Intervention de Bernard Doroszczuk

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 28 avril 2020 : 1ère réunion
Audition de Mm. Bernard Doroszczuk président olivier gupta directeur général et philippe chaumet-riffaud commissaire de l'autorité de sûreté nucléaire en téléconférence

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

En préambule, je tiens à saluer devant vous l'engagement particulièrement important des personnels de l'ASN, qui a permis de continuer à assurer, dans des conditions adaptées, cette mission essentielle qu'est le contrôle de la sûreté nucléaire.

Premièrement, avec l'épidémie de Covid-19, l'industrie nucléaire est confrontée, pour la première fois de son histoire, à une gestion de crise présentant des enjeux de sûreté dont l'origine n'est pas une cause technique liée aux activités nucléaires. Pour les responsables d'activités nucléaires comme pour les autorités de contrôle, l'enjeu commun est la capacité à mobiliser en nombre suffisant les personnels qualifiés nécessaires à l'exploitation, à la maintenance et au contrôle des installations dans des conditions sanitaires sûres. Pour faire face à ce défi, exploitants, responsables d'activité et régulateurs disposent d'outils de gestion en situation de crise, qui reposent largement sur les plans de continuité d'activité (PCA). C'est le cas de l'ASN. Ces plans ont été activés et, à ce stade, leur mise en oeuvre ne soulève pas de difficultés particulières.

Deuxièmement, face à cette situation inédite, les installations nucléaires dont le fonctionnement n'est pas vital pour la production d'électricité ont été rapidement mises à l'arrêt ; c'est le cas des installations de recherches du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), des centres de stockage des déchets de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), des chantiers de reprise et de conditionnement des déchets relevant du CEA et d'Orano, ainsi que des opérations de démantèlement relevant du CEA, d'Orano ou des deux. Outre les centrales nucléaires d'EDF, les quelques activités liées à la production radiopharmaceutique et les opérations de transport, seules les activités d'Orano à La Hague et au Tricastin et de Framatome nécessaires au fonctionnement des réacteurs, comme la fourniture en combustible, ou à l'équilibre du cycle, comme le retraitement de combustibles usés, ont été maintenues.

Les enjeux de sûreté concernent donc un nombre réduit d'installations et un nombre très réduit d'exploitants - deux principalement. À ce stade, les installations nucléaires disposent d'une présence suffisante en personnel, dont l'organisation, le plus souvent en équipes séparées, permet d'assurer un fonctionnement normal. En revanche, faute de moyens suffisants en personnel et en prestataires spécialisés, ou du fait de la difficulté à respecter les gestes barrières et les règles sanitaires pour certaines opérations, les chantiers sont plus longs et les activités sont réduites pour l'ensemble des exploitants. Par exemple, fin avril, dans les centrales nucléaires, la durée de nombreux arrêts de tranche a été augmentée et plus d'une vingtaine d'arrêts de réacteur ont été décalés. Ces décalages ont des incidences sur le respect de certaines échéances réglementaires et conduisent l'ASN à instruire des demandes ponctuelles de dérogation, qui n'ont pas, pour l'instant, soulevé de difficulté. Ils ont également des incidences sur la maintenance et induisent des retards dans certains travaux d'amélioration de la sûreté. Il en est ainsi de la mise en service, prévue le 30 juin prochain, de certains diesels d'ultime secours (DUS) ; elle devra être reportée du fait de la défaillance du prestataire américain, retourné aux États-Unis.

Troisièmement, le contrôle des installations nucléaires en exploitation se poursuit, sous des formes adaptées, sans que l'ASN baisse son niveau d'exigence. Nous sommes en contact avec nos homologues étrangers. Dans tous les pays, ils ont dans un premier temps déployé des techniques de contrôle à distance. Les autorités qui disposaient d'inspecteurs permanents sur les sites nucléaires, comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ont réduit très notablement leur activité ou leur ont demandé d'opter pour le télétravail.

Dès l'annonce du confinement, l'ASN a adapté ses modalités d'intervention et de contrôle, en procédant à distance tout en maintenant la possibilité d'interventions sur site en cas d'événement significatif. Ainsi, une inspection réactive a eu lieu sur le site de Belleville-sur-Loire d'EDF, à la suite d'un incident hors secteur nucléaire, à savoir un départ de feu provoqué par la rupture d'un flexible sur un parc à gaz, avec une inflammation d'hydrogène.

Les opérations de contrôle menées par l'ASN conviennent pour une très grande majorité des situations rencontrées : elles consistent à exercer un contrôle de second niveau sur la bonne exécution des opérations d'exploitation ou de maintenance, qui sont contrôlées au premier niveau par l'exploitant, premier responsable de la sûreté, ou par des organismes habilités mandatés par l'ASN. Ce contrôle de second niveau peut être réalisé sur la base de justificatifs consultables sur place ou à distance, ou en ayant un accès direct, par liaison numérique, au système de gestion et d'enregistrement informatique des exploitants. L'accès direct permet aux inspecteurs de combiner en temps réel un certain nombre de paramètres d'exploitation et de données concernant le traitement des écarts et d'aller chercher les informations dont ils ont besoin.

Après une période de démarrage, les contrôles exercés à distance par l'ASN sont, aujourd'hui, par leur intensité et leur profondeur, équivalents à ceux réalisés en situation normale, y compris sur les réacteurs. Le nombre d'inspections et de contrôles réalisés en un mois à distance est comparable au chiffre de l'année dernière, pour la même période.

Toutefois, après la première annonce de prolongation du confinement par le Gouvernement, l'ASN a engagé un travail de réflexion pour définir de manière concertée avec son personnel les sujets spécifiques pour lesquels les inspections sur site sont nécessaires, en sus des contrôles à distance, ainsi que les conditions de leur réalisation. Ces inspections sont notamment justifiées par le besoin de superviser la réalisation de certains gestes techniques complexes, qui ne peuvent être examinés que de visu, ou encore de contrôler l'état des installations et le respect des gestes barrières dans le contexte épidémique. Cette reprise de l'activité d'inspection sur site est désormais opérationnelle. Elle sera réalisée de manière coordonnée pour nos missions d'inspection de sûreté et d'inspection du travail.

En outre, l'ASN poursuit son activité d'instruction en s'appuyant sur l'expertise de l'IRSN. Des dossiers à fort enjeu, notamment la poursuite d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts, sont instruits normalement à ce stade. Nous maintenons la date prévisionnelle de la consultation publique à la fin de l'année 2020. Seules quelques décisions imposant une consultation publique ou ayant un impact significatif sur l'environnement seront retardées, conformément à l'ordonnance du 25 mars 2020.

Quatrièmement, dans les prochains mois, les retards et les reports cumulés des arrêts de tranche pour EDF vont imposer une reprogrammation substantielle des arrêts. Par effet domino, cette dernière va largement déborder sur 2021, voire sur 2022. Cette situation conjuguera des enjeux forts de sûreté et de sécurité d'alimentation électrique. Contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays, notamment les États-Unis, EDF n'a pas prévu de réduire drastiquement son volume de travaux - maintenance et modifications - pendant les arrêts de réacteurs, ce qui est favorable à la sûreté. EDF et l'ASN sont en étroite relation pour examiner l'ensemble de ces questions et leurs conséquences, au regard des échéances et des prescriptions applicables à chaque réacteur.

La reprise des activités sur site, qui s'effectuera dans un contexte de surcharge d'activité, du fait des reports, et d'accumulation de la fatigue et du stress, devra faire l'objet d'une attention particulière. Une grande vigilance sera portée au risque organisationnel et humain, dû notamment aux changements de l'organisation du travail, aux évolutions, menées dans l'urgence, des procédures et des référentiels, ainsi qu'aux arbitrages à réaliser au quotidien entre la sûreté réglée, définie par les textes, et la sûreté gérée, sur le terrain, au regard du contexte.

Plus généralement, la gestion de la crise sanitaire devra nous conduire à étudier, le moment venu, le retour d'expérience en vue de la gestion de situations post-accidentelles en cas d'accident nucléaire, qu'il s'agisse de la communication, de l'expertise, de l'association des parties prenantes lors du déconfinement, des équipements à distribuer ou encore de la gestion des impacts indirects, de longue durée, sur la population.

Cinquièmement et enfin, la majorité des activités contrôlées par l'ASN dans le secteur médical concernent les actes diagnostiques et thérapeutiques mettant en oeuvre des rayonnements ionisants. Ces activités ne sont pas situées en première ligne face à l'épidémie, mais elles apportent un soutien significatif. Elles doivent être maintenues dans des conditions sûres pour ne pas réduire les chances des patients, notamment ceux atteints de tumeurs cancéreuses.

Pour faciliter la mobilisation de l'ensemble des personnels médicaux des hôpitaux publics et privés contre l'épidémie, l'ASN a, dès le début du confinement, réduit drastiquement son activité de contrôle sur sites. En revanche, elle a traité de manière prioritaire les demandes d'autorisations spécifiques en lien avec la gestion de la crise, notamment pour l'utilisation à des fins de diagnostic du Covid-19 des scanners de radiothérapie, de médecine nucléaire et de blocs opératoires.

De plus, l'ASN a instruit dans des délais très courts des demandes de déplacement de matériels de diagnostic entre établissements et d'adaptation ponctuelle des locaux pour faciliter la prise en charge des patients atteints du Covid-19 dans des chambres de plurithérapie ou de radiothérapie interne vectorisée. Avec les sociétés savantes, les constructeurs et les fournisseurs de dispositifs médicaux, l'ASN a mené des réflexions pour évaluer les conséquences de la gestion de l'épidémie. Il s'agit d'anticiper l'absence éventuelle de professionnels nécessaires à la radioprotection et la difficulté de réalisation des contrôles ou des opérations de maintenance sur les équipements, y compris dans les prochains mois. Là est l'enjeu pour faire face au rattrapage des soins. Ces travaux ont été menés en lien avec le ministère de la santé, l'Institut national du cancer (INCA), le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

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