Intervention de Anne Rigail

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 22 avril 2020 à 16h00
Audition de M. Benjamin Smith directeur général du groupe air france-klm mmes anne-marie couderc présidente non exécutive du groupe air france-klm anne rigail directrice générale d'air france et anne-sophie le lay secrétaire générale du groupe air france-klm et d'air france en téléconférence

Anne Rigail, directrice générale d'Air France :

Je tiens tout d'abord à préciser que le groupe Air France a contribué à une importante opération de rapatriement. Alors que l'espace aérien mondial était en train de se fermer à une vitesse assez inédite, les vols d'Air France et de Transavia ont permis de rapatrier depuis mi-mars plus de 270 000 passagers, dont 150 000 ressortissants français et 44 000 ressortissants communautaires.

Ce travail a été mené en coopération avec le centre de crise du quai d'Orsay. C'est un bel exemple de partenariat public-privé dans ce contexte de crise.

Nous avons réussi à rapatrier ces ressortissants depuis 82 pays, avons veillé à plafonner nos tarifs et à mettre en place des prix spécifiques. Nous n'avons réalisé aucun profit sur ces trajets, alors que de nombreux vols se faisaient à vide à l'aller, les pays concernés ne nous ayant pas autorisés à faire débarquer chez eux des ressortissants européens.

Notre personnel de bord est formé aux situations de peur et d'anxiété. Il a eu pour souci constant de protéger nos clients.

Dans la foulée, nous apportons une contribution majeure au pont aérien mis en place avec la Chine pour approvisionner la France en matériel médical. Nous utilisons nos 777 tout cargo et passagers pour le fret en soute et en cabine. Nous avons enregistré cette semaine cinq rotations d'avions tout cargo et trois rotations de 777 passagers. À partir de la semaine prochaine, nous monterons à sept fréquences par semaine pour les 777 passagers.

Ajoutons qu'en dépit des circonstances, nous continuons à relier la France métropolitaine et la France d'outre-mer. Nous sommes aujourd'hui la seule compagnie à maintenir une activité vers Pointe-à-Pitre, Fort-de-France, Cayenne et Saint-Denis de La Réunion pour assurer la continuité territoriale.

Prendre l'avion doit et devra désormais se faire sur la base d'actions garantissant la sécurité sanitaire de nos clients, mais aussi de nos personnels, au sol comme à bord.

Nous avons renforcé le nettoyage des cabines, adapté le service à bord pour réduire au maximum les contacts, et communiqué de manière proactive auprès de nos passagers dans ce domaine. Sur la quasi-totalité de nos vols, nos coefficients de remplissage sont faibles, de l'ordre de 40 % en moyenne, sauf sur des vols de rapatriement. La distanciation sociale y est donc possible. Quand ce n'est pas le cas, comme sur deux ou trois vols, les personnels navigants commerciaux distribuent des masques à tous les clients qui n'en possèdent pas.

Nous avons généralisé les procédures de désinfection des cabines en utilisant des pulvérisants contenant des produits virucides. L'air à bord des avions est renouvelé toutes les trois minutes, avec des filtres à haute efficacité HEPA, identiques à ceux utilisés dans les blocs opératoires, qui retiennent les plus petits des virus, dont le Covid-19.

On l'a dit, le secteur aérien va être fortement et durablement touché face à l'ampleur de l'épidémie. Notre programme de vols est très vite tombé à moins de 5 % de son niveau normal après l'annonce du confinement. La chute de trésorerie, associée aux coûts fixes résiduels, peut être mortelle si on ne réagit pas rapidement et profondément.

Je pense que nous avons pris les décisions qui conviennent. Les dépenses et les investissements ont été limités au strict minimum pour garantir la sécurité de nos opérations. Les embauches et le recours à la main-d'oeuvre extérieure ont été stoppés, et nous continuons aujourd'hui à exploiter un programme très minimal d'environ cinq vols long-courriers et quinze vols court-courriers et moyen-courriers par jour au départ de Paris-Charles-de-Gaulle pour desservir au total 36 destinations.

Ces niveaux d'activité sont prévus jusqu'au mois de mai prochain. Nous les ajusterons en fonction des décisions gouvernementales et de la demande réelle de transport.

Nous avons dialogué en continu avec les collectivités de la métropole. Air France est titulaire de cinq délégations de service public sur le territoire métropolitain et de deux autres en Corse. Dès le 5 mars, nous avons pris contact avec les collectivités locales délégantes pour ajuster notre programme sur ces lignes. Elles sont actuellement suspendues, en bonne intelligence avec les collectivités. Nous avons maintenu des vols domestiques qui se limitent à moins d'un vol par jour sur trois escales, Toulouse, Marseille et Nice.

Comme Benjamin Smith vous l'a dit, l'environnement est pour nous un sujet clé. Nous disposons d'un plan ambitieux et suivi pour voler tout en contribuant à la transition énergétique du secteur. Nous avions commencé à le faire savoir avant la crise, mais nous devons insister encore.

Nous visions une réduction de 50 % des émissions de CO2 à l'horizon 2030 par passager et par kilomètre par rapport à 2005. Cet objectif est conforme à l'objectif de l'accord de Paris et aux objectifs de la stratégie française bas-carbone.

Nous avons programmé la sortie anticipée des avions les plus polluants - quadrimoteurs, 340, 380 - et faisons entrer dans notre flotte des avions comme les A350 et les A220, qui consomment respectivement 25 % et 20 % de fuel en moins.

Nous poursuivons les optimisations internes - éco-pilotage, réduction des masses, utilisation de biocarburants durables que nous souhaiterions pouvoir développer pour réduire les émissions de CO2 à leur source.

Nous compensons les émissions de CO2 de manière réglementaires avec les programmes Emission Trading Scheme (ETS) et Carbon Offsetting and Reduction Scheme for International Aviation (Corsia), mais également de façon proactive, puisque nous compensons à 100 % les émissions de CO2 de nos vols domestiques depuis le 1er janvier de cette année.

Nous commençons à contribuer à la R&D pour concevoir avec les constructeurs des aéronefs décarbonés. Bien sûr, nous visons une décarbonation totale de toutes les opérations au sol. Notre parc d'engins est aujourd'hui en majorité électrique.

Nous pensons que le groupe Air France a toute sa part dans l'économie française. Nous sommes fortement implantés dans les différentes régions. Nous contribuons à plus de 1,6 % du PIB français et, hors emplois directs du groupe, induisons plus de 420 000 emplois en France.

On le sait moins, mais nos personnels étant basés en France et à Paris, nous avons un effet redistributif sur tout le territoire français, et même dans les régions sans desserte directe. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté ou en Centre-Val de Loire, nous représentons respectivement 500 et 650 millions d'euros de retombées annuelles. Une part importante de nos personnels navigants habite en province, alors même qu'ils prennent leurs vols à Paris.

Toutes nos dépenses relatives aux services en vol - traiteurs, matériels - sont réalisées en France. Nos compagnies sont également des vitrines pour les contenus culturels, les produits français - vins, eaux minérales, marques agroalimentaires. Nous veillons que nos prestataires soient le plus souvent choisis dans le secteur adapté, et prêtons une attention particulière à la supply chain d'Air France, composée de 3 900 fournisseurs, notamment en termes de délais de paiement ou de responsabilité sociale.

Nous avons également une importante activité de maintenance. Air France Industrie représente ainsi 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Certains investissements axés sur l'innovation, le digital et l'économie circulaire s'inscrivent dans le dispositif « Territoires d'industrie », notamment à Orly et Roissy.

Dans les domaines de l'écologie comme dans ceux de l'aménagement du territoire, nous souhaitons développer une vision inclusive avec tous les partenaires industriels et les opérateurs d'autres modes de transport.

Nous sommes convaincus qu'il ne faut plus opposer les différents modes de transport - avions, trains, bus -, mais qu'il est nécessaire de mener un travail collectif sur leur complémentarité, bien évidemment sans naïveté à l'égard de la concurrence sur certaines destinations.

Avant la crise du Covid-19, nous avions lancé un plan de restauration des marges d'Air France, notamment avec la mise en oeuvre sur le réseau domestique d'un plan de restructuration pour la période 2018-2021 afin de réduire les pertes actuelles d'environ 200 millions d'euros par an.

Ce plan s'inscrit dans la suite des plans continus d'ajustement de l'offre domestique. Nous avons perdu 40 % de l'offre et 53 % de nos effectifs dans nos différentes escales régionales depuis 2006. Le dernier plan prévoit 18 % d'ajustement de l'offre face à l'implantation d'autres modes de transport et des compagnies low cost en France. Nous avons réduit nos effectifs de près de 150 personnes dans nos escales françaises.

Nous savons que la reprise sera lente et progressive compte tenu des nouvelles exigences sanitaires et des probables modifications du comportement des voyageurs. Cela pose évidemment la question de l'accélération de la transformation d'Air France, en particulier de son modèle d'exploitation domestique. Nous souhaiterions instaurer une complémentarité accrue entre l'ensemble des modes de transport.

Quand la crise est survenue, nous étions déjà dans une logique de transformation pour rétablir notre compétitivité. Ce plan était en route depuis un peu plus d'un an. Les résultats 2019 d'Air France étaient en dessous de ceux des principales compagnies aériennes concurrentes.

Même si nos coûts ont baissé de 2 % en 2019, notre marge est restée à 1,7 %, en deçà de celle de nos principaux concurrents européens. Lufthansa a, quant à elle, une marge de 9 %. Celle de British Airways s'établit à 14 %.

La crise nous impose donc d'accélérer notre transformation, mais aussi nos engagements environnementaux.

Sur le plan financier, le dialogue avec l'État s'est établi rapidement et de manière agile. Le groupe a dialogué avec les gouvernements français et néerlandais, ainsi qu'avec la Commission européenne pour adopter différentes mesures et préserver au maximum la trésorerie.

Le dispositif d'activité partielle a été mis en place au sein d'Air France dès le 23 mars, au début pour une durée de six mois à hauteur de 50 %. Une réflexion est en cours, compte tenu du profil probablement plus lent de la reprise, pour pouvoir appliquer ce dispositif sur une durée plus longue.

Nous avons également, après accord de la Commission européenne, obtenu le report de paiement sur des taxes et des redevances aériennes - taxe d'aviation civile, de solidarité, redevances terminales - jusqu'à la fin de l'année 2020, avec des remboursements étalés sur les années 2021 et 2022.

Nous avons également obtenu une autorisation de report de paiement des cotisations sociales pour un mois renouvelable, et des discussions sont en cours pour reporter les cotisations sociales de l'exercice 2020 sur une base pluriannuelle.

En matière d'adaptation des règles européennes, l'agilité doit aussi prévaloir. Le 26 mars dernier, le Parlement européen a accepté de lever l'application d'une disposition très contraignante sur les créneaux de vol jusqu'au 24 octobre 2020, ce qui permet aux compagnies aériennes de conserver leurs créneaux horaires, alors même que nos avions ne volent plus.

Concernant le remboursement des billets, le droit européen veut que les clients d'un vol annulé soient remboursés. Dans des circonstances normales, le remboursement doit avoir lieu sous sept jours. Nous dialoguons au niveau européen pour aménager la règle, mais non le principe. Notre proposition, comme celle de toutes les compagnies aériennes, est de pouvoir donner un avoir remboursable au bout de douze mois s'il n'est pas utilisé durant cette période.

Ce combat est loin d'être gagné, mais il nous semble être juste. Une proposition d'aménagement des dispositions du règlement a été faite en ce sens par les autorités française et néerlandaise, proposition soutenue par un certain nombre d'États membres.

Cette demande est majeure pour les transporteurs aériens compte tenu de l'impact de trésorerie qu'elle peut avoir. Nous l'estimons à un milliard d'euros en Europe pour le groupe Air France-KLM d'ici au 30 septembre 2020.

Je vous remercie.

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