être placée entre ses propres mains, celui-ci doit disposer des informations nécessaires et l'Arcep a déjà produit ce type d'informations avec les cartes de couverture des réseaux mobiles et de connexion internet, démontrant que la régulation par la data fonctionnait. Cela nous semble être la bonne réponse. Nous ne militons donc pas pour réviser la neutralité du net, qui nous semble rester un principe essentiel de la gouvernance des réseaux. Le remettre en cause serait aller à contresens de l'histoire.

S'agissant de StopCovid, l'Arcep n'a pas été saisie officiellement par le Gouvernement parce que les questions posées relèvent du respect de la vie privée, qui est du ressort de la CNIL. L'Arcep s'intéresse, certes, à la protection de la vie privée par les opérateurs, mais StopCovid ne passera pas par eux. Néanmoins, nous sommes en contact avec le Conseil national du numérique, qui a été saisi par le Gouvernement, et nous participons au débat sur la confrontation entre le Gouvernement et Apple à propos de la nouvelle API que cette entreprise prévoit de se réserver. Cette confrontation s'inscrit dans une réflexion sur la neutralité des OS. Aujourd'hui, ceux-ci dictent leur loi, ce qui pose problème et porte atteinte à la liberté des utilisateurs comme à la souveraineté des États. Nous proposons donc la mise en place d'un arbitre qui puisse questionner les OS, déterminer si les restrictions mises en place sont légitimes et forcer l'ouverture de certaines fonctionnalités, le cas échéant. Nous retrouvons un peu la philosophie de la neutralité du net : ce sont les utilisateurs qui doivent décider de ce qu'ils peuvent utiliser, et non un organe central, public ou privé, érigé en juge des usages.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

De nombreuses personnes sont toujours non connectées - 13 millions de Français seraient dans ce cas - et je salue le soutien que leur apportent les élus locaux en cette période difficile.

Vous nous avez annoncé le 2 avril dernier que les enchères pour l'attribution des fréquences de 5G, prévues en avril pour un déploiement du réseau en juillet, seraient reportées de quelques semaines. Avez-vous des précisions sur ce calendrier ? D'une manière surprenante, certaines « fausses nouvelles » ont lié la 5G au Covid-19, et plusieurs antennes ont fait l'objet de dégradations, notamment au Royaume-Uni. En l'absence de travaux scientifiques prouvant son innocuité, l'acceptabilité sociale de la 5G ne semble pas garantie. Il importe donc que les travaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur ce point soient menés à leur terme en 2021, tel que le prévoit son rapport préliminaire paru il y a quelques semaines. Quelle part l'Arcep prend-elle dans ces travaux ? Dans le déploiement de la 5G, le recours à l'opérateur chinois Huawei n'est pas sans risques du point de vue de la souveraineté nationale. Après le coronavirus, nous pourrions voir surgir un virus informatique... Or nous devons préserver la confiance des usagers en notre réseau. Huawei est peut-être technologiquement plus avancé et moins cher que d'autres opérateurs, mais il importe de conserver la maîtrise de nos réseaux pour faire face aux menaces à venir.

En zones rurales, il y a parfois des problèmes de débit. L'Arcep ne peut-elle suspendre les flux correspondant à certains sites pour adultes, afin de libérer de la bande passante pour les sites éducatifs qu'utilisent les enfants ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

En effet, nous avons décalé les enchères pour l'attribution des fréquences 5G. Nous envisageons de les tenir soit fin juillet, soit en septembre. Cela dépendra de la vitesse de sortie de confinement.

Vous évoquez les informations étranges qui ont circulé sur la 5G. Certes, nous savons bien qu'elle n'a aucun rapport avec le coronavirus. Mais la 5G est prise comme un totem, contre lequel s'exprime une agressivité que nous devons entendre, car elle révèle une angoisse à l'égard de la technologie. Celle-ci, de plus en plus, est ressentie par nos concitoyens comme quelque chose qui les agresse, qu'ils subissent. L'âge de l'émerveillement technologique, du technosolutionisme, du progrès social accompagné par la technologie, arrive à son terme. Il faut entendre ce message sur la perception de la technologie, et créer les conditions pour que celle-ci se développe comme un bien commun.

C'est pourquoi l'Arcep a fait le choix d'un dialogue le plus ouvert possible. Nous organisons des ateliers de concertation, notamment, sur les réseaux du futur, qui doivent servir l'intérêt des Français, qu'il s'agisse de questions environnementales, du respect de la vie privée, ou de la lutte contre l'addiction - et, bien sûr, de la préservation de notre souveraineté par rapport à l'équipementier chinois que vous évoquiez. Il faut délibérer de toutes ces questions. Les pouvoirs publics ne doivent pas être simplement des passe-plats du marché, et ils doivent le faire savoir. Le cas échéant, nous ne devons pas hésiter à poser des conditions. Il y a un vrai besoin d'appropriation par nos concitoyens des choix technologiques.

Pour autant, nous n'allons pas laisser se diffuser des informations fausses, et l'Agence nationale des fréquences (ANFR) fait à cet égard un travail remarquable de pédagogie sur la mesure des expositions. L'Arcep joue aussi son rôle. Mais nous devons entendre le questionnement citoyen sur la technologie. Une partie de la réponse passera par la régulation, garante d'une harmonie entre l'initiative privée et l'intérêt général.

Concernant Huawei, ce n'est pas à l'Arcep de décider, mais nous veillerons à ce que les opérateurs soient bien en situation de maîtrise de leur réseau, car ceux-ci deviendront de plus en plus logiciels, avec un recours accru à l'algorithmique. C'est d'ailleurs dans leur intérêt.

Vous évoquez les sites pour adultes. Cela soulève la question de la protection de nos enfants contre les contenus pornographiques. MM. Taquet et O ont lancé un chantier sur ce sujet, qui sera animé par l'Arcep et le CSA, et devrait aboutir à la généralisation des filtres parentaux, qui devraient être installés quasiment par défaut sur les portables acquis par les adolescents. Avec la crise, nous avons ouvert un protocole spécifique pour les opérateurs, qui peuvent nous signaler toute alerte sur tel usage des réseaux dont le volume rendrait nécessaire un bridage. La neutralité du net interdit, en principe, le bridage, mais des adaptations sont possibles en cas de congestion. Pour l'instant, nous n'avons reçu aucune demande d'aucun des quatre grands opérateurs. La question du bridage n'est donc pas à l'ordre du jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fouché

Dans les infrastructures, et notamment pour leur maintenance, les investissements et innovations se feront-ils dès la sortie de crise ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Jacquin

La crise montre à quel point nous sommes dépendants du numérique. Les entreprises de télécommunication s'en sortent très bien, d'ailleurs, et vous faites appel à leur responsabilité - tout comme mes collègues qui, hier soir dans l'hémicycle, appelaient les assureurs à une « contribution volontaire ». Le législateur que nous sommes devrait leur demander d'accélérer nettement le développement du réseau et la réduction de la fracture numérique, par exemple en intensifiant la mise à disposition de matériel et d'abonnements pour les publics les plus fragiles. Les entreprises sous-traitantes, qui sont sur le terrain, ne se portent pas aussi bien que leurs donneurs d'ordre : un tiers seulement des chantiers se poursuivent. Les quatre opérateurs doivent faire en sorte que ce tissu d'entreprises ne périsse pas, car nous en sommes là. Or le journal Le Monde indiquait le 6 avril dernier que certains d'entre eux avaient recours au chômage partiel...

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

On assiste à un développement, dans l'urgence, des forfaits mobiles offerts par les opérateurs, pour donner une meilleure connexion à internet pendant le confinement. L'État, avec le plan « Cohésion numérique des Territoires », soutient à hauteur de 150 euros l'acquisition d'équipements de réception d'internet par les foyers qui ne seront pas raccordés à la fibre optique en 2020, pour une enveloppe globale de 100 millions d'euros. Ne pourrait-on financer aussi par cette enveloppe une sorte de forfait mobile de première nécessité pour les habitants des zones blanches ? L'Arcep du Bénin a interdit la résiliation des cartes SIM et abonnements, à l'image de la prolongation de la trêve hivernale. En ce moment, l'accès au numérique est une nécessité. La France ne peut-elle faire de même ?

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

Notre objectif est de débloquer les investissements et les innovations au plus vite après la fin du confinement, monsieur Fouché. Tout dépendra aussi de la réactivité du tissu des sous-traitants. Vous avez raison, monsieur Jacquin, nous pouvons demander des efforts aux opérateurs ; certains y sont prêts, et les ont anticipés. Tous n'ont pas recouru au chômage partiel de la même manière.

Pour réduire la fracture numérique, le législateur pourrait mener une réflexion sur le sens et la portée du service universel social, prévu par la loi, mais limité au tarif social de l'abonnement téléphonique. L'une des difficultés est que la population concernée n'est pas toujours dans une situation administrative identique au reste de la population. Il existe déjà en France des abonnements très peu onéreux - les deuxièmes moins chers au sein de l'OCDE -, avec des quantités de données généreuses. Le marché fait donc déjà une part du travail. Il reste sans doute un maillon à trouver pour combler le fossé entre ces populations et ces forfaits peu chers, et ce n'est peut-être pas aux opérateurs de le faire. Beaucoup d'enseignants ont indiqué avoir perdu un tiers de leurs élèves, sans doute parce que ceux-ci ne parviennent pas à se connecter. En 2018, un code européen des télécoms a été adopté, dont le Gouvernement prévoit de transposer certaines dispositions relatives à cette question.

Quant aux zones blanches, elles sont, par définition, dépourvues de réseau, ce qui fait que l'on ne sait pas apporter de solution rapide : d'où les 150 euros qu'évoque Mme Assassi pour acquérir un équipement satellite. Il y a peut-être une problématique sociale combinée à cette fracture territoriale, en effet. Faut-il interdire les coupures ? C'est un véritable enjeu, avec des foyers qui ont du mal même à se nourrir en cette période difficile. Les opérateurs sont très sensibles à ce sujet et ont un dialogue nourri avec le Gouvernement ; ils font de nombreux gestes commerciaux pour reconduire certains abonnements et augmenter la taille des forfaits. On ne m'a pas signalé de cas de coupure, pour l'instant.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

L'une des missions de l'Arcep est de veiller à la protection des consommateurs, et de s'assurer de la neutralité des usages. Que pensez-vous de l'application de traçage développée par le Gouvernement, via l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), et des risques qu'elle comporte en termes de sécurité et de protection de la vie privée ? Orange envisage de développer une application similaire. Nous devrons nous prononcer bientôt sur ces projets. L'Arcep n'a pas à le faire à ce stade, mais quelle serait sa position ? Quelles précautions faut-il prendre ? Nous savons que 23 % des Français n'ont pas de smartphone, et le réseau n'est pas égal partout...

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Gold

Pourquoi écartez-vous l'idée d'un opérateur public ? Cela pourrait garantir un meilleur équilibre territorial, notamment dans un après-crise où l'État doit reprendre la main sur les domaines stratégiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Filleul

Je souhaitais aussi évoquer les inégalités. Vous dites que les investissements seront au rendez-vous, et que les opérations reprendront rapidement. Pourtant, en tant qu'élue, je ressens autour de moi l'attente, la colère et le sentiment profond d'injustice sur la couverture des territoires ruraux. Il faut aboutir d'urgence à une couverture égale de tout le pays, et traiter la question des 13 millions d'exclus. Vous avez évoqué une extension du service universel, mais il existe des mécanismes sociaux et économiques qui feront que ces 13 millions de personnes se sentiront de plus en plus exclues. Qu'en dites-vous ? Il se dit que la 5G ne répond qu'à certains usages bien précis, et qu'elle génère 30 % de consommation d'énergie supplémentaire. Ne faudrait-il pas revoir nos priorités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

En milieu rural, le réseau 4G est fragile, comme la crise du Covid-19 le révèle bien. L'accessibilité du numérique dépend aussi du taux d'équipement en smartphones, ainsi que de l'appropriation d'applications encore assez complexes. Cela nous renvoie à la qualité de la médiation numérique, et à la capacité des territoires à développer des accès de première nécessité. Il serait judicieux de conditionner le déploiement de la 5G à l'achèvement de celui de la 4G !

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

À propos de l'application StopCovid, nous n'avons été informés de l'initiative d'Orange ni par Orange ni par le Gouvernement. Les Français et les Allemands rassemblent autour de l'Inria et du Fraunhofer Institut un consortium de plus en plus large de pays, pour développer une application. S'il n'entre pas dans les compétences de l'Arcep d'émettre un jugement sur celle-ci, je note qu'il existe un débat sur son opportunité. Il y a aussi des discussions sur le type de protocole qui sera utilisé, sur la nature des informations qui seront échangées entre les smartphones, et sur le rôle de l'entité centrale - s'agira-t-il d'un serveur d'Apple ou de Google, ou de celui d'une autorité publique de santé ? Ce débat ne doit pas être ramené à la dialectique centralisation-décentralisation. Parfois, en décentralisant, on crée des brèches... Et, dans les systèmes d'Apple et de Google, ces deux entreprises restent toujours présentes. La CNIL joue pleinement son rôle et fera respecter le règlement général sur la protection des données (RGPD). Les concepteurs de cette application sont aussi très profondément inscrits dans une logique de protection de la vie privée.

Pour l'Arcep, cette application interroge sur le pouvoir de ce qu'on appelle parfois le « GApple » sur ce qui se passe à l'intérieur des réseaux. Une proposition de loi déposée par Mme Primas, présidente de la commission des affaires économiques, et votée à l'unanimité par le Sénat, vient prendre le relais de la proposition, formulée par l'Arcep il y a deux ans, d'étendre la régulation des télécoms aux OS. Pourquoi réguler les télécoms, en effet ? Parce qu'il s'agit d'une infrastructure essentielle pour la collectivité. Mais on ne peut pas s'y connecter sans un terminal : impossible de mettre son doigt dans une prise optique ! Longtemps, nous avons pensé que le fonctionnement des terminaux garantirait que le jeu soit vraiment ouvert.

De fait, au début, sur les ordinateurs fixes, nous pouvions maîtriser ce que nous faisions : installer des logiciels, changer des équipements, bricoler... Bref, l'ordinateur appartenait à son utilisateur. Nous constatons à présent que les smartphones, qui ont changé nos vies, sont aussi des prisons dorées, car les « GApple » y décident beaucoup de choses à notre place. Nous ne souhaitons pas que l'État prenne ces décisions en lieu et place des « GApple », mais qu'une autorité publique soit en mesure de discuter ces choix, et en particulier les restrictions - par exemple, les applications préinstallées du fait de partenariats commerciaux, qu'on ne peut parfois pas désinstaller. Autre exemple : Apple a réservé la fonctionnalité qui permet de payer sans contact pour Apple Pay, alors que d'autres solutions existent. Pour l'application contre le Covid-19, Google et Apple sont en train de dicter leurs règles.

Il est anormal qu'aucune autorité publique ne soit en situation de discuter leurs choix, c'est-à-dire de les comprendre et d'arbitrer : après tout, les restrictions peuvent avoir des motifs légitimes... Il faut donc un arbitre, comme le prévoit la proposition de loi. Cela nous mettrait en capacité d'avoir un dialogue nourri et, le cas échéant, musclé, avec ces acteurs. Et, au besoin, de lever les restrictions non nécessaires.

Un opérateur public assurerait-il un meilleur équilibre territorial ? Oui, certainement. Mais, à travers les réseaux d'initiative publique, il existe déjà de tels opérateurs. Simplement, je recommande de continuer à s'appuyer sur la force motrice du marché. En France, le secteur des télécoms investit quelque 10 milliards d'euros par an, pour un chiffre d'affaires d'environ 40 milliards d'euros. C'est le taux d'investissement le plus élevé au monde. Habituellement, on observe plutôt 15 ou 20 %. Nous n'hésitons pas à faire pression pour que cet argent soit investi dans l'intérêt des territoires.

Comment répondre dans l'urgence au problème des zones blanches ? C'est justement la vitesse qui est difficile : on touche assez vite des limites. La capacité d'un pays à développer des réseaux n'est pas infinie et, avec 4,9 millions de lignes optiques déployées en 2019, nous avions atteint un niveau déjà très ambitieux. La vitesse, donc, nous l'avons. Reste à ce que les opérateurs se montrent responsables et la retrouvent rapidement après la crise. Changer complètement de modèle casserait ce qui existe et nous ferait perdre beaucoup de temps.

Oui, la 5G consomme 30 % d'énergie en plus, mais de quoi parlons-nous ? Pour l'instant, la 5G n'existe pas en France... Nous invitons donc les associations à travailler avec nous pour éviter que l'impact environnemental des réseaux ne s'accroisse, et pour cantonner la part des télécoms - qui font déjà beaucoup d'efforts en la matière - dans la consommation générale. Ce qui inquiète, ce n'est pas tant la consommation d'énergie du numérique, qui reste plus faible que celle de beaucoup d'autres secteurs, que sa croissance potentielle. La solution n'est pas de tout arrêter, mais de continuer à développer les usages à l'intérieur d'une enveloppe environnementale donnée.

La 5G est-elle utile ? Avant d'apporter l'internet des objets, elle donnera davantage de fréquences, ce qui permettra de mieux affronter l'augmentation du trafic sur les réseaux mobiles. La médiation numérique incombe au Gouvernement, et notamment à M. Cédric O.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

L'autorité capable d'avoir un dialogue avec Google et Apple, que vous avez évoquée à propos de l'application StopCovid, devrait-elle être nationale, européenne, ou internationale ? Dans mon département rural, la crise inquiète, et deux associations de maires dont je suis le porte-parole déplorent le retard déjà pris, qui ne fait qu'accroître la fracture numérique. Pour favoriser l'accès social au numérique, une opération ciblée vers les publics fragiles serait urgente. Vous dites que cela incombe au Gouvernement, mais avez-vous des pistes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

Notre groupe de travail sur la fracture territoriale avait auditionné le vice-président de l'Association des maires ruraux de France, qui nous a fait part de sa volonté de monter au créneau face à l'attribution des fréquences de 5G : il estime que ce n'est pas le moment de prélever de l'argent aux opérateurs, qu'on ferait mieux de les inciter à investir plus fortement dans les territoires ruraux pour en améliorer la couverture 4G. Il ajoutait qu'il importait de mieux informer les élus ruraux de l'état de la couverture de leur territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Beaucoup de maires trouvent presque indécent que l'on parle de 5G quand leur commune est si mal couverte. L'un d'eux me disait récemment qu'il s'estimerait heureux d'avoir au moins 1G !

Debut de section - Permalien
Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep)

Pour réguler les grands acteurs d'internet, l'idéal est de se placer à la plus grande échelle possible. L'échelle internationale paraît peu crédible, au vu de la difficulté qu'on observe, déjà, à les taxer : faire financer les routes et les écoles par l'industrie du vingt-et-unième siècle semble compliqué... C'est l'échelle européenne qu'il faut viser, même si elle comporte aussi des points de vue assez divergents. Lors d'une crise sanitaire, des enjeux de souveraineté nationale se manifestent aussi. La proposition de loi déposée par Mme Primas prévoit une échelle nationale, et cela a été validé par le Conseil d'État. La régulation du numérique ne se fait donc pas forcément au niveau européen, malgré la directive e-commerce, qui prévoit justement des exceptions.

Et il ne faut pas sous-estimer l'importance de la proximité du terrain. La proposition de loi permet, par exemple, à des start-up de saisir le régulateur de déréférencements abusifs. Il faut rester proche du tissu entreprenarial national : on ne traitera pas tous les jours de grands bras de fer entre multinationales. Bref, il faudrait un cadre juridique européen, et des applications par des autorités nationales, regroupées dans des organes de coordination, sur le modèle de l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques, le Berec - Body of European Regulators for Electronic Communications -, qui a permis une mise en oeuvre harmonieuse de la neutralité du net en Europe, dans le cadre du règlement de 2015, alors même que celle-ci posait des questions de fragmentation aussi importantes que la régulation des grands acteurs d'internet. Nous pourrions commencer par mettre en place une régulation nationale, et inviter ensuite nos partenaires européens à s'y joindre.

Sur l'accès social au numérique, les opérateurs ont pris des initiatives. Le plus simple, si l'on bute sur des questions administratives, est de distribuer massivement des cartes SIM dotées d'un forfait de données, même si cela peut compliquer la gestion des réseaux. Je suis conscient du décalage que suscite la 5G dans les ressentis. L'Arcep souhaite que, quelle que soit la technologie, tous les territoires aient accès à la même performance. Or la 5G constitue surtout une solution pour les zones urbaines saturées. En zone rurale, l'objectif est souvent d'amener la 4G. Dans l'attribution des fréquences, nous demandons aux opérateurs un quadruplement du débit obligatoire sur l'ensemble du réseau - en respectant un calendrier. L'Arcep veillera attentivement à ce que tous les territoires soient desservis.