Séance en hémicycle du 4 mai 2020 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • confinement
  • déconfinement
  • d’urgence
  • l’état
  • masque
  • semaine
  • test
  • virus

La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 29 avril 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat et d’un vote, relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19, en application de l’article 50-1 de la Constitution.

En préambule, je rappelle que notre séance se déroule dans les conditions de respect des règles sanitaires mises en place depuis le mois de mars.

L’hémicycle fait naturellement l’objet d’une attention particulière en termes de propreté, avec une désinfection avant et après chaque séance. Tous les jours, les micros seront désinfectés après chaque intervention. Chacun veillera au respect des distances de sécurité. Les sorties de la salle des séances, pour les sénateurs, devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle. Pour les rapporteurs et les membres du Gouvernement, les sorties se feront par le devant de l’hémicycle.

Je rappelle également que, à l’exception de M. le Premier ministre pour sa déclaration, les orateurs s’exprimeront depuis leur place et que la tribune ne sera donc utilisée qu’une seule fois au cours de cette séance.

Notre séance s’organisera en trois temps : après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe, puis au Premier ministre pour leur répondre ; ensuite se déroulera une séquence de quinze questions-réponses ; enfin, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l’article 39 de notre règlement.

La parole est à M. le Premier ministre.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à un moment critique.

Lorsque, pour la première fois dans son histoire, notre pays se trouve confiné depuis plus de sept semaines, lorsque ses cafés, ses restaurants, ses universités, ses lycées et ses écoles, ses églises et ses temples, ses synagogues et ses mosquées, lorsque la très grande majorité de ses entreprises, la totalité de ses théâtres, de ses bibliothèques ou de ses librairies, et bien d’autres encore, sont fermés, vides de tout public, sans aucune activité, le moment est critique.

Lorsque, tous les jours et toutes les nuits depuis plus de huit semaines, des médecins, des infirmiers et des infirmières, des aides-soignantes et des aides-soignants, des personnels administratifs ou techniques luttent d’arrache-pied pour accueillir et sauver des malades, dont le nombre croissant a bien failli saturer les services de réanimation, le moment est critique.

Lorsque des femmes et des hommes, en définitive peu nombreux, souvent peu reconnus par notre société, assurent la continuité de la vie de la Nation par leur travail et leur engagement dans des secteurs de notre économie, comme le transport logistique, la grande distribution, le ramassage et le traitement des ordures ménagères, l’agriculture, et quelques autres que je n’oublie pas, alors oui, nous sommes à un moment critique.

Le moment est critique parce que, avec la France, c’est près de la moitié de l’humanité qui est confinée. Des nations entières sont comme désarçonnées, et même les plus grandes puissances paraissent désorientées. Dans l’histoire, cela n’est jamais très bon signe.

Le moment est critique, parce que nous devons prendre des décisions sur le fondement d’informations souvent incomplètes et contradictoires. Nous ne savons pas tout de ce virus – ce n’est d’ailleurs pas la moindre des leçons à tirer de cette crise sanitaire que de nous rappeler la masse infinie des choses que nous ne savons pas. Cela dit, il y a cinq mois, nous ne savions rien.

La recherche a progressé à une vitesse qui force l’admiration, aussi bien sur la compréhension de la maladie que sur le séquençage du virus ou la mise au point des tests virologiques et sérologiques. La France est à la pointe des essais cliniques européens et mondiaux permettant de tester l’efficacité de traitements déjà utilisés pour d’autres pathologies. Avec la communauté internationale, nos chercheurs travaillent pour découvrir vaccins et traitements.

Le virus nous fait violence, c’est indéniable. Il appelle réactivité et innovation, mais sans faire violence au temps de la science, de l’expérimentation et de la preuve. Ce temps demande de la rigueur, de la patience, de la chance aussi – j’espère que nous en aurons –, mais notre devoir est d’agir sans compter sur cette dernière, car des marges d’incertitudes, que nous n’avons jamais dissimulées ni sous-estimées, demeurent.

Aucun pays au monde, aucun scientifique ne saurait aujourd’hui prédire l’été, l’automne, l’avenir qui nous attendent. Tel savant, affirmatif et catégorique, nous dit qu’il ne peut y avoir de deuxième vague et que l’été verra le virus disparaître ; tel autre, aussi savant et respecté, nous dit l’inverse. L’histoire dira sans doute lequel aura eu raison, mais je crains que nous n’ayons pas le temps d’attendre que l’histoire se fasse juge.

Le moment est critique, parce que nous ne pouvons pas rester confinés. Le confinement a porté ses fruits grâce au civisme et à la discipline de nos concitoyens qui, dans leur immense majorité, ont compris la nécessité de respecter les règles exceptionnelles adoptées pour freiner l’épidémie. La propagation ralentit, le nombre de décès et d’entrées dans les services de réanimation baisse. J’ai déjà eu l’occasion de citer cette étude de l’École des hautes études en santé publique, qui estime que, pour le premier mois, le confinement aura permis d’épargner près de 62 000 vies.

Si nos concitoyens n’avaient pas respecté le confinement, nos services de réanimation auraient de façon certaine été débordés : plus personne n’aurait pu y accéder et nos soignants auraient dû choisir entre les malades. C’est ce qui s’est passé dans certains pays, et nous avons évité cette situation. Toutes les décisions que nous prenons restent guidées par cet impératif : protéger chaque vie humaine, ce qui implique très concrètement de veiller à ce que, à l’avenir, le nombre d’entrées dans les services de réanimation reste toujours inférieur aux capacités d’accueil.

Pour atteindre cet objectif, chaque jour de confinement compte – il en reste six. Je mesure parfaitement l’impatience de nos concitoyens, qui souhaiteraient retrouver un quotidien normal, sans restriction et sans appréhension. Tout le monde aimerait renouer avec la vie d’avant, avec cette liberté inestimable de sortir pour travailler ou flâner, pour amener ses enfants au parc ou chez leurs grands-parents, pour s’offrir une soirée au restaurant, au théâtre ou entre amis, toutes choses qui n’ont rien d’accessoire, mais qui sont véritablement essentielles.

Je mesure plus particulièrement combien le confinement pèse sur celles et ceux qui vivent dans des conditions précaires : ils sont au cœur de nos préoccupations. J’ai une pensée particulière pour ceux qui ont souffert de l’isolement en plus du confinement, notamment les personnes âgées seules chez elles ou coupées de leur famille dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Le confinement se justifiait par l’urgence, mais son coût social, humain et économique est colossal.

Depuis le début du confinement, les passages aux urgences, les visites chez les généralistes ou les spécialistes, les vaccinations obligatoires pour les enfants, les campagnes de dépistage sont en chute libre, et c’est grave ! La lutte contre le Covid-19 ne doit pas nous faire oublier les autres maladies, les autres dangers qui menacent nos concitoyens.

Le Covid-19 est certes toxique, mais certains huis clos le sont aussi quand des violences, des négligences ou des renoncements s’exercent au sein de la famille.

Le Covid-19 est toxique, mais le décrochage scolaire et social l’est tout autant. Nos enfants ont besoin d’être éduqués, cultivés, socialisés. Nos aînés et nos concitoyens les plus fragiles ont besoin d’être visités, accompagnés. Nos commerçants, nos artisans, nos industriels, nos entreprises et leurs salariés ont besoin de produire et de vendre. Leur angoisse n’est pas seulement de tomber malades, c’est aussi parfois de mettre la clé sous la porte, de perdre leurs moyens de subsistance et, pour certains, ce qui donne un sens à leur vie.

Le confinement crée, voire aggrave les difficultés que rencontrent certaines familles, certains secteurs, certains territoires. Depuis quelques jours, des tensions sont perceptibles dans certains quartiers sensibles, notamment la nuit. Nos policiers nationaux et municipaux, nos gendarmes font face à des actions parfois violentes, quelquefois à des guets-apens. Nous imaginons tous la lassitude de nos forces de l’ordre et de nos concitoyens qui habitent dans des quartiers difficiles. Leur sentiment d’être assignés à résidence s’aggrave encore depuis sept semaines.

Au-delà de ces violences sporadiques, le confinement déchire notre tissu social.

Dès le début, les associations de lutte contre la pauvreté nous ont d’ailleurs alertés sur la hausse des dépenses auxquelles certaines familles étaient confrontées. Nous avons déployé aussi vite que possible de nouveaux filets de sécurité : je pense à la prolongation automatique du versement des prestations sociales, à la prolongation de la trêve hivernale ou à l’ouverture de plus de 21 000 places d’hébergement d’urgence pour les sans-abri. Je pense au lancement d’un plan d’aide alimentaire d’urgence, distribuée notamment sous forme de tickets services.

J’ai aussi annoncé qu’une aide exceptionnelle de solidarité serait automatiquement versée, le 15 mai, à 4 millions de familles pauvres et modestes : les ménages bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) recevront 150 euros, ainsi que 100 euros supplémentaires par enfant ; les ménages bénéficiaires de l’aide personnalisée au logement (APL) recevront 100 euros par enfant.

J’annonce aujourd’hui une aide pour les jeunes précaires ou modestes de moins de 25 ans. En raison du confinement, les restaurants universitaires ont fermé. Beaucoup de jeunes ont perdu les emplois dont ils ont besoin pour se nourrir et payer leur loyer. Certains jeunes se sont retrouvés dans une situation que je sais dramatique. Nous avons donc décidé de verser une aide de 200 euros à 800 000 d’entre eux. Cette somme sera versée début juin aux étudiants ayant perdu leur travail ou leur stage et aux étudiants ultramarins isolés qui n’ont pas pu rentrer chez eux. Elle sera versée à la mi-juin aux jeunes de moins de 25 ans précaires ou modestes, qui touchent l’APL.

Nous avons mis en place tout un arsenal de mesures parmi les plus puissantes au monde pour soutenir notre économie. Je pense au chômage partiel, dont bénéficie plus d’un salarié du privé sur deux, aux prêts garantis par l’État pour soutenir la trésorerie des petites entreprises, au fonds de solidarité pour les très petites entreprises et les travailleurs indépendants et, enfin, au report des charges fiscales et sociales. Il s’agit d’efforts considérables pour nos finances publiques, c’est-à-dire pour l’argent des Français, pour l’argent de la Nation et, au fond, nous sommes fiers qu’un grand pays comme la France sache les consentir.

Pour autant, cette situation ne peut durer. Les fleurons de notre industrie sont menacés. L’aéronautique, l’automobile, l’électronique, les PME, les entreprises de taille intermédiaire, les start-up sont au bord de l’asphyxie. Tout ce qui participe au rayonnement de la France, comme le tourisme, les arts, la gastronomie, est à l’arrêt. Maintenir notre pays dans le confinement reviendrait à casser notre moteur économique, à asphyxier nos poumons agricoles, à condamner notre attractivité, bref, à mettre en grand danger notre vie future, ainsi que la vie de nos enfants.

Le moment est critique, parce que nous devons démontrer une forme de discipline collective pour apprendre à vivre avec le virus. Sans vaccin avant un bon moment, sans traitement à l’efficacité démontrée, sans immunité collective, c’est seulement par la prévention, la discipline, la rigueur des comportements individuels et collectifs que nous pourrons maîtriser l’épidémie. Un peu trop d’insouciance et de relâchement, et le risque d’une deuxième vague se préciserait. Un peu trop d’immobilisme et d’angoisse, et l’asphyxie collective serait inévitable.

Tel est notre chemin de crête, d’autant plus délicat à aborder que les deux versants qu’il sépare sont des à-pics vertigineux. Sur ce chemin de crête, il nous faut avancer avec, dirais-je, une forme d’humilité combative. Le déconfinement aura lieu, pas à pas, avec des marches que nous espérons franchir toutes les trois semaines. Et quand je dis « nous espérons », cela signifie que nous pourrons rester parfois plus longtemps que prévu sur une même marche ou redescendre une marche si nécessaire.

Pour y parvenir, notre stratégie est fondée sur trois principes : la progressivité, la territorialité, la réversibilité.

Tous nos territoires ne progresseront pas au même rythme. Certaines régions, nous le savons tous, ont été frappées les premières et de plein fouet, comme le Grand Est, l’Île-de-France, les Hauts-de-France, la Corse, la Bourgogne-Franche-Comté. À l’inverse, grâce au confinement national, de nombreux départements ont été épargnés.

Le bon sens invite à ce que le rythme et les modalités du déconfinement s’adaptent aux spécificités de chaque territoire. Nos exigences en matière de santé publique et de reprise économique ont évidemment vocation à demeurer nationales, mais de nombreuses clés du déconfinement se trouvent sur le terrain entre les mains des acteurs locaux, notamment les maires et les préfets.

C’est pourquoi j’ai engagé, avec les associations d’élus régionaux, départementaux et municipaux une concertation, que je crois étroite et que j’espère fructueuse. Depuis le 28 avril, nous avons progressé. Il n’est pas nécessaire d’expliquer ici l’importance de ce travail collectif, mené au plus près des décideurs locaux.

L’effort de discernement qui nous incombe doit être collectif autant qu’individuel, car il concerne nos institutions dans leur ensemble et chacun à son niveau : chaque famille, chaque personne âgée ou fragile, chaque travailleur, chaque élu, chaque fonctionnaire doit y concourir en conscience et en responsabilité. Ni les décisions de la puissance publique ni l’engagement du corps médical ne suffiront à vaincre l’épidémie s’ils ne sont appuyés par l’engagement civique et responsable de chacun.

Il s’agit d’un moment critique, donc, d’un moment crucial même, au sens littéral du terme : nous sommes à la croisée des chemins. Devant l’Assemblée nationale, j’ai présenté les trois mots d’ordre qui président à notre stratégie de déconfinement : protéger, tester, isoler.

S’agissant de la protection des Français, tout d’abord, il faut le dire et le redire, les gestes barrières que sont la distanciation physique et le lavage des mains restent l’alpha et l’oméga de la sécurité. Avec ou sans masque, ils sont indispensables.

Sur les recommandations des médecins, et dans la perspective du déconfinement, le Gouvernement a également décidé de recommander le port du masque, étant bien entendu que le masque ne vient pas en substitut, mais bien en complément des gestes barrières. Dans certaines situations où l’on est confiné, par exemple dans les transports publics ou dans une salle de classe, nous avons même décidé de le rendre obligatoire, dès que l’on est en âge de le porter.

Nos concitoyens continuent à se demander s’il y aura, le 11 mai, des masques pour ceux qui le souhaitent. Pour beaucoup, l’angoisse d’une dépense supplémentaire est réelle. L’État, les collectivités territoriales, les entreprises travaillent main dans la main pour que les masques soient accessibles à tous sur tout le territoire à partir du 11 mai. Je remercie tous ceux qui ont pris des initiatives et qui se sont retroussé les manches.

J’aimerais répondre au malentendu qui a échauffé ce week-end quelques esprits peut-être en mal de polémiques. Je dois dire que je peine à comprendre quel intérêt aurait eu la grande distribution à cacher des stocks de masques au lieu de les vendre en temps de pénurie. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu de stocks cachés. Il y a des commandes massives et il faut un certain temps avant qu’elles ne se concrétisent en millions de masques disponibles pour l’ensemble de nos concitoyens. Pour tous ceux qui pensent qu’il suffit de commander des masques pour les obtenir, j’ai un long historique dont je peux faire état.

Mais ce qui compte pour l’instant, c’est que le 11 mai, chacun puisse se procurer des masques dans les commerces situés près de chez lui. Nous avons écouté les associations d’élus et resterons extrêmement attentifs à toutes les remontées du terrain.

L’État et les collectivités locales assureront la protection de leur personnel. L’État financera 50 % des masques grand public que sont en train de se procurer les collectivités locales. À leur demande, j’ai décidé de prendre en charge, de façon rétroactive, une partie du coût de ces achats pour les commandes passées à compter du 13 avril dernier. J’ai appelé les collectivités qui en ont les moyens à faire preuve de solidarité envers les communes qui les entourent ou les plus petites collectivités.

L’État réservera en outre une enveloppe hebdomadaire de 5 millions de masques grand public pour les plus vulnérables de nos concitoyens : il reviendra aux préfets, avec les maires et les présidents de conseil départemental, d’en organiser la distribution à nos concitoyens les plus précaires via, par exemple, les centres communaux d’action sociale (CCAS) et les acteurs associatifs.

Par ailleurs, les régions et l’État vont accroître leur soutien aux très petites entreprises et aux travailleurs indépendants, au-delà des initiatives déjà prises par certaines branches ou organisations professionnelles. Une plateforme de e-commerce vient d’être mise en place par La Poste, dont je tiens ici à saluer la mobilisation à nos côtés.

Ensuite, le succès du déconfinement repose sur notre capacité à tester et à isoler les personnes atteintes du Covid-19. Depuis la semaine dernière, les élus, les préfets, les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) disposent des éléments leur permettant de planifier la levée du confinement. C’est à l’échelle de chaque département que se déploiera cette chaîne formée de trois maillons, puisqu’elle commencera avec les tests, se poursuivra avec le traçage des éventuelles contaminations et s’achèvera, le cas échéant, par l’isolement des personnes contaminées.

Les tests virologiques sont le fer de lance de notre stratégie de dépistage. Nous voulons, nous devons tester tous ceux qui présenteront des symptômes similaires à ceux du Covid-19, d’une part, et ceux de leurs contacts présentant un risque élevé de contamination, qu’ils soient symptomatiques ou non, d’autre part.

Quand nous avons établi les modalités du déconfinement, le conseil scientifique nous indiquait que les modèles épidémiologiques prévoyaient entre 1 000 et 3 000 nouveaux cas par jour à partir du 11 mai. À chaque nouveau cas correspondra en moyenne le test d’au moins 20 à 25 personnes ayant croisé, dans les jours précédents, l’individu testé positif.

Si l’on prend le haut de l’échelle que nous ont donné les scientifiques, à savoir 3 000 nouveaux cas et 25 cas contacts, et si l’on se situe bien dans les hypothèses sur lesquelles nous avons travaillé, cela correspondrait à 525 000 tests par semaine. Or nous nous sommes fixé l’objectif de réaliser, non pas 525 000, mais 700 000 tests virologiques par semaine à partir du 11 mai. Nous voulons disposer d’une marge dans l’hypothèse où il y aurait un peu plus de nouveaux cas que ce que nous prévoyons. Nous voulons également pouvoir mettre en œuvre, en plus des tests des chaînes de contamination, des campagnes de dépistage, comme nous l’avons déjà fait pour les Ehpad, notamment.

Les laboratoires publics et privés, les laboratoires de recherche, les laboratoires vétérinaires sont mobilisés pour que ces tests soient accessibles à compter du 11 mai sur tous nos territoires. L’assurance maladie les prendra en charge à 100 %.

J’aimerais toutefois insister sur un point : les prévisions épidémiologiques du conseil scientifique ont été formulées sous la condition d’un strict respect du confinement jusqu’au 11 mai. Quand on modélise, on doit partir d’un certain nombre d’hypothèses. L’hypothèse que nous avons retenue, c’est que le confinement resterait strictement observé jusqu’au 11 mai. En cas de relâchement – je ne le souhaite pas, mais il peut avoir lieu –, le nombre de nouveaux malades pourrait être bien supérieur aux prévisions qui ont fondé nos modèles, ce qui compromettrait la réussite de toute la stratégie que je viens d’exposer. Il est donc essentiel, je le dis avec gravité, de respecter scrupuleusement le confinement jusqu’au 11 mai.

J’ai bien entendu ceux qui nous reprochent, ceux qui reprochent au Gouvernement de dire que, si les conditions n’étaient pas réunies, nous en tirerions les conséquences. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ose à peine imaginer ce qu’ils diraient si nous déconfinions, alors que les conditions initialement fixées ne se trouvaient pas réunies !

Pour réussir cette grande manœuvre nationale de dépistage, de traçage et d’isolement, nous mobilisons plusieurs tours de contrôle.

Les professionnels de santé libéraux, à commencer par les médecins généralistes, seront en première ligne pour identifier les malades et leur entourage familial immédiat. Les équipes de l’assurance maladie prendront ensuite le relais pour tracer les cas contacts. Enfin, si des clusters apparaissaient, il reviendrait aux ARS et aux préfets de gérer ces cas, qui sont plus complexes encore.

L’isolement des malades ou la mise en quatorzaine des cas contacts aura ensuite lieu à domicile, impliquant l’isolement de l’ensemble des membres du foyer. Le cas échéant, cet isolement pourra aussi intervenir dans des lieux dédiés, notamment si la personne à isoler préfère, par exemple pour des raisons liées à l’état de santé de l’un de ses proches, rester seule. Les préfets sont chargés d’identifier ces lieux – hôtels, centres de vacances ou autres types de lieux d’hébergement collectif – et de « conventionner » avec les bailleurs ou les propriétaires. Les ARS veilleront aussi au suivi sanitaire de ceux qui seront isolés dans ces structures particulières.

La solidité de cette chaîne de dépistage, de test et d’isolement dépendra du civisme de nos concitoyens. Nous ne vivons pas – fort heureusement, mesdames, messieurs les sénateurs ! – dans un régime policier. Pour cette nouvelle phase qui commence le 11 mai, l’assouplissement du confinement s’accompagne nécessairement d’un assouplissement des contrôles. Il s’agit donc d’un défi logistique, bien entendu, mais aussi d’un défi civique qu’il nous faut relever.

Ce défi logistique nécessite une organisation qui impose de recourir à des instruments nouveaux. Dans le texte que le Sénat examinera dans quelques heures, une disposition permet aux équipes constituées pour remonter les chaînes de contamination de faire le travail, d’appeler les cas contacts, de leur indiquer les lieux où se faire tester ou être isolé, de vérifier que les procédures ont bien été respectées. Sans le fichier permettant à ces brigades de fonctionner, nous n’avons aucune chance de remonter de façon systématique les chaînes de contamination et, donc, de maîtriser la propagation de l’épidémie.

Le défi de l’organisation et du civisme concerne également la réouverture des écoles et des crèches.

Là encore, nous sommes attentifs à toutes les complexités de mise en œuvre, ouverts à toutes les propositions, conscients des innombrables spécificités d’un territoire à l’autre ou d’une classe à l’autre.

Mais, avant de poser ces difficultés, nous devons rappeler que la fermeture des écoles est, à l’évidence, une catastrophe pour les plus vulnérables des enfants et des adolescents. Celles et ceux qui n’ont pas accès à des livres ou à internet, celles et ceux qui n’ont pas toujours accès à une alimentation correcte, celles et ceux qui n’ont pas un espace à eux pour respirer et qui se sentent livrés à eux-mêmes doivent pouvoir retourner à l’école. Cinq mois de décrochage scolaire pour des dizaines de milliers de jeunes, c’est probablement une bombe à retardement. Le confinement pose beaucoup de bombes à retardement de toutes natures, aussi bien sociale qu’économique ou géopolitique. Il me semble que celle-ci n’est pas la moins dangereuse.

La réouverture des écoles nous semble donc une priorité pédagogique, sociale, républicaine, qu’il faut évidemment concilier avec nos impératifs sanitaires. Les préfets, les recteurs, les directeurs des services départementaux de l’éducation nationale y travaillent sans relâche. Les effectifs ne devront pas dépasser quinze élèves par classe pour favoriser le respect des gestes barrières. Du gel hydroalcoolique sera distribué et la vie scolaire devra être aménagée pour assurer le contrôle des flux d’entrée, ou encore la restauration scolaire quand elle reprendra.

En ce qui concerne le calendrier, comme je l’ai indiqué, nous proposons une réouverture très progressive des maternelles et des écoles élémentaires à compter du 11 mai, partout sur le territoire et sur la base du volontariat. Nous proposons en outre la réouverture des collèges, à commencer par la sixième et la cinquième, à partir du 18 mai, dans les départements où la circulation du virus est faible, c’est-à-dire les départements « verts ». Nous déciderons à la fin du mois de mai si nous pouvons rouvrir les lycées, en commençant par les lycées professionnels début juin.

Comme je l’ai également déjà dit, nous fournirons des masques aux personnels de l’éducation nationale et aux collégiens. Pour ces derniers, le masque sera obligatoire quand les règles de distanciation sociale risquent de ne pas être respectées. Pour les élèves des classes élémentaires, le port du masque n’est pas recommandé ; il est même proscrit pour les enfants de maternelle.

Le 11 mai, tous les enfants et tous les adolescents ne retourneront pas physiquement à l’école. La situation ne sera pas identique dans toutes les écoles de toutes les communes, dans toutes les classes d’un même niveau. À la vérité, l’était-elle avant le confinement ? On pourrait en débattre…

Mais je suis intimement convaincu que, là où la réouverture peut avoir lieu, elle doit avoir lieu, si possible pour les enfants qui en ont le plus besoin. Je sais bien, mesdames, messieurs les sénateurs, nous savons bien que tous les enfants en ont besoin, mais il est un fait que certains en ont probablement encore plus besoin. Il est certain que les directeurs d’école, les professeurs, les services de l’éducation nationale, les maires peuvent faire en sorte que ceux-ci, et d’autres, puissent reprendre le chemin de l’école. Ne disons pas d’emblée que, parce que la reprise ne serait pas possible partout, elle ne devrait avoir lieu nulle part. Chaque retour à l’école sera une bonne nouvelle.

J’en appelle donc, là encore, au discernement de chacun – familles, équipes pédagogiques, rectorats – pour que les groupes de quinze élèves soient formés de jeunes issus des familles qui en ont le plus besoin. Les autres continueront à travailler et n’interrompront pas leur scolarité : ils pourront le faire chez eux ou dans les locaux scolaires ou périscolaires mis à la disposition des collectivités, lorsque la disposition des locaux s’y prête et lorsque cela est possible.

Les mêmes contraintes et, donc, le même civisme s’imposent aux crèches. Les enfants seront accueillis par groupes de dix. Je sais que les professionnels de la petite enfance mènent un travail remarquable et qu’ils décideront, au cas par cas, quelles sont les familles prioritaires. Je remercie très sincèrement celles et ceux qui s’occupent des enfants dans ces circonstances éprouvantes.

S’agissant des entreprises, le télétravail doit se poursuivre après le 11 mai pour limiter le recours aux transports en commun et favoriser la distanciation physique. Quand le télétravail est impossible, il faut encourager la pratique des horaires décalés et limiter la proximité des salariés dans un même espace de travail. C’est facile à dire, mais c’est évidemment difficile à mettre en œuvre, surtout dans les grandes agglomérations où l’organisation de rythmes différents peut s’avérer délicate.

Il n’empêche que les collectivités territoriales, les autorités organisatrices de transport, les responsables et les représentants des entreprises peuvent, me semble-t-il, tenter de s’entendre pour améliorer la donne et la situation.

Sur la question des transports, les inquiétudes sont grandes. Pour les transports interrégionaux et interdépartementaux, c’est-à-dire pour effectuer des trajets de plus de 100 kilomètres, les déplacements devront être réduits au motif impératif qu’ils soient familiaux et professionnels.

Lorsque ces déplacements auront lieu en train, il sera assez facile, par un système de réservation obligatoire, de limiter l’accès aux voitures à la moitié de la capacité normale et de diminuer, ce faisant, la densité et la proximité des voyageurs.

L’exercice sera, bien entendu, beaucoup plus compliqué dans les transports en commun, singulièrement dans les zones les plus denses comme dans les grandes agglomérations régionales. Je pense, notamment, à celles qui sont dotées d’un métro. J’ai évoqué l’éthique de responsabilité et la nécessité pour chacun de se montrer à la hauteur du moment que nous vivons, à l’instar des personnels hospitaliers, qui se sont littéralement surpassés ces dernières semaines pour trouver de la place pour tous les malades et nous permettre de surmonter la première vague de l’épidémie.

Dimanche, c’est d’abord par la presse que j’ai pris connaissance d’une lettre adressée au Premier ministre par des responsables d’entreprises de transport – publics, pour beaucoup d’ailleurs – exprimant leur crainte de ne pas savoir organiser les services publics dont ils ont la charge, dans les conditions que le Gouvernement et le Parlement jugent nécessaires à la réussite du déconfinement.

Ne voulant voir dans ce procédé que le souhait de surmonter au mieux les difficultés qu’ils anticipent, j’ai demandé au secrétaire d’État chargé des transports d’intensifier encore ses échanges avec eux afin qu’ils trouvent les bonnes réponses aux questions complexes que soulève l’impératif d’une ouverture maîtrisée des transports publics à compter du 11 mai. Je ne doute pas qu’ils sachent y parvenir, animés par cet esprit de dévouement au bien public qui permet à tant de nos concitoyens de se surpasser dans leur tâche depuis l’arrivée du virus sur notre sol.

La vie économique, mesdames, messieurs, doit reprendre impérativement et rapidement, avec des aménagements et de la bonne volonté. Les fédérations professionnelles et le ministère du travail ont réalisé des guides et des fiches métiers pour accompagner les réorganisations nécessaires au sein des entreprises. Il semblerait que cinquante-deux fiches soient aujourd’hui disponibles. Tous les secteurs en auront à disposition le 11 mai.

Les partenaires sociaux jouent un rôle précieux pour que ces plans de réorganisation du travail respectent au mieux les gestes barrières. Je me suis entretenu jeudi dernier avec les syndicats de salariés et les représentants des employeurs pour que le dialogue social contribue à remettre la France au travail sans mettre en danger la santé des Français, ce qui implique aussi de continuer à accompagner les entreprises en difficulté.

Le dispositif d’activité partielle, que nous avons mis en place, et qui est l’un des plus généreux d’Europe, restera en vigueur jusqu’au 1er juin. Nous l’adapterons ensuite progressivement selon l’évolution de l’épidémie. Le fonds de solidarité sera prolongé jusqu’à la fin du mois de mai, il sera même renforcé pour les très petites entreprises (TPE) qui ont fait l’objet de mesures de fermeture administrative. Le deuxième étage de ce fonds, qui donne droit à une subvention pouvant aller jusqu’à 5 000 euros, sera désormais accessible à tous les commerces qui ont été fermés, y compris s’ils n’ont pas de salariés, ce qui est souvent le cas pour les coiffeurs, les fleuristes ou les libraires.

Les reports de charges fiscales et sociales resteront autorisés jusqu’à la fin du mois de mai. Nous sommes prêts à convertir ces reports en exonérations définitives de charges, non seulement pour les entreprises du secteur de la restauration et du tourisme, mais aussi pour toutes les TPE ayant fait l’objet de mesures de fermeture. Ces mesures exceptionnelles témoignent de notre détermination à soutenir toutes nos entreprises pour qu’elles puissent repartir le plus vite et le mieux possible.

C’est aussi pour relancer notre moteur économique que nous avons décidé de rouvrir les commerces, les marchés de plein air, les halles couvertes. L’ensemble des associations d’élus le demandaient, nos concitoyens y sont favorables : là encore, ils devront respecter strictement les règles de distanciation physique qui prévalent. Les préfets pourront refuser leur ouverture si ces règles ne sont pas respectées. Ils pourront également décider de ne pas laisser ouvrir au-delà des sections alimentaires les centres commerciaux de plus de 40 000 mètres carrés, qui attirent et brassent des populations bien au-delà des bassins de vie.

Ce n’est pas de gaieté de cœur, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons choisi par précaution sanitaire de prolonger la fermeture des restaurants, des cafés, des cinémas, des théâtres, des manifestations sportives et culturelles, des plages, des lacs, des salles de fêtes. La situation sera réévaluée fin mai pour une décision effective au 2 juin.

Le retour à la vie normale sera donc progressif et adapté à chaque territoire. Jeudi dernier, le ministre des solidarités et de la santé a présenté à nos concitoyens une carte de France tricolore. Chacun a pu ainsi savoir si son département était classé en zone rouge, verte ou orange au vu des critères définis avec les autorités sanitaires. Cette carte de France sera actualisée chaque jour, en toute transparence. Elle deviendra rapidement bicolore : nous avons classé pour l’instant en orange les zones qui étaient encore en évolution incertaine.

Notre stratégie de lutte contre l’épidémie a été déclinée avec la plus grande vigilance dans nos outre-mer. Il en va de même pour notre stratégie nationale de déconfinement. Je suis très attentif à ce que ces territoires disposent, comme l’Hexagone, des tests et des masques grand public, notamment dans les crèches, les écoles, les transports. La chaîne de vigilance, de suivi, de responsabilité, doit être partout aussi résistante grâce aux élus locaux et aux préfets.

J’ai parlé de différenciation : outre-mer, la principale adaptation de la stratégie nationale porte sur le maintien des interdictions d’arriver dans ces territoires au-delà du 11 mai. Seules les personnes ayant des motifs familiaux ou professionnels impérieux, ou une obligation de santé, pourront se rendre outre-mer. Elles demeureront soumises à l’obligation de quatorzaine.

Nous effectuerons un point début juin afin de voir s’il faut maintenir ces mesures très contraignantes, qui pèsent évidemment sur les capacités de fret. Je tiens néanmoins à indiquer que nous profiterons du déconfinement pour organiser le retour chez eux des étudiants ultramarins qui en ont exprimé le souhait dans le cadre du recensement qui vient de s’achever.

Je dirai enfin un mot sur Mayotte où nous avons choisi de reporter le déconfinement. Mayotte vient de passer en phase 3. Le virus y circule activement. La prolongation du confinement est l’unique manière d’éviter la saturation d’un système hospitalier déjà très sollicité et fragile. Nous ferons un point le 14 mai pour envisager l’assouplissement du confinement, en particulier le retour à l’école primaire à partir du 18 mai. D’ici là, nous continuerons à renforcer les capacités sanitaires du territoire, ainsi que les actions pédagogiques et sociales que nous y menons, notamment en matière d’aide alimentaire.

Je finirai, mesdames, messieurs les sénateurs, en évoquant trois emblèmes de ce que signifie, pour notre pays, « vivre » dans le sens le plus plein du terme : la vie culturelle, la vie cultuelle et les élections municipales.

La liberté de créer, de se laisser bouleverser et habiter par des œuvres d’art, le droit de voter et de se présenter à des élections, la liberté de culte sont parmi les libertés les plus sacrées que nos concitoyens exercent et revendiquent.

Mais alors que l’appétit culturel des Français est comme décuplé par le confinement, le secteur culturel est l’un des plus frappés par la crise sanitaire. Cette dernière met au jour et accroît la vulnérabilité de milliers de professionnels et d’innombrables institutions. Il y a urgence pour la culture, le Gouvernement le sait et travaille à trouver des solutions.

Dès le début du confinement, nous avons garanti l’accès des acteurs de la culture aux mesures d’urgence mises en place par le Gouvernement. Le secteur des arts et de la culture a pour l’instant bénéficié de 52 millions d’euros du fonds de solidarité. Par ailleurs, comme l’a annoncé le Président de la République la semaine dernière, les acteurs de la culture sont éligibles au plan de 8 milliards d’euros d’accompagnement des secteurs particulièrement impactés, comme le tourisme et les cafés ou restaurants.

Les difficultés mises au jour, comme la question du chômage partiel pour les intermittents, l’accès des artistes auteurs au fonds de solidarité ou l’accès des entreprises aux prêts garantis par l’État, seront réglées dans les prochains jours. Les ministères de la culture, du travail et de l’économie s’y emploient.

Le Gouvernement a également mis en place des mesures d’urgence spécifiques pour les acteurs culturels. Certaines situations sont dramatiques, et il faut continuer à soutenir et à protéger la création. Le Président de la République annoncera de nouvelles décisions mercredi.

Nous avons d’ores et déjà décidé de rouvrir de premiers lieux culturels à partir du 11 mai, dans le respect des exigences sanitaires. Ce sera notamment le cas des lieux culturels de proximité, qui participent à la vie éducative de nos enfants – les bibliothèques, les médiathèques, les musées, les monuments –, dont la fréquentation n’entraîne pas de longs déplacements ou de brassage de populations au-delà du bassin de vie, conformément à une logique que chacun aura bien comprise. Il en va de même pour les librairies, les disquaires et les galeries.

Nous devrons attendre début juin, si la situation sanitaire le permet, pour rouvrir tous les lieux de spectacle, les salles de cinéma et les grands musées et monuments. Il conviendra alors d’examiner dans quelles conditions tous ces lieux pourront rouvrir. Les manifestations et événements culturels réunissant plus de 5 000 personnes resteront interdits jusqu’à la fin du mois d’août, ainsi que nous l’avions annoncé très tôt pour donner de la visibilité aux acteurs du secteur, qu’il s’agisse des organisateurs, des participants ou de tous ceux qui contribuent au succès de ces manifestations d’importance.

Nous aurions tous aimé que le festival d’Avignon, les Francofolies, les Eurockéennes, les Nuits de Fourvière aient lieu. Mais il n’est pas possible de concilier ces grands rendez-vous culturels avec les précautions sanitaires nécessaires à la gestion de l’épidémie. Notre priorité, c’est d’éviter l’irruption d’une deuxième vague.

Le même état d’esprit nous anime en ce qui concerne la liberté de culte. J’entends le désarroi des croyants, privés de rassemblements et de célébrations, qui ne sont pas seulement une expression de leur appartenance religieuse, mais sont aussi l’une des sources vivantes de leur foi. Ils ont dû renoncer à beaucoup de ces rites qui marquent les grands moments de la vie. Je pense aux moments de fête autant qu’aux moments de deuil. Je comprends l’impatience des ministres du culte de toutes les confessions. Je leur demande instamment d’attendre, en conscience, pour que nous n’ayons pas à regretter une décision précipitée.

Tout le monde reconnaîtra que les cérémonies et offices dans les églises, dans les synagogues, dans les temples ou dans les mosquées, et à plus forte raison les mariages, les baptêmes, les bar-mitsva, réunissent des proches et des moins proches, dans des lieux souvent confinés, avec une forme de brassage qui est profondément réjouissante en temps normal, mais infiniment périlleuse en temps de crise sanitaire.

J’avais indiqué qu’il faudrait attendre le 2 juin pour que les offices et les prières ouvertes aux fidèles puissent de nouveau se tenir dans les lieux de culte. Beaucoup de responsables de culte ont fait des propositions, après s’être entendus, pour concilier le déroulement de leurs réunions avec les exigences de distanciation physique. Je sais, notamment, que la période du 29 mai au 1er juin correspond pour plusieurs cultes à des fêtes ou à des étapes importantes du calendrier religieux. C’est pourquoi, si la situation sanitaire ne se dégrade pas au cours des premières semaines de levée du confinement, le Gouvernement est prêt à étudier la possibilité que les offices religieux puissent reprendre à partir du 29 mai.

Je mesure, comme vous tous ici, l’impatience de beaucoup d’élus quant à la suite des élections municipales. Dans les 30 000 communes qui ont élu un conseil municipal complet, beaucoup plaident pour une installation rapide des équipes qui disposent depuis le 15 mars de la légitimité du suffrage. C’est un enjeu démocratique puisque le scrutin est terminé dans ces communes. C’est aussi un enjeu économique, car leurs administrés comptent, bien entendu, sur eux pour prendre des décisions en matière d’investissement.

La loi du 23 mars 2020 a fixé le cadre dans lequel nous devons nous placer pour prendre les décisions essentielles que sont l’installation des conseils municipaux élus au premier tour et la possibilité de tenir le deuxième tour des élections. L’article 19 de cette loi dispose que : « Au plus tard le 23 mai 2020, est remis au Parlement un rapport du Gouvernement fondé sur une analyse du comité de scientifiques se prononçant sur l’état de l’épidémie de Covid-19 et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du second tour et de la campagne électorale le précédant.

« Le comité de scientifiques examine également les risques sanitaires et les précautions à prendre :

« 1° Pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour ;

« 2° Pour les réunions des conseils communautaires. »

Rien n’impose, dans cet article, que le comité de scientifiques statue en une seule fois ou que le Gouvernement fasse un rapport unique sur ces questions. Autrement dit, le Gouvernement peut demander un avis au conseil scientifique sur la question de l’installation des conseils élus et des conseils communautaires sans attendre le 23 mai. C’est la raison pour laquelle j’ai saisi ce matin le conseil scientifique sur ces deux questions – et sur ces deux questions-là uniquement. Sur la base de son avis, je remettrai au Parlement un rapport dans les plus brefs délais. Il s’agit de déterminer si cette installation est possible et surtout quand elle le sera. Je rappelle que ces conseils municipaux, dans l’immense majorité des 30 000 communes concernées, ne comptent en général pas plus de quinze membres.

Les dispositions de l’article 10 de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, qui prévoient que chaque élu peut détenir deux procurations, au lieu d’une actuellement, et qui assouplissent les conditions de quorum, puisque seule la présence d’un tiers des membres est requise, permettront de concilier plus simplement le respect des conditions de sécurité sanitaire et le bon fonctionnement de la démocratie locale.

S’agissant du deuxième tour, je crois qu’il importe d’attendre encore un peu. Je remettrai au Parlement, au plus tard le 23 mai, comme la loi me l’impose, le rapport qui déterminera si ce deuxième tour peut avoir lieu en juin. Dans le cas contraire, nous devrions décider collectivement, d’une part, de sa date et, d’autre part, des modalités de son report, report qui emporterait avec lui un certain nombre de conséquences que personne ici n’ignore.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Le Gouvernement et moi-même consultons très régulièrement les associations d’élus et les groupes parlementaires, et nous continuerons à le faire, pour préparer cette échéance.

Enfin, j’entends les réticences de certains maires et de certains chefs d’entreprise, qui craignent que leur responsabilité ne soit engagée. Le sujet de la responsabilité face aux Covid-19 n’est pas une petite question. J’aimerais donc m’y attarder un peu.

Le régime de responsabilité pénale des décideurs vous est bien connu. Il est issu, en plus des dispositions anciennes du code pénal, de la loi dite « Fauchon » du 10 juillet 2000.

Si ce régime n’a pas été modifié depuis près de vingt ans, c’est qu’il est juste, c’est-à-dire qu’il est à la fois précis dans son contenu et équilibré dans sa portée. Il n’a pas empêché depuis vingt ans de prendre des décisions. J’en témoigne : ni comme maire ni comme Premier ministre je n’ai été empêché d’agir de la façon dont j’estimais devoir le faire au regard des pouvoirs et des moyens qui étaient les miens, notamment eu égard aux informations dont je disposais pour appuyer mes décisions. Chacun sait, en outre, que ces dispositions n’ont pas empêché des responsables publics de répondre – car être responsable, étymologiquement, c’est bien d’avoir à répondre – de leurs décisions.

Il n’en reste pas moins que la question se pose et que les inquiétudes sont là. Il nous faut donc y répondre. Nous devons le faire avec deux convictions, chacune étant importante.

Premièrement, notre Constitution nous invite à ne pas aborder ce sujet de manière segmentée, en pensant à telle ou telle catégorie de responsables. Bien entendu, le Sénat est parfaitement dans son rôle quand il accorde une attention particulière à la situation des élus locaux. Pour autant, un maire qui rouvre une crèche, un président d’intercommunalité qui organise les transports en commun, un préfet qui autorise la reprise d’un marché ou un chef d’entreprise qui redémarre un chantier ne sont pas dans des situations fondamentalement différentes. Il s’agit chaque fois de femmes et d’hommes qui ont la responsabilité d’autres femmes et d’autres hommes, et à qui il incombe de prendre des décisions durant cette crise. Traitons-les de façon équitable.

Deuxièmement, cette question mérite d’être traitée avec prudence, car nos concitoyens veulent que les maires agissent sans blocage. Mais ils ne veulent pas non plus que les décideurs – publics ou privés – s’exonèrent de leurs responsabilités. Je le redis, ce n’est en rien un hasard si les termes de la loi Fauchon n’ont pas bougé depuis vingt ans. Je les cite : « Les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. » Il me semble, mais il appartiendra au Parlement d’en décider, que nous devons préserver cet équilibre.

Oui, il faut préciser la loi, rappeler la jurisprudence qui oblige le juge à tenir compte des moyens disponibles et de l’état des connaissances au moment où l’on a agi ou pas. Mais je suis nettement plus réservé s’il s’agit d’atténuer la responsabilité de chacun.

Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, c’est ensemble que nous devons résoudre les problèmes, pas à pas. J’y suis disposé. Il appartiendra au Parlement de trancher la délicate question de savoir si ce sujet sérieux, ce sujet qui suscitera beaucoup d’attention, pas simplement de la part des décideurs, bien entendu, mais aussi de la part de l’ensemble de nos concitoyens, doit être traité à l’occasion d’un amendement ou d’un texte spécifique. J’ai la certitude que le Parlement dans son immense sagesse saura répondre à cette question délicate.

Le 11 mai, mesdames, messieurs les sénateurs, ne sera pas le début de l’insouciance : ce sera le début de la reprise. Il faut nous y engager avec prudence et responsabilité.

Pendant des siècles, quand survenait une épidémie, on se répétait le fameux cito, longe, tarde que l’on peut traduire par « pars vite, loin et longtemps », que la tradition attribuait à Galien, le médecin de Marc Aurèle pendant la grande peste antonine. Je signale, à toutes fins utiles, que Galien était fils d’un sénateur…

Sourires.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

… de Pergame, en l’occurrence.

Aujourd’hui, il n’est question pour personne, et pour nous moins que pour quiconque, de fuir, de nous dérober face à cette épidémie. Il est question de prendre de bonnes décisions qui engagent toute la collectivité, sans fuir le débat, en mettant le Parlement au cœur des enjeux. Voilà pourquoi j’ai tenu à vous présenter notre stratégie nationale de déconfinement et à la soumettre à votre vote.

Nous présenterons aussi cette semaine au Parlement une loi qui vise à proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet prochain et qui tend à autoriser la mise en œuvre des mesures nécessaires à l’accompagnement du déconfinement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous voulons, comme nos partenaires européens, traverser l’épreuve de cette épidémie dans le respect de nos valeurs. Nous voulons démontrer que la démocratie libérale et sociale est capable de faire face. Quand une démocratie comme la France est à la croisée des chemins et qu’il faut définir, puis emprunter, les voies les moins mauvaises, les moins périlleuses pour nos concitoyens, elle ne peut y parvenir qu’avec le soutien et l’apport d’élus représentant les Français, dans toute leur diversité et au plus près de nos territoires. Cette conviction sous-tend mon engagement politique, elle est un fil directeur de notre action.

La réussite de ce déconfinement reposera sur l’adhésion de nos concitoyens, qui est un moteur infiniment plus puissant que la contrainte. Ce qui se joue avec ce déconfinement, c’est un acte de confiance collective – pas seulement un acte de confiance entre citoyens ou entre nous, dans cet hémicycle, mais un acte de confiance partout dans le pays –, c’est la capacité de notre démocratie libérale et sociale à surmonter une crise majeure, sans renoncer ni aux libertés ni aux solidarités.

Les épidémies de l’ampleur de celle que nous traversons ne sont jamais anecdotiques dans l’histoire d’une civilisation. Elles peuvent conduire à l’affaiblissement, peut-être même à l’écroulement. Elles peuvent aussi amener à une forme de rénovation. Comme vous, je crois en mon pays. J’ai la conviction la plus inébranlable que nos institutions, nos talents, notre jeunesse sauront nous relever de cette crise avec un surcroît de force et de solidarité.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.

Dans le débat, la parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.

Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous vivons le temps du deuil, de l’angoisse, des incertitudes, des impatiences. Mes premières pensées vont vers tous ceux qui ont connu la peine, les décès, les drames, et vers les personnels qui ont participé à l’effort de la Nation en matière sanitaire, mais aussi en matière économique.

Cette situation dramatique et inédite, le Gouvernement – avec l’ensemble des Français – l’a affrontée, et continuera de l’affronter, avec responsabilité et pragmatisme.

La décision de mettre en place des mesures de confinement a été prise avec sang-froid et lucidité.

Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais un instant revenir sur les jugements hâtifs ou autres critiques contradictoires, qui ne me semblent pas être à la hauteur de la situation à laquelle nous sommes collectivement confrontés.

Dans un réflexe pavlovien, certains critiquent avec autant de ferveur les mesures du déconfinement que celles du confinement, qu’ils avaient pourtant décriées à l’occasion de leur mise en œuvre.

Ils critiquent par avance toutes les mesures proposées, ils énoncent leurs certitudes sur l’avenir, alors qu’ils ont été bien incapables d’anticiper par le passé !

Le déconfinement, qui n’est pas la sortie du tunnel, doit être préparé avec toutes les inconnues propres à ce fléau sanitaire. La tâche est immense, et c’est la raison pour laquelle est organisé ce débat au sein de la Haute Assemblée. Loin de « bouder » la représentation nationale, comme je peux l’entendre dire ici et là, monsieur le Premier ministre, vous l’écoutez et vous l’intégrez pleinement dans la conception du déconfinement, comme vous venez de le prouver à l’instant. Ce débat honore le Parlement, il honore aussi le Gouvernement.

Vous avez qualifié ce déconfinement de nécessaire et de risqué. Nécessaire, il l’est assurément, risqué il l’est aussi indubitablement.

Il est nécessaire à bien des égards puisque, depuis le 17 mars, les Français sont confinés pour préserver leur santé, notre santé. Au cours des deux derniers mois, nous avons mesuré combien la liberté d’aller et de venir, celle d’interagir avec nos proches, notre famille, celle de tisser des liens avec nos semblables, est consubstantielle à notre condition. Afin de renouer avec cette part de nous-mêmes, le déconfinement est nécessaire.

Il est également nécessaire, voire plus encore, car la crise économique et sociale, qui impacte notre pays comme tous les autres, aura des conséquences lourdes que chaque Français doit intégrer.

Le redémarrage de notre économie est un préalable indispensable à la reconstruction de notre nation.

Cette récession qui s’annonce menace en premier lieu les plus fragiles sur le plan économique. Elle pourrait être rapidement synonyme de régression sociale si rien n’avait été prévu. Je sais que le Gouvernement est conscient de ce risque et je tiens à le féliciter, entre autres, d’avoir décidé un recours massif au chômage partiel. Par ce biais, il a protégé le maximum d’emplois et bon nombre de nos concitoyens touchés de plein fouet par cette crise.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez souligné, ce déconfinement est risqué.

Il est risqué, parce qu’il dépend de facteurs inhérents à l’épidémie et parce que les décisions à prendre sont complexes, et délicates.

Si votre gestion pragmatique de la situation sanitaire est à saluer, tâchons de reconnaître la part d’incertitude qui existe quant au devenir de cette maladie virale.

Bien malins ceux qui, sur les réseaux sociaux ou autres plateaux de télévision, prétendent connaître l’évolution du Covid-19, sa date d’expiration et l’heure de sa disparition ! Toutes ces suppositions et supputations alimentent le registre du commentaire alors que nous devons collectivement nous retrouver dans celui de l’action.

Monsieur le Premier ministre, ce déconfinement ne peut aboutir que s’il est entendu de façon claire et précise. Il ne peut aboutir que s’il est appliqué de manière progressive, et exercé avec civisme et rigueur par les Français.

Dans le même temps, les craintes et inquiétudes légitimes de nos concitoyens doivent être entendues. C’est ce que vous faites quotidiennement avec l’ensemble des membres du Gouvernement.

Il importe d’appliquer à la lettre la règle des quatre C : clarté, cohérence, cohésion et concertation.

La clarté est l’axiome principal de la politique qui doit être menée : la clarté en matière sanitaire, par exemple. J’ai entendu la polémique sur les masques. Je ne voudrais pas qu’elle fasse oublier les milliards d’euros qui ont été investis ainsi que toutes les mesures mises en œuvre aussi bien dans le domaine économique et social que dans le domaine sanitaire.

À ce titre, je tiens à saluer l’objectif de 700 000 tests par semaine, ainsi que la remontée d’informations permise par les brigades que vous avez récemment évoquées.

La clarté, nous la devons également à nos élus, bien évidemment aux maires, qui font remonter leurs inquiétudes. Vous le savez, monsieur le Premier ministre, ceux-ci évoquent notamment leur crainte de voir leur responsabilité pénale engagée à l’occasion de la réouverture des écoles. Vous venez d’y répondre par avance.

Je sais bien que, aujourd’hui, le droit les protège – la loi Fauchon, en l’occurrence, comme vous l’avez rappelé. Encore faut-il qu’elle soit bien précisée pour que chacun soit rassuré. Nous devons leur apporter des assurances, et je sais pouvoir compter sur vous pour accompagner cette démarche.

La cohérence, ensuite. L’organisation du déconfinement autour du couple maire-préfet entre en cohérence avec les réalités du terrain. La présentation des cartes d’évolution du virus dans nos départements contribue à cette prise en compte des spécificités locales, loin de toute approche uniforme et peu pertinente.

La cohésion : j’y faisais référence précédemment. Sachez, mes chers collègues, que, quelles que soient nos sensibilités, nous serons jugés sur notre capacité à entendre le message délivré par les Français, celui de l’unité nationale. Les réflexes politiciens ne feront qu’ajouter de la crise à la crise, soyons-en conscients.

La concertation, enfin. C’est le point central du succès du déconfinement : je tiens à vous remercier d’avoir pris en considération les remontées des territoires et associé l’ensemble des élus locaux à ce processus amené à se mettre en place progressivement à partir du 11 mai.

Dans la méthode comme dans le fond, monsieur le Premier ministre, je remercie le Gouvernement d’agir avec lucidité et avec humilité. L’expérience de cette crise aura ébranlé nombre de nos préjugés. Le déconfinement est la première étape d’un long chemin qui nécessitera écoute, pédagogie, détermination et courage. Notre groupe sait pouvoir compter sur vous pour mener notre pays sur la voie du redressement sanitaire, économique et social.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Philippe Adnot, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, excusez-moi, mon temps de parole étant très court, je serai laconique et n’aborderai pas l’ensemble des sujets.

Ayant écouté attentivement votre intervention d’aujourd’hui et celle que vous avez faite l’autre jour devant l’Assemblée nationale, et bien qu’en désaccord sur de nombreux points quant à la gestion de cette pandémie par votre gouvernement, j’avais pris la résolution de voter favorablement, comme je l’ai fait d’ailleurs lorsqu’il s’est agi de vous donner les moyens financiers de gérer cette crise.

J’avais l’intention de le faire, car je pense que celui qui dirige la manœuvre par temps difficile doit avoir les moyens d’agir, de s’adapter, bref de bien gouverner.

J’avais l’intention de le faire, car vous avez enfin pris la décision de pratiquer une politique intensive de tests que, à mon grand regret, vous n’aviez pas pu ou voulu mettre en place, à l’instar de l’Allemagne, de la Corée ou de Taïwan.

J’avais apprécié également votre volonté de remettre à plus tard l’application StopCovid, après la tenue d’un débat.

Las ! Les paroles sont une chose, la réalité des actes en est une autre. J’ai été choqué par la volonté délibérée que nous vous donnions les moyens de passer outre à ce débat, le V de l’article 6 du projet de loi prévoyant en la matière un recours aux ordonnances. On me dit que cela ne concerne pas le suivi par l’application, mais j’ai quelques doutes.

Le retour à la vie scolaire me paraissait une bonne chose s’il avait donné lieu à des règles simples, par exemple une demi-journée à tour de rôle, ce qui aurait permis de maîtriser la gestion des transports scolaires, des espaces nécessaires et celle des cantines. Au lieu de cela, nous avons une instruction de 63 pages – excusez du peu – pour les maires, ce qui fait peser sur eux un risque juridique maximal.

S’agissant des parents, vous leur laissez une responsabilité morale importante et ils n’auront pas nécessairement les moyens de faire des arbitrages. Comment feront les maires si 80 % des parents envoient leurs enfants à l’école ?

Cerise sur le gâteau, la carte des départements rouges ou verts relève de la plus grande fantaisie quant aux chiffres qui ont été pris en compte pour définir les différents paramètres. Ainsi dans mon département de l’Aube, qui dispose de quarante lits de réanimation, l’agence régionale de santé indique qu’ils sont tous occupés alors que seuls dix le sont.

La force de frappe que représentent nos laboratoires vétérinaires est prise en compte au niveau non pas départemental, mais régional. Or tous les départements ne disposent pas d’un tel laboratoire.

J’en profite pour souligner la qualité du travail de ceux qui ont gardé de tels laboratoires vétérinaires à leur charge, car ceux-ci, aujourd’hui, nous sont bien utiles, …

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Adnot

… en Vendée comme dans l’Aube.

Pour toutes ces raisons, je me vois dans l’impossibilité de voter favorablement, monsieur le Premier ministre, et je le regrette : il y a trop loin de la parole aux actes.

J’espère que le Sénat pourra amender votre texte pour assurer une meilleure sécurité juridique aux maires et leur faciliter la tâche ; j’espère que le débat sur le suivi des maladies pourra se faire sereinement, dans la confiance ; j’espère que les cartographies départementales seront établies sur la base de vrais chiffres, car, au-delà de la santé, il pourrait y avoir des conséquences économiques importantes ; j’espère surtout que nos scientifiques nous aideront rapidement à sortir de cette crise majeure.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous nous présentez, monsieur le Premier ministre, votre stratégie nationale de déconfinement, après l’avoir fait à l’Assemblée nationale devant nos collègues députés le 28 avril dernier.

Mais, aujourd’hui encore, il ne s’agit pas d’enrichir votre plan : vous nous demandez de le voter tel quel, comme vous l’avez élaboré. Et même si vous avez organisé, entre-temps, des visioconférences avec les associations d’élus et les partenaires sociaux, vous nous demandez en réalité un vote de confiance.

Ce n’est pas notre conception de la démocratie ! La confiance ne se décrète pas, elle se mérite. Or, monsieur le Premier ministre, vous avez largement entamé votre capital confiance auprès de l’opinion publique.

Depuis le début de cette crise, les Françaises et les Français sont assaillis d’injonctions contradictoires sur le port du masque ou encore sur la nécessité de pratiquer ou non des tests. Et l’impression dominante est que vous adaptez votre stratégie non pas à la sécurité sanitaire de chacune et de chacun, mais aux pénuries de matériel de protection !

Il en est de même pour la reprise de l’école, qui paraît plus dictée par la nécessité de reprise économique que par la volonté de faire reculer les inégalités scolaires. Pourquoi, sinon, maintenir les cartes scolaires qui programment des fermetures de classes, un peu partout sur le territoire, dès la rentrée de septembre ?

Bien sûr, il existe de nombreuses inconnues concernant le Covid-19 qui ne peuvent vous être reprochées. Chaque jour, nous apprenons de cette épidémie et les chercheuses et chercheurs du monde entier sont sur la brèche. Un traitement sera trouvé, à n’en pas douter, puis un vaccin pour protéger les populations. Ce qui devrait vous faire réfléchir, d’ailleurs, à l’importance vitale du financement de la recherche publique, qui manque cruellement de moyens financiers et humains.

Mais, en attendant, il faut faire face et vous avez de lourdes responsabilités dans la gestion de la pandémie, monsieur le Premier ministre.

Comme vous l’avez justement souligné, la stratégie de déconfinement passe par le triptyque « protéger, tester et isoler ». Et protéger nécessite notamment le port du masque. Sans revenir sur la gestion des stocks de masques par votre gouvernement et ceux qui l’ont précédé, comment ne pas dénoncer le fait que notre pays soit passé de 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2 en 2009 à 145 millions de masques chirurgicaux en 2020 ?

L’État n’étant pas en mesure de fournir le nombre de masques nécessaires, ce sont les collectivités qui ont pris le relais. Et aujourd’hui, celles qui ont été les plus réactives sont pénalisées, car elles ne bénéficieront même pas de la prise en charge de 50 % de leur coût par l’État si l’on suit à la lettre vos propos !

Nous demandons a minima que toutes les commandes des collectivités soient prises en charge à égalité, indépendamment de la date de commande.

Par ses défaillances, le Gouvernement a mis les collectivités en concurrence. C’est insupportable ! Et, comme l’ensemble des membres de mon groupe, je suis scandalisée de voir que la grande distribution réussit ce que la puissance publique ne parvient pas à faire. Ainsi, dans ma ville de Gentilly, comme dans beaucoup d’autres sur l’ensemble du territoire, des pharmacies n’étaient toujours pas en mesure, samedi, d’avoir des masques pour les populations !

Il n’y a aucune raison que les acteurs privés fassent des profits sur la santé et la sécurité de nos concitoyens et concitoyennes, des personnels médicaux, paramédicaux et ceux du secteur médicosocial ! Pour nous, les masques doivent être pris en charge comme un matériel médical et remboursé à 100 % par la sécurité sociale au même titre que le sont les tests.

Quand le port du masque est obligatoire dans les transports en commun, ce que nous soutenons totalement, il est de la responsabilité de l’État de garantir le droit au masque gratuit pour toute la population. Et si les masques sont en nombre insuffisant, je ne vois pas comment on peut verbaliser celles et ceux qui n’en portent pas !

Et il y a le même flou concernant la reprise de l’école. Le retour des enfants sur le chemin des écoles est un impératif pédagogique et de justice sociale, mais si les conditions de sécurité ne sont pas réunies, je partage totalement le refus de l’Association des maires d’Île-de-France de rouvrir le 11 mai prochain les écoles.

Quant aux parents d’élèves, ont-ils réellement le choix avec la menace qui pèse sur le chômage partiel le 1er juin ?

Mais nous y reviendrons lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, tout comme sur la protection juridique des maires.

Parler de déconfinement, monsieur le Premier ministre, c’est aussi parler offre de soins, donc capacité d’accueil des patients, nombre de lits et embauches de personnels soignants et non soignants.

Vous ne cessez de répéter que l’hôpital a tenu, mais, comme nous l’ont rappelé les docteurs Christophe Prudhomme et Gérald Kierzek, deux éminents urgentistes auditionnés par la commission des affaires sociales, en réalité, il n’a pas tenu ! Il a fallu le confinement général et l’arrêt des activités médicales hors Covid-19 pour passer le pic !

Et pour cause, puisque cette situation de notre système de santé est le fruit de choix politiques assumés : 4, 2 milliards d’euros de moins pour le budget 2020 de la sécurité sociale, dont 1 milliard pour l’hôpital public. Le tout dans un climat de réduction de personnels et de fermetures de lits : en vingt ans, 100 000 lits ont été fermés, dont 17 500 depuis six ans.

Il ne suffit pas de féliciter, dans les discours du Gouvernement, les héros et héroïnes en blouse blanche ; il faut leur donner les moyens humains et financiers d’exercer leur métier. À quand une augmentation de leurs salaires, une revalorisation de leurs métiers, la fin de la précarisation à l’hôpital et dans les Ehpad ?

Avec votre gestion calamiteuse du nombre de masques, comment vous faire confiance pour repérer, tester et isoler en dix jours ?

Cette crise est terrible : elle est sanitaire, économique, sociale et l’on commence à en ressentir les déflagrations, avec une progression de la pauvreté. Les associations caritatives, les collectivités nous alertent sur l’explosion de l’aide alimentaire.

C’est maintenant qu’il faut penser au jour d’après. Il faut plus de justice sociale, revoir totalement la fiscalité pour que chacun contribue à l’effort de solidarité nationale et arrêter d’assécher les caisses de notre système de protection sociale en exonérant de cotisations patronales à tour de bras !

Les aides de l’État doivent être conditionnées à des critères sociaux et environnementaux. Vous ne pouvez continuer à donner des chèques en blanc aux grands groupes, à ceux qui polluent notre planète !

Il faut reprendre la proposition que notre groupe avait faite avec nos collègues députés communistes : refuser les aides et les prêts aux sociétés qui ont des actifs dans les paradis fiscaux, taxer les dividendes et rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune.

Il faut arrêter de détruire le code du travail, de réduire toujours plus les pouvoirs des salariés, en refusant notamment au patronat de déroger à la durée du travail, aux congés payés ou encore au repos dominical !

Il est temps, monsieur le Premier ministre, de déconfiner la démocratie alors que vous transformez le Parlement en chambre d’enregistrement qui doit vous laisser les pleins pouvoirs pour deux mois supplémentaires.

MM. François Patriat et Xavier Iacovelli protestent.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Les parlementaires, pas plus que les élus locaux, ne sauraient être tenus responsables d’une politique décidée sans eux.

Crise ou pas, la démocratie exige d’élaborer des solutions avec les élus de la Nation, les syndicats et les forces vives du pays. Ce n’est, hélas, pas le cas et votre plan en est un nouvel exemple.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, déconfiner ou ne pas déconfiner, telle est la question !

Je suis fasciné de découvrir que nous avons autant d’experts pour y répondre sur toutes nos chaînes de télévision : les grands experts, très assurés ; les petits experts, qui manquent d’expérience sur Zoom et dont on ne voit que le nez, le menton et les lunettes en gros plan ; les soi-disant experts, qui répètent ce qu’ils ont entendu une heure avant sur une autre chaîne ou à la radio ; et, enfin, les faux experts qui lancent des craques en espérant faire le buzz.

À force de tous les regarder, j’ai découvert un théorème, que je vous propose : plus il y a d’experts, moins on comprend.

Heureusement, il reste les politiques ! J’ai suivi le débat à l’Assemblée nationale, mercredi dernier, monsieur le Premier ministre. Il y a là-bas des virtuoses du coronavirus. Ils vous ont expliqué ce qu’il fallait faire hier et ce qu’il n’aurait pas fallu faire, ce qu’il faut faire aujourd’hui et ce qu’il faudra faire demain.

Je revois encore le professeur Mélenchon, de la faculté de médecine de La Havane, pointer sur vous un doigt vengeur et vous lancer d’une voix de stentor : « Il y aura un deuxième pic de l’épidémie, et vous le savez ! » Impressionnant ! J’étais au bord du retweet !

Devant tant de recommandations de spécialistes, je n’ose pas vous proposer les miennes, moi qui ne suis qu’un simple médecin épidémiologiste.

Je voudrais juste me borner à quelques réflexions sur certaines idées qui me paraissent fausses.

La plus absurde, c’est que le libéralisme est la cause de la pandémie. Dans ce pays, où beaucoup préfèrent Robespierre à Tocqueville, où l’on préférera toujours se tromper avec Sartre qu’avoir raison avec Aron, c’est toujours le libéralisme qui porte le chapeau.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Malhuret

Même les plus ignares des antimondialistes, des populistes et des complotistes devraient pourtant savoir, puisque même Google le dit, que Périclès, mort de la peste en 429 avant Jésus-Christ, ou Saint Louis, mort du même mal en 1270, n’avaient jamais ne serait-ce qu’entendu les mots de capitalisme ou de libéralisme. Le Covid-19 n’est pas une maladie de la mondialisation ; c’est une maladie tout court.

Napoléon disait : « L’Histoire est une suite de mensonges sur lesquels on s’est mis d’accord. » Aujourd’hui, il dirait : « L’Histoire est une suite de mensonges qui ont le plus de likes. »

Il fallait trouver le responsable du complot. Au Moyen Âge, c’étaient la colère divine, les sorcières ou les juifs. Aujourd’hui, c’est la mondialisation.

La vérité est l’exact contraire. La grande nouveauté, c’est que c’est la science qui est aujourd’hui mondialisée. Jamais dans l’histoire on n’a donné une réponse aussi rapide à une nouvelle maladie : le génome du virus séquencé en une semaine, les premiers tests produits un mois plus tard, les essais cliniques de traitements et de vaccins déjà par centaines.

À ceux qui s’impatientent, il faut rappeler que les épidémies d’avant faisaient cent fois plus de morts, qu’il a fallu des milliers d’années avant que Pasteur, en 1885, ne découvre le vaccin contre la rage et que Yersin n’isole le bacille de la peste, et que c’est grâce à la démocratie libérale et à ses progrès scientifiques qu’elles ont été vaincues comme celle-ci le sera demain.

Deuxième idée qui traîne, celle des prophètes, qui nous expliquent que, demain, rien ne sera comme avant. Mais dès qu’on les écoute, on s’aperçoit que leur monde futur est celui qu’ils prêchaient avant : l’avenir radieux avec les lunettes du passé. Ils annoncent des révolutions, mais on s’aperçoit qu’ils profitent de la crise pour recycler des idéologies archidécédées : mort du capitalisme, haine de la technique, décroissance, éloge du populisme, retour des frontières, nationalisme. Ils courent les télévisions pour annoncer l’avènement d’un monde nouveau, mais leur besace ne contient que la poussière du prêt-à-penser qu’ils ressassent depuis des décennies.

La réalité, c’est que personne n’a jamais vu demain. C’est à nous de préparer l’avenir, et il sera sans doute différent. Mais, ce qui est certain, c’est qu’il ne ressemblera sûrement pas à un remake des thèses de Karl Marx, de Maurras ou de Malthus.

Troisième ineptie : les régimes autoritaires seraient les grands gagnants de cette pandémie, car les plus efficaces. C’est le contraire qui est vrai. La cause de la maladie est le virus. La cause du drame est le régime chinois, qui a caché la vérité pendant un mois. C’est pour cela qu’il y a aujourd’hui 25 000 morts en France et des centaines de milliers dans le monde.

Les seuls pays qui s’en sont bien sortis sont les quatre démocraties asiatiques : Taïwan, Hong Kong, Singapour et la Corée du Sud, qui bénéficiaient d’expériences antérieures. J’espère que personne ne va me dire : « Et la Chine ? » La Chine qui annonce 4 500 morts sans avoir jamais expliqué à quoi servaient les 50 000 urnes funéraires livrées en urgence, de nuit, dans la seule ville de Wuhan. La Chine dont on ne connaîtra le nombre de morts qu’un jour lointain, comme on n’a connu les 40 millions de morts du Grand Bond en avant que trente ans plus tard, à la mort de Mao.

Quant aux populistes en Occident ? Trump, qui restera comme le président du Make the virus great again, Bolsonaro, qui laisse s’infecter sans protection les habitants de ses bidonvilles, et Johnson, sauvé de peu de ses propres théories sur l’immunité et dont le pays détient désormais la palme européenne des victimes.

Je préfère l’exemple de l’Allemagne démocratique. C’est bien sûr un peu irritant, ces Allemands qui savent toujours où sont rangées les affaires. Mais attention : d’abord, l’Allemagne nous suit de dix jours dans l’épidémie et ses chiffres montent ; ensuite, les résultats allemands sont, hélas, beaucoup plus proches de ceux du reste de l’Europe que de ceux de l’Asie.

C’est bien dans les démocraties d’Asie du Sud qu’il nous faudra chercher les exemples si nous voulons réussir le déconfinement, et non pas chez les dictateurs.

Vous vous apprêtez, monsieur le Premier ministre, à prendre la plus grande décision de cette crise, parce que le déconfinement sera beaucoup plus difficile que le confinement. Vous serez tenté de le faire très prudemment. D’abord parce que, dans nos régimes libéraux, qui s’attachent à rendre impossibles leurs propres décisions, les épées de Damoclès politiques, juridiques et médiatiques vous menaceront à la moindre erreur – les sycophantes ont déjà ouvert leurs dossiers.

Mais votre Rubicon est là et vous n’avez d’autre choix que de le franchir sans trembler. Jusqu’à ce jour, entre laisser mourir des hommes et suspendre l’économie, nous n’avons pas hésité et nous avons choisi le confinement.

Le 11 mai, en ouvrant les rues, les maisons, les entreprises et les administrations, ne laissons personne dire que nous ferions le choix inverse, celui de l’économie contre les hommes. Au contraire, poursuivre le confinement ou déconfiner trop timidement ferait aujourd’hui beaucoup plus de victimes.

D’abord, les victimes, bien plus nombreuses qu’on ne le croit, d’autres pathologies, qui, depuis deux mois, ne se soignent plus. Ensuite, parce qu’une crise économique – et celle qui vient sera l’une des pires – fait bien plus de victimes que le virus, même si le fait de ne pas pouvoir les chiffrer permettra à tous ceux qui n’ont rien compris à l’économie et qui ne l’aiment pas – ils sont nombreux en France – de vous accuser de préférer les profits à la santé de nos concitoyens.

Il faut ouvrir les portes et le faire sans hésiter. Et cela veut dire faire confiance aux Français. Ils ont montré – personne ne l’aurait parié – qu’ils étaient capables, aussi bien que des Coréens ou des Allemands, de respecter un confinement drastique. Ils ont compris les gestes, la prudence et la distanciation. Ils ont aussi compris les risques, et c’est d’ailleurs pour cela que, s’ils souhaitent le déconfinement, ils le redoutent en même temps.

Il y aura des bosses sur la route, monsieur le Premier ministre, mais il faut prendre la route. Richelieu disait : « Il ne faut pas tout craindre, mais il faut tout préparer. » C’est la tâche qui vous attend aujourd’hui, c’est la tâche qui nous attend tous.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, je voudrais commencer mon propos en remerciant l’ensemble de celles et ceux qui font vivre notre pays au quotidien, que ce soient, bien sûr, les soignants et ceux qui concourent aux soins et qui sont en première ligne, ou ceux qui travaillent pour veiller à notre approvisionnement, à l’évacuation de nos déchets, à notre vie quotidienne. Ils méritent notre reconnaissance et je veux les saluer.

Vous, monsieur le Premier ministre, vous concourez aussi quotidiennement à l’action, à faire tourner notre pays.

Dans mon groupe et sur bien des travées de cette assemblée, nombreux sont celles et ceux qui considèrent que, pour le dire un peu trivialement, vous faites le job avec les ministres qui vous entourent, que ce soient ceux qui sont chargés de l’économie à Bercy, celui de l’éducation nationale, ceux qui sont chargés des relations avec les territoires ou avec le Parlement. Je le redis : vous êtes aux avant-postes et vous faites le job.

Bien entendu, cette sympathie et cette compréhension n’emportent pas systématiquement adhésion à toute l’action qui est menée et c’est le rôle du Parlement, justement, que de se montrer critique, de contrôler l’action du Gouvernement et d’examiner les textes qui lui sont soumis. Au demeurant, il travaille lui aussi dans des conditions extrêmement difficiles et contraintes.

Pour autant, vous entendez ici celles et ceux qui expriment les préoccupations des élus qu’ils représentent ou tout simplement de nos concitoyens.

L’un des faits majeurs de cette crise – et cela a été répété à l’envi – restera le problème des masques et des tests. On peut tourner la question dans tous les sens, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, quoi qu’on pense, une très large majorité de Français ne comprend pas pourquoi nous disposions de si peu de masques et pourquoi il est toujours difficile d’en trouver.

S’agissant des tests, la problématique est la même.

Cette semaine, les annonces faites par les grandes chaînes de distribution n’ont rien arrangé à l’affaire. Là encore, vous avez apporté des explications, mais l’opinion publique, au moment où il est encore difficile – y compris pour certains soignants – de trouver des masques dans certains endroits, ne comprend pas que la grande distribution, qui, contrairement à certains élus, n’a pas été réquisitionnée, puisse faire de la publicité pour indiquer qu’elle pourra en vendre prochainement en nombre dans ses magasins.

Le second sujet de préoccupation demeure bien sûr, pour de nombreux élus, celui de l’école. C’est un problème majeur pour beaucoup de collectivités, qui, pour la plupart d’entre elles, sont de taille modeste. Ainsi, 98 % d’entre elles comptent moins de 9 000 habitants et 52 % moins de 500 habitants. C’est dire la complexité de l’action qu’elles doivent mener.

Beaucoup vont essayer de répondre à l’attente des familles, parce qu’il faut bien rouvrir ces écoles. Mais à partir du moment où il a été annoncé qu’elles rouvriraient le 11 mai sur la base du volontariat, on a implicitement reconnu un droit de retrait aux familles et, partant, l’existence d’un risque. Dès lors, beaucoup de familles s’interrogent, surtout au moment où toutes les chaînes de radio et de télévision évoquent la possible émergence d’autres maladies, même si l’on ignore, à ce jour, s’il existe véritablement une corrélation entre celles-ci et le coronavirus. L’inquiétude est donc grande.

Je pourrais également évoquer, monsieur le Premier ministre, les coûts pour les collectivités, source de difficultés très fortes.

Enfin, vous avez abordé la question de la responsabilité, sujet de préoccupation que nous avions été nombreux à faire remonter. Les chefs d’entreprise, les élus, comme beaucoup de responsables associatifs, s’engagent pleinement comme vous le faites vous-même. Pour autant, ils sont inquiets, parce qu’ils savent que leur responsabilité est susceptible d’être engagée.

Mme la garde des sceaux a répondu en expliquant que, en l’état actuel du droit, ils pouvaient être tranquilles. Nous en doutons. Au-delà du droit, il y a la confiance, et préciser les choses, poser des affirmations, accompagner tous ceux qui s’engagent est de nature à redonner de la confiance. C’est tout simplement ce que nous souhaitons faire au travers des amendements qui ne manqueront pas d’être adoptés tout à l’heure.

Monsieur le Premier ministre, vous avez abordé beaucoup de sujets, vous avez apporté beaucoup de précisions et répondu à des demandes déjà anciennes. Je vous en remercie. Pour autant, ce qui manque le plus aujourd’hui, c’est peut-être davantage de territorialisation. C’est le mot que vous avez employé, mais je n’ai pas entendu dans votre explication comment elle serait déclinée.

Les Français sont confrontés à de nombreux paradoxes : à la télévision, ils voient, d’un côté, des Airbus bondés à bord desquels les gens ne portent pas de masque et, d’un autre côté, des promeneurs se faire verbaliser pour avoir fréquenté une plage. Cette communication est désastreuse pour beaucoup d’entre eux.

Davantage – et vous leur avez en partie répondu – s’inquiètent en disant : « On fait confiance aux commerçants pour rouvrir, mais on ne fait pas confiance aux officiants des cultes pour ouvrir de petites églises, de petits temples, de petites mosquées ou de petites synagogues, ici ou là dans nos provinces. » Vous avez répondu en partie à cette question, mais nombre de nos concitoyens s’interrogent durablement.

Mon groupe souhaiterait que l’on s’oriente davantage vers cette déclinaison territoriale. En faisant confiance à ce que l’on appelle le couple maire-préfet, que vous avez déjà mis en avant, on peut aller beaucoup plus loin et nos concitoyens sont nombreux à demander de la visibilité.

On leur dit qu’il faut attendre le 7 mai pour obtenir certaines précisions, qu’il faudra peut-être attendre le 2 juin pour en obtenir d’autres. Les vacances se profilent sans qu’ils sachent très bien ce qu’ils pourront faire et où ils pourront aller. Pourront-ils aller au-delà des 100 kilomètres dont il est question aujourd’hui ? Je le répète, ils ont besoin d’une plus grande visibilité.

De même, sans une plus grande déclinaison territoriale, à quoi bon avoir des départements en vert et en rouge ?

Beaucoup de nos territoires littoraux ou centraux demandent que les plages ou les forêts soient de nouveau accessibles. De même, on ne comprend pas bien pourquoi des villages qui disposent d’un petit commerce, d’un bar-tabac, ne peuvent pas le rouvrir rapidement alors que les commerces parisiens ou des grandes villes mériteraient d’attendre et d’être mieux organisés.

C’est là une demande très forte et, là encore, nous avons besoin de visibilité.

Nous avons également besoin de visibilité sur différents sujets que vous avez abordés, notamment la culture. Le secteur culturel représente 3 % de notre PIB et il est important, pour tous ceux qui se reconnaissent dans le théâtre, dans le cinéma, dans les musées, qu’ils puissent de nouveau rapidement avoir accès à ces éléments de culture.

Il n’y a pas que les grands musées des grandes villes ; il y a de petits musées, de petites salles, de petits festivals et toutes sortes d’événements qui mériteraient de pouvoir de nouveau fonctionner, sur décision des préfets en lien avec les élus.

Au demeurant, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, que préside Jean-Marie Bockel, a formulé des propositions en faveur d’une territorialisation de ces décisions.

Pareillement, beaucoup de collectivités dépendantes du tourisme attendent avec impatience de connaître les conditions dans lesquelles ces activités vont pouvoir reprendre.

Évidemment, vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre, demain ne sera plus comme avant. Nous connaîtrons des difficultés sociales très fortes à la rentrée, le chômage partiel, ainsi que le ministre de l’économie l’a annoncé, ne pourra pas se poursuivre et, malheureusement, le nombre de chômeurs va continuer de croître. C’est la raison pour laquelle la politique sociale devra être prééminente et tenir compte de ce qui s’est passé, car les Français n’accepteront plus, dans leur grande majorité, qu’on donne beaucoup d’argent aux grandes entreprises sans qu’ils puissent bénéficier d’un retour.

S’agissant de la gouvernance mondiale, puisque vous avez évoqué ce point au début de votre propos, cette pandémie est mondiale et l’on a vu la faillite des grandes institutions de l’après-guerre : l’ONU, l’Europe, le G7, le G20. Nous n’avons pas été en mesure d’apporter des réponses collectives. À l’évidence, il faudra repenser rapidement notre participation aux instances mondiales.

Monsieur le Premier ministre, je conclurai en vous remerciant et en vous indiquant que mon groupe se partagera sur le vote puisqu’une partie de mes collègues votera favorablement alors que l’autre s’abstiendra.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Claude Malhuret applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le Premier ministre, depuis le début de cette crise, mon groupe s’est donné une ligne et s’y est toujours tenu : exigence et bienveillance. L’exigence, d’abord, c’est celle que nous devons aux Français ; c’est l’exigence démocratique. En ces temps de crise, la démocratie n’est pas une gêne ou un obstacle : c’est une ressource. La bienveillance, ensuite : nous avons voté, ici, au Sénat, tous les textes que vous avez présentés. Même quand nous avions un certain nombre de réserves, nous les avons adoptés. Notre bienveillance, donc, vous l’avez. Mais la confiance que vous nous demandez cet après-midi, nous ne pouvons pas vous l’accorder aussi facilement, pour plusieurs raisons.

La première est que nous ne pouvons plus vous croire sur parole, parce que cette parole a donné lieu à trop de contradictions, à trop de contre-vérités, parfois, aussi, sur ce qui constitue d’ailleurs la clé même, le cœur même, de la lutte contre cette pandémie : la prévention, avec les masques, et le dépistage, avec les tests.

Sur les masques, il y aurait tant à dire ! Vous avez commencé par les proclamer inutiles ; un ministre a pu dire, ensuite, que les Français ne savaient pas les mettre. Et, désormais, les Français seront susceptibles de payer des amendes, parce que les masques, évidemment, seront obligatoires, dans les transports publics notamment.

Vous auriez dû dire dès le départ qu’il y avait un problème de pénurie. Les Français ne sont pas des sots : ils s’en sont rendu compte. Et c’est ce qui a écorné la confiance que vous estimiez, il y a quelques instants, absolument nécessaire en vue du déconfinement. Vous vous êtes abrité derrière les palinodies des scientifiques. Franchement, faut-il être membre de l’Académie de médecine pour constater qu’un masque, cela protège ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Les scientifiques qui prétendaient l’inverse étaient des Diafoirus. Et personne ne peut dire, au moment où je vous parle, si vous aurez suffisamment de masques, la semaine prochaine, pour protéger tous les Français. Ce doute, nous l’avons.

Autre objet de doute : les tests. En la matière, vous n’avez pas pu vous abriter derrière les changements de pied des scientifiques, puisque, dès le 16 mars dernier, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) alertait très solennellement tous les pays du monde : « Testez, testez, testez ! » Pendant des semaines, la France a été à la traîne, au soixantième ou soixante-dixième rang mondial pour le nombre de tests effectués par million d’habitants. Nous avons, au mois d’avril, testé trois fois moins, mes chers collègues, que la moyenne des grands pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ! Et vous nous dites que vous seriez en mesure d’atteindre, dès la semaine prochaine, le chiffre de 700 000 tests par semaine ? Que de doutes, là encore : il y a dix jours, nous en étions à 270 000. Il va vous falloir très vite plus que doubler ce chiffre pour arriver aux 700 000 tests.

J’observe d’ailleurs que vous avez dit, à l’Assemblée nationale, que vous alliez massifier les tests, fixant l’objectif à 700 000, mais qu’en même temps le troisième critère auquel devront répondre les départements, déterminant s’ils virent ou non au rouge, est justement la capacité de dépistage. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Pas du tout, au contraire !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Devant 36 millions de Français, le Président de la République avait reconnu des ratés, des lenteurs, des lourdeurs. À l’Assemblée nationale, vous avez plaidé l’humilité ;…

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

… c’est un mot que vous n’avez pas prononcé aujourd’hui…

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

… et un sentiment auquel, en tout cas, ni le Président de la République ni votre majorité ne nous avaient habitués.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Bien sûr, la situation dans laquelle nous nous trouvons est radicalement nouvelle. Mais, justement, cette humilité ne peut être le paravent d’une forme de retard à l’allumage. Tous les pays du monde, en effet, connaissent le même virus ; ils n’obtiennent pourtant pas les mêmes résultats.

Comment expliquer qu’en France il y ait eu des blocages ? Ces blocages ont été idéologiques et bureaucratiques. Idéologiques : comment comprendre autrement le blocage sur la fermeture des frontières ? Le Président de la République, le 10 mars, morigénait le Chancelier autrichien qui venait de fermer sa frontière avec l’Italie ; comment le comprendre ? Comment comprendre, d’ailleurs, que dans le texte que nous nous apprêtons à étudier, les ressortissants de l’espace Schengen fassent l’objet d’un traitement à part, alors que c’est dans l’espace Schengen que le virus circule beaucoup et très vite ?

Comment comprendre, par ailleurs, les difficultés que vous avez eues à mettre dans le coup le secteur privé – cliniques, médecins généralistes, laboratoires –, sinon par le jeu de l’idéologie et de la bureaucratie ?

Pendant que les Français étaient confinés, une petite France semblait, elle, résister encore et toujours au confinement : celle de la bureaucratie, à laquelle se heurtent les laboratoires départementaux. Tant de blocages ! Je citerai aussi les 54 pages du protocole sanitaire prévu pour les écoles, qui sont autant de défausses de l’administration parisienne vis-à-vis des élus.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Certainement pas !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Sans doute faut-il un certain nombre de précautions, mais, franchement, n’y a-t-il pas là la marque d’une véritable bureaucratie ?

Si nous ne pouvons pas voter le plan que vous nous présentez aujourd’hui, c’est donc parce que nous ne pouvons plus vous croire sur parole : nous attendons les faits.

Mais il y a une autre raison, qui me semble encore beaucoup plus importante, et sur laquelle je vous ai alerté depuis des semaines, ici même, au Sénat. Oui, il faut déconfiner. Oui, nous sommes favorables au déconfinement, parce que les inconvénients du confinement sont désormais, y compris en termes sanitaires, supérieurs à ses bénéfices. Mais ce plan de déconfinement ne saurait être un pari à quitte ou double !

Je vous ai entendu, à l’Assemblée nationale, prononcer une phrase clé qui résume peut-être votre climat intérieur, en tout cas la tonalité de l’ensemble de votre discours – je vous cite, mot à mot : « Si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas. » Mais les indicateurs, monsieur le Premier ministre, ne sont pas affaire de météorologie ! La question est, en d’autres termes : avons-nous ou non créé les conditions pour que les indicateurs soient au vert ?

J’ai dit à plusieurs reprises, au Sénat, que le confinement était une juste décision. Cette stratégie défensive, qui consiste à mettre la France sous cloche, aurait nécessairement dû – ce fut le cas dans certaines grandes démocraties asiatiques et européennes – être assortie d’une stratégie parallèle beaucoup plus offensive de protection, de dépistage, de traçage et d’isolement des personnes susceptibles d’être contaminées.

Tout cela, vous auriez pu le faire avant ! Partout en France, des milliers d’hôtels totalement vides étaient disponibles : nous aurions pu isoler des personnes qui avaient été en contact avec des malades. Même chose pour l’application numérique que nous n’aurons pas : nous aurions pu y travailler avant. Elle n’est pas prête, et si nous devons y avoir recours, sans doute devrons-nous passer sous les fourches caudines des Gafam. Quant aux brigades, derechef, nous aurions pu les former avant ! Il n’y avait pas besoin pour cela d’un fondement législatif ; il n’y avait pas besoin d’attendre le dernier moment.

Oui, il y a eu un temps de retard ! Oui, les doutes sont trop nombreux, monsieur le Premier ministre. J’ai conscience, comme mes collègues ici présents, qu’il s’agit sans doute, de toutes les décisions que vous avez prises, de la plus difficile et de la plus grave. Je ne dis pas qu’elle est simple ; je dis seulement que nous aurions pu, à l’instar d’autres pays, avoir une autre stratégie, qui aurait complété celle du confinement.

La France a été mise sous cloche ; nous nous apprêtons à soulever cette cloche, sans savoir ce que nous allons trouver.

Vous pouvez compter sur notre bienveillance. Mais nous avons des doutes. C’est la raison pour laquelle nous allons très majoritairement, massivement même, nous abstenir. Vous pouvez compter sur nous pour améliorer le texte que vous allez nous soumettre dans quelques heures. Il y a énormément de choses à faire en matière de responsabilité, ce qui ne veut pas dire – vous avez raison, monsieur le Premier ministre – exonérer les responsables de leurs responsabilités. Il nous faut être clairs envers celles et ceux qui doivent concourir à l’application des décisions de l’État.

En tout cas, comme je l’ai dit, nous restons disponibles pour améliorer ce texte. Sans méconnaître la difficulté de votre situation – vous n’avez pas choisi la date du 11 mai –, je pense qu’il faut impérativement, désormais, faire en sorte que la France puisse retrouver le peloton de tête des pays qui, dans le monde entier, ont su combattre efficacement cette pandémie, en essayant de casser les chaînes de contamination, ce que jusqu’à présent nous n’avons pas fait. Nous avons freiné l’épidémie, mais nous ne lui avons pas cassé les reins.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains. – Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mes premiers mots, comme ceux de beaucoup de mes collègues, iront, bien sûr, à nos concitoyens, soignants, travailleurs, qui, depuis plusieurs semaines, tiennent, risquant leur santé, perdant leur vie pour certains – je veux leur rendre hommage –, ainsi qu’aux millions de Français qui sont chez eux, confinés. Le pays tout entier est mobilisé pour faire face, et chacun doit assumer sa responsabilité.

La vôtre, monsieur le Premier ministre, est de veiller à ce que les Français soient protégés face à un virus mortel, une « vacherie », disait le professeur Delfraissy ; à ce qu’ils soient protégés des conséquences d’une maladie qui mine nos habitudes, nos manières de vivre et de travailler, mais qui ne doit pas provoquer un effondrement économique. La grande faucheuse sanitaire ne doit pas se muer en une grande faucheuse sociale.

Certes, les incertitudes sont encore nombreuses. Bien qu’elle ait envahi nos vies, cette maladie est encore très mal connue : pas de vaccin, ni de traitement, ni non plus, peut-être, d’immunité. Les horizons sont bien tristes ; ils sont en tout cas, concernant le vaccin, très lointains. Cela nous incite à l’humilité et à la remise en question.

La seule certitude que nous avons aujourd’hui est que nous allons devoir vivre de longs mois avec ce virus. Ce constat étant fait, le défi du déconfinement est une étape cruciale. Nous savons qu’un déconfinement raté serait le prélude à un reconfinement assuré. Une deuxième vague réduirait à néant les efforts fournis jusqu’à présent et viendrait heurter de plein fouet un système de santé déjà très affaibli par la première vague.

Le déconfinement est un pari à haut risque, monsieur le Premier ministre. La date du 11 mai a été fixée, mais cette annonce avait-elle été vraiment préparée par un travail de fond de votre gouvernement, dans une logique de rétroplanning ? Permettez-moi, sur ce point, de m’interroger. Il faut évidemment déconfiner dès que possible ; mais « dès que possible » veut dire : dès que nous avons les garanties nécessaires. On ne doit pas faire de pari sur la santé ou les libertés des Français. Pour ne pas faire du 11 mai une chimère, il faut de la clarté et des moyens.

Répondre au besoin de clarté de la population doit être la première préoccupation de votre gouvernement : il faut en finir avec les injonctions contradictoires que nous connaissons depuis plusieurs mois. J’ai en mémoire vos propos rassurants, le 27 février, quand vous aviez réuni à Matignon les présidents de groupes et les patrons de partis. Nous étions sortis de cette réunion, sinon rassurés, en tout cas rassérénés.

Les injonctions contradictoires, les ordres et les contre-ordres ajoutent de l’anxiété à une période qui n’en manque pas. Mais, par-dessus tout, cela fait courir un risque sanitaire. Il faut que les règles édictées soient comprises et partagées, afin d’éviter une deuxième vague.

J’en donne une illustration, cela a déjà été dit : le manque de garanties concernant l’accessibilité des masques aux Français, et l’absence de prise de position du Gouvernement sur la gratuité. Avec le temps qui passe, les Français se sont rendu compte que, contrairement à ce qui était avancé, les masques ne sont pas inutiles s’ils deviennent une protection collective et massive. Nous avons donc du mal à comprendre pourquoi les masques seraient obligatoires à l’école et dans les transports alors qu’il n’existe aucune obligation de les porter au travail ou dans les lieux publics. Nous souhaitons avoir des éclaircissements sur ce point.

Si la limite à cette mesure est le manque de masques disponibles, il est incompréhensible de voir les grands distributeurs faire les annonces qu’ils font aujourd’hui, à coups d’arrivages par millions. Le commerce, dans le contexte actuel, n’a pas de sens. L’État doit prendre ses responsabilités et ne pas craindre de poursuivre ses réquisitions pour permettre à l’ensemble des Français d’être correctement protégés dès qu’ils entrent dans l’espace public.

Quant aux tests, nous demandons des points d’étape réguliers sur leur nombre et les garanties entourant leur disponibilité. Je ne vous rappellerai pas, monsieur le Premier ministre, qu’il y a encore à peine un mois nous étions à 5 000 tests par jour ! Vous nous annoncez 100 000 tests par jour le 11 mai ? Tant mieux ! Mais nous serons là pour vérifier que cet engagement sera bien respecté.

La prise en charge de l’isolement des personnes malades doit également être assumée par l’État lorsque celles-ci ne disposent pas d’un lieu où s’isoler.

La question de la restriction des libertés publiques proportionnée à l’urgence doit elle aussi être traitée avec le plus de clairvoyance possible. S’il faut donner les moyens aux brigades sanitaires de faire leur travail, il convient de repousser les dispositifs inefficaces et dangereux pour la liberté des Français, comme l’application StopCovid. La ligne de crête est étroite, mais la République doit veiller à ne pas céder à la panique et continuer à garantir les libertés fondamentales. Vous sembliez douter, à l’Assemblée nationale, de la pertinence de ce dispositif. Mais, à en croire les propos tenus il y a quarante-huit heures par votre porte-parole, il semblerait que ce chantier, loin d’être abandonné, puisse être opérationnel dès le début du mois de juin. Monsieur le Premier ministre, cette idée de traçage anonyme est un dangereux oxymore.

S’il n’est pas possible, le 11 mai, de déconfiner tout en respectant la sécurité des Français, il faut remettre en question cette date. Vous répétez que vous y êtes prêt – nous l’avons entendu –, mais nous espérons que cette échéance ne sera pas un totem au motif qu’elle aurait été annoncée par le Président de la République. En toute hypothèse, nous ne vous donnerons pas – cette chambre, en tout cas, ne vous la donnera pas, manifestement – d’habilitation à prendre une nouvelle ordonnance sur un sujet, celui des libertés individuelles, qui relève expressément de l’autorité du Parlement.

Marques d ’ approbation sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

M. Patrick Kanner. Le conseil scientifique a fixé des prérequis sanitaires pour le déconfinement. Si ce conseil est consultatif, il ne doit pas devenir décoratif.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

De nombreux maires s’inquiètent de la faisabilité de cette reprise. Plusieurs centaines d’entre eux vous ont écrit et ont demandé au Président de la République, hier, de repousser la réouverture des écoles. Quelle réponse leur apporterez-vous ? L’État ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en faisant peser la décision de la rescolarisation sur les parents et la décision de la réouverture sur les maires seuls. L’école à la carte, à pile ou face ou sur un coup de dé n’est pas conforme au principe républicain d’égalité. Vous n’avez pas anticipé le désarroi des parents, des enseignants, des élus.

Dans ce contexte très particulier, il conviendra de clarifier les conditions dans lesquelles la responsabilité des maires peut être engagée. Vous avez commencé, monsieur le Premier ministre, à répondre à cette question de la protection des élus locaux, ces hussards de la République qui, au plus près de leurs concitoyens, ne disposent pas toujours des moyens de protection nécessaires à l’ouverture des lieux recevant du public – nous y reviendrons au cours du débat sur le projet de loi que nous nous apprêtons à examiner.

Vous avez pris par ailleurs, monsieur le Premier ministre, des mesures d’assistance en faveur des plus démunis. Nous les saluons – je pense notamment à celles que vous avez annoncées pour les jeunes les plus en difficulté. Mais le projet de loi d’urgence que nous sommes sur le point de discuter n’anticipe pas une menace qui va certainement se concrétiser. L’augmentation du chômage est certes amortie par le chômage partiel, qui touche aujourd’hui un salarié du privé sur deux dans notre pays. J’en profite pour rappeler que le chômage partiel n’est pas une faveur.

Mme Sophie Primas s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Des mesures doivent être prises ! Il faut empêcher que de nombreux Français ne tombent dans la précarité. Vous semblez redécouvrir ce choix de société qu’est l’État-providence et les « jours heureux » afférents, ceux du Conseil national de la résistance. Allons-y ! Prolongeons le chômage partiel ; arrêtons de précariser les chômeurs et abrogeons définitivement votre réforme injuste de l’assurance chômage ; engageons des négociations salariales ; créons le revenu de base ; abandonnons votre projet mortifère de réforme des retraites !

M. François Patriat s ’ exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Vous le voyez, nos craintes sont nombreuses. Le temps qui m’est imparti ne me permet pas de développer bien d’autres sujets que nous évoquerons à l’occasion de questions complémentaires. En particulier, l’équilibre fragile entre la sécurité sanitaire des Français et la protection de leurs libertés individuelles sera au cœur de notre débat.

Monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez toujours à vos côtés pour accompagner les Français. Nous avons d’ailleurs adopté les deux projets de loi de finances rectificative. Mais l’exercice, aujourd’hui, est différent, face à la crise. Aujourd’hui, vous nous demandez de vous accorder notre soutien. Mais le soutien se construit dans la confiance : confiance dans la gestion passée, confiance dans les choix à venir, confiance dans les moyens développés et déployés.

J’ai le regret de vous annoncer qu’aux yeux du groupe socialiste et républicain, le compte n’y est pas.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, au nom du groupe du RDSE, je voudrais tout d’abord avoir une pensée compatissante pour tous nos compatriotes emportés par le Covid-19, pour leurs familles, pour leurs amis, pour leurs proches, qui, bien souvent, n’ont pu se recueillir comme ils l’auraient souhaité.

À l’évidence, nous avons plus que jamais besoin d’humanité, alors que nos sociétés modernes sont devenues des monstres de complexité et de technologie, innervés de connexions innombrables et mondiales. Pour autant, le progrès technique n’empêchera jamais le drame intime dans toute sa crudité, car nous demeurons ontologiquement fragiles. Trop sûrs de notre maîtrise de la nature, nous en oublions notre finitude. Le rappel actuel est violent, mais c’est aussi dans la science que nous plaçons aujourd’hui nos espoirs, saluant à juste titre – mon groupe s’est une nouvelle fois joint à cet hommage – le travail exceptionnel de l’ensemble du personnel médical et des chercheurs.

Monsieur le Premier ministre, vous l’avez dit la semaine dernière et rappelé il y a quelques instants : face à la situation exceptionnelle que connaît notre pays, le confinement reste le meilleur outil pour contenir l’épidémie, au prix d’efforts intenses de chacun, d’un sens civique aigu, mais aussi de conséquences vertigineuses – la crise économique et sociale frappe déjà. Oui, les contaminations reculent, les admissions en réanimation diminuent. Néanmoins, le combat sera encore long. Aucun relâchement n’est possible si nous voulons éviter une seconde vague. Comme le dit notre collègue le docteur Véronique Guillotin, nous devons apprendre à apprivoiser ce virus que seul le vaccin pourra tuer.

Pour autant, le prix du confinement est élevé pour nos compatriotes : isolement social, pertes de revenus, faillites d’entreprises, aggravation des fractures sociales et territoriales, la liste est longue, car notre pays, comme les autres, s’est quasiment arrêté du jour au lendemain.

Déconfiner est donc une nécessité absolue, pour relancer notre économie, bien sûr, donner les moyens aux services publics de fonctionner et, surtout, répondre aux angoisses de notre inconscient collectif. Plus que jamais, la solidarité doit être au cœur de notre action collective. Le déconfinement suppose donc humilité et responsabilité. De ce point de vue, monsieur le Premier ministre, mon groupe partage votre approche à la fois pragmatique, progressive et territorialisée. Les détails peuvent, eux, toujours être débattus, mais la préservation de nos libertés ne se discute pas.

Nous sommes sur un fil – c’est votre expression – dans la perspective du 11 mai. Les conditions sont drastiques – vous les avez rappelées : capacité à tester massivement, moindre circulation du virus, état des hôpitaux, baisse du taux de contamination par malade, le fameux R0. Nous mesurons pleinement la difficulté et la gravité des décisions à prendre en vue de préserver la continuité de notre pacte républicain.

À ce titre, je voudrais insister sur un point : aucune instance, si éminente soit-elle, ne saurait substituer son appréciation à celle de l’autorité politique légalement formée. Les avis du conseil scientifique sont certes indispensables, mais ils ne sont pas contraignants. Leur publication en temps réel doit absolument être mise en perspective avec le temps de la décision politique.

Monsieur le Premier ministre, si nous souscrivons à votre objectif et à votre approche, de nombreuses incertitudes persistent. J’ai d’ailleurs une modeste suggestion à vous faire quant à la carte publiée chaque jour : n’oubliez pas d’y inclure tous les territoires ultramarins de la République, comme Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, et pas seulement les départements d’outre-mer ; je sais que nos concitoyens des collectivités d’outre-mer y seront sensibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Plus largement, les élus locaux, les maires en première ligne, ont admirablement rempli leur rôle, y compris ceux qui vont passer la main d’ici peu. De nombreuses initiatives locales ont permis de conserver un lien social de qualité au plus près de nos concitoyens, et en particulier des plus fragiles, malgré la complexité normative. Tous attendent maintenant que soit fixée la suite du calendrier électoral, sans oublier qu’il faudra aussi rapidement stabiliser les exécutifs intercommunaux pour solidifier leur action.

Je voudrais également saluer toutes les collectivités qui se sont engagées pour soutenir financièrement les PME en difficulté, en dépit d’un cadre juridique inextricable, sur lequel nos collègues Raymond Vall et Josiane Costes ont donné l’alerte.

À l’approche du 11 mai, la réouverture des écoles est une autre source d’inquiétude, pour les élus comme pour les enseignants, parents et enfants. La diffusion des protocoles sanitaires ne devrait y remédier qu’en partie, car, vous le savez, la question des responsabilités administrative et pénale des élus cristallise l’attention. Nous aurons tout à l’heure ce débat, lors de la discussion du projet de loi. Mais je tiens d’ores et déjà à dire qu’il n’est pas question pour mon groupe de laisser les élus locaux supporter seuls le poids de responsabilités qui ne sont pas les leurs.

Quelques mots encore sur un sujet que vous avez brièvement évoqué, celui de la culture, cher notamment à Françoise Laborde. Ce secteur, qui contribue tant à notre rayonnement et à notre vie sociale, est évidemment très inquiet, sachant que le risque de déstabilisation durable est réel. Les professionnels attendent de la visibilité, mais espèrent aussi un protocole sanitaire précis pour préparer la reprise de leurs activités.

Monsieur le Premier ministre, il est toujours plus facile d’être dans la posture du commentateur que dans celle du décideur. Il sera toujours temps, dans les prochains mois, d’analyser les dysfonctionnements de l’action publique ; mais, si nous le faisons, c’est toujours, pour notre part, avec le souci de conforter et de faire prospérer l’intérêt général. Tel est le sens de l’initiative, soutenue par mon groupe, de notre collègue Nathalie Delattre visant à ce que toute la lumière soit faite, dans la sérénité et sans polémique, sur la possible constitution en amont de stocks de masques par la grande distribution.

La discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire permettra d’aborder en profondeur de nombreuses questions qui interpellent nos compatriotes. Mon groupe, par la voix de Maryse Carrère, rappellera son attachement viscéral aux libertés publiques, que même une grave épidémie ne saurait mettre en suspens.

Pour l’heure, après vous avoir attentivement écouté et vu les enjeux pour notre pays et nos concitoyens, une large majorité du groupe du RDSE approuvera votre déclaration.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. François Patriat applaudit également.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’organisation des débats est ainsi conçue que ma réponse sera suivie d’une séquence de questions plus précises, permettant des réponses probablement elles aussi plus précises de la part de l’ensemble des membres du Gouvernement. Je ne crois donc pas possible d’aborder, à l’occasion de cette réponse, l’ensemble des sujets que vous avez évoqués.

Je voudrais d’abord remercier l’ensemble des orateurs pour leurs propos. Permettez-moi de saluer, au premier rang d’entre eux, ceux qui ont relevé la difficulté du moment et exprimé leur soutien au Gouvernement.

Sans répondre sur tous les sujets, je voudrais, avec le président Requier, faire le constat que la critique est facile et l’art difficile – c’était le sens de votre propos, monsieur le sénateur. Je ne dénigre pas ceux qui critiquent ; il se trouve qu’il est souvent plus facile d’avoir un avis sur une décision que quelqu’un d’autre prend. C’est un fait ! Il ne faut pas s’en excuser pour autant, de même qu’il ne faut pas, lorsque vous prenez les décisions, s’irriter des critiques, mais écouter ceux qui critiquent, lesquels, justement, vous éclairent et peuvent même parfois vous permettre de corriger des décisions qui auraient été prises trop rapidement ou de façon erronée.

Beaucoup d’entre vous – c’est vrai dans cet hémicycle comme à l’extérieur – ont évoqué la difficulté de la communication en période de crise et se sont fait l’écho des critiques formulées à l’égard du Gouvernement, visant sa façon de prendre des décisions et de les présenter.

Pour illustrer néanmoins la difficulté de cette tâche, je voudrais utiliser la question qui a été posée par le président Kanner à propos de l’application StopCovid. J’ai indiqué, à l’Assemblée nationale, à quoi pouvait servir cette application, en prenant soin de dire – je pense que vous vous en souvenez, monsieur Kanner, puisque vous avez manifestement écouté ce débat – que cet instrument ne pouvait avoir de sens, s’il en avait, qu’à titre modestement complémentaire de l’ensemble des autres mesures nécessaires pour remonter les chaînes de contamination. J’ai précisé qu’il pouvait être utile dans les circonstances où il est très difficile d’employer les autres instruments disponibles, à savoir ces moments où l’on se trouve dans un lieu de grande densité et d’anonymat.

Vous êtes dans une rame de métro, avec quarante personnes ; vous ne les connaissez pas, elles ne vous connaissent pas, elles peuvent être près de vous, même si la distanciation physique s’impose en toutes circonstances. Si vous êtes testé positif, vous aurez beau tout dire au médecin ou, par exemple, au salarié de la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM) qui vous demandera de lui raconter votre journée afin de pouvoir appeler les personnes avec qui vous êtes entré en contact, vous aurez du mal, monsieur Kanner, à donner l’identité de celui qui se trouvait dans le métro en face de vous à 7 heures 46… Et lui aura du mal à savoir que vous-même avez été testé positif le lendemain ! Vous pourrez toujours vous retourner vers la RATP ; elle sera incapable de vous dire qui était dans le métro à cette heure-là.

Dans ce cas-là, qui n’est pas totalement improbable, l’application StopCovid peut être un outil de plus. En effet, dans l’hypothèse, parmi toutes celles qu’il faut envisager, où vous seriez équipé d’un téléphone, ainsi que la personne en face de vous – c’est une hypothèse raisonnable dans le métro

Sourires.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Vous le voyez, dans ce cas-là, et sans doute dans ce cas-là seulement, cet instrument, s’il peut comporter des risques, peut aussi présenter un intérêt. C’est ce que j’ai indiqué à l’Assemblée nationale en disant que cette application n’était pour l’instant pas prête, car techniquement, elle n’avait pas obtenu toutes les validations requises, et que nous n’allions pas nous poser la question de savoir s’il fallait l’utiliser dès lors qu’elle n’était pas prête, car les questions théoriques, c’est bien, mais pour l’instant, je préfère me poser des questions pratiques ! Quand elle sera prête, si tel est le cas, nous organiserons un débat suivi d’un vote, avant qu’elle puisse être utilisée. Tout cela, je l’ai indiqué clairement, et je crois que vous l’avez clairement entendu.

Pourtant, monsieur le président Kanner, dans votre intervention, vous nous dites que tout cela n’est pas clair, parce que la porte-parole du Gouvernement a déclaré que l’on continuait à travailler sur cette application. C’est pourtant parfaitement conforme à ce que j’ai indiqué : en effet, on continue à travailler sur cette application. Est-ce qu’elle fonctionnera ? Je ne le sais toujours pas. Et lorsque ce sera le cas, pourrons-nous l’utiliser ? Cela dépendra d’un débat, avec un vote, exactement comme je m’y suis engagé.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Qu’est-ce qui vous dit qu’une loi serait nécessaire en la matière ? Rien. Si le système est totalement volontaire et anonyme, nous n’aurons pas besoin de loi. Ce serait ainsi, je n’y peux rien, parce que nous respecterions un certain nombre de conditions qui sont déjà prévues dans la loi. En tout état de cause, un débat aura lieu.

Il est un point que je tiens à souligner, monsieur le président Kanner, et je ne crois pas une seconde que vous ayez posé cette question de mauvaise foi : expliquer quelque chose, avec parfois des nuances, parfois des hypothèses – je ne dis pas que nous le faisons toujours bien –, c’est toujours s’exposer à la critique de quelqu’un qui, quelques jours plus tard, vient dénoncer ce qui serait une incohérence, alors qu’il s’agit en réalité d’une branche de l’alternative. C’est exactement ce que vous avez fait – je le redis, sans aucune mauvaise foi, j’en suis intimement persuadé –, en soulevant un éventuel décalage entre les propos de la porte-parole du Gouvernement et mes déclarations à l’Assemblée nationale. Il n’y en a aucun, et tout ce que j’ai dit devant les députés reste valide.

Monsieur le président Retailleau, je vous remercie de votre bienveillance

Sourires ironiques sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

M. Édouard Philippe, Premier ministre. … même si cette perle est parfois entourée d’une gangue de prudence, voire de timidité…

Mêmes mouvements.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Cela étant, il est un certain nombre de sujets sur lesquels je suis en désaccord avec vous.

Vous avez évoqué comme une question problématique sur laquelle une clarification s’imposerait, parmi les trois batteries d’indicateurs que nous avons choisi de mettre en place pour savoir si un département était vert ou rouge, c’est-à-dire si le virus circulait rapidement ou lentement, la batterie de tests…

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

… et la capacité à remonter les chaînes de contamination.

Or c’est exactement ce que nous avons voulu faire, à savoir créer un instrument qui ne serve pas simplement à mesurer le nombre de cas ou la pression sur un département, pas plus qu’à mesurer la disponibilité des lits de réanimation, instrument, je le dis à l’attention de M. le sénateur Adnot, qui est par nature régional – nous l’avons d’ailleurs vu à l’occasion de la première vague –, et bien que des services hospitaliers de réanimation soient présents dans chaque département.

Il fallait une troisième batterie d’indicateurs, celle qui détermine chaque jour – je dis bien chaque jour, monsieur le président Retailleau – la capacité à remonter l’ensemble des chaînes de contamination qui sont susceptibles d’apparaître dans un département.

Prenons un exemple simple. J’espère qu’il n’arrivera jamais, mais comme je suis aussi obligé de prévoir des événements défavorables qui pourraient arriver, je m’y emploie.

Imaginez que, dans un département, les brigades soient constituées, comme cela se passera à partir du 11 mai, et les tests disponibles – tout va bien. Le premier jour, 25 cas nouveaux sont enregistrés, pour lesquels on est capable d’effectuer les tests, puis de remonter les chaînes – ça se passe bien. Le lendemain, 30 cas nouveaux sont diagnostiqués – les choses continuent à bien se passer grâce à l’action des préfets et de l’ensemble des acteurs locaux. Les autres indicateurs sont au vert, tels que les tests et la remontée des contacts.

Imaginez que, pour une raison ou une autre, qu’elle soit pratique, organisationnelle ou matérielle, l’instrument qui permet de remonter les chaînes de contamination fonctionne moins bien ou ne soit plus opérationnel, par exemple parce qu’il est débordé. Ce jour-là nous ne sommes plus en mesure, dans un tel département, de garantir la remontée de l’ensemble des chaînes de contamination. Ce jour-là, on a un vrai problème dans le département ! Je suis obligé d’y penser. J’espère évidemment que cela n’arrivera pas, mais si, à un moment donné, nous n’étions plus capables de remonter les chaînes de contamination et, par conséquent, de contenir l’épidémie dans un département, celui-ci passerait probablement du vert au rouge.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

C’est parce qu’il n’y aura pas assez de tests !

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Le problème aujourd’hui, ce n’est pas tant les tests que les bras, autrement dit la capacité à les réaliser, ou plutôt, à les exploiter. En effet, matériellement, nous aurons les moyens de tester. Toutefois, les tests n’ont pas seulement pour objectif de savoir si telle personne est positive ou négative. Leur réel intérêt, une fois que le résultat est positif, est ensuite de pouvoir remonter systématiquement, et de manière efficace, jusqu’aux vingt-cinq ou trente personnes – peut-être douze – que le patient a croisées la veille et le jour même, et ce afin d’être en mesure de tester celles-ci.

Si cet instrument de remontée des chaînes de contamination n’était plus opérationnel quelque part, il faudrait en tirer les conséquences. J’en suis convaincu, monsieur le président Retailleau, vous savez parfaitement que, si nous ne regardions pas ces données au jour le jour en période de déconfinement, nous commettrions une erreur.

Vous nous avez invités à l’humilité, non pas comme une excuse – je n’en cherche aucune –, mais comme une forme de reconnaissance de ce qu’on ne sait pas. J’ai eu l’occasion de dire plusieurs fois que je ne savais pas tout. Lorsque des controverses médicales entre scientifiques sont intervenues sur les différents traitements visés, je me suis bien gardé de dire qui avait raison et qui avait tort. Je n’ai aucune compétence en la matière, et j’ai eu l’humilité de le dire. J’ai aussi déclaré que j’attendrais les procédures habituelles, expérimentales, ainsi que les revues par les pairs, qui permettraient de déterminer si, oui ou non, il existait des preuves de l’efficacité de tel traitement.

Monsieur le président Malhuret, vous nous avez indiqué que la recherche allait vite. Certes, mais elle prend aussi du temps, et en l’admettant, je crois faire preuve d’une humilité que n’ont pas toujours ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent, ont décidé qu’un traitement donné devait par nature être efficace, et donc distribué, alors même que tous les éléments de démonstration n’étaient pas réunis.

Sur les obstacles bureaucratiques et idéologiques à la levée d’un certain nombre de verrous – je pense notamment à l’utilisation des laboratoires sanitaires –, il est vrai que notre pays impose de nombreuses règles, notamment en matière sanitaire, qui ont été accumulées dans le temps, « sédimentées », mais elles ont été prises chaque fois pour une bonne raison : si des laboratoires ne sont pas autorisés à réaliser certaines activités, c’est parce que les protocoles qui ont été progressivement mis en place sont de plus en plus protecteurs. On trouve toujours derrière la réglementation sanitaire des considérations qui ont été jugées par les pouvoirs en place excellentes, et je ne les conteste pas. J’observe que vouloir lever, et rapidement, les dispositifs un par un est un exercice qui, lui aussi, renvoie à une certaine forme d’humilité – croyez-moi ! Heureusement, nous y sommes parvenus collectivement, même si j’aurais préféré que nous soyons plus rapides. Nous allons pouvoir en bénéficier avec la multiplication du nombre de tests.

Monsieur le président Marseille, je vous remercie de vos propos, eux aussi bienveillants et exigeants, notamment de vos questions concernant les inquiétudes et les difficultés liées à l’ouverture des écoles. Ces questions ne m’ont bien sûr pas échappé, et nous essayons d’y répondre. Là encore, l’exercice se révèle difficile.

En effet, donner quelques directions vagues, ou claires, mais formulées en termes de principes, c’est à coup sûr, vous le savez, s’exposer à la critique de ceux qui diront : « Vous avez formulé quelques principes clairs, mais sur le terrain, vous laissez les gens se débrouiller. » Dans le même temps, énoncer quasiment au cas par cas, si j’ose dire, les bonnes pratiques correspondant à la doctrine sanitaire, c’est s’exposer à la critique de ceux qui diront : « C’est trop, vous voulez tout régenter, laissez-nous adapter les règles. »

Autrement dit, en la matière, mais j’en ai pris mon parti, monsieur le président Marseille, quoi qu’on fasse, on est critiqué ! Ce n’est pas illégitime, car, je le redis, tout peut être utile, et je ne le prends pas du tout à la légère. Mais nous avons fixé des règles, donné une doctrine et indiqué – combien de fois, monsieur le président Marseille ! – qu’il était possible de s’adapter localement, c’est-à-dire d’utiliser l’esprit de la règle afin de trouver la meilleure solution. Ces consignes, je les ai transmises à tous les préfets, à tous les recteurs ; je les ai répétées, et je les redirai systématiquement.

Mes retours, monsieur le président Marseille, je suis certain qu’ils correspondent aux vôtres : dans un très grand nombre de communes, les élus locaux, les adjoints au maire chargés de l’éducation ont commencé à intégrer ces doctrines, en disant parfois qu’il y en avait trop, ou pas assez, et en étudiant la situation, école par école, afin de trouver la meilleure organisation possible.

À la vérité, dans certains endroits, la situation va être très difficile, mais dans beaucoup d’autres, tout va bien se passer – j’en ai la conviction. J’observe d’ailleurs avec intérêt qu’un certain nombre de ceux qui critiquent ces éléments d’indication mettent en place, dans leur commune, des modalités d’organisation de la réouverture des écoles en les respectant. Je ne dis pas qu’ils le font de gaieté de cœur, mais comme ils ont la responsabilité chevillée au corps, ils essaient de trouver des solutions locales conformes à la doctrine. C’est la meilleure façon d’avancer !

Vous avez indiqué à juste titre, monsieur le président Marseille, la difficulté qui résulte de l’incertitude. Je la comprends parfaitement, car, au-delà des seuls acteurs économiques, l’incertitude qui pèse sur l’avenir de tous est exaspérante, inquiétante : elle mine, elle fatigue à bien des égards ceux qui ne savent pas comment organiser leur vie familiale ou professionnelle et qui ont parfois des décisions importantes à prendre.

Comment répondre à une telle situation, monsieur le président Marseille ? On pourrait dire des choses définitives, très brutales. Je ne veux pas me comparer à des chefs d’État qui dirigent de grandes puissances outre-Atlantique – je n’en ai ni le physique ni le caractère

Sourires.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Je me garde d’agir ainsi, en essayant d’expliquer au mieux – c’est cela qui est intéressant, même si c’est compliqué – les critères que je mets sur la table et qui, s’ils sont réunis, permettent de passer à l’étape suivante. La méthode qui a été retenue par le Gouvernement, c’est de donner le maximum de lisibilité, voire de prévisibilité, aux décisions que nous prenons.

Quant aux certitudes, il est bien difficile d’en donner. Nous avons néanmoins déclaré que certaines choses seraient interdites jusqu’au 2 juin – c’est difficile à supporter, mais c’est une certitude –, que les grands festivals culturels n’auraient pas lieu avant le 31 août, alors même que nous ne savons pas quelle sera la situation fin juillet. Peut-être certains auraient-ils préféré que l’on attende cette échéance pour l’annoncer, mais le risque, l’incertitude était énorme. Nous avons choisi de donner une certitude.

Nous allons essayer, au fur et à mesure, d’expliquer les critères de nos choix, les étapes que nous voulons passer, et, pour chacune d’entre elles, en fonction de quels indicateurs. Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement, mais je suis évidemment ouvert à toutes les propositions.

J’entends votre théorème, monsieur le président Malhuret, de même que votre invitation à faire attention aux bosses sur la route ! Je ne doute pas que nous en trouverons sur notre chemin, car la route ressemble plus souvent à une piste – pour employer une image – qu’à une autoroute.

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Enfin, monsieur Adnot, je regrette votre changement concernant le vote, d’autant que je crois avoir répondu à vos questions sur le critère des cartes départementales et sur la doctrine sanitaire à l’école. Je reviendrai sur un point qui me paraît intéressant, car il illustre la difficulté de trouver des critères nationaux.

Selon vos propos, monsieur le sénateur, nous aurions dû envisager la possibilité des classes alternées par demi-journées. Nous y avons pensé, mais les élus locaux nous ont dit que ce n’était vraiment pas une bonne idée, à cause des transports scolaires. §C’est la réalité, et la difficulté réside bien dans le fait de prendre en compte des avis très différents. Je suis certain que, dans cet hémicycle, beaucoup de sénateurs ont entendu la même chose que moi. Nous avons agi au mieux, peut-être pas exactement de la façon que vous souhaitiez, mais en écoutant les élus locaux, ce que vous devriez mettre à notre crédit.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont formulé des encouragements au Gouvernement : il en a bien besoin !

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Merci, monsieur le Premier ministre, de votre non-réponse !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous allons maintenant procéder au débat interactif sous la forme d’une série de quinze questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Xavier Iacovelli.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Iacovelli

Monsieur le Premier ministre, depuis le début de la crise sanitaire qui frappe notre pays, les maires et les élus locaux sont en première ligne pour protéger nos concitoyens et mettre en œuvre les mesures d’urgence permettant de faire face à cette situation inédite.

En tout état de cause, celle-ci laissera des traces, tant elle a bouleversé notre quotidien, frappé celles et ceux qui nous entourent, fortement touché nos commerçants, artisans, indépendants et les familles les plus précaires.

Dans ce contexte, les maires sont au plus près des réalités du terrain et en contact permanent avec nos concitoyens pour répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes. Ils sont, et je reprends vos mots, monsieur le président, « à portée d’engueulade » de leurs administrés.

Ces mêmes élus locaux auront pour mission d’assurer la réouverture des écoles à compter du 11 mai prochain, telle qu’elle a été prévue par le Gouvernement.

Dans ce cadre, et vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la protection de nos enfants est la priorité. Les conditions de sécurité sanitaire doivent être scrupuleusement respectées, et nous pouvons compter sur le dévouement et le travail acharné des maires pour les mettre en œuvre.

Cette priorité, selon nous, va de pair avec le renforcement de la protection juridique des maires et des élus locaux dans le cadre des opérations de déconfinement et, en particulier, dans le cadre de la réouverture des écoles.

Oui, vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la loi Fauchon protège déjà les élus. Mais ils ont aussi besoin d’être rassurés par l’État. Il y va de la confiance et de la réussite de ce déconfinement.

C’est pourquoi la majorité du groupe La République En Marche a déposé un amendement allant dans ce sens et se félicite de l’adoption d’un amendement similaire du rapporteur.

Étant toutes et tous en lien avec les élus de nos départements, nous entendons leurs inquiétudes légitimes et sommes particulièrement déterminés à y apporter une réponse concrète.

Ma question est donc la suivante, monsieur le Premier ministre : quelles seront les réponses du Gouvernement face aux attentes des maires et des élus locaux, partenaires essentiels de l’État dans la crise que nous traversons ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Comme l’a rappelé M. le Premier ministre, votre préoccupation telle que vous l’avez exprimée, monsieur le sénateur, rejoint celle du Gouvernement : les maires doivent pouvoir prendre pour leur commune les décisions qui sont nécessaires au déconfinement, sans crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.

Ainsi que je l’ai rappelé la semaine dernière à M. le sénateur Bockel, les règles du code pénal qui sont prévues pour retenir la responsabilité pénale en cas d’infraction involontaire sont très restrictives. Elles reposent sur la recherche d’un comportement sciemment dangereux, d’une prise délibérée de risque, au mépris de la sécurité d’autrui.

Ces dispositions font en outre l’objet d’une approche très encadrée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui retient la nécessité de prendre en compte les compétences propres à chacun des élus concernés, d’une part, et l’état des connaissances générales sur tel ou tel domaine, d’autre part, le tout pour apprécier in concreto l’existence d’une éventuelle faute.

Ce cadre juridique étant général, je ne vois pas comment un décideur, un élu qui donnerait des instructions afin d’assurer notamment le respect des dispositifs barrières pourrait voir sa responsabilité engagée.

Il nous appartiendra toutefois de vérifier si la codification de la jurisprudence est nécessaire. Il s’agirait, en opérant ainsi une clarification et une réaffirmation du droit, de prévenir une incertitude qui pourrait être préjudiciable à la prise des décisions qu’imposent les circonstances.

Dans ce cadre-là, nous sommes évidemment tout à fait décidés à conduire ce travail avec le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise que nous traversons est sans précédent. Elle est sanitaire, mais aussi économique et sociale, et même simplement alimentaire.

La pandémie et le confinement ont rendu plus visibles que jamais les inégalités rongeant notre société. Pour les plus fragiles, l’épreuve traversée a été plus redoutable encore : enfants privés d’un repas à faible coût à la cantine, foyers confrontés à une quasi-famine, étudiants, migrants, mineurs non accompagnés, chômeurs, sans-abri, travailleurs précaires, familles monoparentales, pour qui il s’agit moins de vivre que de survivre !

Le déconfinement en soi n’effacera pas magiquement ces inégalités criantes ni ne corrigera leurs effets aggravés par cette crise. Il ne s’agit pas seulement de panser les blessures immédiates, de répondre à l’urgence, mais il convient, pour une fois, d’appréhender la question sociale et celle des inégalités dans leur globalité et sur le long terme.

Le déconfinement doit être accompagné d’un plan d’urgence sociale redonnant à l’État-providence tout son rôle.

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures sociales concrètes et immédiates d’envergure comptez-vous mettre en œuvre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Madame la sénatrice, vous avez posé le diagnostic : la période de la crise et du confinement a été encore plus difficile pour les Français, surtout pour ceux qui connaissent des conditions de vie plus difficiles au quotidien. Nous partageons le même constat, dont vous avez cité quelques éléments : l’absence de cantine, la difficulté à joindre les deux bouts, avec l’absence d’activité complémentaire destinée à s’ajouter à des revenus déjà faibles ou, parfois, l’obligation d’aller faire les courses à la supérette du quartier dans laquelle les prix pratiqués sont plus élevés que ceux des grands distributeurs alimentaires discount.

Tout cela, madame la sénatrice, a été pris en compte, et le Premier ministre en a parlé dans son intervention. Au 15 mai, 4 millions de ménages en France, parmi les plus pauvres et les plus précaires, percevront une aide exceptionnelle. Les bénéficiaires du RSA et de l’ASS recevront chacun 150 euros, et 100 euros supplémentaires par enfant. Tous les bénéficiaires de l’APL toucheront 100 euros par enfant. Cette aide sera versée directement par les caisses d’allocations familiales (CAF) sans qu’il soit besoin d’effectuer la moindre démarche, car nous ne voulions pas introduire le risque de non-recours.

J’en viens au maintien de l’aide alimentaire.

Je suis allé en Seine-Saint-Denis, voilà une dizaine de jours, à la rencontre d’associations qui interviennent auprès des familles dans un département où la précarité est plus importante qu’ailleurs. L’aide alimentaire va faire l’objet d’un soutien de l’État à hauteur de 39 millions d’euros, et sera assortie de mesures territorialisées au travers de chèques alimentaires qui sont désormais versés aux familles, puisque le dispositif est opérationnel.

La continuité du travail social a été renforcée grâce au soutien de la plateforme en ligne mise en place par Gabriel Attal à destination des jeunes du service civique. Par ailleurs, le versement des aides sociales se poursuivra pendant toute la période, avec une prolongation de l’accès aux droits sans aucune démarche administrative. Enfin, nous avons organisé, avec Julien Denormandie, la mise à l’abri des personnes sans abri, avec le développement de nouveaux foyers et logements.

Je saisis cette occasion pour tirer un grand coup de chapeau à tous les travailleurs sociaux, qui n’ont pas chômé depuis le début de cette crise ; nous leur devons beaucoup !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le ministre, vous avez l’air de connaître très bien la situation, mais vous comprendrez également que ce n’est pas avec des mesurettes comme les 150 euros versés aux allocataires du RSA ou les 200 euros en faveur des étudiants, alors que le loyer dans les cités universitaires est beaucoup plus élevé, que vous allez régler le problème de la famine et de la pauvreté. Honnêtement, ce n’est pas sérieux, et vous le savez bien ! Il faut repenser entièrement la question en vue d’élaborer un plan global d’urgence.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Dans cette crise, on remarque des acteurs clés, des organisateurs qui sont indispensables. Je parle des maires, dont je veux saluer ici l’action. Ils sont aux avant-postes, au contact direct de la population, et, comme l’a dit le Premier ministre, avec les préfets, c’est sur eux que repose le succès du déconfinement.

C’est grâce à eux que les déchets sont collectés, que l’eau est distribuée, que les repas sont servis aux plus fragiles. C’est aussi grâce à eux que, demain, les enfants retourneront à l’école avec le plus de sécurité possible. Le Gouvernement a raison de leur faire confiance pour organiser la réouverture des classes, qui est si indispensable à la reprise de notre pays comme à nos enfants.

Toutefois, la confiance n’exclut pas l’assurance ni la légitimité. Les maires, en première ligne, ont besoin d’être rassurés, vis-à-vis de leur responsabilité civile et pénale, bien sûr – ce sera l’un de nos sujets de discussion ce soir. Ils ont aussi besoin que leur légitimité soit renforcée.

À cet égard, dès lors que le déconfinement commence, pouvez-vous rassurer les maires sur la date prévisible d’installation des conseils municipaux qui ont été élus au premier tour ? Monsieur le Premier ministre, puisque vous avez anticipé fort justement l’avis du conseil scientifique qui devait être rendu le 23 mai, ma question est encore plus précise : quand peut-on espérer que cet avis sera rendu ? Et après quel délai l’installation des conseils interviendra-t-elle ? Concrètement, ceux-ci pourront-ils être installés dans les quinze jours, en tout état de cause avant la fin du mois de mai ?

Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Monsieur le sénateur, le plus tôt sera le mieux, je ne peux pas vous le dire autrement, car l’installation des conseils municipaux qui ont été définitivement élus au premier tour est non pas un impératif, mais présente une utilité évidente, je l’ai dit, du point de vue démocratique et économique.

Il a été jugé collectivement que, pendant la période de confinement, ce n’était pas possible, car non approprié, nonobstant le souhait de certains. Si nous avons fixé cette date du 23 mai, ce n’est pas par fétichisme, c’est parce que nous étions le 23 mars et que nous voulions attendre deux mois. Heureusement, le Parlement a écrit : « au plus tard ». Par conséquent, dès lors que nous avons pris la décision de procéder au déconfinement à partir du 11 mai, si nous saisissons le conseil scientifique et qu’il peut rendre un avis rapide, le rapport que j’aurai à remettre au Parlement sera relativement simple à écrire, et nous serons en mesure, je l’espère, d’installer le plus vite possible ces conseils municipaux.

Tout le monde en est parfaitement conscient ici, ce n’est pas tant l’installation des conseils municipaux élus au premier tour qui est problématique, que les conséquences de celle-ci sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et la coexistence, au sein des EPCI, de conseils municipaux, donc de représentants des communes élus au premier tour, et de conseillers communautaires qui n’ont pas été définitivement élus au premier tour et dont la légitimité, bien que n’étant pas contestable, puisque la loi a prévu la prorogation de leur mandat, les place dans une situation différente, de surcroît lorsque la liste sur laquelle ils figuraient a été battue au premier tour.

Nous allons trouver les moyens de surmonter cette difficulté, mais je le redis, mon objectif, comme celui du Gouvernement, est de faire en sorte que les conseils municipaux élus au premier tour soient installés d’ici… disons, le plus rapidement possible !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous sommes le 4 mai, donc il vous reste quelques jours, monsieur le Premier ministre !

La parole est à Emmanuel Capus, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

M. Emmanuel Capus. Je souhaite juste vous remercier, monsieur le Premier ministre, de cette réponse si précise !

Rires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le Premier ministre, à la suite de l’annonce par le Président de la République du retour à l’école, le Sénat, constructif, a pris ses responsabilités. La commission de la culture a créé en son sein un groupe de travail pour évaluer les enjeux de cette reprise. Animé par notre collègue Jacques Grosperrin, ce groupe, dont je salue l’excellent travail, a émis onze préconisations, lesquelles ont été rendues publiques, sur le fondement de deux prérequis : l’avis de la communauté scientifique sur la situation sanitaire et ses recommandations, l’urgence d’une concertation avec les acteurs de terrain, notamment les collectivités territoriales.

Interpellé par le refus de plusieurs maires, et pas uniquement dans les départements rouges, et après avoir écouté les familles et des enseignants, le groupe Union Centriste veut des réponses précises, d’abord sur les risques épidémiologiques, les services pédiatriques dans toute la France se faisant l’écho d’un nombre anormalement élevé de pathologies cardiaques affectant des enfants, lesquelles pourraient être liées au Covid-19. Avez-vous des études sur ce sujet, mais aussi sur la contagiosité des enfants ?

Quel suivi sanitaire et médical, y compris du personnel, sera mis en place localement, compte tenu de l’état de notre médecine scolaire ?

Les maires ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Un certain nombre d’entre eux acceptent souvent de s’organiser, avec les moyens du bord, mais la question de leur responsabilité pénale et juridique est en effet posée. Sur l’initiative d’Hervé Maurey, notre groupe a d’ailleurs le premier soulevé ce sujet. J’ajoute que certains maires se sentent fragilisés par une élection municipale non achevée.

Le bon sens veut en effet que le déconfinement se fasse de manière progressive et qu’il soit totalement adapté aux contextes locaux. Il faut donc bien clarifier les obligations et les responsabilités du scolaire et du périscolaire, la question des surcoûts. Il vous reste à nous dire comment traiter le mieux possible les ruptures d’égalité entre les enfants qui iront à l’école et ceux qui resteront à la maison. Quid également des enfants en situation de handicap ?

Le flottement du début a laissé place à un peu plus de méthode, mais nous avons tous le sentiment d’avancer à marche forcée, avec le 11 mai en ligne de mire. Il reste à peine quatre jours ouvrés pour mettre en œuvre le protocole sanitaire discuté vendredi. Avec quels moyens humains et financiers ?

De quelle souplesse disposons-nous pour adapter le calendrier ? Les maires d’Île-de-France, mais pas uniquement eux, ont demandé un sursis, certains, trop prudents ou réalistes – à vous de nous répondre, monsieur le ministre – allant même jusqu’à réclamer une réouverture des écoles en septembre. N’était-ce pas d’ailleurs l’avis du conseil scientifique ? Nous aimerions le savoir.

Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

Debut de section - Permalien
Jean-Michel Blanquer

Votre question en comprend en fait plusieurs, madame Morin-Desailly.

Votre première question s’adressait plutôt au ministre des solidarités et de la santé. Nous évoquons ensemble très régulièrement ce sujet afin de suivre en détail la situation sanitaire.

Le Premier ministre a répondu à votre deuxième question dans son discours. Le régime de responsabilité ne doit pas susciter d’inquiétude de la part des maires. Nous nous emploierons bien entendu à les rassurer sur ce point, si c’est nécessaire.

Tout ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. J’observe que la reprise de l’école suscite certes de nombreuses polémiques – elles sont sans doute inévitables –, mais aussi que beaucoup de maires sont passés à l’action, y compris d’ailleurs certains de ceux qui ont signé la pétition, ce que je trouve un peu étonnant. Je préfère de toutes les façons qu’ils agissent, et c’est ce qu’ils font.

Sur ce sujet, comme sur d’autres, je me demande pourquoi ce qui est faisable dans un endroit ne l’est pas dans un autre. Aujourd’hui, ceux qui se sont mis en route démontrent que la reprise de l’école est faisable.

Comme l’a dit le Premier ministre, le protocole sanitaire est très exigeant, mais si tel n’était pas le cas, on nous le reprocherait. Donc oui, le protocole est exigeant. Il nous appartient, tous ensemble, de le faire respecter.

J’ai participé ce matin à une visioconférence avec les représentants des médecins scolaires : ils travailleront évidemment avec les communes sur ces sujets, comme d’ailleurs d’autres corps de métier de l’éducation nationale. Il faut faire preuve d’un esprit d’équipe dans ce genre de circonstances, c’est d’ailleurs ce qui se passe dans la majorité des cas.

Vous dites qu’il y a un problème de méthode. En réalité, nous faisons face, comme tous les pays, à un problème considérable. Les autres pays sont attentifs à notre protocole sanitaire et, de façon générale, regardent plutôt favorablement ce qui s’est passé en France en matière d’éducation pendant la période de confinement. Nous comptons par exemple moins de décrocheurs que l’Allemagne. Il y a toujours des comparaisons avec l’Allemagne dans les situations dans lesquelles nous pensons être moins bons qu’elle, mais personne ne s’y intéresse quand nous sommes meilleurs.

Mon propos n’est pas de nous adresser des compliments. Ce qu’il faut, c’est faire preuve d’un esprit d’équipe, ce qui n’exclut pas la critique.

Sur le protocole sanitaire, comme sur les sujets pédagogiques, nous avançons en faisant preuve d’un esprit d’équipe, avec les élus locaux en particulier.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé que, le 11 mai, c’est dans un peu plus de six jours – personne ne le contestera. Pour ma part, je m’interroge : les Français seront-ils suffisamment préparés le 11 mai pour le déconfinement ? Leurs écoles, leurs entreprises, leurs administrations seront-elles prêtes ? Vous-même, serez-vous prêt ?

Vous avez dévoilé votre stratégie de déconfinement. Elle s’inspire d’une philosophie que je ne conteste pas. Vous avez annoncé un certain nombre de décisions, mais pas toutes les décisions. Il reste de mon point de vue trop de flou pour que le compte à rebours qui va nous conduire dans quelques jours au 11 mai soit suffisant pour que tout soit prêt ce jour-là. Cela m’inquiète.

Je poserai trois questions.

Singulièrement, personne en France ne sait quelles conséquences juridiques s’attacheront au fait qu’un département sera classé rouge. Le confinement sera-t-il maintenu dans les départements de cette catégorie ?

Le système d’information que vous nous demandez de vous permettre de mettre en œuvre sera-t-il prêt le 11 mai ? J’en doute !

Ma troisième question porte sur les transports en commun, notamment en Île-de-France. Allez-vous demander à nos concitoyens de se munir d’une attestation justifiant leur présence dans les transports en commun afin d’éviter leur saturation et la propagation de l’épidémie du fait de la promiscuité ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Édouard Philippe

Vous posez trois questions, monsieur le président Bas.

Quel est l’effet juridique d’un classement en vert ou en rouge ? J’ai indiqué que, de façon certaine, la réouverture des collèges, des classes de sixième et de cinquième, ne serait pas engagée dans les départements rouges, qu’elle ne serait possible que dans les départements verts. De même, les parcs et jardins resteront fermés dans les départements rouges, mais pourront être ouverts dans les départements verts. Pour l’instant, ce sont les seules différences qui ont été décidées.

À l’évidence, un certain nombre des décisions que prendront les préfets et les maires, les adaptations de certaines règles qu’ils prévoiront dépendront du fait qu’ils sont ou non dans un département rouge, où le virus circule plus vite et où il faudra être encore plus prudent, sachant qu’il faut être prudent partout.

Prenons un exemple. De mon point de vue, dans les départements verts, le travail effectué entre les mairies et l’éducation nationale doit permettre de rouvrir partout les écoles primaires, dans des conditions parfois un peu différentes de celles qu’on aimerait avoir, soit des conditions dégradées, c’est vrai, mais partout.

Dans les départements rouges, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer en réponse à des questions qui m’ont été posées au Sénat la semaine dernière, lorsqu’un maire, comme Mme le maire de Mulhouse par exemple – j’en parle, car c’est la ville qui a malheureusement connu un embrasement, la première vague –, nous dira : « Compte tenu de ce que nous avons connu, compte tenu du fait que nous sommes toujours en rouge, je vous garantis qu’il ne va pas être possible de rouvrir les écoles », nous examinerons la situation. Le classement teintera forcément la capacité d’appréciation du maire et du préfet.

Je suis en train de dire non pas que les écoles ne doivent pas rouvrir dans les départements rouges, mais que la qualification rouge ou verte donne à ceux qui doivent prendre des décisions une indication du sens dans lequel ils doivent aller s’ils ont des hésitations. C’est, me semble-t-il, utile.

Par ailleurs, à partir du 2 juin, lorsque nous gravirons la deuxième marche, lorsque, je l’espère, nous aurons relancé notre économie, rouvert notre pays, et que nous aurons montré notre capacité à maîtriser l’épidémie, la distinction entre vert et rouge pourra donner lieu à d’autres différenciations. Au fond, cet indicateur, qui nous permet de savoir si les choses sont parfaitement sous contrôle ou si la menace reste très présente, nous permettra de différencier au fil du temps les mesures qui peuvent être prises dans les départements verts et celles qui ne peuvent pas l’être dans les départements rouges.

Vous avez ensuite évoqué le système d’information. Notre objectif est évidemment qu’il soit prêt. La vérité, et vous le savez très bien, c’est que nous faisons face moins à une difficulté technique pour créer le fichier qu’à un problème juridique, lié aux droits d’accès. Alors que ce fichier contiendra des données à caractère médical, la question est moins de savoir si nous saurons le faire fonctionner, mais qui pourra y avoir accès. La vérité, c’est que l’on a prévu l’article 6 non pas parce que nous voulons créer un fichier, mais parce que nous avons besoin de permettre à des gens qui ne sont pas médecins d’avoir accès à des données médicales. Tel est l’objet de cet article.

Techniquement, je n’ai pas de doute sur le fait que le système fonctionnera. La question est de savoir si, juridiquement, il pourra fonctionner. Le Parlement autorisera-t-il ce mécanisme qui permet efficacement de remonter les chaînes de contamination ? C’est pour cela que le vote de l’article 6 sera de mon point de vue important.

Enfin, l’attestation pour les transports en commun n’est pas un sujet. Nous avons simplement dit, là encore afin de faire preuve du plus grand pragmatisme, que si les autorités organisatrices de transport avaient besoin d’un certain nombre de mesures pour mieux réguler la demande, là où elles doivent augmenter l’offre, nous étions prêts à en discuter avec elles. Peut-être nous demanderont-elles dans certaines agglomérations de les aider, par exemple, à mieux réguler les arrivées dans les transports ou les horaires de travail ? Nous essaierons de le faire, dans la limite des instruments juridiques à notre disposition. Il n’est en revanche pas prévu à ce stade – je n’en ai parlé ni à l’Assemblée nationale ni au Sénat – une quelconque attestation pour avoir accès aux transports publics.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je m’attendais, monsieur le Premier ministre, à ce que vous me répondiez aussi sur le maintien éventuel du confinement dans les départements rouges. J’interprète votre réponse ainsi : le confinement ne sera pas maintenu dans les départements rouges.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Par ailleurs, je trouve qu’il y a beaucoup trop d’incertitudes concernant l’organisation des transports. Je vous mets en garde sur les risques de contamination, notamment dans les transports parisiens, si des mesures plus sévères ne sont pas prises.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Ma question s’adresse à Mme la ministre du travail, un peu à M. le ministre de l’éducation nationale et peut-être aussi à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elle porte sur les effets des annonces de Mme Pénicaud sur la dégressivité du chômage partiel à partir du 2 juin.

La ministre a annoncé que, à partir du 2 juin, le dispositif de chômage partiel serait moins « généreux ». Je ne sais pas si j’aurais employé ce mot si j’avais été à sa place et je ne sais pas si les Français ont eu l’impression de bénéficier d’une générosité quelconque quand ils ont été mis au chômage partiel, mais bref… Cette remarque est incidente.

La ministre a également dit que les parents devront fournir une attestation lorsqu’ils seront contraints de continuer à garder leurs enfants.

Ces déclarations soulèvent plusieurs questions.

Mes premières questions portent sur l’attestation : qui devra la fournir ? l’école ? le maire ? à qui devra-t-elle être remise ? à l’employeur ?

Ma deuxième question porte sur la dégressivité du chômage partiel. Vous considérez qu’en baissant les indemnités de chômage, les gens sortiront de chez eux pour reprendre le travail et fournir les efforts nécessaires. Je vois que la logique et la philosophie qui sont bien ancrées depuis le début au sein de ce gouvernement – ce sont elles qui ont prévalu lors de la réforme de l’assurance chômage – sont également à l’œuvre dans le traitement de la crise sanitaire !

Dans l’hypothèse où le nombre d’enfants qui se présenteraient à l’école serait supérieur aux capacités d’accueil des établissements, sachant en outre que certains maires envisagent que les enfants ne puissent être accueillis qu’une ou deux demi-journées par semaine afin de permettre une rotation des élèves, qui fera le tri entre ceux qui pourront aller à l’école et les autres, et selon quels critères ?

J’ai posé la question récemment lors d’une conférence téléphonique que le représentant de l’État organise chaque semaine et j’ai obtenu deux réponses spontanées différentes. On m’a d’abord dit que seraient accueillis les enfants dont les parents travaillent, puis que seraient d’abord pris les élèves décrocheurs. Il se trouve malheureusement que les enfants décrocheurs ont plus souvent des parents au chômage de longue durée qu’au chômage partiel.

Quel message adressez-vous aux maires, aux enseignants et aux parents salariés concernant le système de chômage partiel que vous comptez mettre en place dès le 2 juin ?

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Madame la sénatrice Laurence Rossignol, vous posez plusieurs questions.

Premièrement, le dispositif de chômage partiel doit-il continuer indéfiniment tel qu’il existe actuellement ? Le Premier ministre et moi-même l’avons déjà dit, il nous semble normal, dès lors que l’activité économique reprendra de l’ampleur, que le dispositif décroisse afin d’accompagner la reprise. Nous envisageons, mais rien n’est décidé – la discussion est en cours avec les partenaires sociaux –, que le remboursement à l’employeur de la totalité du chômage partiel, comme c’est le cas actuellement – 100 % du coût lui est remboursé par l’État, jusqu’à 4, 5 fois le SMIC – soit moindre. J’indique qu’on autorisera la poursuite du chômage partiel pour les salariés dont le contrat de travail ne sera pas tout de suite réactivé.

Deuxièmement, vous m’interrogez sur les parents. Jusqu’au 1er mai, lorsqu’ils ne pouvaient pas faire garder leurs enfants, faute d’école ou de crèche, les parents bénéficiaient d’un arrêt de travail et d’indemnités journalières. Nous avons remplacé ce système par le dispositif de chômage partiel afin de leur éviter de voir leurs revenus passer de 90 % à 66 % de leur salaire, ce qui aurait impliqué une grosse perte de pouvoir d’achat.

Pour maintenir les revenus à hauteur de 100 % pour les salaires au niveau du SMIC et de 84 % au-dessus, le meilleur système est le chômage partiel. Les parents ont donc basculé au chômage partiel depuis le 1er mai.

Troisièmement, vous posez également la question de la transition. Évidemment, nous ne changerons rien au mois de mai, car la reprise des écoles sera progressive. Elle est, on le voit, un élément de construction de la confiance générale afin de permettre le retour au travail de tous. Dans ce contexte, il n’y aura pas de changement en mai. Un parent qui ne souhaite pas ou qui ne peut pas mettre son enfant à l’école, quel que soit le motif, continuera à bénéficier du chômage partiel.

Ensuite, en fonction de la situation générale, que nous évaluerons à la fin du mois, il est possible que l’on demande aux parents de fournir une attestation de l’école. Mais nous verrons cela fin mai.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, notre pays fait face à une crise inédite, inédite par sa soudaineté, sa gravité, et du fait de notre méconnaissance du virus.

La prolongation pour deux mois de l’état d’urgence est une mesure de prudence nécessaire, car le déconfinement – il faut le rappeler ici – n’est pas synonyme de fin de l’épidémie, une deuxième vague n’étant pas à exclure.

Ces derniers jours, un débat s’est engagé au sein de la société et de notre assemblée sur la ligne de crête qui existe entre la protection des libertés individuelles et la protection de la santé publique. L’efficacité du traçage des cas contacts dépendra en effet de multiples facteurs, dont l’adhésion de la population et des professionnels de santé de première ligne. Or des questions restent encore aujourd’hui en suspens concernant le respect de la vie privée, la protection des données individuelles et du secret médical pour les médecins.

Pour ma part, je m’interroge sur la cohérence du discours des pouvoirs publics : d’un côté, la restriction de certaines libertés publiques est présentée comme indispensable pour lutter contre le Covid-19, de l’autre, l’extension du port obligatoire du masque, justifiée médicalement, est laissée dans le flou.

D’autres pays ont diffusé des messages clairs à ce sujet. Je pense par exemple au Luxembourg, où le masque est depuis aujourd’hui obligatoire dans toutes les situations – transports en commun, magasins –, partout où une distance de 2 mètres ne pourra être respectée.

En France, ce message me semble brouillé. Le masque est recommandé, mais pas obligatoire, sauf dans les transports publics et dans les commerces qui le demandent. Or on sait qu’une information précise conditionnerait le respect des consignes et apaiserait les tensions dans l’espace public. On sait aussi que l’efficacité d’un masque porté, retiré, puis reporté, potentiellement avec des mains n’ayant pu être lavées, décroît considérablement.

Aussi, ma question est la suivante : pourquoi ne pas rendre obligatoire le port du masque dans tous les lieux publics, au besoin exclusivement dans les zones rouges si vous préférez une mesure plus restreinte, conformément aux recommandations du conseil scientifique et de l’Académie de médecine, et comme le demandent de nombreux élus ?

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Merci pour votre question, madame la sénatrice Guillotin.

Les recommandations sont claires : le port du masque est recommandé en population générale dès lors que les gestes barrières et la distanciation physique ne sont pas applicables. Le pays que vous avez cité le recommande dès lors que la distanciation physique n’est pas possible.

Le port du masque est recommandé dans les magasins, parfois sur le lieu de travail. Il sera rendu obligatoire dans les transports en commun, où il sera plus difficile qu’ailleurs de faire respecter la distanciation physique. On sait également qu’il sera difficile pour les enseignants de faire respecter les règles de distanciation à l’école, car on ne peut pas garantir que les enfants, qui courent partout, les appliqueront en toutes circonstances. En outre, un enseignant pourra être amené à intervenir auprès d’un enfant et à se rapprocher de lui. Pour ces raisons, le port du masque sera donc obligatoire. Dans les autres situations, il sera recommandé, conformément aux préconisations, qui ont beaucoup évolué, je le rappelle, depuis le 1er avril, et que nous avons suivies tout à fait naturellement. Le port du masque fait partie de l’arsenal que nous mettons en œuvre pour lutter contre une reprise épidémique.

Permettez-moi de vous poser une question. Imaginons que l’on rende le port du masque obligatoire dans la rue pour tous les Français : cela signifie qu’un mécanisme de sanction devra être prévu pour ceux qui ne le porteront pas. Or la distanciation physique, le lavage des mains, le fait de tousser dans son coude, de ne pas mettre dans sa poche un mouchoir usagé afin de pouvoir le réutiliser plus tard si on venait à en avoir besoin, sont des gestes barrières absolument essentiels, dont on sait, depuis le début, qu’ils fonctionnent. Pour autant, nous n’avons pas rendu leur application obligatoire dans la sphère publique. Personne ne se verra infliger une amende parce qu’il aura toussé dans sa main sans faire attention ou parce qu’il se sera touché le visage.

Nous sommes aujourd’hui dans la même logique d’accompagnement des Français. Nous leur faisons confiance et nous comptons sur leur sens des responsabilités. Cela étant, vous avez raison, les consignes doivent être claires, y compris concernant l’usage du masque. Nous aurons l’occasion d’y revenir auprès du grand public dans les jours qui viennent, en prévision du 11 mai.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en un seul semestre, notre pays aura connu trois périodes totalement distinctes, et ô combien singulières : celle d’avant le confinement, où on ignorait à peu près tout du Covid-19 ; celle du confinement, à partir du 17 mars, où, à juste titre, l’impératif sanitaire l’a emporté sur toute autre considération ; puis, à partir du 11 mai, la période que nous appelons, un peu vite sans doute, celle du déconfinement, période inédite durant laquelle notre pays devra conjuguer cette fois l’impératif sanitaire et l’impératif économique et social.

Il faut le dire avec gravité, nous abordons des terres inconnues. Les amortisseurs et les dispositifs d’aide publique ont permis d’éviter l’effondrement de notre appareil productif. À présent, il faut impérativement favoriser la meilleure transition pour qu’une majorité de salariés passe du chômage partiel au travail, sans passer par la case Pôle emploi.

C’est un enjeu considérable, qui exige la confiance de tous, celle des Françaises et des Français, celle des entrepreneurs et celle des partenaires sociaux. Il s’agit d’éviter à tout prix une augmentation massive du chômage et une crise sociale sans précédent, un véritable drame. Hervé Marseille l’a dit avant moi, rien n’est plus fragile que la confiance.

Madame la ministre, quelle méthode de dialogue social envisagez-vous avec les partenaires sociaux ? Les sujets à aborder sont nombreux : l’Unédic, les secteurs à l’arrêt – je pense au tourisme, à la culture, aux intermittents du spectacle, aux cafés et aux restaurants – et la participation – pourquoi pas ? –, car il faudra aussi donner des perspectives aux futurs salariés, lorsque la croissance reviendra. Enfin, ne pensez-vous pas que l’ampleur des sujets à aborder mérite l’organisation d’une conférence sociale de sortie de crise ?

Debut de section - Permalien
Muriel Pénicaud

Monsieur le sénateur Olivier Henno, oui, nous vivons des moments que nous n’avons jamais connus auparavant et que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois.

Je pense que nous pouvons nous réjouir pour la France et pour les Français que nous ayons collectivement décidé de mettre en place un dispositif de chômage partiel profondément rénové, élargi, amplifié et massif. Ce matin, 11, 7 millions de Français et 911 000 entreprises étaient protégés par le chômage partiel. Sans cette mesure, on peut dire que des centaines de milliers de personnes, probablement des millions, auraient déjà perdu leur emploi, comme c’est le cas aux États-Unis pour 30 millions de personnes.

Le dispositif de chômage partiel massif, que nous avons étendu à toutes les catégories et rendu universel jusqu’à 4, 5 fois le SMIC, ce qui n’était pas le cas dans le système précédent, nous permet certainement d’éviter dans cette première phase ce que nous avons connu en 2008-2009, c’est-à-dire des licenciements assez massifs et immédiats.

Maintenant, il faut réussir la deuxième phase, comme vous l’avez dit. Il faut une reprise de l’activité plus importante – elle est aujourd’hui en baisse de 36 % – et progressive en fonction des secteurs. Évidemment, l’hôtellerie, les bars, les restaurants redémarreront plus tard, une partie du secteur du tourisme et de la culture aussi, mais il faut repartir.

Pour cela, le dialogue social est la clé, à tous les niveaux. Il est essentiel dans les entreprises, où l’on discute partout aujourd’hui des conditions de la reprise et de l’organisation du travail lors du déconfinement. Hier, nous avons publié un protocole national de déconfinement pour les entreprises, qui complète les cinquante et un guides métiers déjà produits – d’autres seront réalisés. C’est très important, car il faut se mettre d’accord au sein des entreprises sur les modalités de reprise.

J’ai, deux ou trois fois par semaine, une conférence téléphonique d’une heure et demie avec les partenaires sociaux à l’échelon national. Tous les sujets que vous avez évoqués, notamment le partage de la valeur, mais d’autres également – je pense à la formation – sont à l’ordre du jour. Étape par étape, nous construirons ensemble, après le confinement, le déconfinement, puis la relance.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Monsieur le ministre, vous connaissez sûrement Mary Mallon, cette Américaine porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui, pour avoir dénié de manière persistante la maladie dont elle était atteinte, a contaminé plus de cinquante personnes et provoqué la mort de trois d’entre elles.

Vous savez aussi, vous en avez entendu parler, que la maladie de Kawasaki touche actuellement pas mal d’enfants sur le territoire national. La semaine dernière, 23 enfants atteints de cette maladie avaient été hospitalisés en Île-de-France. Cette semaine, ils étaient 60 sur l’ensemble du territoire national, selon les spécialistes de l’hôpital Necker, qui se sont réunis ce midi et m’ont transmis leur rapport tout à l’heure. On ne sait pas exactement si la maladie de Kawasaki qu’ils présentent est liée directement au Covid-19, mais les risques que tel soit le cas sont élevés.

Le texte du Gouvernement prévoyait le confinement et l’isolement obligatoire, ces mesures ont été supprimées à la suite de la réunion du Gouvernement samedi. Pourquoi ?

Par ailleurs, est-il nécessaire de prévoir l’ouverture des écoles, sachant que la maladie de Kawasaki est en train de s’installer sur l’ensemble du territoire national ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Merci, monsieur le président Alain Milon, pour votre question.

Vous l’avez dit vous-même, Mary Mallon, cette Américaine, était porteuse de la maladie et l’a transmise sans le savoir et sans le vouloir.

Pour notre part, nous prônons une quatorzaine ou un isolement systématique des personnes malades. Cela signifie que nous allons informer ces personnes qu’elles sont malades, qu’elles sont potentiellement contagieuses, et leur dire qu’elles prendraient le risque, si elles sortaient, de contaminer des êtres chers de leur entourage ou des inconnus qu’elles pourraient croiser.

Le Gouvernement ne fait pas le choix de la méfiance a priori. Les personnes à qui l’on annoncera qu’elles ont le Covid-19 savent pertinemment aujourd’hui ce qu’est l’épidémie. Elles seront prises en charge, protégées, appelées à rester chez elles. Dès lors, il ne nous semble pas indispensable de mettre en place des mesures contraignantes pour sanctionner tout manquement à ce que je considère être à la fois du civisme et du bon sens sanitaire. §Monsieur le président Milon, c’est le choix qui a été fait, et nous l’assumons.

Les Français ont fait preuve à notre égard de la même confiance que celle que nous leur portons. Ils respectent de façon remarquable le confinement depuis bientôt huit semaines.

Vous m’interrogez par ailleurs sur la situation de plusieurs dizaines d’enfants en France, atteints de la maladie de Kawasaki. Ce nombre augmente parce que, à ma demande, les autorités de santé ont lancé un appel à toutes les unités de réanimation pédiatrique de France afin qu’elles fassent remonter tous les cas qui pourraient être apparentés à cette maladie et impliquer le coronavirus.

Une enquête est en cours au jour le jour. Je me tiens informé, directement ou par mon cabinet, notamment auprès des réanimateurs pédiatriques de l’hôpital Necker ou d’autres afin de tenter de comprendre les tenants et les aboutissants. Le problème n’est pas franco-français, il touche aussi l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne.

Les pédiatres nous disent que cette maladie apparaît de temps en temps après des épidémies virales, qu’il s’agit d’un mécanisme réactionnel. J’attends de disposer d’éléments plus étayés, des résultats des recherches phénotypiques sur l’ARN du virus. Je n’entrerai pas dans les détails, au risque que M. le président me coupe le micro – et il aurait raison, car j’ai été bien trop long –, mais nous aurons peut-être l’occasion de revenir dans quelques heures sur votre question.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le Premier ministre, lors de votre conférence de presse du 19 avril, vous avez énuméré tous les secteurs d’activité, sauf la culture, que vous avez oubliée.

Pourtant, je sais que si je vous disais que la culture n’est pas un supplément d’âme, mais qu’elle est notre âme, vous seriez d’accord.

Si je vous disais que la culture dans sa diversité est ce qui nous permet de rêver, d’imaginer, de connaître, de nous rencontrer, de nous projeter, de chercher du sens et d’en donner, vous seriez d’accord aussi.

Si je vous disais que tout cela s’est particulièrement démontré pendant cette crise, où les artistes, professionnels et amateurs, celles et ceux qui nous informent, nous apprennent ou nous divertissent ont été indispensables à notre vie confinée pour tenir ensemble et individuellement, vous seriez encore d’accord.

Permettez-moi d’être direct. Vous consacrez 45 milliards d’euros au sauvetage de l’économie. Si vous êtes d’accord avec tout cela, combien allouez-vous à la culture, qui est au bord du chaos ? Si l’on ramenait cette aide globale à la part de la culture dans le PIB, qui est de 3, 2 %, il faudrait lui destiner plus d’un milliard d’euros tout de suite. La culture est aussi un secteur économique vital, qui représente sept fois la valeur ajoutée de l’automobile et 1, 5 million d’emplois directs.

C’est pourquoi je vous demande, a minima, d’accorder en urgence, pour faire face à cette année noire, une année blanche aux intermittents du spectacle, qui, pour certains, n’arrivent déjà plus à se nourrir. Prolongez les droits des intermittents d’une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible.

Je vous demande également des mesures d’urgence pour tous les travailleurs en contrat court, qui ne se verront proposer aucun des emplois que les secteurs d’activités culturels offrent en temps normal, afin de maintenir leurs droits d’indemnisation et leurs moyens d’existence.

Debut de section - Permalien
Franck Riester

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Assouline, vous avez raison, les acteurs de la culture, notamment les artistes, jouent un rôle considérable dans notre pays et pour nos compatriotes. Ils ont joué un rôle considérable pendant le confinement et ils vont jouer un rôle considérable pour la sortie de crise.

Je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement a oublié le monde de la culture. Le Premier ministre a rappelé les dispositions qui ont été prises en urgence pour que les mesures transversales qui bénéficient à toute l’économie bénéficient aussi au secteur culturel : les prêts garantis par l’État, l’accès au chômage partiel, le report des charges sociales et fiscales, sans compter tous les dispositifs spécifiques que le ministère de la culture, notamment au travers de ses opérateurs – le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national des arts plastiques (CNAP) – a mis en place en urgence pour accompagner les acteurs de la culture dans la crise.

Toutefois, vous avez totalement raison sur un point : tout cela ne suffit pas pour l’avenir. Cela ne suffit pas pour assurer que les techniciens, les artistes, les artistes-auteurs, les producteurs et l’ensemble des membres du réseau de la culture, ô combien importants dans notre pays, puissent continuer de proposer ce qu’ils proposent et qui est si utile à nos compatriotes.

C’est la raison pour laquelle, depuis plusieurs jours, ma collègue Muriel Pénicaud et moi-même, en lien avec nos collègues du ministère de l’économie et des finances et sous l’autorité du Premier ministre, bâtissons des solutions d’avenir pour nous assurer que cet écosystème si important puisse être sauvé et que nous puissions continuer de nous appuyer sur ces acteurs de la culture.

Les solutions sont complexes. Elles devront être à la hauteur et elles devront être pérennes. Mais vous pouvez compter sur l’engagement du ministère de la culture dans sa diversité et du Gouvernement tout entier pour faire en sorte que les intermittents du spectacle, les artistes-auteurs et l’ensemble des PME, PMI et TPE qui constituent le réseau culturel de notre pays puissent continuer de proposer leurs œuvres à nos compatriotes.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le ministre, je vous ai posé une question précise. Je sais que vous êtes suspendu à la parole du Président de la République, mais nous sommes au Parlement, et je ne doute pas que vous savez aujourd’hui si vous allez accorder cette année blanche aux intermittents qui la réclament à juste titre.

Permettez-moi de vous interpeller sur une autre question : il faut absolument transposer très vite la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) pour les droits d’auteur. J’estime qu’il faut aussi assurer une sanctuarisation de nos actifs, notamment dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, car des acteurs étrangers sont déjà à l’affût de nos entreprises.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès la fin du mois de mars, la commission des affaires économiques attirait déjà l’attention du ministre de l’économie sur un point qui est vite apparu comme essentiel pour réussir la reprise économique, à savoir la responsabilité des chefs d’entreprise.

Au regard du peu de certitudes que nous avons sur le Covid-19 et sa propagation, force est de constater que le risque de contamination sur le lieu de travail pourrait encore exister malgré le respect des consignes sanitaires. Les chefs d’entreprise et les salariés devront « vivre avec », selon votre expression, monsieur le Premier ministre.

Nous appelons bien sûr à la reprise de l’activité économique, et nous affirmons ici que la protection des salariés est prioritaire, mais la confiance des employeurs pourrait aussi être entamée si, en dépit des efforts fournis, de la bonne application des consignes et de la concertation avec les partenaires sociaux, leur responsabilité pouvait encore être engagée.

Je vous ai bien entendus, madame la garde des sceaux, monsieur le Premier ministre, mais, avec la loi Fauchon, il existera toujours une possibilité qu’un juge considère que toutes les mesures nécessaires n’ont pas été mises en œuvre, puisque cette loi précise que ces personnes seront pénalement responsables si elles ont commis une faute caractérisée. Il faut donc bien que le juge caractérise cette faute ; or vous savez que, en la matière, la jurisprudence a fait des allers et retours.

À la demande des syndicats, le ministère du travail a publié hier un manuel général de déconfinement. Ce manuel est bienvenu, mais il n’est qu’indicatif, car, à moins que vous nous disiez le contraire, il n’a pas de caractère juridique avéré de nature à protéger les chefs d’entreprise. Sa stricte application s’avérera d’ailleurs parfois impossible dans certaines entreprises, ouvrant le champ de l’interprétation sur le terrain.

Enfin, les patrons de PME, de TPE et de commerce sont souvent seuls pour mettre en place ces prescriptions et n’ont donc aucune autre sécurité juridique que celle de leur bon sens. Seuls, ils sont juridiquement plus vulnérables.

Madame la garde des sceaux, quelle est la valeur juridique de ces guides ? S’ils sont pris devant la représentation nationale, vos engagements pourront nourrir la future jurisprudence.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Mme Sophie Primas. Quelles réassurances allez-vous mettre en place pour l’ensemble des acteurs économiques ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Madame la sénatrice Primas, la reprise d’activité liée au déconfinement suscite effectivement des inquiétudes. Les employeurs craignent de voir leur responsabilité civile engagée par manquement aux règles de protection si par hasard l’un de leurs salariés était atteint par le Covid-19.

Comme M. le Premier ministre l’a rappelé, le Gouvernement est très attentif à la sécurisation juridique de la reprise d’activité. Il considère que cette inquiétude des chefs d’entreprise peut être légitime et qu’il convient d’y répondre.

Vous avez justement rappelé que la nature de l’obligation de sécurité de l’employeur a pu susciter des hésitations jurisprudentielles et doctrinales. Toutefois, depuis l’arrêt rendu par la Cour de cassation en 2015 dans une affaire impliquant Air France, la jurisprudence est stabilisée. Elle a d’ailleurs été confirmée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2019.

Il est désormais jugé de manière constante que l’employeur qui a pris les mesures de prévention obligatoires respecte ses obligations légales et peut s’exonérer de sa responsabilité civile. Le droit actuel pose donc déjà le principe, non pas d’une obligation de résultat, mais d’une obligation de sécurité ou de moyens renforcée.

L’employeur qui respecte ses obligations de sécurité vis-à-vis des salariés ne peut voir sa responsabilité civile engagée. En revanche, l’employeur qui ne prendrait pas les mesures imposées par la législation commettrait une faute susceptible d’engager sa responsabilité.

Ce cadre juridique est désormais bien établi. Il permet d’assurer, d’une part, la protection des salariés et, d’autre part, la sécurité juridique des employeurs.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Toutefois, comme M. Le Premier ministre l’a indiqué précédemment, nous sommes prêts à accompagner le débat sur ce point et s’il faut clarifier cette question dans la loi, nous sommes en mesure de le faire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la responsabilité des élus locaux.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain ont déposé plusieurs amendements visant à répondre aux inquiétudes des maires à la suite des décisions et déclarations parfois chaotiques du Gouvernement.

Qu’il s’agisse de la réouverture des écoles ou des transports publics, les élus locaux n’ont pas été associés à la définition des grandes orientations prises par l’État, dont la faisabilité n’a fait l’objet d’aucune concertation.

Dans mon département, la Saône-et-Loire, les élus, pris en étau entre des injonctions gouvernementales multiples et complexes et une absence criante de moyens et d’accompagnement pour les mettre en œuvre, s’interrogent sur l’opportunité de rouvrir les écoles. Ils en décident en lien avec la population, mais parce qu’ils sont en première ligne, le risque est réel que pèse sur eux une responsabilité qui ne correspond ni à la part qu’ils ont prise dans la décision ni aux moyens dont ils disposent.

Nous considérons que des clarifications et un cadre juridique protecteur sont indispensables. Il est de votre responsabilité de soutenir et d’aider celles et ceux qui ont décidé de vous faire confiance et de vous accompagner dans le déconfinement.

C’est pourquoi notre groupe propose que, à compter de la déclaration de l’état d’urgence sanitaire et jusqu’à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation visant à mettre en œuvre une décision prise par l’État dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire engage exclusivement la responsabilité de l’État.

À l’inverse de ce que le Premier ministre a suggéré dans sa déclaration, il ne s’agit pas d’exonérer les acteurs publics de leur responsabilité, mais de situer la responsabilité à son juste niveau. Or en l’espèce, puisque c’est l’État qui décide de tout et tout seul, il ne peut reporter sa responsabilité sur les élus locaux.

Ma question est donc simple : le Gouvernement apportera-t-il son soutien à ces amendements ?

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Ainsi que je viens de l’indiquer, monsieur le sénateur Durain, le Gouvernement est très attentif à ce que les employeurs privés, les élus locaux, mais aussi les décideurs publics, qui vont devoir prendre des décisions souvent « engageantes » dans le cadre du déconfinement ne le fassent pas dans la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.

Toutefois, nous le savons aussi, toute décision politique emporte une part de responsabilité qu’il n’est pas question de nier. Il nous appartient donc de trouver un point d’équilibre.

Comme j’ai pu le rappeler devant votre chambre, le code pénal, depuis la loi Fauchon, pose un cadre très strict qui limite la possibilité d’engager la responsabilité des employeurs publics pour mise en danger de la vie d’autrui ou bien pour des infractions involontaires. Ces mises en cause, je le redis, reposent sur la recherche d’un comportement sciemment dangereux, d’une mise en danger délibérée de la vie d’autrui.

La responsabilité pénale ne peut alors être recherchée que dans deux hypothèses : soit sur la base d’une faute délibérée, c’est-à-dire de la violation délibérée d’une norme existante qui impose une obligation particulière, soit, en l’absence de norme, sur la base d’une faute caractérisée. Sur ce point, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, la Cour de cassation exige une appréciation in concreto de cette éventuelle faute.

Au regard de ce cadre juridique, il me semble donc difficile que les élus locaux ou les employeurs qui donneraient les instructions nécessaires en matière de dispositifs liés à la sécurité sanitaire puissent voir leur responsabilité engagée. Nous apprécierons toutefois ensemble si une codification ou une clarification de ces dispositions peut apporter un élément de réassurance supplémentaire. Nous serons prêts à accompagner les travaux du Parlement en ce sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Durain

Madame la garde des sceaux, le Premier ministre a demandé de l’adhésion au processus de déconfinement. En contrepartie de cette adhésion, il vous faut lever les doutes sur la responsabilité.

Ces doutes remontent de partout sur le terrain, au sujet des écoles de campagne dont les locaux sont exigus et qui n’ont pas de salle supplémentaire pour faire manger les enfants, mais aussi sur la question des transports scolaires. Ces doutes s’expriment aussi au Parlement, puisque plus de cent cinquante parlementaires ont signé une tribune pour protéger les maires juridiquement.

Vous voulez de l’adhésion ? Nous, élus sur le terrain et parlementaires, voulons de la responsabilité. Il faut nous écouter.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Grosperrin

Je souhaite associer à ma question mon collègue Max Brisson ainsi que tous les sénateurs qui ont travaillé sur le confinement à l’école, mission qui nous a été confiée par la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly.

Monsieur le Premier ministre, je n’ai pas pu écouter le Président de la République qui s’exprimait au même moment que vous le faisiez ici, au Sénat. Vous avez annoncé aux Français que les écoles ouvriraient le 11 mai.

L’argument tiré de la nécessité de remettre les décrocheurs sur le chemin de l’apprentissage est louable. Cependant, il perd beaucoup de force lorsque le retour à l’école est fondé sur le volontariat, ce qui revient à rendre ce service public facultatif. Ce ne sont pas les décrocheurs qui seront les plus volontaires, mais ceux des classes à examen – terminale, première, troisième. Je le regrette.

Les conditions dans lesquelles se fera la réouverture des écoles sont un enjeu de taille pour la santé des élèves et de leurs familles, d’autant que le conseil scientifique et le conseil de l’ordre des médecins ne sont pas favorables à leur réouverture. Vous avez pris vos responsabilités ou, plus exactement, vous demandez aux maires d’assurer cette responsabilité en leur laissant ce grand pouvoir de décision : ouvrir leurs écoles ou les maintenir fermées.

Vous accompagnez votre décision d’un guide de 54 pages de prescriptions claires qui pèsent désormais sur leurs épaules. On comprend le désarroi de nombreux maires auxquels échoit cette responsabilité, tant le protocole est difficile à mettre en place. Comme l’indiquait le président Retailleau, il s’agit sans doute d’une usine à gaz.

Permettez-moi de donner un exemple parmi tant d’autres : comment les maires pourront-ils garantir qu’une distanciation d’un mètre est assurée dans la cour de récréation, dans les couloirs, dans les sanitaires ? C’est pourtant une indication qui les engage et que vous avez inscrite dans le protocole. Plus il y a de normes, puis il y a de risques de voir un parent d’élève dont l’enfant sera infecté par le Covid-19 saisir les tribunaux et faire inculper ainsi nos élus.

Monsieur le Premier ministre, il n’est pas possible de laisser les maires seuls face à ce risque. Ils ont montré leur totale implication pour être à vos côtés dans cette crise sanitaire sans précédent. Ne décidez pas avant la concertation. Nous devons les rassurer, les protéger. Dans le futur projet de loi, aucune disposition ne permet de clarifier les responsabilités des élus dans cette période si singulière.

Je vous ai entendu, monsieur le Premier ministre. Nous vous avons senti ouvert à la discussion. J’espère que vous ferez un accueil favorable aux propositions du président de la commission des lois, Philippe Bas, pour protéger nos élus locaux corvéables à merci, car le déconfinement, c’est demain, et nous ne pouvons pas attendre.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Nicole Belloubet

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Grosperrin, j’entends les mots qui surgissent sur toutes les travées de cette assemblée. Ils expriment des interrogations, des doutes, du désarroi, des questionnements. Associé à ces mots, celui de responsabilité est également très présent.

J’ai indiqué à l’instant que le régime juridique en matière de responsabilité me semble assez stabilisé. Il repose à la fois sur la jurisprudence de la Cour de cassation et sur l’ensemble des dispositions existantes.

Par ailleurs, pour répondre à une observation de M. le sénateur du Haut-Rhin ou de Mme la sénatrice Primas, je ne suis pas certaine qu’un régime juridique, quel qu’il soit, permette d’empêcher des procédures pénales. Quelle que soit la précision de la loi, il se trouvera toujours un administré ou quelqu’un d’autre pour engager une procédure qui entraînera des jugements. Il faut avoir cela en tête.

En toute hypothèse, nous ne cherchons pas ici à atténuer la responsabilité des élus – M. le Premier ministre l’a dit –, mais au contraire à clarifier les choses. S’il vous apparaît nécessaire de clarifier la jurisprudence et de la repréciser, nous pourrons y travailler ensemble. Nous pouvons adopter un dispositif de soutien, de réassurance, de confiance politique, mais j’estime qu’il ne faut pas envisager quelque chose de plus vaste.

Enfin, monsieur le sénateur, je ne crois pas que nous devions prendre des dispositions propres aux élus locaux. Il me semble que la problématique qui a ici été soulevée concerne non seulement les élus, mais également les employeurs privés et les décideurs publics. Cette problématique étant générale, elle appelle une réflexion globale. C’est toute la complexité de cette situation.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à bien des égards, le lundi 11 mai nous semble une échéance lointaine. Elle nous semble lointaine parce que le confinement a peut-être altéré notre rapport au temps.

Mais si cette échéance nous semble si lointaine, c’est aussi parce que les interrogations sur la levée du confinement, notamment s’agissant des transports, sont encore trop nombreuses. Sommes-nous prêts, monsieur le secrétaire d’État ?

Mon intervention pourrait se limiter à cette simple question tant elle synthétise toutes les préoccupations des Français. Par bienveillance, et surtout par souci d’intelligibilité, je vais tout de même reformuler cette question et vous demander des précisions.

Dans un courrier du 30 avril, nous apprenions que les principaux opérateurs de mobilité – SNCF, RATP, Keolis, Transdev, pour ne citer que ces derniers – vous informaient que le respect des règles de distanciation physique d’un mètre entre passagers n’était pas réalisable.

Pour faire simple, le respect des règles de distanciation veut que le nombre d’usagers dans les transports en commun soit compris entre 10 % et 20 % de la normale. Lundi prochain, il sera de 30 %. Comment allez-vous procéder pour assurer le respect des règles de distanciation ?

Vous prévoyez aussi que les masques seront obligatoires dans les transports en commun, et vous avez raison. Néanmoins, comment allez-vous contrôler l’effectivité de cette mesure ?

Vous avez précisé qu’il serait possible de réaliser des contrôles grâce aux forces de l’ordre et aux opérateurs de sûreté. Concrètement, quelle sera votre méthode ou stratégie pour que la mesure soit pleinement appliquée ? Mais surtout, en l’absence d’agents pour réaliser les contrôles, un chauffeur de bus, par exemple, pourra-t-il refuser l’accès de son véhicule à une personne sans masque ? Vous avez semblé hésitant à ce sujet dans une précédente intervention.

Enfin, quel est votre plan pour distribuer les masques promis il y a encore quelques jours ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.

Debut de section - Permalien
Jean-Baptiste Djebbari

Monsieur le sénateur Chaize, je vous remercie pour cette question importante, qui porte sur le déconfinement progressif dans le secteur des transports à compter du 11 mai.

Nous abordons ce déconfinement avec un objectif et une stratégie. Notre objectif est évidemment que les transports se déroulent dans de bonnes conditions sanitaires le 11 mai et les jours suivants. Pour ce faire, notre stratégie repose sur trois piliers.

Le premier consiste à mettre à la disposition des usagers le maximum d’offre de transport possible. Les chiffres ont déjà été indiqués : 70 % de l’offre à la RATP – davantage sur certaines lignes –, et entre 50 % et 60 % de l’offre sur les trains du quotidien à la SNCF. Tel est le premier élément : le plus d’offre possible.

Le deuxième pilier consiste à faire en sorte qu’il y ait le moins de voyageurs possible au même moment, notamment aux heures de pointe où l’engorgement est le plus important. Pour cela, nous préconisons et nous organisons le recours au télétravail, ainsi que l’étalement des heures d’embauche et de débauche dans les entreprises.

Enfin – c’est le troisième pilier –, nous organisons les flux de manière à ce que la sécurité sanitaire soit au rendez-vous. Tel est l’objectif de l’obligation de port du masque.

Nous travaillons actuellement en lien très étroit avec les élus et les opérateurs sur le sujet de la distribution. Nous travaillons également à la mise en œuvre des procédures de contrôle, et le cas échéant, de sanction – je le confirme ici. Enfin, nous travaillons à l’organisation des transports. Chacun comprendra, singulièrement dans cet hémicycle, que la régulation des flux dans un bus à Limoges ou sur la ligne 7 du métro parisien ne relève ni des mêmes pratiques ni des mêmes procédures.

En tout état de cause, monsieur le sénateur, si nous rencontrons des difficultés opérationnelles d’ordre public ou d’ordre sanitaire, nous n’hésiterons pas à fermer telle ou telle ligne de bus, de tramway ou de métro. C’est bien la sécurité sanitaire des voyageurs qui prévaut.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

Monsieur le secrétaire d’État, je peine à comprendre que les principaux opérateurs de notre pays, dont l’actionnariat est plutôt public, soient obligés de vous envoyer un courrier le 30 avril pour vous demander les modalités de déconfinement au 11 mai.

Ces opérateurs publics indiquent qu’il faut 100 % du trafic habituel pour transporter 20 % à 30 % de la population, ce qui, vous l’avez reconnu, n’est pas compatible avec les chiffres que vous nous annoncez. Nous sommes dans l’incertitude, …

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Chaize

… or il faut de la clarté pour chacun puisse prendre les transports en confiance.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Dans ce moment critique où vous avez dit qu’il fallait jouer la transparence pour gagner la confiance, monsieur le Premier ministre, je souhaite revenir sur le nuancier départemental. En effet, les critères retenus ne vont pas sans poser un certain nombre de questions, d’autant qu’ils évoluent.

Le code couleur devait dépendre de la circulation du virus ; or certains départements sont classés rouges, alors qu’ils ont une circulation virale particulièrement diminuée.

Il devait ensuite être déterminé en fonction de la capacité initiale en lits de réanimation, c’est-à-dire sans tenir compte des lits créés depuis le début de la crise. Or des départements où le taux d’occupation des lits de réanimation est nettement inférieur à 50 % de cette capacité antérieure sont en rouge.

Il devait enfin prendre en compte la capacité des départements à effectuer des tests à partir du 7 mai, mais vous nous dites maintenant qu’il s’agira non pas de la capacité de tester, mais de celle d’interpréter les tests.

Par ailleurs, ces critères sont-ils départementaux – pardon de vous froisser, monsieur le Premier ministre – ou sont-ils régionaux ? Il est important de le savoir, car cela risque de discriminer certains départements. De plus, la responsabilité des présidents de département, qui auront à décider de l’ouverture des collèges, pourra être mise en cause.

Je ne suis pas rassuré non plus par vos derniers propos, monsieur le Premier ministre. Cette couleur va servir d’aide à la décision, notamment peut-être pour l’ouverture des écoles. Va-t-on fermer les écoles d’un département qui passerait au rouge ? Les entreprises ne pourraient-elles voir leur responsabilité mise en cause si elles sont ouvertes alors que leur département est en rouge ?

Nous avons besoin de clarté, monsieur le Premier ministre. Quel est le rôle exact de ce nuancier ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Monsieur le sénateur, je comprends votre question : pourquoi le Gouvernement parle-t-il de logique départementale, alors qu’il existe des indicateurs départementaux et régionaux, mais que tous auront un impact départemental ?

Certains indicateurs sont à proprement parler départementaux, par exemple des indicateurs de circulation active du virus, c’est-à-dire la vitesse à laquelle il circule. Ceux-ci sont fondés sur plusieurs indices ou sous-indicateurs : l’indicateur principal – le pourcentage de patients admis aux urgences dans un département donné en lien avec une suspicion de coronavirus – et ce que l’on appelle des signaux faibles – le recours aux médecins généralistes, les remontées des réseaux sentinelles, le nombre d’admissions en réanimation, le nombre de tests positifs réalisés par département. À cela s’ajoute l’indicateur de saturation, le taux d’occupation des services de réanimation des hôpitaux et des cliniques en lien avec des malades du coronavirus. Cet indicateur est fondamental. En effet, quand bien même le virus circulerait peu, il faut tenir compte du fait que les services de réanimation sont extrêmement saturés et que les équipes ne seraient pas en mesure d’accepter du jour au lendemain plus de malades.

Qu’avons-nous constaté pendant la phase d’ascension de l’épidémie ? Dans la région Grand Est par exemple, on a parlé des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, parce que c’était là que le virus circulait le plus, mais on a parlé de la région Grand Est dès lors que l’on parlait de la saturation et du taux d’occupation des hôpitaux. Ce sont en effet toutes les capacités hospitalières de la région qui ont été mobilisées et même au-delà, puisque plus de 600 évacuations sanitaires ont été organisées d’abord vers les territoires, départements et régions voisins, ensuite parfois à l’étranger.

Ce bloc régional de saturation des services de réanimation est celui dont nous devons tenir compte pour déterminer si, oui ou non, un territoire est prêt à être déconfiné dans les mêmes conditions qu’un territoire avec peu de malades à l’hôpital et peu de circulation virale.

Enfin se pose la question de l’adaptation et de la capacité de réaction de notre système en tests, en traçages et en isolement. Nous aurons l’occasion d’en débattre dans quelques minutes à l’occasion de l’examen du projet de loi.

Comprenez bien que, si la logique est départementale, l’indicateur ne peut être que régional, car il n’aurait pas de sens à l’échelle du département. Les réanimateurs des régions Grand Est, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté ou Hauts-de-France vous répondront la même chose que moi.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Les règles du jeu évoluent au fil du temps. Attention aux répercussions ! Il faut que les choses soient claires, parce que les présidents de conseil départemental, au même titre que les maires, auront à prendre des responsabilités, notamment en ce qui concerne l’ouverture des collèges.

La discrimination d’un département par ce code couleur est somme toute péjorative et peut entraîner des mises en cause de responsabilité qui risquent d’être préjudiciables au développement de ce département. Je souhaitais vous alerter sur ce point, monsieur le ministre.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

À la demande du Gouvernement, le Sénat est appelé à se prononcer par un vote sur la déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.

Conformément à l’article 39, alinéa 6, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement ; aucune explication de vote n’est admise.

Mmes les secrétaires Catherine Deroche et Agnès Canayer superviseront depuis leur place le déroulement du scrutin.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

Mmes les secrétaires constatent le résultat du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 100 :

Le Sénat n’a pas approuvé la déclaration du Gouvernement relative à la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux, afin de permettre à la commission des lois d’examiner la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

Monsieur le président de la commission des lois, pendant combien de temps la commission a-t-elle besoin de se réunir ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Dans la mesure où il s’agit d’un point important, une suspension de séance d’une dizaine de minutes serait bienvenue. La commission se réunira salle Médicis.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (projet n° 414, texte de la commission n° 417, rapport n° 416, avis n° 415).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Je rappelle à chacun la nécessité de respecter les règles sanitaires.

Je rappelle également que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.

Tous les orateurs, y compris les membres du Gouvernement, s’exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.

Enfin, mes chers collègues, afin de limiter la circulation de documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur notre site internet, pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements, même si ces documents demeurent à votre disposition.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte ont été publiées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous engagerons dans quelques instants un débat important sur la prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Je souhaite dire quelques mots sur la forme.

Monsieur le ministre, la forme, c’est la façon dont l’exécutif considère la démocratie parlementaire. Chacun a bien compris la situation : le Président de la République malmène peut-être son gouvernement, lequel malmène peut-être à son tour le Parlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

D’ailleurs, voilà quelques dizaines de minutes, au moment où nous étions en train de débattre, le Président de la République, de manière spontanée, faisait une conférence de presse sur le déconfinement. J’espère que ses propos étaient conformes à ceux du Premier ministre – et réciproquement.

Le Gouvernement nous impose aujourd’hui un calendrier d’examen à marche forcée. M. le Premier ministre ou vous-même, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, me répondrez que l’urgence l’impose. Dont acte. L’urgence, nous la partageons. En revanche, nous condamnons le fait que le Gouvernement fasse porter à d’autres ses propres difficultés. Vous connaissez l’adage latin : « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. »

La façon dont le Parlement est conduit à délibérer est totalement inacceptable, alors que nous avons jusqu’à présent été à la hauteur des enjeux. Monsieur le ministre, je vous rappelle la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23 mars dernier, le PLFR 2, précédé du PLFR 1. Aujourd’hui, nous sommes en ordre de marche ; vous pouvez donc peut-être continuer à pousser ainsi le fer.

Pour notre part, nous voulons retrouver la plénitude des attributions que la Constitution nous accorde. Nous sommes aujourd’hui dans une démarche d’habilitation qui a permis au Gouvernement de prendre près de cinquante ordonnances différentes en quelques semaines ; nous l’avons fait en conscience et en responsabilité, mais la démocratie parlementaire nous incite à reprendre maintenant nos droits – permettez-moi cette expression – et le Gouvernement doit rapidement inscrire à l’ordre du jour des assemblées l’examen des projets de loi de ratification. En effet, si le Parlement a autorisé le Gouvernement à intervenir dans des domaines qui relèvent de la loi, c’est à lui qu’il appartient d’avoir le dernier mot.

Monsieur le ministre, je vous remercie de prendre en considération ces remarques, qui ont pour but non pas de bloquer votre travail, mais de faire respecter le Parlement, en particulier la Haute Assemblée, qui a toujours été constructive dans ses remarques, ses approches et ses préconisations, pour que la crise soit la moins longue possible dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je partage bien évidemment les propos de Patrick Kanner sur les conditions de travail des parlementaires à l’occasion de l’examen d’un texte important. Elles sont un frein à l’utilisation de notre droit d’amendement, qui est un droit constitutionnel. La démocratie parlementaire est bafouée, pour ne pas dire méprisée.

Cependant, comme nous sommes des hommes et des femmes politiques très responsables, nous avons travaillé et essayé d’examiner ce texte de façon très précise. Nous aurons donc des amendements à défendre, qui ne sont pas seulement des critiques, mais qui visent aussi à formuler des propositions.

Monsieur le ministre, il serait temps que le Parlement, en particulier la Haute Assemblée, soit respecté.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis un mois et demi, notre pays fait face à l’impensable. L’impensable, c’est la mise en suspens de la vie sociale et de la vie économique, c’est-à-dire finalement la mise en suspens de toutes les évidences du quotidien. Affronter une crise sanitaire de l’envergure de celle provoquée par le Covid-19 était devenu un impensé, l’impensé d’un monde où le progrès technique et technologique nous protégeait de bien des périls, d’un monde où le sens collectif du tragique avait presque entièrement disparu.

Pourtant, en seulement quelques semaines, ce monde a trébuché, faisant trébucher avec lui bien des dogmes et des certitudes. Aujourd’hui, la moitié de l’humanité vit confinée. Partout dans le monde, c’est l’appel à rester chez soi qui a été lancé. Rester chez soi, limiter ses déplacements, renoncer à voir des parents ou des amis : autant de sacrifices consentis pour freiner la propagation du virus et protéger les plus fragiles.

Avant toute chose, je veux évidemment saluer les soignants, dont chacun mesure l’engagement et qui, chaque jour, se démènent au péril, parfois même au prix de leur vie. La Nation tout entière les regarde avec fierté, parce que rien n’est plus beau que de consacrer sa vie à sauver celle des autres.

Je salue de la même manière toutes celles et tous ceux qui permettent à la France de tenir bon et de surmonter cette épreuve. Grâce à eux, notre pays n’a pas sombré dans le chaos, et l’angoisse légitime n’a jamais pris la forme d’une panique collective.

Je veux aussi saluer les parlementaires, c’est-à-dire vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans des conditions souvent difficiles, chacun, sur ces travées ou depuis chez soi, a poursuivi son activité, parce que, même quand la vie du pays semble s’arrêter, la démocratie, elle, ne s’arrête jamais.

J’entends vos critiques sur les délais extrêmement contraints dans lesquels vous avez été amenés à examiner le projet de loi que je vous présente aujourd’hui. Bien sûr, nous aurions souhaité que vous disposiez de davantage de temps. Bien sûr, nous respectons la vie démocratique et la vie parlementaire de ce pays. C’est pourquoi, semaine après semaine, le Premier ministre et les membres du Gouvernement sont présents dans cet hémicycle, comme à l’Assemblée nationale : la continuité du fonctionnement de nos institutions n’a jamais fait défaut.

Quand on se compare, on se console, dit-on. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à me dire quel autre pays que la France a soumis au vote de son Parlement un plan de déconfinement et des mesures similaires à celles que nous vous présentons aujourd’hui. La démocratie importe énormément à la France. Encore une fois, je suis désolé pour les délais d’examen, mais constatez comment les choses se déroulent en France et comment elles se passent ailleurs.

Je salue aussi, à travers vous, l’engagement remarquable des élus locaux, qui, dans tous les territoires, ont pris des initiatives, ont inventé et ont joué un rôle décisif dans la protection des populations.

Le quotidien de notre pays a été bouleversé. Il le fallait pour éviter le pire. Nul ne peut s’en réjouir et tout le monde s’en serait volontiers passé. Les décisions prises jusqu’à présent dans ce contexte n’ont rien d’anodin et le Gouvernement en a parfaitement conscience.

Le Gouvernement sait que le texte qui vous est proposé et qui est destiné à proroger l’état d’urgence sanitaire n’est pas un blanc-seing. Bien au contraire, le Gouvernement mesure la responsabilité immense, la responsabilité historique qui est la sienne aujourd’hui.

L’état d’urgence sanitaire n’a qu’une seule vocation : permettre la lutte la plus rapide et la plus efficace possible contre l’épidémie qui frappe. Ce projet de loi visant à proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 24 juillet prochain est, conformément à l’avis unanime du comité de scientifiques, une nécessité. En effet, à l’unanimité, le conseil scientifique a considéré que l’ensemble des dispositifs de lutte contre l’épidémie de Covid-19 incluant ceux qui ont été prévus par la loi sur l’état d’urgence sanitaire restent nécessaires dans la situation sanitaire actuelle et pour les semaines, voire les mois à venir.

Je profite de mon intervention pour vous donner l’état des lieux aujourd’hui dans notre pays vis-à-vis de l’épidémie ; chacun pourra ainsi se rendre compte de la situation à laquelle nous faisons face. Ce soir, 131 863 patients ont été diagnostiqués et confirmés par test PCR pour le coronavirus ; ce sont 576 patients de plus au cours des vingt-quatre dernières heures. On dénombre 51 371 patients guéris parmi tous les patients hospitalisés, mais 25 548 patients restent hospitalisés ce soir. Certes, c’est une réduction de 267 patients par rapport à hier, mais cela représente précisément 699 admissions supplémentaires de patients à l’hôpital au cours des vingt-quatre dernières heures. La France déplore 25 201 décès, soit 306 décès de plus sur les vingt-quatre dernières heures.

Enfin, notre pays compte encore ce soir 6 455 patients dans les services de réanimation, dont 3 696 patients atteints du coronavirus. Ce sont, certes, 123 lits occupés de moins par des patients atteints du Covid-19, mais 84 admissions supplémentaires.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ces chiffres, vous y êtes habitués ; je vous en donne la primeur ce soir à l’occasion de mon intervention. Derrière ces chiffres, il y a une situation hospitalière qui reste tendue, difficile ; il y a une épidémie que nous avons combattue avec succès grâce au confinement et grâce à l’action des Français depuis de nombreuses semaines, mais que nous n’avons pas totalement vaincue, tant s’en faut.

C’est pourquoi le Gouvernement sollicite la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Il a aussi semblé que, après six semaines au cours desquelles le pays tout entier a appris à vivre autrement, il convenait de proposer quelques modifications ciblées du régime de l’état d’urgence sanitaire afin d’en conforter le cadre juridique.

Je l’ai dit à Philippe Bas, président de la commission des lois : je me réjouis des débats à venir. Je sais l’action qui a été menée par la commission des lois, mais également par la commission des affaires sociales, sous l’égide de son président, Alain Milon. Je sais votre action déterminante, mesdames, messieurs les sénateurs. C’est pourquoi je me réjouis de pouvoir débattre avec vous afin que nous puissions avancer ensemble pour enrichir ce texte, le consolider et le conforter partout où cela sera nécessaire.

C’est surtout la perspective du déconfinement qui a amené à accélérer l’examen de ce projet de loi, compte tenu des adaptations législatives qu’il implique, et à prévoir un examen parlementaire compatible avec une entrée en vigueur du déconfinement le 11 mai prochain. Le déconfinement qui s’opérera peu à peu à partir de cette date ne sera pas un retour pur, simple et immédiat à la vie d’avant ; le Premier ministre l’a dit : il va falloir vivre avec le virus.

Penser que le déconfinement puisse être un arrêt brutal de toutes les mesures ayant permis jusqu’à maintenant d’éviter le pire et marquer un retour à la normale serait une grave erreur, que les Français ne commettront pas. J’ai souvent comparé ce que nous vivions à une course de fond : le 11 mai correspondra au premier ravitaillement de cette course de fond, mais le chemin sera encore long avant de franchir la ligne d’arrivée. Des vies sont en jeu ; la bataille n’est pas encore gagnée, loin de là.

Comme je viens de le dire, il est indispensable de sécuriser et d’élargir le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire afin d’y intégrer les enjeux du déconfinement. Je pense en particulier à la réglementation dans les transports ou les établissements recevant du public. Il s’agit non plus d’interdire ou de restreindre, mais de réglementer les déplacements, par exemple en imposant dans certains cas le port d’un masque.

Au fond, je me rends compte que nous parlons le plus souvent du déconfinement sous l’angle des interdictions qui vont rester. C’est peut-être une façon de signifier que le retour à la vie d’avant n’est pas pour tout de suite. Cependant, je veux le dire aux Français, le déconfinement marquera aussi le retour de libertés qu’ils ont perdues pendant un temps. Ce sera la possibilité d’emmener ses enfants à l’école, de prendre les transports en commun pour aller sur son lieu de travail et rentrer le soir chez soi, voire de se réunir avec quelques amis ou membres de sa famille, mais pas à plus de dix au total. Ce sont quand même des activités que les Français ont perdu de vue depuis plusieurs semaines et qui seront de nouveau possibles à partir du 11 mai.

Le projet de loi permet de mieux encadrer les possibilités de placement en quarantaine ou à l’isolement. Il renforce les garanties, notamment juridictionnelles, qui s’y rapportent. Les conditions générales seront définies par décret, après avis du comité de scientifiques. Je pense en particulier à la durée de ces mesures, aux lieux dans lesquelles elles pourront s’appliquer, au suivi médical qui les accompagnera, ainsi qu’aux déplacements que les personnes concernées pourront, le cas échéant, effectuer ou, à défaut, les moyens par lesquels un accès aux biens et services de première nécessité leur sera garanti.

J’y insiste, les mesures individuelles prises sur ce fondement ne pourront viser que ceux qui entrent sur le territoire national ou qui arrivent dans un territoire ultramarin ou en Corse, ou en provenance de l’un de ces territoires. Le Gouvernement n’a pas retenu la possibilité d’appliquer ces mesures aux personnes affectées par le Covid-19 qui auraient refusé de manière réitérée des prescriptions médicales prophylactiques et créeraient par leur comportement un risque de contamination pour d’autres personnes. Notre volonté, comme j’ai eu l’occasion de le dire au président Milon, est avant tout de faire confiance et de responsabiliser.

Les mesures individuelles seront prononcées sur décision motivée du représentant de l’État, sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé et sur constatation médicale de l’infection en cas de placement à l’isolement. Bien évidemment, et c’est heureux, les mesures individuelles interdisant toute sortie pourront faire l’objet d’un recours, à tout moment, devant le juge des libertés et de la détention et ne pourront dépasser quatorze jours sans décision de ce même juge, sauf consentement de la personne concernée. J’ai noté avec satisfaction que la commission des lois a souhaité apporter un certain nombre de garanties, de précisions, dont nous pourrons débattre dans quelques minutes. Enfin, les mesures en cause ne pourront en aucun cas se prolonger au-delà de trente jours.

J’en viens à la création d’un système d’information.

Le système de tracing représente un outil essentiel pour maîtriser les chaînes de contamination. Tout ce qui peut aider à lutter contre ce virus doit être exploité, pas n’importe comment, bien sûr, mais en veillant scrupuleusement au respect des principes auxquels nous sommes toutes et tous attachés. J’y reviendrai.

Avec ce système d’information, il s’agit de collecter un grand nombre de données d’ordre médical et non médical pour les porter à la connaissance de différents intervenants, avec cinq étapes distinctes.

Première étape : le recueil des résultats positifs des tests par les laboratoires.

Deuxième étape : le tracing de niveau 1, qui est exercé par les professionnels de santé de premier recours, c’est-à-dire les infirmiers, les médecins, en ville ou à l’hôpital, pour définir le cercle des cas contacts.

Troisième étape : le tracing de niveau 2, qui est réalisé par les plateformes de l’assurance maladie pour enrichir la liste des cas contacts au-delà de ce premier cercle et vérifier qu’aucun cas positif n’a échappé au tracing de niveau 1 avant de donner toutes les consignes aux intéressés.

Quatrième étape : le tracing de niveau 3, qui est exercé par les agences régionales de santé. Ce niveau, que vous connaissez, puisque nous l’avons déjà expérimenté, vise à diligenter les enquêtes de terrain là où il y a une circulation encore plus active et concentrée du virus sur un territoire donné, de manière à casser, à briser les chaînes de contamination et à éviter des flambées épidémiques.

Enfin, cinquième étape : la surveillance épidémiologique locale et nationale effectuée par Santé publique France et la direction générale de la santé.

Je veux être très clair : ce système d’information est destiné à identifier des personnes infectées ou susceptibles de l’être, à collecter des informations nécessaires pour déterminer les personnes ayant été en contact avec ces dernières, à organiser des examens de biologie médicale de dépistage et à réaliser toutes choses utiles dans la lutte contre la propagation du virus.

Si nous avons besoin de la loi, c’est pour lever des obstacles. Certains s’inquiètent du respect du secret médical ou de l’intervention de nouveaux acteurs. En dehors de toute épidémie, il faut savoir que l’assurance maladie dispose de plusieurs sites sur lesquels elle centralise un certain nombre de données de santé, telles que les déclarations d’arrêt de travail ou les déclarations d’affection de longue durée. Ces systèmes d’information existent depuis des années et même des décennies. Y ont accès aussi bien des médecins, des pharmaciens que des salariés de l’assurance maladie, qui ne sont pas forcément médecins.

Ce qui est nouveau, avec ce dispositif, c’est que l’accès aux données va concerner, par définition, non pas seulement des personnes malades, mais également, potentiellement, des personnes non malades, qui sont ce qu’on appelle des cas contacts, plus ou moins proches, des personnes malades. Comme il n’a jamais été envisagé de donner accès aux mêmes acteurs de l’assurance maladie, aux mêmes médecins, aux mêmes soignants à des fichiers de personnes qui ne sont pas forcément malades, nous avons besoin de recourir à la loi. C’est tout l’intérêt de cette disposition législative.

Je veux aussi couper court à toute suspicion et à toute polémique. Les données concernées ne seront pas récoltées pour nourrir une application. Les systèmes d’information dont nous parlons sont juridiquement et techniquement totalement indépendants de tout système numérisé de tracing du type StopCovid. Le Premier ministre a bien rappelé qu’une telle mise en place nécessiterait l’organisation d’un débat ad hoc au Parlement.

Je fais vraiment la distinction entre les deux systèmes. Avec notre texte, il s’agit de créer un système d’information nouveau pour acheminer des résultats de tests positifs du laboratoire vers les intervenants du tracing, selon le rôle de chacun dans le dispositif. Par exemple, si vous avez des symptômes, vous allez vous rendre sur le parking d’un laboratoire qui a installé un drive. Un technicien va procéder à un prélèvement par écouvillonnage. À partir de ce moment-là, un numéro potentiellement identifiant va vous être affecté et il sera placé dans une base de données qu’on appelle Sidep. Ensuite, le prélèvement va être envoyé au laboratoire, où vont être réalisés les examens du type PCR.

Vous imaginez bien que le numéro est très utile pour que l’échantillon ne soit pas perdu. Si, manque de bol, le test est positif, et que vous êtes malade, il faut bien que votre médecin soit au courant, pour qu’il puisse vous appeler afin de vous prescrire des soins, de vous demander de vous isoler, de vous mettre à l’abri en quarantaine. Il doit aussi s’enquérir de l’identité des personnes de votre premier cercle que vous avez pu contaminer malgré vous. Il est donc indispensable que le numéro soit identifiant.

Dans le cadre du tracing de niveau 2, c’est l’assurance maladie qui prend le relais pour vous appeler et faire le tour de toutes les personnes que vous avez croisées dans les quarante-huit heures avant les premiers symptômes pour vérifier que personne n’a été exposé sans qu’on puisse le prévenir. Là encore, il y a un besoin de traçabilité, que remplit ce numéro.

Cette non-anonymisation est un moyen de ne pas passer à côté de personnes à risque. Vous comprenez bien que les agences régionales de santé et Santé publique France ont aussi besoin d’avoir accès à ces informations. En fait, tout ce que l’on vous demande, c’est de nous permettre, du début à la fin, c’est-à-dire du prélèvement jusqu’au moment où l’on va identifier toutes les personnes potentiellement malades pour les protéger, d’avoir accès à un seul système d’information où vont pouvoir interagir des médecins, des infirmiers, des biologistes et des salariés de l’assurance maladie.

La mise en œuvre de ces mesures supposera un décret en Conseil d’État, pris après un avis de la CNIL, qui sera rendu public, et qui est d’ores et déjà en préparation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je n’ai pas manqué de saluer voilà quelques instants, à travers vous, tous les élus locaux de notre pays. Si l’on peut trouver une seule vertu à la crise sans précédent que nous traversons, c’est bien de révéler l’engagement et le sens des responsabilités des uns et des autres ; c’est de mettre à l’épreuve un système de décision en le confrontant à ses atouts, certains, comme à ses limites, tout aussi certaines.

Personne n’oubliera que, face au péril, les élus locaux, qu’ils soient maires, élus régionaux ou départementaux, ont été pleinement mobilisés pour organiser le combat contre le virus. Je pourrais en dresser la liste, mais cela prendrait beaucoup trop de temps et elle serait sans doute non exhaustive. Je voudrais remercier tous ces élus de différentes collectivités et de tous bords politiques, avec qui j’ai été amené à discuter, à échanger, à travailler, toujours dans la concorde, dans un seul et même objectif d’intérêt général. La période de déconfinement qui s’annonce verra les territoires jouer encore, forcément, un rôle très actif.

Le texte que le Gouvernement présente aujourd’hui est équilibré, gage d’efficacité dans le combat contre le virus, respectueux de principes avec lesquels nous ne transigerons jamais. Il permettra à chacun de servir l’intérêt de tous.

Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur le ministre, je n’ai pas besoin de vous le dire, car vous le savez déjà, le Sénat tout entier est mobilisé pour participer à la lutte contre ce fléau épouvantable qu’est ce nouveau coronavirus, qui donne la maladie dite du Covid-19. Nous le sommes avec le souci de ne prendre des mesures contraignantes pour nos concitoyens que lorsqu’elles sont strictement nécessaires, en préservant toujours, autant qu’il est possible dans cette période exceptionnelle, nos libertés, nos droits fondamentaux et la vie privée. Il est d’ailleurs très difficile de trouver le bon point d’équilibre, et je ne suis pas sûr que nous y parviendrons. D’une certaine façon, je pense que la vigilance du Conseil constitutionnel permettrait de prendre le relais de la nôtre. Il me paraît tout à fait important que nos concitoyens sachent que, si nous menons avec résolution ce combat, nous avons l’exigence de lutter avec les armes qui sont celles d’une grande démocratie et d’un État de droit.

À cet égard, je ne sais pas si nous devons remercier le Gouvernement d’avoir accepté d’organiser le débat qui vient de se clore et qui a eu lieu à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Nos traditions de courtoisie nous y incitent – donc, je l’en remercie –, mais nous sommes quand même obligés de vous dire qu’il ne s’agit pas d’une libéralité ou d’une faveur qui nous serait faite : c’est le jeu de la démocratie !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

La Constitution prévoit ces débats et ces votes. Ils sont nécessaires !

Si le Gouvernement l’a organisé, c’est parce que nous le lui avons demandé. Je crois que nous avons bien fait. Il a d’ailleurs oublié de nous en remercier. En effet, le Gouvernement a pu trouver au Parlement le moyen de s’exprimer davantage devant les Français, même s’il reste, de notre point de vue, un certain nombre de zones d’ombre entourant la journée du lundi 11 mai.

Monsieur le ministre, vous nous présentez aujourd’hui ce texte. Je veux d’emblée dissiper toute ambiguïté pour nos collègues qui ne siègent ni à la commission des lois ni à la commission des affaires sociales, lesquelles ont déjà examiné ce projet de loi. Ils doivent savoir que ce texte n’est pas la traduction en forme de loi du plan de déconfinement du Gouvernement. Il comporte des mesures certes importantes, mais elles sont ponctuelles. J’ai proposé à la commission des lois de les adopter, moyennant un grand nombre de modifications, dont certaines, très importantes, nous ont été inspirées par la commission des affaires sociales. Le président Milon s’exprimera dans un instant sur ces propositions.

Ce texte comporte – dans la mesure où nous sommes dans la discussion générale, je vais me cantonner aux généralités – des mesures d’aménagement du régime de la quarantaine. Un tel régime existe depuis la nuit des temps : il est déjà dans le code de la santé publique. Vous en faites un usage particulier. Nous avons inscrit des garanties supplémentaires. Je rappelle que c’est surtout pour les outre-mer que vous avez besoin de ces mesures de quarantaine, même si elles peuvent s’appliquer à d’autres circonstances lors de l’entrée sur le territoire national. Nos îles ont besoin d’être protégées, car, si le virus venait à se répandre sur leur territoire, le danger serait grand que l’on ne puisse pas bien soigner les gens comme on peut le faire sur le continent.

À côté des mesures de quarantaine, il y a des mesures qui relèvent du système d’information que vous voulez mettre en place. Ne nous arrêtons pas trop sur le système d’information, car, ce qui est important, c’est ce que vous voulez en faire.

Nous sommes majoritairement d’accord avec la finalité que vous avez retenue. Quelle est-elle ? Il s’agit de remonter les filières de contamination. À un malade ou à quelqu’un qui s’est révélé porteur du virus, il importe de demander qui il a rencontré, dans le but de protéger ces personnes. Ensuite, celles-ci vont devoir être contactées pour faire un test dans les vingt-quatre heures ; le cas échéant, on leur demandera d’accepter de se mettre en quatorzaine pour ne pas courir le risque de contaminer autrui.

Nos compatriotes, qui sont de bons citoyens – ils l’ont prouvé pendant le confinement –, devront respecter ces prescriptions, bien sûr, mais vous ne pouvez pas mettre en place une telle organisation sans un système d’information. L’idéal eût été que ce système d’information soit exclusivement alimenté par des médecins sur la base d’un accord avec le patient, mais c’est inconcevable : il n’y aura jamais assez de médecins pour contacter chaque semaine – je reprends le chiffre du Premier ministre, qui est une évaluation dont je ne connais pas l’exactitude, mais qui donne quand même un ordre de grandeur – plus de 500 000 personnes. Le Premier ministre se dit même prêt à mettre en œuvre 700 000 tests hebdomadaires. Vous ne pouvez pas matériellement organiser cela uniquement avec des médecins qui signalent ce qu’on appelle, dans le jargon de la santé publique, des cas contacts. Il faut obligatoirement passer à une échelle supérieure.

Nous n’aimons pas ce système ; je n’ai rencontré personne au Sénat qui aimait ce système. Pourtant, bien que nous ne l’aimions pas, nous avons accepté en commission des lois de le mettre en place, mais à une condition majeure : le Gouvernement doit accepter un certain nombre de garanties supplémentaires, sur le détail desquelles je ne m’attarde pas maintenant, car nous aurons largement le temps de le faire tout à l’heure.

Enfin, je dois vous dire que nous avons buté sur un petit abcès de fixation dans nos travaux. Je ne veux pas l’exagérer, mais vous voyez bien que, finalement, le confinement est plus facile que le déconfinement.

Le confinement, c’est une règle applicable à tous, sur tout le territoire national : vous n’avez pas le droit de sortir de chez vous, sauf dérogations pour lesquelles vous devez remplir vous-même une attestation, qui pourra être contrôlée. Les contrôles ont d’ailleurs été massifs, comme la commission des lois a pu le vérifier.

Le déconfinement, c’est une multitude de situations qu’il va falloir régir : dans les transports, dans les écoles, dans les entreprises, dans les administrations et même dans les rues. Cela crée naturellement des difficultés.

Le Gouvernement a raison de souligner l’importance des gestes barrières, mais il est également important que les masques soient accessibles aussi massivement que possible. D’ailleurs, spontanément, les Français veulent en porter. Vous pouvez le vérifier tous les jours.

Par ailleurs, nous avons besoin qu’il y ait le moins possible de gens libérés du confinement sur les lieux de travail, dans les transports en commun ou dans la rue, car il y aura toujours, malgré les gestes barrières et les masques, des risques de contamination.

Ainsi, au moment du déconfinement, ce n’est plus l’État qui va dire : « À mes ordres, adoptez le comportement de confinement ! » Ce sont des dizaines de milliers de personnes, qui, chaque jour, vont prendre des décisions. Parmi elles, il y aura des maires, des présidents de grandes collectivités et leurs collaborateurs ; il y aura aussi des chefs d’entreprise. Ces personnes vont prendre des risques dans l’organisation du travail ; elles vont prendre des risques pour le bon accueil des enfants à l’école. Nous voulons permettre à ces décideurs de prendre ces risques sans s’exposer au danger d’une incrimination trop aisée.

Nous avons modifié l’article 1er, non seulement pour vous demander de revenir nous voir plus tôt que vous ne l’aviez prévu si vous voulez prolonger l’état d’urgence, mais aussi pour exiger un aménagement temporaire de la mise en œuvre de la responsabilité pénale de tous ceux qui vont avoir à prendre des risques raisonnés pour permettre au déconfinement progressif de réussir. Nous sommes mobilisés pour réussir le déconfinement, mais pas sans garanties.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et Les Indépendants, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’issue de bientôt deux mois de confinement, et alors que nous nous réunissons aujourd’hui pour la première fois depuis l’adoption de la première loi d’urgence, je ne peux entamer mon propos sans vous faire part d’une grande satisfaction, dont la période qui s’achève s’est pourtant montrée particulièrement avare : pendant que le pays, dépourvu à ce jour de toute certitude sur son avenir, est engagé dans un moment de son histoire dont il gardera pour longtemps la mémoire et les marques, le Parlement, en particulier le Sénat, n’a pas un instant cessé d’exercer, dans la tempête sanitaire qui nous secoue violemment, la vigilance essentielle et indispensable à tout état d’exception.

Sur le texte soumis aujourd’hui à notre examen, par lequel le Gouvernement nous demande de proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet, la commission des affaires sociales s’est saisie pour avis de trois articles et a adopté six amendements, dont cinq ont été retenus par la commission des lois. Un point divise donc nos deux commissions. À mon sens, il résume à lui seul les conditions de la réussite que l’on est en droit, non pas seulement d’espérer, mais d’exiger de la levée du confinement.

Lors de sa déclaration devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a érigé le point saillant de sa stratégie en un triptyque, dont la célébrité a presque immédiatement concurrencé celle de notre devise républicaine : protéger, tester isoler ; des mots vibrant et généreux, dont le succès ne pourra cependant dépendre d’une simple incantation.

Après la levée progressive du confinement, dont on ne peut qu’accueillir la nouvelle avec soulagement, vous entendez désormais, monsieur le ministre, faire supporter la lutte contre l’épidémie, fort loin d’être remportée, sur la seule responsabilisation citoyenne des personnes, y compris celles qui continueront d’être atteintes par le virus et celles qui, par leurs contacts, seront susceptibles de l’être. J’entends bien l’obligation politique d’emprunter désormais des voies décisionnelles, qui, après deux mois d’enfermement imposé à nos concitoyens, privilégient l’incitation à la contrainte.

Les professionnels de santé auditionnés par la commission des affaires sociales et engagés dans les premières formes de suivi sanitaire à domicile des patients atteints nous ont rappelé cette condition première et fondamentale, que vous connaissez en tant que praticien, et à laquelle tout soignant se doit de toujours soumettre son action : le consentement et l’adhésion de son patient. Je ne souhaite pas, bien évidemment, remettre en cause ce principe, mais que sait-on vraiment, mes chers collègues, de l’horizon maintenant tout proche que la levée du confinement dessine ? Victimes de l’enthousiasme bien légitime qui nous prend au moment où nous annonçons à nos concitoyens que leur liberté d’aller et venir sera bientôt recouvrée, n’oublierions-nous pas un peu vite que le matin du 11 mai ne rangera pas magiquement les ravages de cette épidémie dans les épisodes malheureux, mais clos, de notre histoire ?

Le risque d’un sursaut de la maladie, avec la cohorte tragique d’hospitalisations qui l’a accompagnée, est aussi réel et présent qu’à ses premiers jours. La seule différence entre hier et aujourd’hui tient dans la capacité de notre système hospitalier, qui, exemplaire dans la prise en charge de la première vague, ne manquerait pas d’être irrémédiablement submergé par la seconde. Inciter à un changement réel des comportements individuels est nécessaire, mais quel poids accorder au premier mot lancé par le Premier ministre – « protéger » – si on lui refuse l’appui du troisième, à savoir « isoler » ?

Le texte du Gouvernement réserve les quarantaines et isolements aux seuls mouvements de population transfrontaliers ou interinsulaires. Ce n’est pas seulement insuffisant, c’est dangereux. Par cette qualification des seuls cas d’isolement prophylactique contraint, monsieur le ministre, vous faites courir à nos concitoyens le risque d’une insouciance périlleuse, qui considérerait le danger écarté tant que l’on reste à l’intérieur de nos frontières.

L’histoire nous prouve que ces craintes ne sont pas infondées et que les appels les plus renouvelés à la responsabilité citoyenne peuvent se montrer cruellement insuffisants. Les épidémiologistes ont tous en mémoire le triste exemple de Mary Mallon, porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui avait accepté une première période volontaire de quarantaine, mais refusa une seconde période et essaima sa maladie. L’État de New York l’obligea ensuite à deux quarantaines d’affilée, afin d’éviter qu’elle ne contamine d’autres personnes.

À ceux qui me rappelleront justement que l’on ne pourra pas reconstruire notre société et notre économie durement éprouvées en substituant la diffusion du soupçon à celle du virus, je répondrai que la confiance ne se conçoit pas sans précaution. J’aurai l’occasion de vous l’exposer tout à l’heure, mes chers collègues, par la présentation d’un amendement, qui vise à étendre la possibilité de quarantaine et d’isolement au cas du refus réitéré d’un confinement prophylactique. C’est en conscience que je vous demanderai alors de me rejoindre dans l’adoption de cette mesure, à mes yeux indispensable au succès des prochains jours.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je suis saisi, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions (417, 2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion, l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

L’examen du texte qui a déclenché l’état d’urgence sanitaire, devenu la loi du 23 mars 2020, s’est effectué dans le cadre d’une forme de sidération démocratique face à la violence de l’épidémie, qui peut expliquer la légèreté du contrôle de constitutionnalité sur des dispositions particulièrement lourdes en matière de libertés publiques et démocratiques. La précipitation exigée par cette agression virale, mais aussi par un état d’impréparation et de dénuement de notre pays face à une telle situation, que nos concitoyennes et nos concitoyens ne comprennent toujours pas, a provoqué le transfert d’une forme de pleins pouvoirs au Gouvernement pour une durée indéterminée. Il est grand temps de vérifier si l’état d’urgence que nous vivons et sa prolongation sont conformes à la Constitution et aux valeurs fondamentales de notre République.

Cela ne fait pas de doute, ce projet de loi sera soumis à l’appréciation du Conseil constitutionnel, et nous nous associons à cette démarche. Il nous paraît cependant nécessaire que le Parlement, notamment le Sénat, débatte dès maintenant de cette constitutionnalité, exerçant ainsi son pouvoir souverain, sans attendre l’examen par le Conseil constitutionnel, lequel, dois-je le rappeler, n’est pas pourvu de la même légitimité démocratique et a pris une décision contestable et contestée sur la loi organique du 25 mars dernier accompagnant le premier état d’urgence sanitaire.

Depuis le 16 mars, notre pays est confiné. Les libertés publiques et la démocratie le sont aussi. Le Gouvernement et son administration ont pris seuls les rênes du pouvoir : ont été pris 31 ordonnances, 70 décrets, autant d’arrêtés ministériels et au moins 1 200 arrêtés préfectoraux.

Action et efficacité ont été les maîtres mots du Président de la République, de son Premier ministre et des ministres. Bien sûr, il fallait agir vite ; bien sûr, il fallait que la mobilisation soit générale et exemplaire. Toutefois, monsieur le ministre, nous constatons que cette prise en main de la quasi-totalité des pouvoirs s’est traduite par une forme d’infantilisation de notre peuple et de ses représentants.

« Ayez confiance », clamez-vous à tout-va. Mais, en démocratie, la confiance se partage et fait l’objet d’un débat, puis d’un contrôle. Notre peuple n’a pas besoin de tuteur ; il a besoin d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir législatif à l’écoute de ses difficultés, de ses souffrances, de ses inquiétudes, de ses colères et de ses exigences.

Le Président de la République a admis des failles, des lenteurs, des insuffisances. C’est plutôt, selon nous, la faillite d’un système libéral fondé sur la réduction d’une dépense publique entraînant la casse des services publics, en premier lieu de l’hôpital, qu’il faut admettre une fois pour toutes.

Le triste feuilleton des masques et la longue incapacité de production de tests le soulignent : les pleins pouvoirs ne résolvent pas tout. Le temps perdu par des choix politiques et non pas par la fatalité ne se rattrape pas par une débauche de communication souvent désordonnée et contradictoire, mais par une mobilisation de tous les acteurs de notre démocratie : les citoyennes et citoyens, les forces associatives et syndicales, les parlementaires, les élus locaux et l’exécutif.

Comment ne pas constater que la captation de tous les pouvoirs par ce dernier est d’autant plus insupportable démocratiquement que notre pays est confronté depuis des années à une centralisation des décisions aux mains d’un seul homme, le Président de la République ? Le choix solitaire de la date du 11 mai par Emmanuel Macron pour enclencher le déconfinement est une démonstration de l’impasse démocratique dans laquelle se trouve notre pays. Cette décision aurait dû être préalablement débattue, partagée, sous-pesée par les acteurs démocratiques, économiques et sociaux. Tel n’a pas été le cas, puisque de nombreux membres du Gouvernement ont eux-mêmes découvert cette décision au dernier moment.

Même chose pour le plan de déconfinement que M. le Premier ministre nous a exposé : un ensemble de mesures de cette importance pour l’avenir de notre pays et de notre peuple aurait exigé un projet de loi visant à véritablement partager le pouvoir avec le Parlement, lequel aurait disposé d’un droit de proposition, d’amendement et de vote.

Faute de masques, faute de tests, faute de préparation dans les transports, faute de moyens, la date du 11 mai devient incertaine, et ce qui aurait dû être source d’espoir est devenu source de profonde inquiétude. La situation de défiance qui monte dans notre pays indique qu’il faut maintenant restaurer le fonctionnement démocratique de nos institutions. La question de la levée de l’état d’urgence est donc posée.

Cet état d’urgence est l’exception de l’exception : une telle pratique est-elle conforme à la Constitution ? Nous nous questionnons fortement. En effet, rappelons-le, l’article 2 de la loi promulguée le 23 mars introduit dans le code de la santé publique un nouvel état de crise : l’état d’urgence sanitaire. Il y est précisé que la prorogation de l’état d’urgence au-delà d’un mois doit être autorisée par la loi. Il y est aussi précisé que la loi, confirmant cette prorogation d’un mois, doit en fixer la date butoir. En effet, le nouvel article L. 3131-14 du code de la santé publique dispose : « La loi autorisant la prorogation au-delà d’un mois de l’état d’urgence sanitaire fixe sa durée. »

Il a été finalement créé, par l’article 4 de cette même loi du 23 mars, un autre cadre temporel, un état d’urgence sanitaire d’exception, dont la durée est de deux mois. Nous constatons aujourd’hui qu’il peut être renouvelé sans date butoir. Le troisième alinéa de l’article 4 indique en effet que la prorogation de l’état d’urgence, le second état d’urgence, à savoir l’exception de l’exception, au-delà de la durée de deux mois ne peut être autorisée que par la loi. Plus d’obligation, donc, dans cette situation, de prévoir une date butoir. Nous contestons la constitutionnalité de cet article 4, lequel, rappelons-le, n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel après le 23 mars.

Monsieur le président de la commission des lois, je sais que la question de la maîtrise par le Parlement de la durée de l’état d’urgence était pour vous une priorité. En 2015, lors de l’examen du projet de révision de la Constitution relatif à la protection de la Nation, qui n’a finalement pas abouti, vous aviez déposé deux amendements significatifs pour préserver le pouvoir des assemblées en matière de fixation de la durée de l’état d’urgence. L’un de ces amendements visait même à garantir le pouvoir des assemblées, y compris dans le cas des articles 16 et 36, relatifs à l’état de siège et aux pleins pouvoirs.

Quelle que soit la gravité de la crise, le transfert massif du pouvoir législatif au pouvoir exécutif pour une durée indéterminée n’apparaît pas conforme aux valeurs de la République ni à l’esprit même de la Constitution.

Avant tout examen du texte, nous devons demander au Gouvernement de rétablir l’équilibre institutionnel, en fixant une date butoir à l’état d’urgence. En effet, ne l’oublions pas, la lutte contre l’épidémie pouvait se faire dans le cadre de dispositions préexistantes à la loi du 23 mars 2020. Rappelons-le, l’étude d’impact jointe au projet de loi visant à instaurer l’état d’urgence indiquait – cela est passé inaperçu – que l’état normal pouvait répondre à la crise sanitaire. Trois options étaient ainsi retenues.

Option 1 : ne pas modifier le cadre législatif en continuant de s’appuyer sur les dispositions sanitaires existantes des articles L. 3131-1 du code de la santé publique et d’autres dispositions plus spécifiques du même code en matière de réquisition ou encore de lutte contre la propagation internationale des maladies, ainsi que sur le pouvoir de police appartenant respectivement au Premier ministre, aux maires et aux préfets.

Option 2 : compléter les dispositions existantes pour les adapter aux situations extrêmes.

Option 3 : l’état d’urgence sanitaire. Il s’agit d’une option pleinement politique, dont la pertinence sanitaire reste à prouver.

Limiter la durée de l’état d’urgence est une exigence constitutionnelle. Le Défenseur des droits a d’ailleurs rappelé « l’impératif de limiter dans le temps les dispositions spéciales qui restreignent l’exercice des libertés publiques ». Or il nous est demandé aujourd’hui de proroger l’état d’urgence et non pas de le limiter. Nous refusons clairement cette disposition. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons déposé cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande la parole contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je me retrouve avec Mme Assassi sur beaucoup de valeurs, parce que ce sont celles de la République. Pourtant, je ne les interprète pas au point d’approuver sa motion, ce dont elle ne sera pas surprise.

Ma chère collègue, je refuse moi aussi toute évolution qui aurait pour effet de réduire notre démocratie au dialogue singulier entre un homme – le Président de la République – et le peuple français. Cette vision n’est pas la nôtre ! Nous sommes les représentants de la Nation au Parlement, au Sénat de la République, et jamais nous ne pourrons l’accepter.

Nous ne sommes pas non plus les apôtres d’un système dans lequel il n’y aurait plus les garanties de l’État de droit pour s’opposer aux excès de pouvoir. Quand nous nous prononçons en faveur de l’état d’urgence sanitaire, cela ne signifie pas que nous renoncions à l’État de droit, car nous prévoyons des garanties.

Dans notre démocratie, le Parlement est là – il vote la loi – et les restrictions à l’exercice de libertés fondamentales doivent être justifiées, sous le contrôle, possible et souhaitable, du Conseil constitutionnel et, pour ce qui concerne leur mise en œuvre, des juridictions.

Ne cédons pas à la tentation d’une vision trop réductrice de l’état de notre démocratie, même s’il existe de véritables sources de préoccupation, que vous avez exprimées et que je partage s’agissant de l’équilibre des pouvoirs dans la République et d’un certain nombre d’évolutions qui ne me paraissent pas favorables à la vie d’une démocratie équilibrée dans laquelle tous les points de vue peuvent être entendus avant la décision.

Reste que nous sommes là et que nous ne pouvons pas, sans nier notre propre mission, considérer que le Parlement n’aurait pas d’importance. Nous voterons – ou pas – le projet de loi qui nous est proposé pour proroger l’état d’urgence, mais nous y inscrirons des garanties essentielles qui n’y figurent pas. C’est la différence entre votre position, qui consiste à refuser la discussion, et notre position, qui est favorable à la discussion, afin d’inscrire des garanties dans le texte, conformément au rôle du Sénat dans le cadre du processus législatif.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, la commission, après avoir longuement délibéré – près de dix minutes –, a décidé d’émettre un avis défavorable sur cette motion.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Le Gouvernement est forcément défavorable à cette motion.

L’idée de faire durer l’état d’urgence sanitaire ne plaît à personne…

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

… parmi tous ceux qui siègent sur les travées du Sénat, sur les bancs de l’Assemblée nationale ou à la table du conseil des ministres. La restriction des libertés inhérente à l’état d’urgence sanitaire est un déchirement pour chacun d’entre nous. Priver les familles de fêtes, de deuils, les gens de travail, les enfants d’école, un certain nombre de nos concitoyens de déplacements ne fait pas partie de notre ADN politique, ni du vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs. Si nous agissons ainsi, c’est pour protéger les Français.

Je vous demande très sobrement de ne pas adopter cette motion, qui nous empêcherait de poursuivre la mission de protection qui nous a été confiée et que nous avons, je crois, conduite avec parcimonie, raison et efficacité, si j’en juge par l’évolution de la courbe épidémique. Au reste, cette courbe évolue de la même manière dans tous les pays ayant eu recours au confinement. L’épidémie est en recul dans tous les pays d’Europe, sauf en Suède. Je ne sais pas si l’on peut faire une corrélation. Quoi qu’il en soit, je ne me permettrai pas de le faire et encore moins de juger un autre État. Simplement, j’observe que tous les pays ayant mis en place le confinement ont vu l’épidémie régresser.

Nous avons encore besoin de faire un effort collectif pour arriver à terrasser définitivement ce virus. Toutes les protections nécessaires seront apportées dans le cadre du débat parlementaire, ce dont je me réjouis.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Personne ne demande la parole ?…

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

Je rappelle, en outre, que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

La motion n ’ est pas adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Christine Herzog.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Herzog

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de la crise sanitaire, les élus locaux, les maires et les parlementaires se sont engagés pour appliquer localement la stratégie décidée par le Gouvernement. Nous avons fait preuve de bonne volonté et de bienveillance, car cette crise exige de notre part une implication totale et constructive.

Le projet de loi qui nous est présenté devrait constituer une étape décisive dans le processus de déconfinement, mais il pose plus de questions qu’il n’en résout. Nous en avons tous conscience, le déconfinement est une étape complexe. Les acteurs de terrain, notamment les maires et les chefs d’entreprise, qui seront confrontés à de nombreux défis, sont en première ligne. Pourtant, ce texte ne dit rien sur leurs missions précises et les moyens qui leur seront donnés pour agir. La question de leur responsabilité juridique, qui aurait dû être abordée rapidement, ne trouve toujours pas de réponse. C’est pourtant la base avant leur implication dans une stratégie qui reste floue à bien des égards.

Aujourd’hui, la date du déconfinement est encore suspendue à des indicateurs qui sont biaisés, car le confinement seul ne suffit pas. Pour être efficace, il fallait avoir une stratégie globale reposant sur des protections en nombre, des tests de dépistage et une phase d’isolement des personnes contaminées. C’est ce qui a été fait dans plusieurs pays, et ce depuis plusieurs semaines.

Dans ce projet de loi, de nombreux sujets sont renvoyés à des ordonnances et à des décrets ultérieurs. Ainsi, l’article 3 évoque les plans d’accompagnement, mais ne précise pas le rôle des maires dans l’action des brigades chargées de tracer les contacts des personnes infectées. Rien n’est dit non plus sur l’étape cruciale consistant à isoler ou à héberger les malades dans leur commune.

Quant à l’article 6, relatif à l’organisation des systèmes d’information et à la surveillance locale des cas détectés, il ne donne pas non plus les garanties nécessaires ni le cadre légal indispensable sur un sujet aussi sensible.

Enfin, la reprise économique constitue un pilier majeur dans le dispositif du déconfinement. Les chefs d’entreprise sont eux aussi en première ligne. Ils ne doivent pas être tenus responsables des risques sanitaires dus au Covid-19. Comme pour les maires, leur faire porter une responsabilité juridique, éventuellement pénale, sans l’avoir définie au préalable est inacceptable.

Ces lacunes constitueraient un frein au redémarrage économique du pays, sur lequel repose notre avenir.

En conclusion, je tiens à dire que, si je ne m’oppose pas à l’adoption de cette loi, de nombreuses questions restent en suspens. Elles appellent des réponses claires de l’État, afin que chacun puisse remplir son rôle et prendre ses responsabilités.

M. Philippe Adnot applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a six semaines, nous débattions de la mise en œuvre d’un état d’urgence sanitaire spécifiquement créé pour lutter contre le Covid-19. Notre groupe avait alors émis de nombreux doutes sur ce régime d’exception. Nous avions mis en garde sur l’effacement du contrôle parlementaire et, plus généralement, sur les garanties démocratiques données aux Français et à leurs élus.

Aujourd’hui, le déconfinement progressif du pays est envisagé pour le 11 mai dans une grande confusion. D’ailleurs, le Sénat vient d’émettre un avis défavorable sur le plan de déconfinement du Gouvernement. Le même jour, monsieur le ministre, vous nous demandez de prolonger l’état d’urgence de deux mois et d’en étendre les dispositions, comme si la méthode actuelle ne devait pas être réévaluée et modifiée.

Cette loi d’urgence a habilité le Premier ministre, mais aussi les préfets, à prendre des mesures qui touchent en de nombreux domaines à la restriction des droits et libertés individuelles et collectives. Si personne ne réfute l’urgence sanitaire, une telle situation nécessite une grande concertation, laquelle a largement fait défaut, comme on peut le constater pour l’école.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme, après avoir mis en place son propre observatoire de l’état d’urgence, s’interroge dans son avis du 28 avril sur la pertinence de la création d’un état d’urgence sanitaire au regard des textes existants, ainsi que sur son impact sur le fonctionnement des institutions et de la vie démocratique.

L’expérience de l’état d’urgence prévu par la loi du 3 avril 1955, maintes fois prorogé à la suite des attentats de 2015, a montré que le risque de contamination du droit commun par des dispositifs d’exception est réel. La prolongation de deux mois qui nous est demandée, sans qu’une durée finale soit prévue, renforce incontestablement ce danger.

À cet égard, permettez-moi de rappeler l’avis du Syndicat de la magistrature, qui attire l’attention sur le « risque de voir ce régime d’exception devenir un laboratoire de dispositifs acceptés en raison de la peur engendrée par le risque sanitaire dont la normalisation par l’effet du temps et de l’accoutumance va masquer leur caractère intrinsèquement attentatoire aux droits fondamentaux ». Malheureusement, les articles de ce projet de loi en témoignent. Ainsi, les articles 2 et 5 ne sont pas présentés comme des dérogations : ils semblent amender, sans durée limitée, les dispositions du code de la santé publique.

D’autres mesures coercitives nouvelles posent problème. Dans les transports, alors que vous ne répondez ni aux alertes des opérateurs de transport public sur le déconfinement ni à l’appel à un soutien public massif à la SNCF, vous proposez l’extension des pouvoirs de police visant à verbaliser les usagers des transports à tous les agents des transports publics, ce que ne demandent ni les entreprises concernées ni leurs salariés. Les pouvoirs de police doivent rester du domaine des forces de police, la confusion ne pouvant que nuire à la réussite du déconfinement.

De la même manière, les modalités de mise en quarantaine et d’isolement des personnes posent problème. Sur le dispositif restant en discussion, la Cour européenne des droits de l’homme considère que la mise en quarantaine doit constituer le moyen de dernier recours pour empêcher la prolongation d’une maladie. Par conséquent, d’autres mesures moins sévères doivent, selon la Cour européenne, avoir déjà été envisagées et jugées insuffisantes. Or, sur ce point, le projet de loi est flou.

Il y a donc un risque à envisager de nouvelles mesures coercitives de cette nature, dans le cadre d’un contrôle parlementaire et juridictionnel aussi réduit et mis en œuvre dans des temps trop limités.

J’ajoute que, en matière d’accompagnement économique et social, la prolongation demandée n’envisage aucune correction du dispositif voté en mars. C’est la raison pour laquelle nous avons redéposé des amendements visant à mieux protéger les salariés : gratuité des masques dans les transports et prolongation de l’interdiction des expulsions locatives.

Enfin, dernière mesure phare proposée par le Gouvernement, la mise en place d’un large système d’information doit contribuer à identifier les chaînes de contamination. Si le texte législatif évoque ce point, c’est parce que le dispositif proposé oblige notamment – malgré vos explications, monsieur le ministre – à lever le secret médical, en autorisant l’accès à des données médicales par des personnes non médecins.

Les commissions des lois et des affaires sociales ont souhaité apporter plusieurs garanties, ce qui est une bonne chose. Néanmoins, selon nous, cela reste insuffisant. La notion de recueil volontaire des données ne figure pas dans le projet de loi et l’anonymat n’est pas garanti. Plus globalement, sur cet article 6, il ne nous paraît pas acceptable de proposer au législateur d’adopter un dispositif aussi important et aussi flou, en laissant aux décrets d’application toute latitude quant au champ précis du système et à sa mise en œuvre.

Je veux ajouter un mot sur la responsabilité juridique. Les apports de la commission des lois s’agissant de la responsabilité des maires vont dans le bon sens, nous y reviendrons sans doute abondamment au cours de l’examen des articles. En revanche, la déresponsabilisation des chefs d’entreprise, que certains veulent mettre en parallèle, n’est pas acceptable. Toute entreprise se doit de mettre en œuvre les conditions suffisantes pour assurer la sécurité de ses employés. Après les entorses et les dérogations déjà apportées au droit du travail par l’état d’urgence, de telles mesures ouvriraient la porte à tous les abus, pour pousser au retour au travail dans n’importe quelles conditions.

Voilà pourquoi c’est en toute responsabilité que nous voterons contre ce projet de loi. La nécessité d’agir ne doit en aucun cas affaiblir notre regard exigeant de législateur, surtout pas en ces temps d’urgence.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Dany Wattebled

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pandémie du coronavirus a bouleversé le monde. Elle a atteint nombre de nos concitoyens et mis notre pays à l’arrêt. Cette situation sanitaire inédite constitue un défi majeur, en nous imposant de modifier nos comportements au nom de l’intérêt général. Le civisme est une arme primordiale dans le combat qui est engagé.

Pour endiguer le virus, des mesures de confinement ont été prises : il a fallu réduire les contacts et les déplacements au minimum. Je tiens tout particulièrement à saluer policiers et gendarmes, qui ont veillé et continuent de veiller au bon respect des mesures de confinement. À cet égard, il est incompréhensible qu’ils ne disposent pas toujours de protection. Je veux saluer aussi les maires, les élus locaux et l’ensemble des collectivités locales, qui se sont montrés à la hauteur de la situation.

Le projet de loi que nous allons examiner doit proroger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au mois de juillet. Ce texte traite de la mise en quarantaine, de l’isolement des personnes infectées et de la collecte des données médicales pour remonter et casser les chaînes de transmission du virus.

À titre personnel, je serai vigilant s’agissant de la configuration du dispositif de traçage numérique envisagé par le Gouvernement et visant à informer l’utilisateur de son exposition à un risque particulier de contamination, du fait des personnes rencontrées. Je serai également attentif aux moyens humains déployés qui composeront les brigades d’enquêteurs au niveau territorial.

Avant de conclure, je souhaite exprimer ma reconnaissance à celles et ceux qui donnent toute leur énergie pour assurer les soins médicaux et la continuité des activités essentielles. Je veux aussi faire part de ma compassion à tous ceux qui ont perdu un être cher et n’ont pas pu l’accompagner dans leurs derniers instants.

Monsieur le ministre, nous devons réussir ensemble le déconfinement. La confiance est l’une des conditions essentielles et majeures pour réussir cette sortie de crise. Il faut arrêter la prorogation des délais de procédure, qui bloque la remise en marche de notre pays. Pour l’heure, l’administration n’est pas au rendez-vous, ne serait-ce que pour ce qui concerne les DIA, les déclarations d’intention d’aliéner. Ces ressources des départements sont déjà dans le rouge. Il faut aussi redonner au maire le pouvoir de signer des permis de construire. L’administration devra retrouver son plein niveau afin de combler les nombreux retards qui se sont accumulés. Elle devra être aux côtés de nos concitoyens dans la reprise qui s’amorcera lundi prochain.

Le groupe Les Indépendants soutient les orientations de ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus du groupe centriste abordent ce texte dans une logique d’efficacité au regard de la santé publique, tout en restant fidèles à leur tradition de préservation des libertés publiques et individuelles.

À nos yeux, ce projet de loi contient trois points particulièrement importants.

Le premier point, c’est la prorogation de l’état d’urgence sanitaire, qui figure à l’article 1er et qui a donné son titre au présent texte. Il est normal que le Parlement donne à l’exécutif les moyens de faire face à une situation de crise extrêmement lourde. C’est la raison pour laquelle cette autorisation a été accordée par la loi du 23 mars dernier ; nous comprenons qu’elle soit prorogée, même si nous apprécions la limitation proposée par la commission des lois.

En approuvant cet article, nous souhaitons mettre en exergue l’idée que, dans la lutte contre le virus, l’engagement du monde soignant est essentiel. Toutefois, n’oublions pas le soubassement institutionnel. Dans cette crise, comme dans la crise des « gilets jaunes », la Constitution reste l’arme la plus solide dont dispose notre pays : elle nous permet d’apporter les réponses institutionnelles adéquates.

Le deuxième point, c’est la question de la responsabilité. Nous sommes favorables à l’évolution du régime de responsabilité proposée par la commission des lois. Nous connaissons les difficultés de l’exercice et les subtilités de la loi Fauchon – l’équilibre défini à l’époque n’a pas été atteint sans mal.

Cela étant, une attente s’exprime. Nous n’entendons pas revenir à l’obligation, pour tous les décideurs, de respecter les lois, règlements et autres directives. Néanmoins, la définition de la faute dite « caractérisée », que connaissent bien ceux qui s’intéressent au droit pénal, pose un problème spécifique. Le plan de déconfinement va exiger un certain nombre de mesures de la part des décideurs ; or nous savons qu’une partie d’entre elles n’ont pas recueilli l’accord du comité de scientifiques. Dans quelques mois, cette situation contradictoire pourrait entraîner des difficultés.

Un assouplissement de la définition de la faute caractérisée, limité dans le temps et dans son spectre, nous semble donc bienvenu, en respectant les principes constitutionnels d’obligation de poursuites et d’égalité.

Le troisième et dernier point, c’est l’article 6.

Monsieur le ministre, nous ne vous le cachons pas : au sein du groupe centriste, cet article nous inspire beaucoup d’interrogations. Autant, je le répète, nous admettons les exigences de l’exécutif vis-à-vis du législatif pour répondre à la crise, autant nous entendons que le Parlement exerce un contrôle exigeant sur l’exécutif. Or cette exigence porte tout particulièrement sur l’article 6.

Le Premier ministre nous a dit précédemment qu’il comptait sur l’adhésion plus que sur la contrainte. Dans l’article 6, je ne vois pas très bien quelles sont les parcelles d’adhésion… En revanche, je vois assez bien où sont les éléments de contrainte. En d’autres termes, il nous faut revenir aux logiques d’équilibre, aux checks and balances.

Une interrogation demeure – notre collègue présidente de la commission de la culture travaille depuis longtemps sur ces sujets – quant aux risques de dérapage. La collecte de données massive – c’est bien le cas en l’occurrence – et centralisée ne laisse pas de nous inquiéter. Nous ne contestons pas votre bonne volonté, mais, si ces outils technologiques nous préoccupent, c’est précisément parce qu’ils peuvent tomber dans de mauvaises mains. Avec de tels dispositifs, nous risquons d’entrer dans un engrenage.

Nous éprouvons également une incompréhension quant au niveau du recueil de données qui existe d’ores et déjà. Vous venez nous demander une habilitation pour la mise en place d’un système dit « d’information ». Or, au Journal officiel du 22 avril dernier, figurait un arrêté autorisant le Health Data Hub et la CNAM à collecter un large éventail de données. Je vous l’avoue, nous avons un peu de mal à comprendre comment se combinent les différents systèmes d’information. Bien sûr, si ces derniers se révèlent trop nombreux, la difficulté ne fait qu’augmenter.

Pour conclure au sujet de cet article 6, je dirai que l’identification des données pose, selon nous, problème. Nous aurions préféré, et de loin, une anonymisation. À tout le moins, lorsque les personnes ont été prévenues, qu’elles ont été soignées et que leurs contacts ont été identifiés, elles doivent redevenir anonymes.

En résumé, oui au partage d’information au stade de l’enquête épidémiologique de terrain, mais non à cette identification dans des serveurs centraux

Mme Marie-Pierre de la Gontrie applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

L’absence de consentement de l’individu nous inquiète, ainsi que tout ce qui pourrait conduire à développer, en complément de ce système d’information, une application apparentée au dispositif StopCovid, même si ce projet semble mal né.

Vous nous présentez quatre finalités. Mais, pour ce qui concerne la première, qui va saisir les résultats dans le système ? Au sujet de la deuxième, comment allez-vous garantir l’anonymat des personnes atteintes par le virus lorsque la chaîne des contacts sera remontée et que les gens seront interrogés ? Au titre de la troisième finalité, on nous parle de suivi médical : s’agira-t-il d’un contrôle ? Que signifie « vers des prescriptions médicales d’isolement prophylactique » ? Enfin, la quatrième finalité, à savoir la surveillance épidémiologique et la recherche menée en la matière, ne peut être envisagée que dans un cadre garantissant l’anonymat.

Nous écouterons vos explications avec beaucoup d’attention au cours des débats. Nous ne contestons pas la pertinence du travail accompli par la commission des lois ; mais, même avec ces garanties, nous restons extrêmement dubitatifs quant aux conséquences du système que vous nous proposez de mettre en place à travers l’article 6.

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mmes Maryse Carrère et Marie-Pierre de la Gontrie applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, il nous paraît essentiel de bien clarifier les choses quant à la responsabilité des élus locaux. Sans cette clarification, qui nous est demandée dans tous les départements, on ne peut que douter de la mise en œuvre des mesures relatives à l’école comme à d’autres domaines.

À cet égard, nous avons bien noté l’amendement de M. Bas, dont les dispositions présentent un caractère extrêmement général. Nous ne méconnaissons pas les questions de responsabilité qui se posent pour d’autres personnes, mais nous considérons – c’est pourquoi nous allons déposer un nouvel amendement ce soir – que les élus locaux méritent des mesures spécifiques.

En deuxième lieu, nous pensons qu’il faut toujours veiller aux droits du Parlement : tel est le sens de notre amendement tendant à limiter à un mois la prolongation de l’état d’urgence. Nous devons disposer de toute l’information quant aux décisions prises par le Gouvernement et les préfets. De plus – Patrick Kanner l’a déjà dit –, nous voulons savoir quand le Parlement procédera à la ratification des dizaines d’ordonnances adoptées.

En troisième lieu, la crédibilité de ce texte dépend des capacités de fourniture, dans un contexte cohérent, à différents niveaux.

Mes chers collègues, qu’il s’agisse des masques ou d’autres dispositifs, nous avons vu régner une véritable loi de la jungle. Face à de telles réalités, l’État doit jouer tout son rôle. Le pouvoir régalien est, finalement, un pouvoir très républicain.

En quatrième lieu, ce qui nous préoccupe, c’est en partie ce qui se trouve dans ce texte et, surtout, ce qui n’y est pas. Ce projet de loi traduit une conception de l’article 45 de la Constitution que nous avons toujours jugée restrictive. Dès lors que nous prolongeons les dispositions d’une loi – celle du 23 mars dernier –, nous devons pouvoir l’amender dans son ensemble. Or nous ne pourrons pas discuter de toutes les questions sociales, qu’abordera ma collègue Laurence Rossignol, ainsi que de nombreux sujets comme le logement, les centres de rétention, les établissements pénitentiaires, la justice, etc. Nous le regrettons : à nos yeux, ces débats seront trop restrictifs au regard des problèmes que nous connaissons.

Au sujet de l’article 6, il est tout à fait clair qu’une tension se fait jour. Nous ne voulons pas de simplification abusive. La santé publique impose des choix ; la protection des libertés et de la vie privée en impose d’autres. M. Bonnecarrère vient de décrire exactement la tension au cœur de laquelle nous sommes.

À ce titre, nous avons décidé de suivre des propositions de Philippe Bas, lesquelles reprennent d’ailleurs certains de nos amendements. Toute nouvelle ordonnance traitant de cette question doit être retirée de ce texte. En outre, il est hors de question que, par ce nouveau fichier, on fasse réapparaître subrepticement, sans nouveau vote du Parlement, l’application StopCovid. De surcroît, il faut veiller particulièrement au droit d’information, d’opposition et de rectification dont doivent disposer les personnes concernées.

Il faut également disposer d’une instance de contrôle comprenant des parlementaires. De même – cette disposition devrait donner lieu à un accord –, nous proposons que l’avis de la CNIL s’impose lors de la rédaction du futur décret.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ces garanties sont nécessaires, mais elles ne sont sans doute pas suffisantes.

Au sein de nos groupes respectifs, des points de vue différents se font clairement jour. Cette tension est naturelle. Il faut veiller à la santé publique : c’est une nécessité absolue, et M. le ministre le répète assez souvent. Cela étant, les élus de notre groupe défendront également – je dirai presque coûte que coûte –, avec toute la force de leur conviction, les libertés publiques et le respect de la vie privée, qui sont des impératifs de notre Constitution et de notre République.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Maryse Carrère

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas besoin de rappeler les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui, ni de mentionner le nombre de victimes du Covid-19 en France et dans le monde. Mes toutes premières pensées s’adressent à elles et à leurs familles. Elles vont ensuite à toutes les personnes qui, au sein du corps médical et au-delà, dans ce qu’on appelle désormais les services essentiels, ou encore par un mouvement de solidarité spontanée, ont fait et font tenir notre pays aujourd’hui. J’y reviendrai.

L’épidémie de Covid-19 est toujours active. Pourtant, nous sommes réunis aujourd’hui, selon des modalités adaptées, pour remplir notre mission constitutionnelle, à savoir légiférer. À cet égard, je tiens à saluer la mobilisation qui s’est manifestée sur toutes les travées, pour faire vivre le débat parlementaire malgré les délais particulièrement courts qui nous sont imposés et, en amont, permettre le suivi des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

Le président de notre groupe, Jean-Claude Requier, l’a déjà indiqué, les membres du RDSE soutiennent la volonté du Gouvernement d’engager la phase de déconfinement. Cependant, nous aurions souhaité que la prorogation de l’état d’urgence comporte des prémices législatives d’adaptation structurelle de notre pays à ces risques pandémiques, dont les chercheurs disent qu’ils vont probablement se multiplier dans les années à venir. Ces engagements sont essentiels pour que nos concitoyens acceptent la prolongation des restrictions de libertés qui leur est demandée, laquelle affecte leur vie familiale, sociale et professionnelle. Je pense bien sûr à l’adaptation de notre système de santé.

De façon plus prospective, se posera également la question de l’indépendance alimentaire, que nous avions d’ailleurs soulevée avec la proposition de résolution de Françoise Laborde, de l’indépendance pharmaceutique, au moins au niveau européen, ou encore de l’adaptation de l’aménagement du territoire : cette crise a montré à la fois les limites d’une économie dominée par des métropoles extrêmement denses et les vertus de la proximité.

Il me semble que nous sommes tous d’accord pour considérer qu’à long terme la paralysie saisonnière du pays ne peut plus être une option.

Beaucoup d’entre nous considèrent que la prorogation de l’état d’urgence sanitaire aurait mérité des échanges plus longs, éclairés par les travaux de nos différentes commissions, d’autant que la première phase de l’état d’urgence court jusqu’au 23 mai – il s’agissait déjà d’un délai dérogatoire par rapport au régime de droit commun. Où était l’urgence ? Comment évaluer l’impact des mesures proposées sur les personnes chargées de les appliquer sans disposer du temps nécessaire pour les auditionner ?

À l’instar de M. le rapporteur, la majorité des membres du groupe du RDSE n’est pas favorable au fait d’étendre le délai de prorogation au-delà de deux mois, compte tenu des mesures liberticides prévues par ce régime exceptionnel destiné à affronter l’urgence. Mon collègue Joël Labbé a déposé un amendement tendant à ce que ce délai soit réduit à deux mois à compter du vote du présent texte. Il courrait ainsi jusqu’au 8 juillet prochain. Cela étant, sur ce sujet, nous nous rallierons à la proposition de la commission.

Ce matin encore, après une analyse de quelques jours, ou plutôt de quelques heures, ce texte faisait naître plus de questions qu’il n’apportait de réponses, même si nos échanges en commission des lois ont permis de lever quelques incompréhensions.

En premier lieu, ce projet de loi ne prévoit pas de mesures contraignantes, qu’il s’agisse des gestes barrières ou du matériel de protection. Il ne contient donc que de simples recommandations, de nature à semer la zizanie après le 11 mai. On l’a constaté, notamment dans le département dont je suis l’élue : lorsque des maires prennent l’initiative de rendre ces règles obligatoires, ils se heurtent à l’opposition de l’État, à la demande du ministère de l’intérieur.

En deuxième lieu, comme l’a indiqué notre collègue Véronique Guillotin, la question des brigades médicales est au centre de nos préoccupations. Or, sur ce sujet, le texte reste flou : quelles seront les personnes habilitées à recueillir les données médicales dont il s’agit ? à quelle fin ? au moyen de quel support électronique ? au moyen d’un énième système d’information, comme le prévoit l’article 6 ? N’oublions pas que ces personnes manipuleront, principalement, des données personnelles et médicales.

En troisième et dernier lieu, les dispositions des articles 2 et 3 soulèvent également de grandes inquiétudes. Leur mise en œuvre pourrait conduire à des placements en quarantaine ou à l’isolement par simple présomption, par exemple pour les personnes arrivant de l’étranger. Nous craignons que nos ressortissants des outre-mer passant par des zones de transit y soient soumis ; en résulterait une rupture de la continuité territoriale. Dans certains cas, ces zones de transit sont un passage obligé – je ne citerai que l’exemple de Saint-Pierre-et-Miquelon, que nous a rappelé notre collègue Stéphane Artano.

Pour le moment, le virus n’a pas disparu, mais nous apprenons à vivre avec lui. Cela implique de retisser le lien de confiance entre nos concitoyens, que les distanciations sociales fragilisent immanquablement. À cette fin, nous disposons de deux ressorts efficaces.

Le premier, c’est l’exemple des gestes de solidarité que nous avons observés dans les moments les plus durs du confinement : une grande solidarité s’est manifestée en faveur des travailleurs essentiels, par des actions individuelles ou collectives, notamment associatives, par des actions symboliques ou concrètes.

Le second, c’est l’espoir de développer des solutions médicales pour lutter contre le Covid-19 à tous les stades de la maladie : les tests, les vaccins ou encore les traitements destinés à limiter les symptômes.

Appuyons-nous sur ces deux forces pour sortir de l’état d’urgence sanitaire.

Telles sont, en quelques mots, les réserves que les élus du RDSE souhaiteraient voir lever au cours de l’examen de ce texte. C’est en ce sens que nous défendrons nos amendements.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Sophie Joissains applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous infliger une voix pénible à entendre, mais je n’en serai que plus bref.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Avec cette discussion, nous sommes face à un ensemble d’enjeux vitaux. D’un côté, le temps de la vie doit reprendre, qu’il s’agisse de la vie éducative, familiale et amicale, du redéploiement de l’activité, de la création de richesses ou de la consolidation des emplois. De l’autre, les décisions que le Gouvernement va prendre avec notre accord mettent en jeu des milliers de vies.

On a avancé, avec de vrais arguments, que le confinement avait épargné des dizaines de milliers de vies. Si nous nous trompons, si nous choisissons mal les cibles et les méthodes d’encadrement pour les prochains mois, nous risquons de nouveau de créer des drames. Nous voulons bien sûr les éviter. Il faut donc continuer à agir pour faire barrage à la contagion.

Nous engageons un programme regroupant de multiples actions publiques soutenues par un dialogue permanent et par un grand nombre de partenariats indispensables. Depuis des semaines, le Gouvernement mène, à cette fin, un travail intensif, auquel le Parlement est fortement associé. Nos deux débats d’aujourd’hui en témoignent ; viendront ensuite nos missions de suivi, grâce auxquelles nous pourrons nous assurer que le bon cadre a été choisi.

La reprise de l’activité scolaire va s’engager dans une semaine. Il s’agit, là aussi, d’un moment de réunion de volontés. La rapidité de cette remise en route scolaire, décidée il y a trois semaines par le Président de la République, provoque des débats souvent intenses, traduisant parfois un certain malaise. C’est difficile – nous en convenons tous –, mais il fallait commencer. Nous le savons bien, huit ou quinze jours de plus n’auraient rien changé aux problèmes.

Un esprit constructif se manifeste dans la plupart de nos communes, dans la plupart de nos équipes enseignantes. Il faut l’encourager, afin qu’il l’emporte, même si la progressivité de la reprise scolaire est indispensable au succès futur de nos enfants et à l’équilibre des familles.

Bien sûr, ce travail pose la question de l’élargissement de la protection de nos collègues élus locaux et des autres responsables publics, étant donné la responsabilité légale qu’ils engagent par leurs actes.

Le cadre légal de base est clairement satisfaisant. En cas de simple négligence ou de simple ignorance, la loi Fauchon et la jurisprudence permettent déjà d’éviter que la responsabilité ne soit mise en jeu. Néanmoins, nous souhaitons très majoritairement compléter le code pénal et la jurisprudence à cet égard, et je crois que nous trouverons la bonne solution.

En parallèle, ce projet de loi comporte deux dispositions particulières : la précision des mesures d’encadrement individuel et le système d’information.

M. Bas l’a déjà indiqué, les mesures d’encadrement individuel, de tradition très ancienne, sont nécessaires pour éviter la diffusion du virus. Elles se limitent pour l’instant à la quarantaine extérieure, qui semble faire l’objet d’un consensus.

Comme l’a rappelé M. Milon, s’y ajoute le contrôle, même incomplet, des citoyens réfractaires, contrevenant aux mesures de précaution. Ce choix est en débat. Notre groupe, comme d’autres, sera probablement partagé. À titre personnel, j’ai vraiment la conviction qu’il faut une méthode, au moins partielle, de contrôle des individus défiant les obligations de protection d’autrui : c’est une question de cohésion sociale.

Au sujet du système d’information, Philippe Bas a également été d’une grande clarté. Il a d’ailleurs mobilisé son expérience d’ancien ministre de la santé. La nécessité d’un tel dispositif est évidente ; il reprend des usages prévus de longue date par le code de la santé publique. Habituellement, ces derniers s’appliquent à des contagions de moindre ampleur ; nous sommes face à un changement d’échelle, mais, précisément, l’ampleur et la vigueur de la contagion justifient de légiférer.

Mes chers collègues, nous le savons tous, légiférer n’est pas facile, compte tenu de la confrontation inévitable entre les intérêts publics et des intérêts privés légitimes. Toutefois, j’en suis convaincu, et, à cet égard, notre groupe sera unanime, il faut soutenir ce système d’information, étape clé de la réussite du déconfinement.

La prolongation de l’état d’urgence sanitaire, de deux mois ou d’un mois et demi, qui va de pair avec l’élargissement de la liberté de mouvement, va supposer de réviser une série de mesures prises au titre de la loi du 23 mars dernier ou des ordonnances successives. Ces mesures découlaient du confinement complet. Ainsi, comme l’a relevé M. le rapporteur, un certain nombre de reports de délais de procédure ou de décision ne se justifient plus dans cette seconde période. Il faudra donc procéder à un toilettage, en particulier dans la réorganisation décidée en mars des procédures et des processus administratifs. Les services publics doivent reprendre, et il faut tout faire en ce sens.

Monsieur Retailleau – je suis heureux que vous soyez revenu en séance –, vous nous avez annoncé votre intention de saisir le Conseil constitutionnel de ces dispositions. Permettez-moi de m’en réjouir ! Bien entendu, ce débat s’inscrit également dans un contexte de combat politique. Durant toute ma vie législative, j’ai entendu des annonces – j’en ai même parfois prononcé – de saisine du Conseil constitutionnel par volonté d’opposition. Mais, une fois que le Conseil constitutionnel a tranché, la vérité juridique est dite et, en conséquence, la sécurité de nos lois est assurée.

Cette saisine rendra donc service à tout le monde. Nous n’avons pas pu y recourir pour la première loi, car nous voulions qu’elle entre en vigueur tout de suite ; mais cette fois nous disposons d’un petit délai, et nous pourrons apporter cette sécurité, qui conforte notre volonté commune de soutenir le rétablissement de la vie de la Nation.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, au nom du groupe Les Républicains, je salue l’engagement et le courage des professionnels de santé et je rends hommage à l’ensemble des salariés et des fonctionnaires qui assurent le maintien des services essentiels à la population depuis le début de la crise.

Les circonstances exceptionnelles qui nous réunissent appellent, certes, des mesures exceptionnelles, mais les conditions d’examen qui nous sont imposées pour ce texte ne sont pas propices au travail du Parlement. Depuis le vote de la première loi d’urgence sanitaire, plus de six semaines se sont écoulées. Or nous travaillons aujourd’hui sur un texte dont le contenu est connu depuis seulement quarante-huit heures et dont l’examen en commission a eu lieu ce matin même. Le Gouvernement aurait très bien pu organiser la présentation de ce texte dans des délais moins contraints.

J’en viens au texte.

L’ensemble des mesures de ce projet de loi ainsi que leurs enjeux ont été parfaitement présentés par les présidents-rapporteurs Philippe Bas et Alain Milon, que je tiens à saluer. Ce texte est une étape vers la sortie progressive du confinement. Néanmoins, une question nous paraît essentielle : notre pays est-il préparé au déconfinement ? Dans son discours, le Premier ministre a clairement énoncé un triptyque offensif maintenant très bien connu – protéger, tester, isoler –, qui, selon nous, aurait dû être mis en place bien avant.

Derrière ces trois mots, quelle est la réalité ?

La première nécessité est de protéger. Le port obligatoire du masque dans les transports en commun constitue certes une avancée, mais il reste une exception dans la sphère publique, où la recommandation continue de l’emporter sur l’obligation. Si nous voulons que les Français soient protégés, ne faudrait-il pas rendre obligatoire le port du masque dans l’ensemble de l’espace public ?

Les incohérences successives dans la communication gouvernementale et le changement de doctrine quant au port du masque ont profondément abîmé la confiance des Français en la parole publique. Monsieur le ministre, vous qui faites appel au sens des responsabilités des Français, vous nous expliquiez, voilà quelques semaines, que personne n’avait besoin de porter un masque.

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Je n’ai pas dit personne !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Aujourd’hui, nous observons un changement de discours du Gouvernement : il devient préférable, dans de nombreuses circonstances, de porter un masque plutôt que de ne pas en porter.

Pour expliquer ce revirement, le Gouvernement a mis en avant un changement de doctrine. Or, depuis le 22 janvier dernier, alors que le virus circulait en Chine, des infectiologues ont signalé la nécessité de mettre un masque pour éviter toute contagion. Au moment où les Français vivent une épreuve inédite, difficile et parfois cruelle, il est important de dénoncer les fausses informations ; néanmoins, avant de prétendre labelliser comme « véridique » telle ou telle information, n’aurait-il pas fallu dire la vérité aux Français concernant la pénurie de masques ?

Par ailleurs, une polémique est apparue au cours des derniers jours sur la capacité de la grande distribution à mettre à disposition du public une quantité importante de masques, mais le problème n’est pas là ; il réside plutôt dans l’approvisionnement des pharmacies, qui doivent, par ailleurs, avoir suffisamment de masques pour les professionnels de santé et pour les Français les plus fragiles. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?

La deuxième nécessité est de tester. En matière de dépistage, les temps ont changé, selon les propos que le Premier ministre a tenus lors de la présentation du plan de déconfinement. Or, depuis le 16 mars dernier, le directeur général de l’OMS indique qu’il faut tester le maximum de personnes pour stopper la chaîne de contamination du Covid-19.

Les chiffres sont là : l’OCDE signale que, en date du 15 avril, le nombre de personnes dépistées en France était de 5, 1 pour 1 000 habitants, plaçant notre pays derrière la Turquie, dont le ratio est de 5, 3 personnes pour 1 000 habitants ; c’est près de trois fois moins que la moyenne des pays de l’OCDE, et nous sommes loin derrière l’Allemagne.

Devant la mission parlementaire de l’Assemblée nationale, le directeur général de la santé assurait, le 23 avril dernier, que, désormais, 165 000 personnes étaient dépistées chaque semaine. Le lendemain, on annonçait devant les micros plutôt le chiffre de 300 000. Finalement, quels sont les bons chiffres ? Là encore, la confusion ne suscite pas la confiance…

Il semblerait que, malgré l’augmentation de la capacité à réaliser des tests RT-PCR, grâce à l’autorisation accordée aux laboratoires départementaux de le faire – je rappelle l’action en ce sens de notre président de groupe, Bruno Retailleau –, des difficultés logistiques persistent. Quid de l’approvisionnement en réactifs biochimiques et en différents équipements, comme les écouvillons, sans oublier les équipements de protection pour le personnel habilité à prélever ? Nous avons bien noté l’objectif des 700 000 tests hebdomadaires, mais comment ferez-vous pour l’atteindre, compte tenu des difficultés qui existent dans le déploiement d’une stratégie massive de dépistage ?

La troisième nécessité est l’isolement. Sauf à ce qu’elles aient la possibilité de s’isoler dans une pièce à part, les personnes dépistées positives au Covid-19 ne devraient pas retourner dans leur famille, contrairement à ce que nous avons malheureusement laissé faire jusqu’à présent, au risque qu’elles infectent leur entourage. Une large palette d’hébergements doit être mise à la disposition des Français qui ne pourront pas s’isoler chez eux, avec toute la logistique qui va avec. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Pour ce qui concerne le texte, le principe, inscrit à l’article 2 du projet de loi, du consentement et de la responsabilité individuels pour les mesures de mise en quarantaine et d’isolement a finalement été retenu par le Gouvernement, sauf pour les personnes entrant sur le territoire. Là encore, ce qui a été annoncé samedi dernier n’était déjà plus d’actualité ce matin. La mesure ne concerne donc que les personnes provenant de l’extérieur de l’Union européenne, de l’espace Schengen et du Royaume-Uni.

Nous soutenons la proposition du président Milon consistant à sécuriser, au sein de l’article 6, le périmètre des données de santé. Il est en effet essentiel que les données collectées soient strictement circonscrites et limitées au seul statut virologique du patient.

Enfin, dans les circonstances actuelles, nous sommes favorables à la prolongation, prévue à l’article 1er, de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet prochain. Cette date, retenue par la commission des lois, nous paraît plus pertinente au regard des incertitudes qui pèsent encore sur les conditions dans lesquelles sera mené le déconfinement.

Bien entendu, d’autres points importants seront traités par notre collègue François-Noël Buffet, notamment pour ce qui concerne la question, essentielle dans ce débat, de la responsabilité des élus locaux et des chefs d’entreprise.

Pour conclure, je dirai que ce texte est loin de répondre à toutes les questions que pose le déconfinement. Le vote du groupe Les Républicains dépendra donc de l’évolution de nos débats.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

La sortie de crise repose sur une procédure en quatre étapes : détecter, avec l’appui des médecins traitants et du traçage numérique ; tester, en mobilisant toutes nos capacités ; isoler et surveiller, dans la limite des libertés individuelles et de la confidentialité des données médicales utilisées. Le Gouvernement a fait le choix de restreindre l’obligation de mise à l’isolement et de quarantaine aux nouveaux arrivants provenant d’un pays extracommunautaire.

Dans l’ensemble, le texte qui nous est soumis propose un juste équilibre entre santé publique et libertés individuelles.

Nous le savons, l’immunité collective nécessaire pour endiguer la propagation du virus pourra uniquement être atteinte par voie artificielle, c’est-à-dire par vaccination. Pourtant, nous ne pouvons maintenir plus longtemps la France à l’arrêt sans prendre la responsabilité de faire des victimes indirectes, bien plus nombreuses. Il s’agit non pas d’un calcul entre économie et santé, mais d’une équation à multiples inconnues, qui nous oblige à la prudence. En effet, nous ne connaissons pas le nombre réel de personnes asymptomatiques ou paucisymptomatiques ni le degré de contagiosité de ces personnes ; nous ne connaissons pas non plus la durée d’efficacité de l’immunité des personnes guéries ; enfin, nous ne connaissons pas l’ampleur des dommages que le virus cause à long terme.

La distanciation sociale, les gestes barrières, le port du masque : toutes ces mesures élémentaires relèvent de la prévention. Le maillon faible de notre système de santé, trop longtemps absorbé par les politiques de l’immédiateté, se révèle être, en l’absence de traitement, le meilleur rempart contre cette épidémie. Pour cela, encore devons-nous mettre à disposition de la population des masques, à un prix raisonnable et non dix fois plus élevé qu’il y a deux mois.

Restons pragmatiques et poursuivons nos efforts pour surmonter cette crise. Les prochaines semaines seront décisives pour les mois à venir ; pour préserver les libertés et la santé du plus grand nombre de Français, le civisme et la responsabilité individuelle de tous seront plus que jamais nécessaires. Plus que jamais, l’unité nationale doit être le geste barrière de nos institutions. C’est pourquoi, mon collègue Dany Wattebled l’a indiqué précédemment, le groupe Les Indépendants apporte son soutien au Gouvernement sur ce texte, comme sur celui qui l’a précédé.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants. – M. Alain Richard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce soir pour examiner un texte important, qui, rappelons-le, a été déposé seulement samedi dernier par le Gouvernement sur le bureau du Sénat, soit, pour ainsi dire, il y a quelques heures. Il s’agit d’un texte qui vise à préparer le déconfinement, d’où la nécessité d’être précis dès ce soir sur ce que nous allons faire. Je salue, comme Philippe Mouiller, le personnel soignant, mais aussi ceux qui assurent, depuis le début, les missions des services essentiels.

Quel tableau du déconfinement ce texte dessine-t-il ? Une peinture un peu incomplète, parfois même problématique. Commençons par les absences.

D’abord, nombre de mesures de déconfinement relèvent du domaine réglementaire. Nous n’aurons donc pas à les examiner, mais, soyons-en certains, la mission de suivi de la commission des lois restera vigilante pour que se poursuive le bon exercice de la fonction de contrôle du Parlement, même en cette période difficile.

Ensuite, il y avait quelques silences dans le projet de loi initial. D’une part, le système d’information mentionné à l’article 6 n’est pas la fameuse application StopCovid. Cette application avait pourtant été présentée, au cours des dernières semaines, comme l’outil privilégié du déconfinement. D’autre part – le Gouvernement comprendra notre attention particulière sur ce sujet –, se pose la question de la responsabilité des maires et, au-delà, des élus, face à ce déconfinement. Chacun le sait ici, de nombreuses inquiétudes remontent du terrain. Les élus locaux ont souvent participé, en première ligne, comme beaucoup d’autres, à la réponse publique face à l’épidémie, alors même que, parfois, ils n’avaient pas été réélus lors des dernières élections, voire qu’ils souhaitaient se retirer de la vie publique.

Maintenant, au moment de rouvrir certains services essentiels, dont les écoles, les élus craignent de voir leur responsabilité engagée si des infections venaient à se produire, pour une décision qui, fondamentalement, n’est pas la leur. Cette responsabilité résulte de la coexistence, en la personne du maire, d’un élu local et d’un représentant de l’État dans sa commune.

Pourtant, le texte initial était muet sur cette question cruciale ; il ne présentait guère de proposition pour remédier à ce défaut. Nous espérons que, pendant les débats qui s’ouvrent, le Gouvernement entendra la voix des territoires et du Sénat sur ce sujet et ne prendra pas le risque d’abandonner en rase campagne les élus les plus dévoués de notre République. Ce matin, la commission des lois a fait, sur l’initiative de son président-rapporteur, des propositions à ce sujet.

Venons-en à ce qui figure dans le texte. Plusieurs des dispositions ne soulèvent guère de discussion ; nous n’avons pas de remarque particulière à formuler sur le prolongement de l’état d’urgence sanitaire, sur l’élargissement, à certains agents, des pouvoirs de verbalisation ou encore sur les éléments relatifs à nos collectivités d’outre-mer.

Les dispositions du texte relatives à la mise en quarantaine et à l’isolement des personnes entrant sur le territoire national présentent des améliorations significatives par rapport à ce qui était envisagé avant l’avis du Conseil d’État. Le dispositif précédent contenait en effet un risque réel d’atteinte aux libertés constitutionnelles et conventionnellement garanties. Il est heureux que le Gouvernement ait doté le texte de garanties plus solides avant la discussion parlementaire. Parmi celles-ci, nous tenons à relever tout particulièrement le rôle renforcé du juge des libertés et de la détention.

Évidemment, pour rendre effectives ces garanties, encore faut-il permettre au juge de remplir son rôle dans des conditions convenables. Petite digression : la commission des lois, en particulier Patrick Kanner et votre serviteur, qui travaille sur la situation de la justice, constate que celle-ci est en grande difficulté dans la période actuelle ; si nous voulons renforcer de nouveau le rôle du juge des libertés dans les circonstances prochaines, il faudra vraiment donner à ce dernier les moyens d’agir dans de bonnes conditions.

J’en reviens au projet de loi, car un sujet doit encore être évoqué, celui du système d’information prévu à l’article 6.

Nous avons lu les préconisations du comité de scientifiques et l’avis du Conseil d’État ; nous comprenons l’intérêt de procéder à des rassemblements de données pour permettre une lutte plus efficace contre l’épidémie. Néanmoins, la création de bases de données centralisées et interconnectées – étrangement, on parle, au sein de cet article, de « système » et de « systèmes », tant au singulier qu’au pluriel – suscite des interrogations, y compris pour les bases créées avec les meilleures intentions. Une fois ces données agrégées, même si des précautions sont prises à l’égard des personnes pouvant les consulter, des accidents ou des piratages demeurent possibles. Nous n’écartons pas le principe de la mise en place de ce système, surtout si c’est pour sauver des vies, mais le recours à l’ordonnance ou au décret pour son calibrage nous inquiète ; comme souvent, le diable se cache dans les détails…

Enfin, nous ne pouvons nous empêcher de relever que, une fois de plus, nous travaillons dans l’urgence. C’était parfaitement compréhensible, compte tenu des circonstances, pour la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Le Sénat était conscient de la situation ; nous nous étions donc astreints à organiser le travail pour permettre une adoption aussi rapide que possible des mesures dont le pays avait besoin immédiatement, en ajustant ce qui pouvait l’être et en faisant usage de certains raccourcis procéduraux exceptionnels. Toutefois, mon collègue Philippe Mouiller l’a demandé, était-il vraiment impératif de travailler de cette manière cette fois-ci ? N’aurait-il pas été possible, pour le Gouvernement, de mieux anticiper ces travaux dès la semaine dernière, afin d’assurer une bonne information et une préparation correcte des chambres ?

Ce texte est naturellement loin de régler toutes les difficultés et toutes les questions qui se posent ; des problèmes entiers demeurent : l’application StopCovid, la responsabilité des élus locaux, en cours de discussion, celle des chefs d’entreprise ou encore les suites des élections municipales ou la tenue des élections consulaires. Nous espérons que les débats porteront sur ces sujets et apporteront une partie des solutions. C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains – cela a déjà été dit – réserve son vote à l’issue de la discussion parlementaire.

M. le rapporteur et M. Bruno Retailleau applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Rossignol

Je veux vous parler, monsieur le ministre, de quelques amendements que vous ne verrez pas lors de l’examen des articles, car ils ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 de la Constitution. Cela me permet également de mettre l’accent sur quelques troubles que provoque la méthode du Gouvernement quant aux questions sociales. En effet, tantôt nous discutons d’un projet de loi de finances rectificative, et l’on nous dit que l’on parle des entreprises mais non des questions sociales, tantôt nous discutons d’un projet de loi d’état d’urgence, et l’on nous dit que l’on parle d’état d’urgence mais non d’urgence sociale. Bref, le Parlement ne discute jamais d’un plan d’urgence sociale et de suivi des salariés et des personnes en grande difficulté.

Je veux donc appeler votre attention sur ces amendements, parce que ceux-ci vous parleront peut-être et peut-être pourrez-vous les reprendre à votre propre compte, au titre de votre capacité d’initiative.

Premièrement, nous avions déposé un amendement tendant à prendre en compte le chômage partiel dans le calcul de la retraite. Je suis désolée de prononcer le mot « retraite », qui est un peu incandescent, mais c’est le moment, je crois, de rassurer les salariés en leur disant que le chômage partiel n’affectera pas négativement le calcul de leur pension.

Deuxièmement, nous avions proposé de prolonger la trêve hivernale en matière d’expulsion durant l’état d’urgence. C’est également une mesure que vous pourriez, fort opportunément, reprendre.

Enfin, troisièmement, je veux vous parler – je le fais chaque fois – des droits sexuels et reproductifs et de l’accès des femmes à l’IVG.

Vous avez pris un certain nombre de mesures pour faciliter l’IVG médicamenteuse, en particulier pour en faciliter la prescription, mais, quand je vous ai interrogé, voilà presque deux mois, sur la question des IVG hors délai, j’anticipais malheureusement sur les chiffres, qui sont, aujourd’hui, parlants. Ainsi, selon le planning familial, nous assistons à une augmentation de 30 % des appels et de 330 % des appels concernant les difficultés liées à l’IVG, à l’accès à l’IVG, au non-respect du droit, à des violences ou au dépassement des délais ; et il y a une augmentation de 184 % des appels à propos des IVG hors délai.

Il est incontestable que le confinement a un effet délétère sur l’accès à l’IVG. Je vous ai donc écrit, monsieur le ministre, et vous m’avez répondu qu’il fallait recourir à l’IMG. Soit ! Mais les médecins se sont trouvés dans une situation un peu difficile : d’un côté, il y a le code de la santé publique et, de l’autre, il y a la lettre du ministre. Or, pour l’heure, le code de la santé publique pèse un peu plus lourd qu’une lettre de ministre…

C’est pourquoi nous vous demandons, les médecins vous demandent – ils sont 150 à le faire et Ghada Hatem doit vous écrire à peu près tous les jours –, d’accepter un amendement visant à lever l’obligation de présence d’un médecin de médecine fœtale ou d’un centre de diagnostic prénatal dans le collège décidant d’une interruption médicale de grossesse. La décision collégiale est normale, réunir quatre médecins l’est aussi, mais à quoi sert un médecin de diagnostic prénatal quand il s’agit d’une IMG pour détresse psychosociale ? Ce n’est pas la question du fœtus qui est en cause ; c’est, bien au contraire, la question de l’évaluation de la détresse psychosociale.

Par conséquent, les médecins proposent que ce médecin de diagnostic prénatal soit remplacé par un médecin d’un centre d’IVG ou de planification ou par un gynécologue obstétricien. Je défendrai cet amendement ultérieurement, monsieur le ministre. J’espère qu’il aura votre soutien et que, au cas où il ne serait pas adopté au Sénat, vous le déposerez, vous-même, à l’Assemblée nationale.

Je vous assure, il est urgent d’agir ; on évoque l’effet qu’aura le confinement sur la prise en charge des maladies chroniques, sur les cancers tardivement dépistés, sur les maladies cardiovasculaires, mais, en matière d’accès aux droits sexuels et reproductifs, nous aurons le même problème. Or nous pouvons l’anticiper et lever aujourd’hui une partie des difficultés.

Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Françoise Laborde applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le ministre, souhaitez-vous dire quelques mots ?

Debut de section - Permalien
Olivier Véran

Nous allons avoir, monsieur le président, une longue soirée et même, probablement, une bonne partie de nuit pour aborder un à un tous les points qui ont été soulevés par les sénateurs ; tous sont légitimes, et j’aurai à cœur de répondre systématiquement à chaque interrogation qui m’a été faite. Aussi, tout en respectant les débats soulevés, je vous propose, si vous en êtes d’accord, de ne pas être plus long pour l’instant.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures vingt, est reprise à vingt-deux heures.