Infectiologue clinicienne, je suis impliquée dans la prise en charge des patients, ce qui m'a valu de piloter un essai dont la vocation est d'améliorer la prise en charge en phase aiguë d'une nouvelle maladie. L'essai « DisCoVery » est interventionnel et teste quatre traitements. Le virus étant totalement nouveau, nous évaluons des médicaments existants, repositionnés sur de nouvelles indications dans une démarche de « repurposing », dont certains étaient jusqu'ici utilisés dans le traitement d'autres infections virales.
L'un de ces médicaments est le remdésivir, initialement testé pendant la crise d'Ebola, et pour lequel nous disposons de données d'efficacité in vitro. De même, ce sont des données in vitro recueillies en Chine qui nous ont amenés à ajouter dans le week-end du 12 mars un bras incluant l'hydroxychloroquine. Outre ces deux molécules, nous testons la combinaison lopinavir/ritonavir, jusqu'ici utilisée dans le traitement du virus d'immunodéficience humaine (VIH), et plus ou moins un immunomodulateur, l'interféron bêta.
Les patients sont répartis entre les différents bras de l'essai de façon aléatoire. En testant des médicaments dont l'efficacité n'est pas certaine, nous n'avons pas d'autre choix méthodologique que de les comparer à un bras contrôle sans traitement mais avec une prise en charge optimisée, avec, par exemple, l'administration d'oxygène, d'antibiotiques, de cortisone ou encore d'anticoagulants, ce qui correspond à un bras de traitement de base, également dénommé en anglais « standard of care » et fait de cet essai randomisé un essai contrôlé.
L'essai « DisCoVery » est également adaptatif dès lors qu'il a vocation à durer. Il se peut que nous ayons à gérer cette maladie pendant plusieurs années. Nous sommes donc en recherche de thérapeutiques actives qui ne se conçoivent pas du jour au lendemain. Quand nous aurons répondu à la première question posée, nous pourrons soit mettre en oeuvre d'autres bras, soit en arrêter d'autres dont les molécules n'atteignent pas l'échelle d'efficacité pour justifier leur utilisation pour un plus grand nombre.
L'essai est international : il est une émanation de l'essai « Solidarity » de l'organisation mondiale de la santé (OMS). Ce dernier regroupe divers pays qui se caractérisent par des systèmes de prise en charge sanitaire et de recherche distincts. L'objectif de l'OMS est que cet essai, qui définit de grands axes et des recommandations, soit adapté par chaque pays à ses spécificités en matière de santé et de recherche.
Dans la sphère de l'essai « Solidarity », auquel 1 800 patients participent, la France est le pays qui a le plus inclus de patients dans ce protocole, avec actuellement 740 patients. Nous pouvons nous féliciter de notre maillage hospitalier efficace et de l'impulsion absolument majeure donnée à ce projet par des structures de recherche comme l'Inserm et l'agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et d'appui comme l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
Le confinement a fonctionné, ce dont nous pouvons nous réjouir, si bien que la moindre affluence de malades dans les hôpitaux qui en résulte explique que nous incluons désormais peu de patients en France à l'heure actuelle. Dès lors que certains pays peuvent endosser un protocole impliquant des examens biologiques, virologiques ou d'imagerie qui représentent un certain coût, il paraît logique que l'essai se développe au-delà de nos frontières afin d'atteindre un chiffre qui nous permette de conclure. Les méthodologistes de l'OMS et de l'essai « DisCoVery » estiment, pour conclure sur des médicaments repositionnés et dont on peut anticiper que l'efficacité sera partielle, qu'il faudra au moins 600 patients par bras, soit un total de 3 000 patients. L'ambition est de s'entendre avec les autres pays européens afin, sous l'égide de l'OMS, d'inclure les 3 000 patients et de passer, ensuite, à d'autres essais pour nous inscrire dans une dynamique sur plusieurs années qui nous permette de proposer des solutions.
Il est évidemment impossible de communiquer à ce stade sur le moindre résultat de l'essai. Sur le terrain, je pilote l'essai et m'emploie à aplanir les difficultés logistiques pour permettre aux trente centres d'inclusion de travailler dans les meilleures conditions possibles. Toutes les données recueillies dans l'essai sont transmises à une base de données complètement anonyme. Des extractions de la base sont régulièrement envoyées à un comité d'experts qui les analyse en totale indépendance afin de déterminer si des signaux s'en dégagent. Ce comité, dénommé « Data Safety Monitoring Board », se réunit régulièrement. Les résultats de l'essai seront publiés en fonction des analyses effectuées par ce comité qui est souverain. Dans l'hypothèse où il ne serait pas possible de conclure en raison d'un nombre insuffisant de patients, nous continuerons d'inclure afin d'obtenir le nombre de patients nécessaire pour répondre aux questions posées par l'essai.