Le Gouvernement et moi-même consultons très régulièrement les associations d’élus et les groupes parlementaires, et nous continuerons à le faire, pour préparer cette échéance.
Enfin, j’entends les réticences de certains maires et de certains chefs d’entreprise, qui craignent que leur responsabilité ne soit engagée. Le sujet de la responsabilité face aux Covid-19 n’est pas une petite question. J’aimerais donc m’y attarder un peu.
Le régime de responsabilité pénale des décideurs vous est bien connu. Il est issu, en plus des dispositions anciennes du code pénal, de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000.
Si ce régime n’a pas été modifié depuis près de vingt ans, c’est qu’il est juste, c’est-à-dire qu’il est à la fois précis dans son contenu et équilibré dans sa portée. Il n’a pas empêché depuis vingt ans de prendre des décisions. J’en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre je n’ai été empêché d’agir de la façon dont j’estimais devoir le faire au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens, notamment eu égard aux informations dont je disposais pour appuyer mes décisions. Chacun sait, en outre, que ces dispositions n’ont pas empêché des responsables publics de répondre – car être responsable, étymologiquement, c’est bien d’avoir à répondre – de leurs décisions.
Il n’en reste pas moins que la question se pose et que les inquiétudes sont là. Il nous faut donc y répondre. Nous devons le faire avec deux convictions, chacune étant importante.
Premièrement, notre Constitution nous invite à ne pas aborder ce sujet de manière segmentée, en pensant à telle ou telle catégorie de responsables. Bien entendu, le Sénat est parfaitement dans son rôle quand il accorde une attention particulière à la situation des élus locaux. Pour autant, un maire qui rouvre une crèche, un président d’intercommunalité qui organise les transports en commun, un préfet qui autorise la reprise d’un marché ou un chef d’entreprise qui redémarre un chantier ne sont pas dans des situations fondamentalement différentes. Il s’agit chaque fois de femmes et d’hommes qui ont la responsabilité d’autres femmes et d’autres hommes, et à qui il incombe de prendre des décisions durant cette crise. Traitons-les de façon équitable.
Deuxièmement, cette question mérite d’être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage. Mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs – publics ou privés – s’exonèrent de leurs responsabilités. Je le redis, ce n’est en rien un hasard si les termes de la loi Fauchon n’ont pas bougé depuis vingt ans. Je les cite : « Les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. » Il me semble, mais il appartiendra au Parlement d’en décider, que nous devons préserver cet équilibre.
Oui, il faut préciser la loi, rappeler la jurisprudence qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi ou pas. Mais je suis nettement plus réservé s’il s’agit d’atténuer la responsabilité de chacun.
Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, c’est ensemble que nous devons résoudre les problèmes, pas à pas. J’y suis disposé. Il appartiendra au Parlement de trancher la délicate question de savoir si ce sujet sérieux, ce sujet qui suscitera beaucoup d’attention, pas simplement de la part des décideurs, bien entendu, mais aussi de la part de l’ensemble de nos concitoyens, doit être traité à l’occasion d’un amendement ou d’un texte spécifique. J’ai la certitude que le Parlement dans son immense sagesse saura répondre à cette question délicate.
Le 11 mai, mesdames, messieurs les sénateurs, ne sera pas le début de l’insouciance : ce sera le début de la reprise. Il faut nous y engager avec prudence et responsabilité.
Pendant des siècles, quand survenait une épidémie, on se répétait le fameux cito, longe, tarde que l’on peut traduire par « pars vite, loin et longtemps », que la tradition attribuait à Galien, le médecin de Marc Aurèle pendant la grande peste antonine. Je signale, à toutes fins utiles, que Galien était fils d’un sénateur…