Sans doute faut-il un certain nombre de précautions, mais, franchement, n’y a-t-il pas là la marque d’une véritable bureaucratie ?
Si nous ne pouvons pas voter le plan que vous nous présentez aujourd’hui, c’est donc parce que nous ne pouvons plus vous croire sur parole : nous attendons les faits.
Mais il y a une autre raison, qui me semble encore beaucoup plus importante, et sur laquelle je vous ai alerté depuis des semaines, ici même, au Sénat. Oui, il faut déconfiner. Oui, nous sommes favorables au déconfinement, parce que les inconvénients du confinement sont désormais, y compris en termes sanitaires, supérieurs à ses bénéfices. Mais ce plan de déconfinement ne saurait être un pari à quitte ou double !
Je vous ai entendu, à l’Assemblée nationale, prononcer une phrase clé qui résume peut-être votre climat intérieur, en tout cas la tonalité de l’ensemble de votre discours – je vous cite, mot à mot : « Si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas. » Mais les indicateurs, monsieur le Premier ministre, ne sont pas affaire de météorologie ! La question est, en d’autres termes : avons-nous ou non créé les conditions pour que les indicateurs soient au vert ?
J’ai dit à plusieurs reprises, au Sénat, que le confinement était une juste décision. Cette stratégie défensive, qui consiste à mettre la France sous cloche, aurait nécessairement dû – ce fut le cas dans certaines grandes démocraties asiatiques et européennes – être assortie d’une stratégie parallèle beaucoup plus offensive de protection, de dépistage, de traçage et d’isolement des personnes susceptibles d’être contaminées.
Tout cela, vous auriez pu le faire avant ! Partout en France, des milliers d’hôtels totalement vides étaient disponibles : nous aurions pu isoler des personnes qui avaient été en contact avec des malades. Même chose pour l’application numérique que nous n’aurons pas : nous aurions pu y travailler avant. Elle n’est pas prête, et si nous devons y avoir recours, sans doute devrons-nous passer sous les fourches caudines des Gafam. Quant aux brigades, derechef, nous aurions pu les former avant ! Il n’y avait pas besoin pour cela d’un fondement législatif ; il n’y avait pas besoin d’attendre le dernier moment.
Oui, il y a eu un temps de retard ! Oui, les doutes sont trop nombreux, monsieur le Premier ministre. J’ai conscience, comme mes collègues ici présents, qu’il s’agit sans doute, de toutes les décisions que vous avez prises, de la plus difficile et de la plus grave. Je ne dis pas qu’elle est simple ; je dis seulement que nous aurions pu, à l’instar d’autres pays, avoir une autre stratégie, qui aurait complété celle du confinement.
La France a été mise sous cloche ; nous nous apprêtons à soulever cette cloche, sans savoir ce que nous allons trouver.
Vous pouvez compter sur notre bienveillance. Mais nous avons des doutes. C’est la raison pour laquelle nous allons très majoritairement, massivement même, nous abstenir. Vous pouvez compter sur nous pour améliorer le texte que vous allez nous soumettre dans quelques heures. Il y a énormément de choses à faire en matière de responsabilité, ce qui ne veut pas dire – vous avez raison, monsieur le Premier ministre – exonérer les responsables de leurs responsabilités. Il nous faut être clairs envers celles et ceux qui doivent concourir à l’application des décisions de l’État.
En tout cas, comme je l’ai dit, nous restons disponibles pour améliorer ce texte. Sans méconnaître la difficulté de votre situation – vous n’avez pas choisi la date du 11 mai –, je pense qu’il faut impérativement, désormais, faire en sorte que la France puisse retrouver le peloton de tête des pays qui, dans le monde entier, ont su combattre efficacement cette pandémie, en essayant de casser les chaînes de contamination, ce que jusqu’à présent nous n’avons pas fait. Nous avons freiné l’épidémie, mais nous ne lui avons pas cassé les reins.