Commission des affaires sociales

Réunion du 6 mai 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous entendons ce matin Mme Geneviève Chêne, directrice générale de Santé publique France.

Je rappelle que l'agence Santé publique France a été créée par la loi « Santé » de 2016. L'agence a repris l'ensemble des missions de veille sanitaire exercées par l'institut de veille sanitaire, l'institut national de prévention et d'éducation pour la santé et l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus). Ce dernier aspect de ses missions retiendra particulièrement notre attention aujourd'hui.

Nous avons entendu une première fois Mme Chêne le 26 février dernier sur l'épidémie de covid-19 alors que l'organisation mondiale de la santé (OMS) ne la qualifiait pas encore de pandémie.

Nous n'avions alors pas conscience de la carence majeure en équipements de protection individuels à laquelle notre pays allait être confronté du fait de l'absence de stocks au sein des instances chargées d'en constituer : l'agence Santé publique France, dont vous assurez la direction générale depuis l'automne dernier, et les hôpitaux.

J'insiste sur la date de votre nomination car il n'est pas question pour notre commission de rechercher aujourd'hui une quelconque responsabilité dans cette affaire de gestion des stocks de masques, ce n'est pas notre propos.

Il s'agit pour nous de tenter de répondre principalement à deux questions que nous nous posons de manière lancinante :

- quelles sont les raisons pour lesquelles notre pays s'est trouvé à ce point dépourvu des équipements de protection nécessaires que sa stratégie de lutte contre le virus a pu sembler dictée par la pénurie ?

- ce constat étant posé, quels sont les facteurs explicatifs des immenses difficultés rencontrées par les autorités publiques pour se procurer ces équipements ?

Je souhaiterais, même si nous sommes encore dans la gestion de la crise, que vous puissiez nous apporter un premier retour d'expériences sur cette question des équipements de protection individuels. Quel a été, par exemple, l'impact de la réquisition sur les acteurs privés ? Le week-end dernier a connu un début de polémique sur les commandes massives passées par les enseignes de la grande distribution. Après plusieurs mois de rationnement imposé aux hôpitaux et aux pharmacies dans la distribution de masques aux soignants, on peut comprendre que cette situation ait ému l'ensemble des ordres des professions de santé. Pouvez-vous nous garantir que le stock d'État de masques a aujourd'hui atteint un niveau suffisant pour répondre aux besoins des hôpitaux et pharmacies et justifier l'absence de réquisition des commandes passées par la grande distribution ? Vu les volumes commandés, les compétences des acheteurs de ces enseignes auraient-elles d'ailleurs pu être mises à contribution ?

En matière de doctrine pour la constitution de stocks stratégiques de masques, notamment en termes de répartition des responsabilités entre État et hôpitaux, quels enseignements tirez-vous de la crise actuelle ?

Je termine cette introduction en rappelant que notre commission était opposée au transfert du financement de Santé publique France à l'assurance maladie pour plusieurs raisons. D'une part, le Parlement perdait de la visibilité sur le financement des agences sanitaires mais surtout nous considérons qu'il s'agit d'une dépense régalienne qui relève par conséquent du budget de l'État. Je compte le rappeler dans les prochains jours par un courrier au Gouvernement.

Madame la directrice générale, vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Santé publique France intervient en particulier dans trois domaines : la surveillance épidémiologique, la promotion de la santé et la réponse à l'urgence sanitaire. En matière de surveillance épidémiologique, l'agence assure notamment la surveillance de la grippe chaque hiver et produit un ensemble d'indicateurs en ville et à l'hôpital. Sa mission dans la promotion de la santé la conduit à gérer un certain nombre de dispositifs emblématiques tels que le « moi(s) sans tabac » en novembre.

Dans le cadre de la crise sanitaire liée au covid-19, le dispositif a d'abord reposé sur la surveillance et la mesure de l'impact de l'épidémie, non seulement dans sa dimension infectieuse, mais également ses conséquences sur l'ensemble des déterminants de santé et le recours aux soins pour d'autres maladies. Dans le domaine de la prévention, Santé publique France s'est beaucoup mobilisée sur la mise au point d'outils, tels que des affiches et des spots vidéo, destinés à limiter la transmission du virus et a porté une attention particulière au monitoring de l'adhérence aux gestes barrières. En l'absence de traitement ou de vaccin, les comportements individuels et collectifs sont cruciaux pour se protéger et protéger les autres.

La réponse à l'urgence sanitaire nous a conduits à mobiliser la réserve sanitaire qui a connu une augmentation d'activité majeure, et les stocks stratégiques gérés pour compte de l'État. La finalité de notre agence sanitaire est tournée vers l'amélioration et la protection de la santé de la population, à la différence d'autres agences plus axées sur la qualité et la sécurité des produits de santé.

Le 3 janvier 2020, la Chine avait rapporté 27 cas de pneumopathies à l'OMS apparus fin décembre 2020. Quatre jours plus tôt, les premiers échanges ont eu lieu avec la direction générale de la santé (DGS) du ministère des solidarités et de la santé, après une réunion au niveau international au cours de laquelle ces pneumonies ont été évoquées. L'organisation de l'alerte s'est rapidement mise en place pour que, dès le 10 janvier, soit mise en ligne une première définition de cas, diffusée par la DGS aux établissements de santé et aux professionnels de santé. En interne, Santé publique France mobilise l'ensemble de ses directions dans le cadre d'un programme transversal. Nous avons également mobilisé le centre national de référence (CNR) de l'institut Pasteur compétent dans ce domaine pour la mise au point de tests fondés sur la technique de RT-PCR (reverse transcription polymerase chain reaction) afin de diagnostiquer la présence du virus.

La mise en ligne d'informations sur le site débute le 14 janvier. Nous commençons à recevoir les déclarations de cas suspects testés par le CNR. Le 24 janvier, sont rapportés trois cas importés de Chine. Les premières enquêtes de contact tracing sont lancées avec les deux agences régionales de santé (ARS), l'ARS d'Île-de-France pour deux cas, et l'ARS de Nouvelle-Aquitaine pour l'autre, afin de freiner la diffusion du virus et de casser les chaînes de transmission à partir de la connaissance la plus rapide et réactive possible des cas et des contacts, et en mettant en oeuvre, le cas échéant, les mesures d'isolement nécessaires.

Le 26 janvier, nous produisons une première évaluation des scenarii possibles d'évolution de l'épidémie, en fonction du niveau de gravité d'une maladie pour laquelle nous ne disposons pas encore d'informations concrètes et très documentées, les principales venant essentiellement de Chine. Le 7 février est marqué par un tournant dans l'évolution de l'épidémie, avec un premier cluster identifié en Haute-Savoie à Contamines-Montjoie. Des moyens considérables sont alors déployés afin d'isoler les cas, tracer l'ensemble des contacts et définir des mesures de gestion qui se sont révélées efficaces, comme la fermeture des écoles pendant quinze jours. Aucun nouveau cas n'est recensé autour de ce premier cluster.

À la mi-février, de nouvelles données nous parvenant de Chine nous font évoluer dans notre scenario sur la base d'une gravité plus importante de la maladie. Un cluster plus important émerge, après un rassemblement, dans le Grand-Est. De manière concomitante se met en place une stratégie de tests plus ciblée sur les cas les plus graves et les professionnels de santé. Le système de surveillance est mobilisé pour recenser les cas confirmés, renseigner des indicateurs recueillis à l'hôpital et en ville -comme on le fait pour la grippe-, notamment au travers du réseau Sentinelles, et identifier les décès liés à l'épidémie.

Au début de la phase 3, le confinement est mis en place afin de maîtriser l'épidémie. Une stratégie limitée de dépistage biologique et une augmentation importante des hospitalisations, en particulier en réanimation, exigent que nous veillions à ce que la charge de l'épidémie sur le système de santé soit maîtrisée afin de faire retomber la pression. Les indicateurs du système de surveillance montrent que, pendant cette phase, l'épidémie a été maîtrisée, avec une diminution des prises en charge en réanimation et une diminution de la circulation du virus en ville. Dans la mesure où nous ne disposons pas de traitement ni de vaccin, cette crise sanitaire est appelée à durer.

L'impact de la crise sur d'autres maladies, en particulier du fait du moindre recours aux soins pour le suivi de pathologie cardiovasculaires et neuro-vasculaires, fait également l'objet d'une attention particulière. Des enquêtes sont en outre mises en place depuis le début du confinement afin d'évaluer les conséquences de la crise sur la santé mentale, avec une augmentation initiale de l'anxiété, des troubles du sommeil ou encore des phénomènes dépressifs.

Nous préparons désormais le déconfinement, en lien avec la mission interministérielle coordonnée par Jean Castex. L'idée est d'adopter une approche fine au niveau territorial, en se fondant sur le niveau de positivité des tests réalisés, ce qui suppose de déployer une politique large de tests.

Nous avons également contribué à l'élaboration du dispositif de contact tracing. La traçabilité des cas relève, au niveau 1, des médecins généralistes et des médecins traitants. Nous avons soutenu cette position : dans un contexte de suspicion de cas, le premier professionnel vers lequel il convient de se tourner est le médecin. Au niveau 2, le relais en matière de contact tracing sera pris par la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). À cet égard, nous pouvons saluer l'énorme travail de préparation réalisé dans des délais contraints par l'ensemble des acteurs, à la fois les généralistes et les personnels de la CNAM.

Au niveau 3, nous intervenons en cas d'identification de clusters, pour lesquels il importe d'identifier les cas et les contacts le plus tôt possible, afin d'être en mesure de les placer en quarantaine ou en isolement et de casser les chaînes de transmission, l'objectif étant que chaque cas contribue à moins d'un cas.

Nous avons fait un certain nombre de propositions dans le sens d'une intensification de l'adhésion aux gestes barrières, afin qu'elle devienne obligatoire dans certaines circonstances, s'agissant du port du masque.

Nous portons également une attention particulière à la nécessité d'atteindre l'ensemble des populations, particulièrement les plus vulnérables, en collaboration avec les associations et les organisations non gouvernementales (ONG) : nos documents sont traduits en 22 langues et nos vidéos sont sous-titrées en langue des signes.

Nous avons souligné quatre points clés à la mission interministérielle.

En premier lieu, l'accent sera porté sur le dépistage à grande échelle afin de détecter les cas. Nous proposions une fourchette de 500 000 à 700 000 tests par semaine. Le niveau finalement retenu se situe donc dans le haut de cette fourchette, avec l'objectif de tester largement tous les cas évocateurs.

En deuxième lieu, il s'agit de déployer une capacité d'investigation très réactive à grande échelle des cas et des contacts, impliquant l'ensemble des professionnels sur le terrain.

En troisième lieu, nous devons être en mesure d'assurer un monitoring étroit et de mettre en oeuvre des actions les plus bienveillantes possibles afin que chacun adhère aux mesures d'atténuation. Il convient d'accompagner les personnes isolées dans le cadre du contact tracing dans la mise en oeuvre de mesures proportionnées qui tiennent compte de la situation sociale de chacun.

Enfin, il importe de disposer d'un système d'information qui soit sécurisé, réactif et offre toutes les garanties de protection des données personnelles.

En matière d'analyse de la situation épidémiologique, un indicateur sera fourni chaque jour et discuté dans chaque territoire. Il est essentiel que le tableau de bord des indicateurs soit partagé par les ARS avec les territoires, au niveau des préfets et des élus locaux, en associant l'ensemble des acteurs. L'indicateur de positivité des tests est assez sensible aux changements et est confronté, dans les territoires, avec l'ensemble des données quantitatives recensées par les ARS et les cellules régionales de Santé publique France, ainsi qu'avec des données qualitatives, comme l'émergence de cas groupés dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Nous disposerons chaque jour de l'indicateur sur la proportion de tests positifs à partir du moment où le système d'information national de dépistage du covid-19 (Sidep) sera fonctionnel, qui reste une opération lourde pour en assurer la fiabilité. Il importera de continuer à observer l'ensemble des aspects liés à l'impact de l'épidémie sur la santé, au-delà du seul covid-19, en évaluant des déterminants de santé tels que la consommation de tabac ou d'alcool, le manque d'activité physique ou l'aspect nutritionnel.

Les médecins et autres professionnels de santé doivent continuer à prendre en charge les patients et ces derniers doivent eux-mêmes être en capacité de se rendre en consultation en observant toutes les précautions nécessaires pour être suivis. Cette période est clé pour limiter les effets de l'épidémie et les indicateurs de pression sur notre système de soins.

Nous restons donc très concentrés sur la maîtrise de l'épidémie ainsi que sur la surveillance d'autres aspects. Le confinement ne pouvant pas durer, la crise économique et sociale peut conduire à des inégalités de santé affectant les plus vulnérables dont il faut tenir compte.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Vous aviez alerté en 2018 la direction générale de la santé (DGS) sur la pertinence de sa doctrine en matière d'approvisionnement et de constitution de masques d'une part, et sur la faible capacité logistique de votre agence à assurer rapidement la distribution des produits de santé sur le territoire. La légitimité de ces alertes s'est depuis vérifiée. Pourriez-vous identifier plus précisément les difficultés de distribution dont vous faisiez alors état ? Dans la mesure où vous aviez fait part de ces avertissements dès 2018, ont-ils été au moins partiellement mis en oeuvre par la DGS dès le début de l'épidémie ?

Pourriez-vous par ailleurs nous indiquer où en sont les préconisations sanitaires sur le port du masque en population générale ? Il me semble qu'une doctrine stable en la matière est nécessaire pour promouvoir au mieux leur usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

A partir de 2013, les hôpitaux ont dû constituer leurs propres stocks de masques FFP2, en même temps que le stock stratégique d'État disparaissait progressivement. L'État a-t-il au moins accompagné ce transfert en veillant à recenser ces stocks pour en maintenir une vision globale ? Ces stocks hospitaliers, censés désormais assurer l'approvisionnement stratégique de l'établissement, se confondent-ils avec les stocks tactiques dont doivent notamment se doter les établissements assurant des services d'urgence ? A la lumière de cette expérience, estimez-vous opportun de maintenir la formation des stocks stratégiques de masques FFP2 au niveau des hôpitaux ou doit-on en restituer la compétence à l'État ? Quel impact anticipez-vous des évolutions de la doctrine en matière de port de masques sur le niveau et l'évolution de ces stocks stratégiques ?

Enfin, quels sont les médicaments pour lesquels Santé publique France a été appelée à constituer des stocks stratégiques ? Une coordination européenne a-t-elle mise en oeuvre à cet égard ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Ma question porte sur l'évolution continue de la dotation de l'agence depuis le début de la crise. Le montant de cette dotation exceptionnelle à Santé publique France pour accompagner la constitution de stocks stratégiques a été porté à 260 millions d'euros le 11 mars, 860 millions le 20 mars et enfin 4 milliards d'euros le 30 mars. Comment expliquez-vous le rythme de ces réévaluations ? Avez-vous rencontré des difficultés pour l'évaluation progressive de vos besoins ? Y a-t-il eu des difficultés de négociation entre le ministère de la santé et ses interlocuteurs du budget ?

Sur les masques, je souhaiterais savoir si les circuits d'approvisionnement ultramarins ont été satisfaisants. Sur les tests, je voudrais rebondir sur la cible de 500 à 700 000 par semaine à partir de la levée du confinement : je n'anticipe pas de problème particulier d'approvisionnement de réactifs ou d'écouvillons mais je m'inquiète d'avantage du nombre de préleveurs. Au niveau de nos laboratoires, tous statuts confondus, je ne doute pas de la suffisance de la capacité globale d'analyse, mais comment comptez-vous mobiliser le nombre de préleveurs suffisant ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

N'assurant la direction de l'agence que depuis novembre 2019, il ne m'appartient pas de revenir sur les prises de position et les décisions prises au cours de la période antérieure sur la répartition des rôles en matière de constitution de stocks stratégiques. Il m'appartenait en revanche de mettre en oeuvre la doctrine énoncée par le ministère au moment où j'ai pris mes fonctions.

Plusieurs d'entre vous ont souligné l'importance de l'acculturation de la population générale au port du masque : il s'agit d'un point important pour lequel l'agence a produit et publié une synthèse des recommandations. Les masques sanitaires et non sanitaires ne sont intéressants que lorsque leur port est généralisé.

Je vais m'efforcer d'apporter une réponse globale sur le rôle de Santé publique France en matière d'approvisionnement des produits de santé, dont nous sommes l'un des opérateurs en cette période de crise. Actuellement, une cellule logistique placée directement auprès du ministre de la santé se charge de l'identification des producteurs susceptibles d'être contactés et de fournir les produits nécessaires pour la constitution des stocks stratégiques - ce qu'on appelle le « sourcing ». À ce jour, la Chine est notre premier fournisseur ; les producteurs français ont été bien entendu sollicités mais leurs capacités ne leur permettaient pas de répondre au niveau des demandes. Une fois ce « sourcing » réalisé par cette cellule, le ministre saisit l'agence de l'ensemble des besoins exprimés par les acteurs de santé et nous demande de procéder à l'achat centralisé, pour le compte de l'État, de ces produits de santé (qui comprennent les masques, mais aussi d'autres éléments de protection individuelle des professionnels de santé), ce qu'on exécute à l'issue d'une phase de négociation. S'en suivent les phases de commande, de réception, de constitution et de répartition des différents stocks.

Je vous signalerai deux problèmes particuliers de la phase de commande, qui demeureront récurrents tant que la production française ne pourra absorber l'ensemble de la demande : nous affrontons régulièrement des difficultés liées aux tensions croissantes sur le fret ainsi qu'aux contrôles de qualité à assurer sur l'ensemble de la chaîne d'importation. Pour le premier problème, un pont aérien a été mobilisé, et nous réfléchissons actuellement à l'ouverture d'un pont maritime. Pour le second problème, nous veillons, en coopération avec l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à la vérification de la qualité par la passation d'un contrat de sous-traitance avec un opérateur en Chine capable de qualifier le plus tôt possible les éventuels défauts des produits.

Santé publique France a la responsabilité logistique de la commande. Nous recevons les instructions ministérielles pour la libération des stocks réceptionnés vers les groupes hospitaliers ou vers les grossistes-répartiteurs. Notre responsabilité se limite à cette exécution logistique, qui n'en demeure pas moins considérable.

Pour ce qui est de la constitution de stocks de médicaments, nous assurons traditionnellement la commande de stocks d'antiviraux ou de vaccins antigrippaux. Depuis quelques jours, nous sommes sollicités pour constituer des stocks de médicaments spécifiques en tension dans le système hospitalier. Les commandes en cours de préparation.

Je n'ai pas connaissance d'une coordination européenne en la matière, mais je trouverais cela sans doute très opportun.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Une remarque incidente : la France, qui se dit un grand pays, va chercher des masques en Chine à bord d'avions Antonov russes...

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Ma première question porte sur les masques qui ont été réquisitionnés. Dans le cadre de la mission de gestion des stocks de Santé publique France, comment a été organisée la gestion de ces masques, quand et comment ont-ils été mobilisés ? Y avait-il alors des stocks de masques au niveau de la grande distribution ?

S'agissant des masques grand public, l'agence a-t-elle émis un avis au Gouvernement pour leur mise en place devant la pénurie de masques chirurgicaux ? Ces masques étant lavables et réutilisables, donc beaucoup moins satisfaisants que les masques chirurgicaux à usage unique, ne craignez-vous pas de mauvais usages et avez-vous donné des recommandations au Gouvernement à ce sujet ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Pensez-vous nécessaire d'inscrire le covid-19 au tableau des maladies à déclaration obligatoire ? Quelles en seraient les conséquences ?

A-t-on comparé l'épidémie actuelle avec des épidémies passées de nature similaire, tels le SRAS et la grippe saisonnière ? Pourrait-on en tirer des conclusions sur l'extinction de l'épidémie ou, au contraire, son passage à l'état d'endémie ?

Enfin, concernant la déclinaison locale de la stratégie de déconfinement et des 700 000 tests par semaine annoncés, estimez-vous utile de tester l'ensemble du personnel des écoles et des crèches qui reprendra son activité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

En 2013, il a été décidé que le stock national de masques concernerait uniquement les masques chirurgicaux pour les malades et leurs contacts, et que les stocks de masques FFP2 pour les soignants seraient désormais à la charge des employeurs publics ou privés. En 2015, le Sénat a alerté sur difficultés d'un approvisionnement dans des délais très court. Après cette pandémie sans précédent depuis un siècle, quelle stratégie pour les masques et les médicaments aura à l'avenir Santé publique France ?

Comment se fait-il que les tests PCR n'ont pu être réalisés plus rapidement, comme en Allemagne, afin de tester les malades symptomatiques et leurs contacts et de les isoler ? Cela aurait permis de limiter fortement la propagation de l'épidémie.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

On peut constater que les subventions versées à l'EPRUS sont passées, entre 2007 et 2015, de 281 millions à 28 millions d'euros, et l'on a assisté à une baisse importante des stocks de masques qui a entraîné la situation que nous vivons aujourd'hui. Grâce à la loi de finances rectificative, une dotation de 4 milliards d'euros a été apportée à Santé publique France, ce qui change la donne et montre que la santé publique nécessite d'importants moyens financiers. Au-delà de la polémique sur les stocks, nombre de nos concitoyens se demandent si la stratégie du confinement n'a pas été rendue nécessaire par un manque important de moyens de protection, notamment de masques et de tests. Si ces moyens avaient été en nombre suffisant, la stratégie aurait-elle pu être différente ? A la place qui est la vôtre et en tant que médecin, quelle est votre analyse ?

L'agence a une mission d'alerte, de prévention et de réponse à la pandémie. En matière de prévention, le public reçoit des informations contradictoires sur les masques. Quel peut être le rôle de votre agence en matière d'éducation ? Avez-vous les moyens de travailler sur cette question qui pourrait contribuer à faire baisser l'angoisse de nos concitoyens ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Sur la dotation de 4 milliards d'euros, les besoins de financement pour les commandes nécessaires ont été très rapidement satisfaits. Il y a eu un effort majeur de l'État pour doter le pays des stocks stratégiques nécessaires à la protection de la population.

En ce qui concerne les masques, je pense vous avoir donné l'ensemble des informations dont je dispose dans le périmètre des missions de l'agence. Sur le plan scientifique néanmoins, il faut souligner un effet d'aubaine de cette crise car on a pu noter à la fois des discours très hétérogènes et la recherche par le public des informations les plus fiables. Il faut rester très humble : les informations scientifiques sont très évolutives et nous avons tout appris progressivement, tous ensemble. L'ensemble des informations est désormais largement disponible.

Sur l'efficacité et l'usage des masques, je vous signale la synthèse de la littérature publiée hier sur le site de Santé publique France, qui reprend l'ensemble des données scientifiques disponibles, y compris sur les masques grand public pour lesquels on dispose encore de peu d'informations : nous soulignons notamment l'importance de les fabriquer suivant les normes Afnor et celle des aspects d'entretien. Cette synthèse a vocation à évoluer au fur et à mesure. En outre, nous travaillons actuellement sur la préparation d'outils d'information et de prévention pour tout public sur le port du masque. Je rappelle que le port du masque ne fait pas tout : il ne doit pas faire oublier l'ensemble des gestes barrières, en particulier le lavage des mains et les recommandations de distanciation physique et sociale, y compris la limitation des rassemblements.

Je vous remercie d'avoir rappelé le rôle de prévention de l'agence, qui se fonde sur les meilleures données scientifiques disponibles afin de construire des messages d'information et de communication les plus adaptés possible, traduits pour certains outils dans vingt-deux langues différentes et réalisés en collaboration avec des associations et des ONG qui sont au contact des populations les plus vulnérables, qui sont aussi les plus fragilisées dans ce type de crise alors que les informations diffusées après d'elles sont très hétérogènes. Santé publique France agit pour rappeler que la prévention consiste, alors qu'il n'existe pas de traitement, en un ensemble de mesures à appliquer en même temps, aucune mesure ne démontrant en elle-même une efficacité suffisante. La prévention consiste aussi à rappeler de ne pas renoncer aux soins en dehors du covid-19 : il faut continuer la prévention dans tous les autres domaines.

Je considère qu'il est encore trop tôt pour tirer beaucoup de leçons de cette pandémie pour l'avenir. Il faudra évidemment le faire, mais nous sommes aujourd'hui pleinement concentrés sur chaque étape, en tâchant de nous améliorer à chaque instant.

La comparaison de l'épidémie actuelle avec le SRAS est importante car il s'agit de la même famille de virus, mais les deux maladies présentent des profils cliniques différents. D'abord, le SRAS était beaucoup plus grave en termes de mortalité (autour de 9-10 %, alors les données sur le covid-19 montrent qu'on est aujourd'hui autour de 0,5 %). Toutefois, en termes de transmission, le SRAS ne présentait pas de forme non-symptomatique. Il ne posait donc pas le problème soulevé par le covid-19 d'une possible transmission en l'absence de symptômes. C'est d'ailleurs le fondement de l'ensemble des recommandations relatives aux gestes barrières.

Quant à la comparaison avec la grippe, Santé publique France a publié début mars un premier travail de projection en se fondant sur les données issues des observations réalisées en Chine, qui a montré que l'impact du covid-19 serait bien supérieur à celui de la grippe, en particulier en termes de mortalité mais aussi de passages en réanimation, avec un point de vigilance particulier sur la charge du système de soins.

Aujourd'hui, les modélisations indiquent que le virus circulera encore à la fin du confinement ; il y aura encore plusieurs milliers de nouveaux cas par jour, ce qui reste important. La déclaration obligatoire est un régime utilisé pour des maladies moins fréquentes. Du point de vue de Santé publique France, l'article 6 du projet de loi de prolongation de l'état d'urgence sanitaire répond aux besoins en matière de surveillance, d'alerte et de contact-tracing.

Il faut avoir une stratégie large de tests fondée sur les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). La cartographie et l'organisation des réseaux de laboratoires ne relèvent pas du périmètre de Santé publique France. Nous constatons toutefois une montée en charge très sensible des tests dans la dernière période, ainsi qu'une volonté très forte des laboratoires de ville de s'impliquer et d'offrir la capacité nécessaire, cruciale au moment où l'on aborde la phase de déconfinement.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Le Gouvernement s'est fixé comme objectif la réalisation de 700 000 tests hebdomadaires à compter du 11 mai. Pourriez-vous nous donner les chiffres exacts de tests réalisés par semaine ? Il semble qu'il y ait en effet une différence importante entre le nombre de tests publié dans votre bulletin épidémiologique et celui communiqué par le ministère de la santé : comment l'expliquer ? Pensez-vous que cet objectif de 700 000 tests est réalisable pour le 11 mai, sachant que de nombreux établissements sont en manque de matériels pour réaliser ces tests - écouvillons et réactifs - ?

De plus, à partir du 11 mai, les laboratoires privés et publics pourront faire remonter les données privées récoltées lors des tests, notamment les noms, prénoms et date de naissance, vers une plateforme Sidep mise en place par la Drees. Cette plateforme servira-t-elle selon vous au traçage numérique ?

Enfin, serait-il selon vous préférable de nationaliser certaines entreprises françaises nécessaires à la santé publique - et, si oui, lesquelles - dans le but d'éviter les commandes passées à d'autres pays, notamment la Chine, alors que malgré les commandes annoncées, le matériel manque toujours sur le terrain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

J'ai été saisie par des couturières, des femmes qui ont dépanné dans nos villes, pour les Ehpad... Elles me disent qu'elles sont aujourd'hui en capacité de fabriquer des masques et qu'une certification est en cours, coûtant 1 000 euros. Une procédure administrative serait nécessaire, mais celle-ci serait longue et durerait depuis plus de trois semaines. Que pensez-vous de ces masques qui, nous dit-on, peuvent protéger s'ils sont homologués aux normes Afnor ? La somme annoncée est importante pour des couturières souvent individuelles : faut-il desserrer cet étau ?

Vous avez également parlé de cet état d'anxiété, de troubles du sommeil et de problèmes de santé mentale. Je suis, comme mes collègues, interpellée notamment sur les moyens des centres médico-psychologiques. Dans mon département, le Pas-de-Calais, nous comptons plus de 7 000 enfants placés, dont plus d'un tiers consultent des professionnels de santé et médecins de CMP. Les assistantes familiales me disent que les enfants sont aujourd'hui en détresse, dans une grande souffrance puisque, souvent, ils ne voient plus leurs parents biologiques : leur anxiété grandit. Que peut-il être mis en oeuvre pour donner plus de moyens à ces CMP ?

Enfin, quels moyens supplémentaires peuvent être mis dans les hôpitaux psychiatriques, souvent parents pauvres ? Je pense notamment aux personnes suivies pour des problèmes d'addictologie, dont le nombre de cas est vraisemblablement majoré ces derniers temps.

Debut de section - PermalienPhoto de Martin Lévrier

Je vais m'intéresser au temps présent et au très proche passé. Nous avons toujours, depuis quatre semaines, beaucoup d'admission dans les hôpitaux en raison du covid-19 ; je crois qu'on en comptait environ 1 000 hier. Disposez-vous d'outils statistiques pour suivre ces personnes et savoir où ils auraient pu contracter la maladie ? En résumé : avez-vous testé le contact-tracing sur ces personnes ? Si oui, cela a-t-il donné des résultats ? Quel type d'information cela peut-il avoir produit sur la circulation du virus - est-ce au travail, dans la rue en cas de non-respect du confinement... - ? Cela pourrait nous aider à appréhender le proche futur, dès lundi.

Dans la proposition de loi que nous avions adoptée, les personnes contacts avaient déjà été identifiées mais des moyens de coercition étaient prévus pour les récalcitrants, le préfet disposant de pouvoirs pour les personnes refusant d'être confinées. Ces pouvoirs n'ont pas été repris dans le projet de loi que nous avons voté hier au Sénat. Pensez-vous que cela est dommage et qu'il aurait été souhaitable d'avoir des éléments de coercition sur des personnes refusant le confinement - souhaitons qu'il n'y en ait pas - ?

Enfin, concernant l'application Stop-Covid, pensez-vous qu'elle puisse être très utile ou qu'elle est un élément accessoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je vous rappelle que le Sénat a voté hier l'absence de coercition... Votre réponse risque d'être une critique du Sénat !

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

Ma question ne porte pas sur la crise covid mais sur une autre crise. Nous avons vu que les plans de sauvegarde communaux que nous avons pu adopter n'étaient pas adaptés à la crise épidémique actuelle. Je me pose depuis longtemps la question des stocks d'iode en cas de problème nucléaire et de leur distribution. Nous avons eu récemment des alertes de l'IRSN concernant un incendie dans la région de Tchernobyl, qui heureusement n'a pas produit d'émissions majeures. Ne vaut-il pas mieux prévoir des stocks au niveau des mairies, dans un périmètre raisonnable ? Le périmètre a été récemment élargi pour la distribution en cas de catastrophe. Comme cela s'est révélé sur les masques : ne faut-il pas donner davantage de pouvoirs aux maires, qui sont plus proches ?

Concernant la communication et les gestes barrières, je vois régulièrement sur la chaîne Euronews des messages d'information plus ludiques que ceux diffusés sur les chaînes françaises, sinistres et donnant envie de changer de chaîne. N'est-ce pas contre-productif ? Avez-vous pu évaluer l'impact de cette communication télévisuelle sur la population ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Je vous remercie pour les informations déjà données. Au début de l'épidémie, alors que le covid-19 était déjà présent dans l'hexagone, les croisières ont continué dans les territoires ultramarins - je pense notamment à la Guadeloupe et à la Martinique - avec des passagers de nos territoires mais aussi en provenance d'Europe. Des mesures prises précocement n'auraient-elles pas été nécessaires alors que le virus était déjà identifié en France ? Des bateaux sont restés en errance dans l'Atlantique, mettant en difficulté nombre de personnes.

Concernant les médicaments, nous avons entendu des choses sur l'usage de produits issus de la médecine vétérinaire : y a-t-il eu des recours ?

Enfin, avez-vous des informations concernant les personnes drépanocytaires ? Une étude clinique permet-elle de savoir comment celles-ci se sont comportées en cas d'infection ? Y a-t-il des comorbidités identifiées en la matière qui conduiraient à la prise de mesures particulières en cas de rebond de l'épidémie ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Concernant les masques, vous avez posé la question des couturières qui contribuent à la fabrication de masques « grand public ». Nous avons émis une position sur ce que l'on sait de ce type de masques et de leur utilité : cette synthèse est disponible en ligne sur notre site - je l'ai déjà commentée -, ils peuvent être utiles avec un certain nombre de conditions et de contraintes. Votre question relève davantage des normes de sécurité et donc de l'ANSM, de l'Afnor, et de la direction générale du travail ; je ne peux empiéter sur leurs champs : ce sont là des équipements de protection individuelle, ils ne relèvent pas des missions de Santé publique France.

Vous m'avez interrogée sur différents points concernant les tests. La première question portait sur les données produites par Santé publique France. Celles-ci ne sont pas exhaustives. Elles consistent à utiliser deux sources de données, l'une venant des laboratoires hospitaliers, l'autre venant d'un réseau de laboratoires biomédicaux de ville avec lequel nous travaillons de longue date et avons un historique, afin de pouvoir construire un indicateur de positivité. À partir du dénominateur connu et stable dans le temps, nous pouvons établir le taux de positivité, qui ne représente pas l'exhaustivité des tests. Nous sommes très clairs sur ce sujet, je pense, dans notre point épidémiologique hebdomadaire : nous ne sommes en pas en charge de mesurer le nombre de tests pratiqués sur le territoire français. Notre travail est différent des remontées faites par le ministère de la santé sur des aspects capacitaires. Si l'on se réfère au dernier point épidémiologique, nous n'aurons pas le chiffre de 280 000 : nous ne disposons que d'une partie des tests. Il faut prendre les données dont on dispose pour ce qu'elles sont : elles visent à mesurer le taux de positivité et voir la circulation du virus à travers le taux de positivité. On constate ainsi que le nombre de tests a augmenté mais que le taux de positivité a diminué avec le temps, signe d'une maîtrise de l'épidémie et d'une diminution de la circulation du virus, en particulier en ville. Je vous remercie de me donner l'occasion ici de préciser à nouveau ceci. Le ministère de la santé a toute légitimité à estimer la capacité de tests, nous avons de notre côté la mission d'évaluation de la positivité. La comparaison ne permet pas de conclure sur le capacitaire. Ce travail se fait en attendant la mise en place du système d'information Sidep, qui a vocation à être exhaustif, à mesurer le taux de positivité au niveau le plus fin sur le territoire et à donner une évolution dans le temps. Sidep permettra de connaître le nombre de tests, le taux de positivité et donc l'incidence de la maladie en temps réel : c'est un outil extrêmement puissant et important pour suivre l'épidémie et ajuster les outils de gestion de manière rapide.

Vous avez souligné que l'épidémie demeurait active avec un certain nombre d'hospitalisations. Nous ne faisons plus de contact tracing dans la phase 3, d'abord car la stratégie de test a changé. Nous sommes en capacité de faire du contact tracing efficace si nous testons largement : c'est la situation dans laquelle nous nous trouverons à nouveau à partir de la semaine prochaine et de la levée progressive des mesures de confinement. En phase 3, les ressources ne sont pas disponibles pour le contact tracing. Néanmoins, sur le point précis de ces hospitalisations, nous considérons qu'il est important de pouvoir les expliquer. Une série d'analyses est actuellement réalisée sur ces hospitalisations, avec un certain nombre de signaux dont nous disposons, comme l'âge qui semble augmenter. Nous veillerons à rendre publiques nos conclusions : ces enseignements peuvent être intéressants sur les modes de transmission. Dans une période où l'on constitue l'ensemble des connaissances au fur et à mesure, ils peuvent aider à une meilleure compréhension et à définir les meilleures mesures qui pourraient être préconisées.

Sur Stop Covid, je serai brève. Dans le champ des outils qui permettent le contact tracing en phase de déconfinement, il nous semblait - sous réserve, comme cela était prévu, qu'il respecte l'ensemble des droits et protections sur les données de santé individuelles - qu'il pouvait être un outil intéressant en complément de l'ensemble du dispositif. À partir du moment où il est volontaire, il sera un apport. Mais nous voyons que le dispositif qui se met en place est fondé sur une organisation avec une mobilisation de ressources humaines conséquente, avec une place importante donnée au médecin généraliste.

Vous avez souligné un certain nombre de points sur la promotion de la santé et la communication sur les gestes barrières. Nous le voyons, notamment dans les pays anglo-saxons, les aspects ludiques et bienveillants peuvent être un atout pour attirer l'attention et être mieux reçus des populations. Nous n'avons pour le moment pas de retour sur l'impact de cette communication télévisuelle sur la population. Notre enquête Covid-Prev, qui mobilise des méthodes de type baromètres, permet de mesurer régulièrement l'adoption des gestes barrières et l'évolution dans le temps. Nous voyons que le port du masque est extrêmement bien accepté. Un certain nombre de gestes barrières doivent eux en revanche faire encore l'objet d'une information et d'une communication soutenues pour en favoriser l'adhésion. D'autres méthodes de communication peuvent être intéressantes et l'impact des différents modes de communication doit pouvoir être mesuré.

Concernant les croisières, nous avons vu émerger un certain nombre de « clusters » et de cas groupés dans celles-ci. Dans ces situations, les données ne remontent pas s'ils ne sont pas situés dans le territoire français. Les cellules locales étaient largement mobilisées, dans les territoires d'outre-mer en particulier, pour être en appui sur le contact tracing et sur les préconisations en cas d'identification de cas d'alerte.

Les médicaments vétérinaires ne sont pas dans notre périmètre.

Vous soulevez enfin un point très important sur les personnes drépanocytaires. Une coordination des programmes de recherche, Reacting, vise à soulever l'ensemble des questions et hypothèses scientifiques qui peuvent être étudiées. Un effort important est fait pour mobiliser les chercheurs. Même si ce n'est pas dans notre champ, nous sommes en lien avec la coordination des chercheurs : un certain nombre de questions peuvent être utiles pour soulever des hypothèses. Nous suivons les questions des personnes particulières, en particulier atteintes de drépanocytose, et sommes vigilants à ce que ces personnes fassent l'objet d'observations particulières sur l'impact potentiel de la maladie et de l'épidémie en général. Encore une fois, nous nous posons la question de l'impact de l'infection chez ces personnes mais aussi celle du maintien du recours au soin et du suivi de ces personnes pour qu'il n'y ait pas, sur cette période, d'épidémie, de pertes de chances sur d'autres dimensions de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je souhaiterais connaître votre rôle dans le classement des départements en catégories rouge et verte. Ces classements sont sources de nombreuses incompréhensions sur le territoire. En tant que médecin et ancien président de conseil départemental, j'avoue ne pas comprendre le choix qui a été fait de retenir un classement au moyen des couleurs rouge et verte. S'ils sont dans un département vert, nos concitoyens pourraient croire qu'ils ne courent plus aucun danger et que tout est permis. Quant au classement de territoires en rouge, il est vécu comme stigmatisant. Alors qu'il s'agit d'un classement départemental, il repose en partie sur des critères régionaux, notamment pour mesurer la saturation des capacités hospitalières. Par exemple, le département de la Marne compte 32 malades actuellement hospitalisés en réanimation et dispose d'une capacité de 68 lits de réanimation, qui a été étendue à 110 lits depuis la crise. Or, ce département est classé en rouge parce qu'il se situe dans la région Grand Est. Il n'a pourtant pas accueilli de patients issus d'autres départements de la région, par exemple de Strasbourg ou de Mulhouse, et les cliniques privées sont restées désoeuvrées.

En outre, les critères semblent évolutifs et certains d'entre eux passent d'une approche départementale à une approche régionale. Concernant les tests, nous sommes passés d'un critère évaluant la capacité à effectuer un certain nombre de tests à l'évaluation de la capacité à interpréter les tests. Or, cette capacité d'interprétation n'est pas évaluée par département.

Au total, les élus départementaux vont avoir de grandes difficultés à expliquer le classement en rouge ou en vert de leur territoire auprès de la population. J'ajoute que les remontées d'informations sont longues car il y a des inerties pour agréger les données disponibles. Tout n'est pas encore comptabilisé. Par exemple, pour évaluer la circulation du virus dans le secteur privé on se fie aux données issues de SOS Médecins alors que cette fédération ne couvre pas l'ensemble du territoire. Ces critères n'apparaissent donc pas satisfaisants d'un point du vue scientifique.

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Mes questions portent sur l'organisation de la période de déconfinement. Tout d'abord, allez-vous participer à la constitution des brigades destinées à tester les personnes potentiellement infectées ? Reconnaissons que ce terme de « brigade » n'est pas très heureux pour désigner ces équipes. Allez-vous par exemple participer à la constitution des binômes qui interviendront pour effectuer des tests, en mobilisant notamment la réserve sanitaire ou la réserve citoyenne ? Quel rôle allez-vous jouer pour former le personnel ?

Concernant les personnes vulnérables, je rejoins ma collègue Cathy Apourceau-Poly qui évoquait la situation des assistants familiaux. Beaucoup de jeunes qui leurs sont confiés sont en situation de handicap ou présentent des troubles psychiatriques et psychologiques. Je pense aussi aux populations de migrants qui pourraient être oubliées dans la gestion du déconfinement. Comment agir également auprès des gens du voyage, qui ont pour habitude de se rassembler ?

Concernant les personnes âgées, ne faudrait-il pas effectuer un bilan par Ehpad, pour évaluer la santé des résidents à l'issue de la période de confinement ? Il faut travailler aux conditions du retour des professionnels de santé dans ces structures car les résidents se sont repliés sur eux-mêmes et sont restés immobiles pendant cette période, ce qui n'est pas sans conséquence sur leur santé.

Enfin, ne faudrait-il pas renforcer l'éducation à l'hygiène et à la propreté des jeunes ? L'apprentissage des gestes barrières, dans les actes de la vie quotidienne, me parait essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Vous n'avez pas répondu à ma question relative à la réquisition des masques : comment ont-ils été recensés et mobilisés ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

La réquisition des masques ne relève pas du périmètre d'intervention de Santé Publique France. Je vous invite à poser votre question à la direction générale de la santé et au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale qui sont compétents en la matière.

Les questions posées sur les indicateurs vont me permettre d'expliciter ce que produit Santé publique France. Parmi les indicateurs retenus, la direction générale de la santé a souhaité disposer d'un indicateur mesurant la dynamique de circulation virale, qui relève de notre compétence. Nous ne sommes pas chargés de produire les autres indicateurs qui concernent les tests et les capacités hospitalières.

Concernant la dynamique virale, l'idéal aurait été de mesurer, à l'échelon départemental, le taux de positivité aux tests de dépistage. Cet indicateur épidémiologique ne pouvant être disponible dès maintenant - il le sera prochainement - nous avons choisi d'évaluer la circulation du virus en mesurant les passages aux urgences pour suspicion de covid-19. Ces mesures n'impliquent pas SOS Médecins. Certes, cet indicateur n'est pas parfait, mais nous le pondérons avec les données locales dont disposent les cellules régionales et qui permettent de mieux refléter la circulation du virus au niveau départemental.

L'élaboration de l'indicateur de circulation virale se fait avec l'ensemble des acteurs disposant de données à l'échelon local. Nous considérons en effet qu'il doit être discuté chaque jour entre les cellules régionales et les ARS pour avoir la meilleure compréhension possible de la situation locale. La pondération locale tient notamment compte de la présence d'éventuels clusters épidémiques. Nous parlons davantage de dynamique du virus plutôt que de classements par couleurs. Notre responsabilité est donc de rassembler le plus d'informations possibles, pour apprécier au mieux la dynamique de circulation du virus. Il y a toujours des voies d'amélioration et je veux rendre hommage à la robustesse et à la mobilisation du réseau d'acteurs sur lequel s'appuie Santé publique France pour l'élaboration de ces données.

En matière de santé mentale, nous avons élaboré et mis en oeuvre des enquêtes afin d'évaluer la situation de façon objective. Le confinement a eu des impacts sur l'isolement des personnes vulnérables, que ce soit les plus jeunes dans les centres médico-psychologiques ou nos aînés qui résident dans des Ehpad. Dès lors que se mettent en place des mesures visant à la reprise d'un certain nombre d'activités, avec toutes les précautions qui s'imposent, il est important que ces personnes puissent également retrouver le contact humain et les relations sociales, pour briser leur isolement. Je ne ferai pas de commentaire sur les hôpitaux psychiatriques et leurs moyens, qui ne relèvent pas de notre compétence. Je rappelle que nous fournissons des outils d'aide avec des écoutants qui restent mobilisés malgré les difficultés actuelles d'organisation du travail.

Concernant les brigades, dont le terme est désormais choisi, elles constituent un service de santé publique qui est le fruit d'une mobilisation extraordinaire. Elles sont constituées pour que, de manière réactive et exhaustive, nous puissions briser les chaines de transmission du virus. C'est la finalité de ces brigades qui importe. Leur préparation est en cours ; la mobilisation est très intense, notamment des services de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam). La constitution de ces brigades répond à la recherche de solutions les plus favorables possibles pour l'accompagnement des personnes vulnérables. Sur ce sujet, nous intervenons en « niveau 3 », c'est-à-dire que nous participerons, avec les ARS, aux investigations des clusters et des cas groupés, pour lesquels il faudra agir rapidement afin de briser la transmission. Nous intervenons aussi en appui auprès de la Cnam afin de leur fournir tous les outils dont nous disposons : questionnaires, conduites à tenir, guides, ensemble de définitions. Ce sont des outils utiles pour former le personnel ; leur intérêt se fonde sur l'expérience que nous avons des interventions lors des phases 1 et 2 de l'épidémie.

Nous prenons en compte le suivi des personnes les plus vulnérables. Des cas groupés peuvent toujours réapparaitre, notamment au sein de communautés vulnérables, donc nous nous préparons à ce risque, avec l'accompagnement des personnes. Les cellules régionales ont une expérience en la matière, elles ont notamment contribué à la lutte contre la rougeole chez les gens du voyage, et travaillent en lien avec des associations qui agissent auprès de ces communautés.

L'éducation à l'hygiène et la propreté est très importante. L'apprentissage des gestes barrière sera sûrement un levier majeur de cette éducation à l'hygiène.

Enfin, concernant les Ehpad, nous publions chaque semaine l'ensemble des données qui nous remontent de ces établissements et qui recensent les cas confirmés, des résidents et du personnel. Ces données montrent notamment la fin des clusters épidémiques au sein des Ehpad. Le confinement a été appliqué de manière intense dans ces structures. Il a eu un impact non négligeable sur les résidents. Il est donc est important de sortir progressivement de ces mesures de confinement, avec les précautions qui s'imposent, car elles aggravent le vieillissement et la santé des résidents. Cette sortie progressive doit se traduire par les visites des familles et l'intervention des professionnels au sein des établissements. Il faut trouver un équilibre entre le risque épidémique, avec lequel il faudra vivre dans la durée, et le risque de l'isolement prolongé.

J'espère avoir répondu à toutes vos questions et je reste à votre disposition pour fournir les réponses complémentaires que vous souhaiterez.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Je ne comprends toujours pas que les variables cartographiques changent en cours de route - puisque, départemental au départ, le critère de classement est devenu régional -, de même que leurs conséquences. Vous n'en êtes certes pas responsable, mais c'est particulièrement préoccupant sur le terrain, notamment pour l'ouverture des écoles. Certains maires sont déjà réticents à prendre cette responsabilité ; que leur département reste rouge du seul fait de son appartenance à une région dans laquelle le virus circule encore ne sera pas de nature à les faire changer d'avis... Mon département est ainsi rouge alors que la circulation du virus n'est que de 4,32% !

S'agissant du critère des urgences, n'aurait-il pas été plus judicieux de prendre en compte le nombre d'appels au Samu liés au covid-19 ? Au CHU de Reims, ce nombre, qui est disponible chaque jour, et qui a été considérable, n'est désormais plus que de 9 % ou 8 % : cela montre bien la moindre circulation du virus. Pardonnez-moi d'insister mais, quand on s'est battu pour faire remonter les données de la contagion en Ehpad et organiser le confinement - bien avant les consignes nationales d'ailleurs, car les élus locaux se sont rapidement rendu compte qu'il s'y passait quelque chose -, se retrouver avec une couleur qui vous montre du doigt n'est pas très encourageant. Ce sont en effet les conseils départementaux qui ont fait remonter les données du secteur médico-social aux ARS, qui sont davantage préoccupées par le sanitaire...

Debut de section - Permalien
Geneviève Chène, directrice générale de Santé publique France

Nous ne disposons pas du nombre d'appels passés au Samu et liés au covid-19 pour tous les départements. Je prends toutefois bonne note de votre proposition et des préoccupations des territoires qui ont déjà beaucoup souffert de la situation.

L'indicateur de la dynamique épidémique est fondé sur les passages aux urgences, qui impliquent un contact direct entre le patient et le professionnel de santé. L'avantage, c'est que nous savons comment cet indicateur évolue avec l'épidémie, et nous pouvons le calculer à l'échelon départemental. L'offre de soins, elle, ne peut être calculée qu'à l'échelle régionale. Les indicateurs donnent des outils de préparation ; ils n'ont évidemment aucune intention de stigmatisation. Certains territoires ont plus de besoins que d'autres, et il faut y être tout particulièrement attentif.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous vous remercions d'avoir consacré votre matinée à nos travaux. Je ne crois pas que nos collègues aient tous été entièrement satisfaits par vos réponses, que je qualifierais de maîtrisées. Une table ronde devrait être organisée bientôt, pour que les différents acteurs cessent de se renvoyer la balle... J'ai de plus demandé au Sénat la création d'une commission d'enquête, qui devrait commencer ses travaux d'ici la fin juin, et devant laquelle j'aurai l'honneur de vous demander de bien vouloir revenir témoigner.

La téléconférence est close à 12 h 20.

- Présidence de M. Alain Milon, président -

La téléconférence est ouverte à 16 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous avons le plaisir d'accueillir cet après-midi Mme Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery ».

Mme Ader est le pilote d'un essai clinique coordonné par l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui doit tester quatre traitements, sur 3 200 patients en Europe, dont au moins 800 en France. Ces patients sont hospitalisés et gravement atteints.

Dans un contexte où se prépare le déconfinement de la population alors qu'aucun traitement, ni vaccin ne sont disponibles, les résultats de cet essai sont bien sûr très attendus. L'impatience a parfois confiné à l'hystérie si l'on considère les débats sur les réseaux sociaux sur l'hydroxychloroquine ou encore l'envolée des cours de bourse de la société Gilead après que le Dr Fauci a anticipé des annonces, mêmes assorties de précautions, sur les résultats du remdésivir.

Cette audition a pour objectif d'éclairer la commission sur cet essai, nous exposer sa méthode et ce qu'il est possible d'en dire à ce jour.

Madame le professeur, vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Infectiologue clinicienne, je suis impliquée dans la prise en charge des patients, ce qui m'a valu de piloter un essai dont la vocation est d'améliorer la prise en charge en phase aiguë d'une nouvelle maladie. L'essai « DisCoVery » est interventionnel et teste quatre traitements. Le virus étant totalement nouveau, nous évaluons des médicaments existants, repositionnés sur de nouvelles indications dans une démarche de « repurposing », dont certains étaient jusqu'ici utilisés dans le traitement d'autres infections virales.

L'un de ces médicaments est le remdésivir, initialement testé pendant la crise d'Ebola, et pour lequel nous disposons de données d'efficacité in vitro. De même, ce sont des données in vitro recueillies en Chine qui nous ont amenés à ajouter dans le week-end du 12 mars un bras incluant l'hydroxychloroquine. Outre ces deux molécules, nous testons la combinaison lopinavir/ritonavir, jusqu'ici utilisée dans le traitement du virus d'immunodéficience humaine (VIH), et plus ou moins un immunomodulateur, l'interféron bêta.

Les patients sont répartis entre les différents bras de l'essai de façon aléatoire. En testant des médicaments dont l'efficacité n'est pas certaine, nous n'avons pas d'autre choix méthodologique que de les comparer à un bras contrôle sans traitement mais avec une prise en charge optimisée, avec, par exemple, l'administration d'oxygène, d'antibiotiques, de cortisone ou encore d'anticoagulants, ce qui correspond à un bras de traitement de base, également dénommé en anglais « standard of care » et fait de cet essai randomisé un essai contrôlé.

L'essai « DisCoVery » est également adaptatif dès lors qu'il a vocation à durer. Il se peut que nous ayons à gérer cette maladie pendant plusieurs années. Nous sommes donc en recherche de thérapeutiques actives qui ne se conçoivent pas du jour au lendemain. Quand nous aurons répondu à la première question posée, nous pourrons soit mettre en oeuvre d'autres bras, soit en arrêter d'autres dont les molécules n'atteignent pas l'échelle d'efficacité pour justifier leur utilisation pour un plus grand nombre.

L'essai est international : il est une émanation de l'essai « Solidarity » de l'organisation mondiale de la santé (OMS). Ce dernier regroupe divers pays qui se caractérisent par des systèmes de prise en charge sanitaire et de recherche distincts. L'objectif de l'OMS est que cet essai, qui définit de grands axes et des recommandations, soit adapté par chaque pays à ses spécificités en matière de santé et de recherche.

Dans la sphère de l'essai « Solidarity », auquel 1 800 patients participent, la France est le pays qui a le plus inclus de patients dans ce protocole, avec actuellement 740 patients. Nous pouvons nous féliciter de notre maillage hospitalier efficace et de l'impulsion absolument majeure donnée à ce projet par des structures de recherche comme l'Inserm et l'agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et d'appui comme l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Le confinement a fonctionné, ce dont nous pouvons nous réjouir, si bien que la moindre affluence de malades dans les hôpitaux qui en résulte explique que nous incluons désormais peu de patients en France à l'heure actuelle. Dès lors que certains pays peuvent endosser un protocole impliquant des examens biologiques, virologiques ou d'imagerie qui représentent un certain coût, il paraît logique que l'essai se développe au-delà de nos frontières afin d'atteindre un chiffre qui nous permette de conclure. Les méthodologistes de l'OMS et de l'essai « DisCoVery » estiment, pour conclure sur des médicaments repositionnés et dont on peut anticiper que l'efficacité sera partielle, qu'il faudra au moins 600 patients par bras, soit un total de 3 000 patients. L'ambition est de s'entendre avec les autres pays européens afin, sous l'égide de l'OMS, d'inclure les 3 000 patients et de passer, ensuite, à d'autres essais pour nous inscrire dans une dynamique sur plusieurs années qui nous permette de proposer des solutions.

Il est évidemment impossible de communiquer à ce stade sur le moindre résultat de l'essai. Sur le terrain, je pilote l'essai et m'emploie à aplanir les difficultés logistiques pour permettre aux trente centres d'inclusion de travailler dans les meilleures conditions possibles. Toutes les données recueillies dans l'essai sont transmises à une base de données complètement anonyme. Des extractions de la base sont régulièrement envoyées à un comité d'experts qui les analyse en totale indépendance afin de déterminer si des signaux s'en dégagent. Ce comité, dénommé « Data Safety Monitoring Board », se réunit régulièrement. Les résultats de l'essai seront publiés en fonction des analyses effectuées par ce comité qui est souverain. Dans l'hypothèse où il ne serait pas possible de conclure en raison d'un nombre insuffisant de patients, nous continuerons d'inclure afin d'obtenir le nombre de patients nécessaire pour répondre aux questions posées par l'essai.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Forissier

Je voudrais saluer la qualité de vos travaux. Vous avez déjà répondu à plusieurs de mes interrogations.

Vos travaux actuels vous ont-ils permis d'affiner la méthodologie pour la recherche d'un nouveau médicament ? D'autre part, disposez-vous de suffisamment de moyens pour conduire votre recherche ?

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Ce virus nous a fait rentrer dans une séquence temporelle rare en médecine dans laquelle nous avons été contraints de découvrir au fil de l'eau une nouvelle maladie, tout en travaillant la nuit à l'élaboration d'un protocole de recherche sur une pathologie méconnue. Cet effort d'adaptation sur ces deux versants est inédit et me rappelle, d'une certaine façon, ce à quoi nous avions été confrontés au début de l'épidémie du sida. Dans le cas présent, la séquence de montée en puissance a été beaucoup plus rapide et nous a permis de circonscrire certaines questions afférentes à l'optimisation de la prise en charge des patients et, par là même, d'améliorer le protocole.

Nous avons avancé en marchant, avec les patients et au rythme de la littérature scientifique. Il y a une épidémie de recherche en matière de Covid-19, dont une abondante littérature chinoise qu'il faut lire avec beaucoup de prudence dans le cas de certaines publications. Nous avons progressé de façon rapide et nous avons déjà apporté cinq amendements au protocole, sur la forme comme sur le fond, notamment s'agissant de la prise en charge des patients.

L'enveloppe financière obtenue de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) est suffisante pour remplir les objectifs fixés à ce stade. En revanche, nous ne sommes pas encore opérationnels dans l'harmonisation des procédures européennes de montage d'essais transfrontaliers. Nous manquons de moyens pour nous coordonner en séquence rapide les uns avec les autres, les réglementations restant compliquées d'un pays à l'autre. Après une séquence rapide, marquée par un protocole élaboré en six jours et une autorisation obtenue en quinze, nous mettons désormais plus de temps à gérer les circuits réglementaires des différents pays. C'est sur ce sujet que nous devons travailler pour monter en puissance.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

L'essai Discovery évalue l'efficacité de quatre médicaments déjà existants sur des personnes hospitalisées atteintes de formes graves de Covid-19. Ne serait-il pas utile d'interroger les données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) afin de comparer les résultats de cet essai avec les effets de ces traitements sur les personnes qui les prennent déjà ? Vous devez par ailleurs assurer le rapport des effets secondaires des molécules sur lesquelles porte votre essai. En avez-vous identifié quelques-uns à ce stade ? Par ailleurs, on parle beaucoup, parallèlement aux recherches portant sur un médicament antiviral, des immunomodulateurs. Que vous inspirent les récentes interrogations sur les cellules du cordon ombilical, qui sont réputées pour leurs propriétés anti-inflammatoires ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Les essais que vous pilotez portent sur de nouvelles indications thérapeutiques pour des molécules existantes, mais y aura-t-il à votre sens des essais qui porteront sur des molécules nouvelles ? Anticipez-vous l'élaboration d'un nouveau médicament antiviral spécifique ou pensez-vous que la solution résidera davantage dans la maîtrise de la réaction inflammatoire ?

Par ailleurs, je souhaitais vous interroger sur la coopération européenne en la matière : le Luxembourg est-il le seul à avoir maintenu sa participation aux côtés de la France dans cet essai ?

Sur ces essais plus particulièrement, tous les bras que vous avez décrits présentent-ils des profils de patients équilibrés ?

Enfin, concernant l'hydroxychloroquine, vous êtes sans doute avisée de l'essai clinique conduit au CHU d'Angers, sans association avec l'azythromicine, qui porte sur des personnes de plus de 75 ans et atteintes de formes graves de Covid-19. Avez-vous un avis ? De façon plus générale, cette multiplication d'essais non randomisés et non coordonnés ne crée-t-elle pas une forme de confusion dans la communauté scientifique ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Je m'abstiendrai de toute question relative aux essais conduits par le professeur Didier Raoult et me contenterai de m'associer à la question de ma collègue sur la présence du Luxembourg au sein de l'essai Discovery.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Toujours sur le sujet de la coopération européenne, avez-vous des précisions sur les différents essais, conduits par nos voisins, dont l'objectif est le même mais dont les protocoles sont différents ? Ne manque-t-on pas là une occasion de mutualiser utilement nos moyens ?

J'aurais également aimé que vous précisiez le coût de l'essai Discovery. Tourne-t-il bien autour de 5 000 euros par patient ?

Enfin, je me permettrai cette remarque, que m'inspirent vos propos particulièrement édifiants : on voit bien à la mobilisation actuelle du tissu hospitalier de notre pays et des instituts de recherche, qu'on ne peut que plaider pour en renforcer les moyens financiers et humains.

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Monsieur Daudigny, vous m'interrogez sur l'opportunité d'une comparaison avec les données du PMSI ; il ne s'agit pas de ma spécialité, mais je compte que de nombreux médecins de santé publique s'en chargeront, pour notre plus grand bénéfice.

Concernant votre interrogation sur les effets secondaires des traitements sous essai, aucun n'a encore été signalé.

Votre question sur la complémentarité entre les traitements antiviraux et immunomodulateurs m'intéresse tout particulièrement. Je retiens de mes années d'apprentissage - au moment où l'épidémie de VIH posait des questions similaires à celles que le Covid-19 pose aujourd'hui - et de mes échanges avec Mme Françoise Barré-Sinoussi qu'un virus ne peut être simplement considéré en soi, mais également à raison de l'interaction pathogène avec son hôte. Autrement dit, l'antiviral est essentiel, mais tout autant que le traitement qui tient compte de la cible du virus et de la réaction immunitaire, parfois fatale, qui en découle. Pour l'heure, nous en sommes encore à découvrir ce virus, à le démembrer pour en connaître tous les impacts. Une fois cette phase achevée, nous serons en mesure d'identifier chacune des cibles immunitaires touchées par ce dernier, et de prévoir les traitements spécifiques en conséquence. Vous devez bien comprendre qu'un traitement immunomodulateur n'aura de pertinence qu'à l'issue de ce travail, lorsque nous aurons précisément défini les cibles. Une fois ces dernières définies, pourra alors commencer la phase de recherche sur les médicaments dits de seconde génération, ou molécules dites de haute affinité, qui concentreront leur action modulatrice sur les seuls éléments du système immunitaire attaqués par le virus.

Concernant votre question sur la coopération européenne, je vous confirme que le Luxembourg a bien rejoint notre protocole - un patient sur 740 - et qu'aucun pays ne s'est formellement retiré des négociations. Nous travaillons actuellement à l'harmonisation des protocoles, des procédures et des réglementations qui nous permettront de fonctionner tous ensemble.

Vous avez également posé la question du foisonnement d'essais non randomisés ; je risquerais l'expression d'« épidémie de recherche ». Avec toutes les réserves que je me dois d'employer, je trouve peu judicieux d'avoir initié 30 ou 40 études qui ne concerneront qu'une dizaine de patients chacune plutôt que de s'être accordé sur un nombre limité d'études mais avec un plus grand échantillon de patients. La robustesse des résultats produits n'est pas suffisante, alors même que ces études ont obtenu des financements. J'irais même jusqu'à dire que le principe d'une étude à large public s'imposait : lorsque l'on ignore tout de l'efficacité d'une certaine molécule pour une certaine infection, on ne peut tirer de résultats pertinents qu'à partir d'un panel de patients le plus large possible.

Je l'ai dit, un patient a été enrôlé au Luxembourg. J'ai mentionné les difficultés d'organisation que nous pouvons avoir avec nos collègues européens. Il n'y a pas de mauvaise volonté mais des difficultés réglementaires à aplanir.

Madame Cohen, il existe en effet des différences d'un pays à l'autre. Il y a deux enjeux : nous sommes tous sous le parapluie de l'OMS, censée nous aider à la mise en place des recherches en temps réel. Mais chaque pays doit adapter les règles générales à son mode de fonctionnement. Tous les systèmes de santé ne sont pas les mêmes. Par ailleurs, dans chaque pays, des structures de leadership propres se mettent en place, ce qui est important. On ne peut pas complètement lisser ces réalités. C'est une équation triangulaire qu'il faut résoudre : il faut à la fois un leadership positif, une harmonisation réglementaire entre pays et une capacité à se mettre en ordre de marche avec les mêmes protocoles afin de répondre le plus rapidement possible à la crise.

Je vous confirme le chiffre de 4 500 à 5 000 euros par patient. Si nous avons les moyens de le faire en France, c'est plus problématique dans certains pays. C'est pourquoi l'étude Solidarity a mis à disposition un protocole plus simple que celui de Discovery. C'est en effet le rôle de l'OMS de proposer des protocoles que tous les modèles socio-économiques puissent assumer. La problématique de Discovery est la suivante : tous les pays européens peuvent-ils assumer d'inclure cinq cents patients à ce prix, et où sont les financements pour y parvenir, étant entendu que l'Inserm en est le promoteur mais ne peut pas financer toute l'Europe ? Nous nous tournons maintenant du côté de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Le professeur allemand Christian Drosten participe-t-il à ces réflexions ?

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Avec les Allemands, la discussion est très intéressante : elle reprend exactement la triangulaire dont je viens de parler. Nous avons des échanges de courriels tous les jours. En tant qu'État fédéral, l'Allemagne fonctionne différemment, elle a aussi des exigences mais elle doit composer avec des questions réglementaires françaises. Nous devons mettre au point et harmoniser un protocole commun, tout en laissant les gens sur place être leaders du projet, ce qui constitue quelque chose d'inédit en Europe, le tout en un temps extrêmement court. Mais je ne doute pas que nous y arriverons un jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Il est dommage que vous ne soyez pas plus reprise sur les réseaux sociaux... Vous avez cité l'exemple du VIH. Pensez-vous que nous devrons apprendre à vivre avec ce type de virus et, faute de vaccin, tout miser sur la prévention et la recherche d'un traitement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Vous avez parlé d'« épidémie de recherche ». Ces recherches sont-elles uniquement conduites au sein des hôpitaux, sur des patients en phase aiguë, ou y a-t-il aussi des essais en ambulatoire ? Attendez-vous dans un deuxième temps une coopération avec la médecine de ville ?

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Sur la question de l'« apprendre à vivre », je vais me permettre une digression tirée de mes vingt-cinq ans d'expérience. La pandémie du sida a été un révélateur qui a davantage touché certaines populations et a eu pour effet de mettre à jour une manière de fonctionner des sociétés occidentales. En vingt-cinq ans, beaucoup de choses ont progressé : nous avons commencé à appréhender des réalités sociétales qui étaient insuffisamment mises en avant. C'est peut-être ainsi qu'il faut interpréter ce que nous vivons actuellement. Notre monde est asynchrone à plusieurs niveaux. Le virus vient d'une zone géographique qui vend au monde entier des objets d'« hyper-connexion » et où il existe en même temps une pression zoonotique plus importante qu'ailleurs. Dans un monde globalisé avec des différences socio-économiques importantes, cela a abouti à une pandémie. Avec le changement climatique en arrière-plan, notre mode de vie est ainsi remis en question. Nous avons choisi de vivre dans un monde globalisé mais il y a peut-être un prix à payer. La nature n'est pas déconnectée de notre mode de vie. En tant que médecins, nous nous inquiétons de cette accélération. Je considère donc que la réflexion doit être globale : oui, il faut s'habituer à vivre avec, et cela va au-delà de la pression médicale exercée par un virus sur la société. J'espère qu'à l'occasion du déconfinement, les gens vont y réfléchir.

Madame Imbert, cette épidémie de recherche pose problème. Se mobiliser est une chose, tirer dans tous les sens en est une autre. J'ai répertorié trente-deux études thérapeutiques autorisées en France sur des patients hospitalisés, contre seulement trois sur des patients ambulatoires. Trente-quatre études sont en attente d'autorisation, ce qui est considérable. Peut-être convient-il de réguler ces recherches différemment en se concentrant sur des études de grande taille.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

os réflexions rejoignent celles de la commission. Par ailleurs, nous nous étions inquiétés de l'évolution de la maladie en Afrique, mais il semblerait que l'épidémie y soit moins importante qu'aux États-Unis et en Europe. Avez-vous une explication à ce sujet ?

Debut de section - Permalien
Florence Ader, infectiologue à l'hôpital de la Croix-Rousse de Lyon, responsable de l'essai clinique européen « DisCoVery »

Je ne dispose pas de renseignements précis sur la dynamique de l'épidémie en Afrique. Le recensement des cas doit y être très compliqué. Beaucoup de patients n'ont pas accès au système sanitaire, si bien qu'il doit être extrêmement difficile d'avoir une vision globale. Dans les zones péri-urbaines et rurales, on est peut-être dans l'impossibilité de savoir ce qu'il se passe.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je vous remercie beaucoup de cette audition très enrichissante.

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